Au-delà de l'anecdote, nous avons l'habitude de nous protéger contre l'exportation illicite d'oeuvres d'art, pas contre leur importation. Or, c'est ce que nous devons faire, au niveau européen – la Commission fera des propositions à ce sujet – et national : ce sera l'objet de certaines des dispositions du projet de loi que j'ai évoqué.
Le financement des groupes terroristes qui agissent sur notre territoire est d'une nature totalement différente. Je parle souvent de « terrorisme low cost », car ces groupes sont capables de causer des dégâts monstrueux, comme ceux que nous avons subis en novembre dernier, pour un coût peu élevé, compris – même si nous n'en tenons pas la comptabilité – entre 30 000 et 50 000 euros. Leur financement se fait ainsi par le cumul de petits mouvements de 1 000 ou 2 000 euros, parfois moins. C'est pourquoi nous devons lutter contre l'anonymat des transactions. Je pense, par exemple, aux cartes prépayées, qui feront également l'objet de dispositions comprises dans le projet de loi ainsi que d'une réglementation européenne applicable aux vingt-huit États membres. Un de mes collaborateurs s'y est essayé et est allé acheter au bureau de tabac du coin deux cartes prépayées pour 9,99 euros. Aucune règle n'oblige à demander l'identité de l'acheteur. Ces cartes peuvent être créditées de sommes comprises, selon les pays, entre 250 et 2 500 euros, qui peuvent ensuite être transférées vers une autre carte d'un pays à un autre. C'est ainsi que les auteurs des attentats du 13 novembre dernier ont pu financer un certain nombre de leurs dépenses. Cela ne sera plus possible. L'anonymat doit disparaître. S'il s'agit de faire un cadeau aux petits-enfants via une carte prépayée comme on le faisait jadis en glissant un billet dans une enveloppe, il n'est pas question de l'interdire, mais la grand-mère ne devrait pas être gênée de dire qui elle est... Le problème se pose également avec les monnaies virtuelles – je pense au bitcoin – qui, aussi utiles qu'elles puissent être, sont susceptibles de faciliter considérablement certains transferts financiers anonymes que l'on est dans l'impossibilité de repérer.
Enfin, et c'est un point très important, les organismes européens qui agissent dans le domaine du renseignement financier doivent avoir les moyens de remplir leur mission – nous vous proposerons donc de renforcer les pouvoirs de TRACFIN – et d'échanger leurs informations. En effet, ces organismes n'ont pas tous le même statut : certains appartiennent à la sphère du ministère des finances, d'autres relèvent du ministère de l'intérieur, d'autres encore du ministère de la justice. Il faut donc homogénéiser, dans le respect des cultures nationales bien entendu, leurs capacités d'échanges d'informations.
Ces différentes mesures ont été présentées par la Commission. Ma préoccupation est que l'on passe de ce que l'on appelle le « paquet », c'est-à-dire une énumération de dispositions, à un projet de directive. La Commission nous dit qu'elle sera prête à la fin du premier semestre, ce qui signifie, compte tenu de la nécessité d'en débattre au Conseil et, pour beaucoup de ces dispositions, au Parlement européen, que l'adoption définitive de cette directive ne pourrait intervenir avant la fin de l'année. Cette date est trop éloignée. Je souhaite donc que nous nous coordonnions avec l'Allemagne afin que le dispositif soit enclenché et, éventuellement, que le Conseil lui-même adopte le projet de directive, avant l'été. Nous venons d'avoir une rencontre à ce sujet.
En tout état de cause, les propositions que la France a formulées dans ce domaine ont été quasiment intégralement reprises au niveau européen.
Il est un deuxième domaine dans lequel nous avançons bien – il faut maintenant que nous aboutissions –, c'est celui de la lutte contre ce que l'on appelle la BEPS, c'est-à-dire l'érosion de la base fiscale ou l'optimisation fiscale agressive des entreprises.
On est souvent sceptique quant à la capacité des acteurs publics de prendre rapidement des décisions ; or force est de reconnaître que, dans ce domaine, le chemin parcouru en l'espace de trois ans est considérable. Le G20 a lancé l'opération anti-BEPS à Los Cabos, au Mexique, à la fin de l'année 2012, et il a adopté les dispositions élaborées par l'OCDE à Antalya à la fin de l'année 2015. Une telle rapidité est d'autant plus extraordinaire qu'il s'agit d'un domaine complexe, dans lequel les souverainetés nationales s'affirment si fortement que toute idée de travail en commun se heurte immédiatement à de puissantes oppositions. Mais, dans un contexte tel que celui que nous connaissons depuis la crise de 2008, ces mécanismes sont devenus insupportables pour les États. De fait, non seulement les grandes entreprises multinationales transfèrent les bases fiscales d'un pays à l'autre, mais elles finissent par ne plus payer d'impôt nulle part, ni en France, ni en Europe, ni aux États-Unis, en choisissant de s'implanter dans des pays où le taux d'imposition des bénéfices est proche de 0 %. Que les législations soient différentes d'un pays à l'autre, on peut le comprendre, mais il faut lutter contre un dumping fiscal trop agressif, que ce soit en Europe, où la France propose que soit instaurée une base d'imposition minimale, ou au plan international.
Je vous rappelle quel a été le processus : l'OCDE a fait des propositions qui, sur la base d'accords multilatéraux, doivent être appliquées dans chaque pays. La France a, pour sa part, commencé à mettre en oeuvre ces mesures et il a été décidé, alors que nous n'y sommes pas obligés, d'adopter le même dispositif au niveau européen afin de lutter plus efficacement contre ce phénomène.
S'agissant du tax ruling, qui consiste pour un pays à donner un avantage particulier à une entreprise sans que personne n'en connaisse le contenu, une directive a déjà été adoptée, de sorte qu'il est aujourd'hui obligatoire de faire connaître cet avantage. Ainsi, si une entreprise obtient, dans un pays européen, petit ou grand, un avantage fiscal qui lui permet de ne payer aucun impôt, la convention visant à éviter la double imposition ne s'applique pas, puisqu'elle aboutirait en définitive à une double non-imposition. Chaque État recouvre alors le pouvoir d'imposer, selon ses propres règles, les bénéfices qui ont été transférés dans le pays concerné.
Par ailleurs, le reporting pays par pays, qui est d'ores et déjà soumis à une réglementation en France et qui le sera prochainement au niveau européen, doit nous permettre d'avoir accès à la totalité des informations concernant les bénéfices des entreprises de notre pays, pour nous permettre d'imposer dans de bonnes conditions ceux qu'elles tirent réellement de leur activité sur notre territoire. Il existe un dispositif de même nature concernant les grandes entreprises multinationales du secteur du numérique.
Je me permets de préciser, madame la présidente, que la France a déjà adopté le reporting pays par pays dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016. Il le sera également au niveau européen, de sorte qu'entre administrations fiscales, la transparence sera totale et l'échange d'informations automatique. Lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2015, certains députés, dont vous faisiez partie, ont souhaité que ce reporting pays par pays soit public, donc accessible à l'ensemble des citoyens. J'ai indiqué, lors du débat en séance publique, que la France n'avait pas d'opposition de principe à une telle mesure, mais qu'il n'était pas question qu'elle soit la seule à l'adopter, car cela placerait nos entreprises dans une situation difficile par rapport à leurs concurrentes. En revanche, je suis favorable à ce que cette décision soit prise au niveau européen, voire avec les grands pays tels que les États-Unis. Mais procédons par étapes. Quoi qu'il en soit, le reporting pays par pays a été adopté, il a été décidé au niveau européen et il fera partie des sujets que nous examinerons vendredi.
J'en viens maintenant à l'Union bancaire. Il s'agit d'une politique d'harmonisation très importante. J'ai l'habitude de dire qu'elle est, avec l'Union monétaire, l'une des deux grandes politiques de transfert de souveraineté, dans la mesure où chaque État a toujours contrôlé la sécurité de son système bancaire. Ce transfert de souveraineté est total s'agissant de la surveillance, qui relève désormais d'une autorité européenne – présidée d'ailleurs par une Française – placée auprès de la Banque centrale européenne, même si la surveillance des petits établissements reste assurée par les banques centrales nationales dans le cadre d'une délégation.
Quant au deuxième pilier, la résolution, c'est-à-dire la capacité de faire face ensemble aux difficultés qui pourraient survenir dans un système bancaire ou dans une banque, il a pour objectif d'éviter de voir, comme en 2008, une crise financière et bancaire se transformer en une crise budgétaire. Il s'agit donc de couper au maximum le cordon qui relie les contribuables à ces banques que l'on dit « too big to fail » car leur chute aurait des conséquences telles pour l'intérêt général qu'il serait nécessaire que les budgets des États viennent à leur secours. Il a ainsi été décidé de mutualiser, au niveau de la zone euro, les capacités d'intervention au sein d'un fonds de résolution unique, mis en place au 1er janvier et dont le mécanisme de financement monte progressivement en puissance de manière à nous permettre de faire face à la plupart des difficultés.
Reste le troisième pilier, la garantie des dépôts, sur lequel d'importantes différences d'appréciation demeurent. Notre objectif est de faire en sorte que cette garantie, qui s'élève depuis la crise financière de 2008 à 100 000 pour tous les pays de l'Union européenne, soit mutualisée pour les pays participant à l'Union bancaire. La Banque centrale européenne, la France et beaucoup d'autres États sont très favorables à une telle mesure. L'Allemagne se montre, en revanche, plus réticente, pour deux raisons : tout d'abord parce qu'elle craint, comme d'habitude, que ce ne soit elle qui apporte sa garantie aux autres ; ensuite parce que, dans son système bancaire très décentralisé, les caisses d'épargne apportent des garanties élevées à chacun des déposants, si bien qu'elle redoute que le dispositif européen n'aboutisse finalement à abaisser ce niveau de garantie. C'est un sujet très politique et très sensible outre-Rhin, pour l'ensemble des partis politiques ; il nous faut donc faire preuve d'un peu de compréhension. L'Allemagne souhaite que l'on diminue les risques, en demandant plus aux actionnaires, avant de mutualiser. Nous souhaitons, quant à nous, faire les deux à la fois, diminuer les risques en les mutualisant le plus possible. Il nous faudra encore du temps pour argumenter et progresser sur ce point.
En ce qui concerne les questions de budget, nous avons un système épouvantablement compliqué et rigide, qui nous oblige à des acrobaties dès qu'il faut faire face à une urgence. On le voit d'ailleurs aujourd'hui quand il s'agit de financer des actions non seulement en faveur de l'accueil des réfugiés, mais aussi et surtout pour éviter un mouvement de réfugiés trop important : les 3 milliards en faveur de la Turquie, le contrôle de l'utilisation de ces fonds... Je n'entre pas dans le détail. Des modifications doivent être apportées.
La grande question, c'est de savoir si nous sommes capables de nous doter de ressources propres, et en particulier d'une taxe sur les transactions financières. Les discussions à cet égard sont laborieuses. Nous avons souhaité que cette taxe existe pour les vingt-huit pays de l'Union européenne. Un très grand pays entouré d'eau et quelques autres ne le souhaitaient pas, et nous nous sommes retrouvés dans une situation de blocage ; c'est donc une coopération renforcée à onze qui a été décidée. Je rappelle que le minimum nécessaire pour une coopération renforcée est de neuf. C'est la première coopération renforcée dans le domaine fiscal, et la seule manière de passer par-dessus la règle de l'unanimité. Ce qui ne s'est pas fait sans difficulté.
Depuis l'année dernière, avec la présidence autrichienne, les choses ont avancé, nous sommes en train de nous mettre d'accord sur une base imposable. Nous souhaitons que celle-ci soit large. Tout le monde est d'accord pour une taxe sur les transactions financières, dès lors qu'elle porterait sur des produits florissants dans le pays d'à côté et non chez soi... Dans ce petit jeu-là, il n'y a plus rien à taxer au bout du compte. C'est ce à quoi nous avons assisté au cours des années 2013 et 2014, mais nous en sommes sortis et une base large est en train d'être élaborée.
Il s'agit de savoir également combien doit rapporter cette taxe. Il ne faut pas laisser penser qu'elle pourrait rapporter des dizaines de milliards : nous avons un objectif aux alentours d'une quinzaine de milliards sur les pays concernés. Le taux sera fonction des différents outils taxés. Nous savons, en France, taxer les actions, mais les transactions sur les dérivés sont beaucoup plus difficiles à appréhender. Ce travail est en cours. Je souhaite présenter à la Commission européenne des propositions précises qui lui permettent de rédiger un projet de directive applicable au 1er janvier 2017. C'est en tout cas dans cette perspective que nous nous battons avec la présidence autrichienne, qui se montre particulièrement active et efficace.
Je terminerai sur le Brexit. Une question, toute en nuances, a été posée dans l'hémicycle cet après-midi sur la place de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne. Nous sommes nombreux ici à considérer que la place de la Grande-Bretagne est dans l'Union européenne, mais c'est une question délicate. Je n'évoquerai pas les sujets de mobilité des travailleurs et de droits sociaux attachés, qui sont parmi les plus sensibles. Il se pose aussi la question très importante du dialogue entre la zone euro et les autres pays, dont la Grande-Bretagne. Nous sommes prêts à améliorer la situation, mais avec des lignes rouges impératives : le dialogue entre ceux qui ont une monnaie commune et les autres ne doit jamais être un obstacle à l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Si un pays hors zone euro était capable de mettre son veto, ou un frein, à une décision d'approfondissement de l'Union économique et monétaire, la France dirait non.
De même, se pose une question d'unité du marché intérieur, dont le marché des capitaux. Les textes peuvent comporter quelques ambiguïtés qui laisseraient penser qu'une différence de traitement serait possible entre Londres et le reste du territoire de l'Union européenne. Ce n'est pas possible : il faut des traitements le plus identiques possibles, et c'est ce pour quoi nous nous battons.
M. Tusk a avancé des propositions. La France n'entend pas y faire obstacle, mais souhaite clarifier chacun des points qui paraissent ambigus, pour éviter le franchissement de ces deux lignes rouges, à nos yeux absolues. L'Union économique et monétaire doit s'approfondir, son intégration être plus importante, et nous devons garantir l'unicité de notre marché, tout particulièrement de notre marché financier.
Tels sont les sujets qui seront abordés à l'ECOFIN, indépendamment des points habituels sur les situations grecque, portugaise et espagnole. Il n'y a plus de points sur la situation française depuis quelques mois, car les choses se sont améliorées...