Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 10 février 2016 à 17h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

Comme vous le savez, un accord avec le Royaume-Uni pourrait être conclu lors du Conseil européen des 18 et 19 février prochain.

Si le Conseil européen parvient à un accord sur ce sujet, le référendum britannique sur l'adhésion à l'Union pourrait avoir lieu dès le mois de juin.

Dans ce cadre, je me suis rendue à Londres les 27 et 28 janvier, accompagnée par MM. Jérôme Lambert, Pierre Lequiller et Arnaud Richard. Lors de cette mission, nous avons rencontré le ministre des affaires européennes, le conseiller « Europe » de David Cameron, la « Shadow minister » travailliste pour les affaires européennes, le directeur général de la City, le directeur de la stratégie de la campagne du « in », plusieurs parlementaires conservateurs en faveur du maintien dans l'Union européenne.

Les personnes que nous avons rencontrées étaient donc favorables au « maintien du Royaume-Uni dans une Europe réformée », pour reprendre la formule désormais consacrée par le gouvernement britannique, et nous n'avons pas eu l'occasion de nous entretenir avec des députés favorables au « Brexit ».

Depuis notre mission, le président du Conseil européen a présenté un projet d'accord, sur lequel le présent rapport revient également.

Le débat sur l'appartenance ou non du Royaume-Uni à l'Union a pris une importance telle au sein du parti conservateur qu'en janvier 2013, dans son « discours de Bloomberg », David Cameron s'est engagé, en cas de victoire aux élections de 2015, à organiser avant 2017 un référendum sur le maintien ou la sortie de l'Union européenne.

David Cameron a présenté le 10 novembre dernier des demandes regroupées sous quatre aspects : la gouvernance économique (articulation entre zone euro et pays non membres de la zone euro), la souveraineté, la compétitivité et l'immigration intracommunautaire.

Le Royaume-Uni demande : la reconnaissance du fait que l'UE a plus d'une monnaie ; la consécration du principe selon lequel aucune entreprise ne devrait faire l'objet d'une discrimination en raison de la monnaie de son pays ; la garantie que les États non-membres de la zone euro ne seront pas obligés de contribuer financièrement aux décisions prises par la zone euro ; le maintien des compétences de supervision et de stabilité financière des pays non-membres de la zone euro au niveau national ; la garantie que les pays non-membres de la zone euro ne soient pas marginalisés au sein du processus de décision lorsque cette décision pourrait affecter tous les États membres.

La proposition de Donald Tusk donne des gages au Royaume-Uni sur leurs premières propositions.

Elle prévoit un simple mécanisme de deuxième tour de table au Conseil lors de la discussion d'un texte relatif à la zone euro et à l'Union bancaire, si un certain nombre (le seuil reste à définir) d'États non membres de la zone euro s'y opposent.

Le Gouvernement français a déjà souligné qu'il ne pourrait pas y avoir d' » interférence » des pays hors zone euro sur les décisions prises par les pays de la zone euro. Je partage pleinement cette position, qui doit être une « ligne rouge » dans les négociations.

Sur le volet « souveraineté » : le gouvernement britannique refuse la référence du préambule du traité à « union sans cesse plus étroite » et souhaite que le Royaume-Uni en soit exempté, après avoir demandé la suppression pure et simple de cette phrase. Cette demande est purement symbolique, car cette formule du préambule n'a aucune implication juridique concrète.

Pour satisfaire ses parlementaires, David Cameron souhaite que le rôle des parlements nationaux soit renforcé. Initialement, certains députés conservateurs souhaitaient un « carton rouge » qui serait un veto unilatéral dont pourrait disposer chaque parlement national, mais cette idée n'a jamais été relayée par David Cameron.

Le projet de décision du Conseil européen admet que, eu égard à sa situation particulière en vertu des traités, le Royaume-Uni n'adhère pas à une intégration politique plus poussée dans l'Union européenne. Cette disposition serait intégrée dans les traités lors de leur prochaine révision.

En ce qui concerne le rôle des parlements nationaux, le projet prévoit que, dans le cas où les avis motivés de subsidiarité représenteraient plus de 55 % des voix attribuées aux parlements nationaux, le Conseil mette fin à l'examen du projet d'acte en question, sauf s'il est modifié de manière à tenir compte des préoccupations exprimées dans les avis motivés.

Sur le volet « compétitivité », David Cameron souhaite l'approfondissement du marché intérieur, la simplification de la législation européenne (et notamment un objectif d'allègement des charges pesant sur les entreprises) et la conclusion de nouveaux accords commerciaux avec des pays tiers.

C'est le point qui pose le moins de difficultés dans les négociations.

Sur l'immigration, le Royaume-Uni demande l'encadrement des prestations sociales dont bénéficient les ressortissants communautaires : le non versement des prestations sociales durant les quatre premières années de séjour des ressortissants communautaires, la non - exportabilité des prestations aux enfants non-résidents au Royaume-Uni, la lutte contre les mariages blancs et les fraudeurs.

Pour rappel, lors de l'élargissement de 2004, le Royaume-Uni a été un des seuls pays à ne pas imposer de mesures transitoires pour les travailleurs des nouveaux États membres. Cela s'est traduit par une immigration très importante : aujourd'hui, on estime que plus d'un million de ressortissants d'Europe de l'Est travaillent au Royaume-Uni.

La proposition initiale du Royaume-Uni n'a pas été reprise dans le texte de Donald Tusk. En revanche, le Conseil européen pourrait prévoir que la Commission européenne propose de réviser deux règlements européens existants afin de donner aux États membres, la possibilité d'indexer les prestations familiales sur le niveau de vie de l'État membre où l'enfant réside et de mettre en place un mécanisme d'alerte et de sauvegarde destiné à faire face aux situations caractérisées par l'afflux d'une ampleur exceptionnelle et pendant une période prolongée de travailleurs en provenance d'autres d'États membres.

Pour donner des gages au Royaume-Uni, le projet de déclaration considère que le Royaume-Uni rempli déjà ces conditions.

Quelles perspectives pour le référendum ?

Tout d'abord, quel est le calendrier ? La loi sur le référendum ne fixe pas de date précise pour le scrutin. Elle impose néanmoins qu'il soit organisé avant le 31 décembre 2017.

Pour le moment, en cas d'accord en février, un scrutin en juin pourrait être possible. Si aucun accord n'est trouvé en février, le référendum pourrait alors être repoussé au mois de décembre 2016. Le ministre des affaires européennes, lors de notre entretien, a évoqué la possibilité que le référendum ait lieu en mars ou avril 2017, ou même plus tard. Toutefois, nous pouvons espérer que le Royaume-Uni évitera d'organiser un référendum sur son appartenance à l'Union pendant sa présidence tournante de l'Union, qui aura lieu au deuxième semestre 2017.

La campagne du « in » n'insistera pas sur le sentiment d'appartenance à l'Union ou sur l'apport de celle-ci à la paix en Europe, tant la population britannique est devenue eurosceptique. Au contraire, elle jouera sur la peur, en soulignant sur les incertitudes que feraient peser une telle sortie sur l'avenir du Royaume-Uni. Tous nos interlocuteurs ont mentionné le risque que pourrait faire peser une sortie de l'Union pour l'unité du pays, puisque l'Irlande du Nord et l'Écosse restent très majoritairement en faveur du maintien dans l'Union européenne (l'Écosse pourrait demander la tenue d'un nouveau référendum sur son indépendance en cas de Brexit).

Les arguments en faveur du « in » sont également des arguments économiques.

Au contraire, du côté du « out », le discours politique joue plus sur l'émotion que sur la raison : ils insistent sur l'idée d'un Royaume-Uni qui ne serait plus limitée dans son essor par une Union européenne « bruxelloise », mais tourné vers le large, et qui retrouverait enfin sa place d'autrefois dans le monde – certains évoquant même un retour au Commonwealth !

Dans le camp du « out », on retrouve évidemment UKIP, mais également une partie importante des députés conservateurs.

On estime qu'une centaine de parlementaires conservateurs – un tiers des députés du parti, donc – sont en faveur de la sortie de l'Union européenne.

Même au sein du gouvernement, la question européenne divise. Début janvier, David Cameron a finalement accepté de laisser les ministres de son cabinet faire campagne en faveur du Brexit s'ils le souhaitaient.

Lorsque nous étions à Londres, l'incertitude restait totale sur la position de deux figures majeures du parti conservateur : Theresa May, la ministre de l'intérieur, et Boris Johnson, le maire de Londres. Si la première a depuis annoncé qu'elle soutiendrait David Cameron, le second a ouvertement critiqué les propositions mises sur la table par le président du Conseil européen.

Le Labour a en revanche décidé de faire campagne en faveur du maintien dans l'Union européenne, quel que soit le résultat des négociations à Bruxelles.

Nous avons rencontré lors de notre déplacement le principal organisateur de la campagne du « in », la plateforme « Britain Stronger in Europe ». Cette plateforme devrait permettre de centraliser une partie de la campagne, tout en permettant aux principaux leaders du « in » de mener une campagne segmentée et adaptée à leur électorat.

Nous avons également rencontré lors de notre déplacement le directeur général de la City. Celui-ci a commencé notre entretien en déclarant « Nous aimons l'Union européenne », ce qui reflète bien le point de vue de la City ! Mais l'image de la City est aujourd'hui très dégradée dans l'opinion publique, et une campagne trop visible pourrait être contre-productive.

Pour le moment, la campagne du « out » est beaucoup plus audible que la campagne du « in ». Toutefois, la campagne en faveur du « in » ne commencera véritablement que lorsqu'un accord aura été trouvé au Conseil européen.

Cependant, le contenu de l'accord en lui-même aura probablement peu d'impact sur les résultats du référendum. Tous les interlocuteurs avec lesquels nous nous sommes entretenus se sont accordés sur le fait qu'aujourd'hui, le sujet reste « très limité aux milieux d'affaires et à Westminster », et que l'opinion publique reste très peu au courant du débat.

Le seul point de l'accord qui pourrait peser dans le débat référendaire sera la question de l'immigration intra-communautaire.

En revanche, la crise de la zone euro et la crise migratoire seront certainement des sujets majeurs dans la campagne référendaire.

J'ai d'ailleurs interrogé à plusieurs reprises nos interlocuteurs sur ce qu'ils imaginent qu'il adviendrait des accords du Touquet : pour schématiser, Calais pourrait être déplacé à Douvres ! C'est une question qui a également émergé dans les médias britanniques au cours des derniers jours.

Pour conclure, je pense que nous devons affirmer notre volonté de voir le Royaume-Uni rester dans l'Union, mais pas à n'importe quel prix. Les demandes britanniques ne doivent pas amener l'Europe à renoncer à ses valeurs fondamentales ou à l'approfondissement de l'Union économique et monétaire.

Je vous propose que nous examinions ensemble le projet de conclusions.

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