Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, dans un contexte exceptionnel, propice au repli sur soi, les députés du Front de gauche réaffirment, à l’occasion de cette ultime lecture, leur volonté de mettre en oeuvre une politique ambitieuse et généreuse à l’égard des étrangers, fondée sur le respect des libertés et des droits fondamentaux.
Alors qu’en 2015, plus d’un million de migrants sont arrivés en Europe, l’incapacité des États de l’Union européenne, y compris la France, à se montrer à la hauteur de ce défi et à définir une politique coordonnée et globale est à la fois inquiétante et inacceptable. Cela est d’autant plus vrai que, face à l’urgence actuelle, la distinction entre immigration « économique » et immigration « de refuge » n’a plus de sens.
Aussi regrettons-nous, après plus de dix ans de durcissement continu de la législation relative aux droits des étrangers, que ce projet de loi ne marque pas une nette rupture avec les réformes précédentes, même s’il comporte certaines avancées importantes, soulignées par mon collègue Marc Dolez dès la première lecture.
De fait, pour ce qui est du droit au séjour, l’institutionnalisation de la carte de séjour pluriannuelle et les dispositions permettant un accès facilité au séjour, à la nationalité, à la carte de résident et au regroupement familial sécurisent davantage le séjour des étrangers.
En matière d’accès aux soins, nous avions également relevé des dispositions de sécurisation intéressantes.
Il en va de même pour le contentieux de la rétention et de l’éloignement, où la mise en conformité de notre législation avec la directive « retour » constitue, a priori, une avancée.
C’est également vrai du délai de quarante-huit heures, au lieu de cinq jours en l’état actuel du droit, qu’il est proposé de fixer pour l’intervention du juge des libertés et de la détention en cas de contestation de la décision de placement en rétention.
Le Sénat a tenté de revenir sur ces avancées importantes. La version sénatoriale, heureusement rejetée par la commission des lois de notre assemblée, aggravait ainsi la précarité des personnes en situation régulière.
Toutefois, les dispositions du texte favorables aux étrangers restent nuancées – pour le moins – par des mesures encore restrictives d’accès au droit.
Pour ce qui concerne le séjour, on doit regretter qu’en dépit de l’instauration du principe de pluriannualité du titre de séjour, subsistent encore une multitude de régimes spécifiques moins favorables. Surtout, l’instauration d’un contrôle inédit des conditions d’attribution du titre pluriannuel par la préfecture et la possibilité du retrait, à tout moment, du titre de séjour constituent un dispositif inquiétant.
Le projet de loi n’organise pas l’automaticité de la délivrance d’une carte de résident de dix ans, ni le renouvellement du titre pluriannuel de quatre ans. En un mot, le titre pluriannuel ne règle pas le problème de la précarisation du séjour, et ce d’autant moins que, comme l’ont souligné de nombreuses associations, le projet de loi ne prévoit pas expressément de poser en principe la délivrance de la carte de résident. On ne peut donc exclure que le risque de généralisation de la carte de séjour pluriannuelle ait paradoxalement pour effet de marginaliser la carte de résident.
Nous appelons à revenir au principe de la délivrance d’une carte de résident de plein droit d’une durée de dix ans pour les catégories de migrants et de migrantes ayant vocation à vivre en France et ayant ainsi déjà acquis le droit d’y séjourner. Seule la possession de cette carte peut apporter à son titulaire la sécurisation de son séjour, nécessaire à son intégration.
Pour ce qui est des étrangers malades, les dispositions du projet de loi ne nous paraissent pas non plus assez protectrices. En particulier, le transfert à l’Office français de l’immigration et de l’intégration – OFII – de l’évaluation médicale avant la décision relative à la délivrance de la carte constitue un recul important pour le droit à la santé.
En matière de recours à la rétention administrative, le régime proposé n’est pas plus satisfaisant. Comme le souligne le Défenseur des droits, si l’assignation à résidence est érigée en principe, celui-ci « souffre de trop nombreuses dérogations et peut conduire à ce que l’assignation à résidence soit en réalité une mesure supplémentaire de contrainte et non alternative à la rétention ».
En outre, le problème des mineurs en rétention et en zone d’attente demeure inchangé : aucune interdiction formelle de placement en rétention ou en zone d’attente n’est prévue. Nous le déplorons également.
Enfin, on doit regretter une fois encore le maintien, dans les outre-mer, d’un régime d’exception qui prévoit une protection juridique au rabais.
En définitive, vous l’aurez compris, nous saluons plusieurs avancées importantes de ce projet de loi, mais nous regrettons que cette réforme demeure complexe, difficilement lisible peut-être, et qu’elle ne semble finalement pas prévoir une meilleure garantie et une meilleure effectivité du droit des étrangers. C’est la raison pour laquelle les députés du Front de gauche s’abstiendront une nouvelle fois sur ce texte.