Intervention de Nikolaus Meyer Landrut

Réunion du 10 février 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Nikolaus Meyer Landrut, ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne en France :

Pour le rapatriement, il est difficile à mettre en oeuvre, mais nous y procédons ; ce sont beaucoup plus que trois cents personnes qui sont concernées. Beaucoup de gens qui sont déboutés de leurs droits partent d'eux-mêmes, parce qu'ils n'ont plus les mêmes possibilités à partir de ce moment-là. Ils repartent dans leur pays ; le gouvernement les renvoie en prenant en charge le coût de leur retour par avion.

Sur le million de personnes qui sont arrivées, il n'y a pas un million de Syriens. Sur l'ensemble de l'année 2015, plus de 30 % des migrants venaient des pays des Balkans. La moitié des procédures d'instruction menées en 2015 a débouché sur la reconnaissance d'un droit à protection. Peu ont obtenu le bénéfice du droit d'asile ; beaucoup ont obtenu la reconnaissance d'un statut de réfugié ; d'autres se sont vu reconnaître le droit à une protection secondaire. Ceux qui bénéficient d'une protection secondaire peuvent rester un an, les autres deux, voire trois ans. Ceux qui n'ont pas droit à ce titre doivent repartir. Cela fait donc déjà la moitié.

Il faut que ces processus se mettent en marche. Plusieurs dizaines de milliers de migrants sont repartis dans les Balkans. Nous en avons reconduit d'autres. Nous avons conclu des accords avec ces pays, qui reprennent leurs nationaux sur présentation d'une carte d'identité, ou pièce d'identité, provisoire établie par les autorités allemandes. Voilà une politique concrète qui permet de s'assurer que les personnes puissent être effectivement reconduites. Cela n'atteint pas encore les dimensions nécessaires, mais cela concerne des dizaines de milliers de personnes, et non seulement trois cents. Je conçois aisément que le résultat soit mis en balance avec le total de un million, mais il faut se rendre compte que la mise en oeuvre des procédures prendra du temps.

Pour ce qui est de l'argument démographique et économique développé en lien avec l'accueil des migrants, je l'entends honnêtement beaucoup en France et peu en Allemagne. Notre analyse est que 10 % des nouveaux arrivants pourront être intégrés et entrer sur le marché du travail dans l'année, et environ 60 % à 70 % dans un délai de quatre, cinq à six ans. Il y a en effet une formation linguistique et une formation professionnelle à faire. L'accueil des migrants n'a donc pas de visée économique. Il y a un important effort d'intégration à fournir.

La mission confiée à M. Jean-Marc Ayrault et à la ministre-présidente de la Sarre, Annegret Kramp Karrenbauer, met ainsi l'accent sur l'intégration, qui est une question beaucoup plus difficile que la question de l'accueil. L'accueil recouvre un premier logement, des soins médicaux et la prise en charge alimentaire. Mais l'intégration constitue le vrai défi. Elle suppose une formation, notamment une formation linguistique, et le respect des normes en vigueur dans nos pays.

Est-ce que cela déstabilise l'Allemagne, est-ce que cela fait monter Pegida ? Ce serait le contraire qui serait étonnant. Bien sûr, un tel choc ne peut que produire des interrogations. À mon sens, ces interrogations sont, à ce stade, peut-être très fortes dans leur expression, mais cependant loin d'être le fait de la majorité. Ne nous laissons pas non plus impressionner par les accents outragés de certaines personnes, qui ne représentent pas le gros de l'opinion publique.

Oui, les candidats aux prochaines élections régionales auront besoin de faire un travail d'explication. Le résultat n'y est pas acquis. Selon certains sondages, l'AfD obtiendrait 10 % dans les Länder concernés, tandis que le parti social-démocrate tournerait, selon certains autres sondages, entre 11 % et 15 % en Bade-Wurtemberg. Ces élections seront donc un vrai défi, dont il faudra observer les conséquences politiques.

Pour revenir à l'Ukraine et aux sanctions imposées à la Russie, l'Allemagne ne cherche pas à imposer des sanctions pour imposer des sanctions. À ses yeux, les sanctions ne sont pas une fin en soi. La Russie est un grand voisin avec lequel nous souhaitons entretenir des relations correctes. Mais les opérations qu'elle a menées en Crimée constituent une violation du droit international. Celles qu'elles mènent, de manière à peine voilée, au Donbass, en constituent une également.

Les sanctions ont pour objectif de faire avancer les accords de Minsk. Leur application a pris du retard tant à cause de l'Ukraine que de la Russie. Cette dernière prétend ne pas avoir de pouvoir pour agir au Donbass, tout en intervenant lorsque cela va dans ses intérêts. Le double jeu russe ne permet pas un cessez-le-feu permanent, ni le véritable retrait des armes lourdes. Même la première phase des accords n'est pas mise en application avec le plein soutien russe. Cela ne nous empêche pas de dire aussi à l'Ukraine où elle a sa responsabilité. La question des sanctions reposera à l'été. D'ici là, il faut essayer de faire avancer au maximum le processus de Minsk.

S'agissant de la Turquie, je dois apporter une correction. Ce n'est pas l'Allemagne qui a promis trois milliards d'euros à ce pays. Il s'agit d'une décision commune de l'Union européenne ; prise en novembre, elle peine à se mettre en place. Oui, la Turquie a des positions compliquées et conflictuelles. Notons cependant, en passant, qu'elle est un pays de passages pour de nombreux combattants étrangers (foreign fighters). Nous avons donc intérêt à travailler avec elle à de nombreux égards. Il faut s'assurer qu'elle tienne ses engagements. En comparant l'année 2014 à l'année 2015, nous sommes convaincus que la Turquie peut faire beaucoup plus qu'en ce moment pour fermer ses frontières. Car elle l'a fait auparavant. Ne soyons cependant pas naïfs sur la question de ses intérêts dans la région.

Pour la situation en Syrie, le seul processus est celui qui a été engagé à Vienne et qui implique à la fois les grandes puissances et les puissances régionales. Il faut le faire avancer, même si c'est compliqué et même si cela prend du temps. Si nous voulons avoir in fine quelque chose qui résout le problème sur le plan diplomatique, nous ne pouvons l'obtenir qu'en y associant les grandes puissances et les puissances régionales, telles l'Arabie saoudite ou l'Iran. Tant que la question est envisagée comme un conflit restreint à un territoire, il n'y aura pas de solution.

Quant à la participation de l'Allemagne à l'effort de défense, elle est parfois sous-évaluée. L'Allemagne participe en effet à plus d'opérations militaires qu'on ne le sait communément. L'ensemble des mandats votés par le Bundestag et autorisant la participation de l'armée allemande portent sur des missions qui vont de l'Afghanistan au Mali ; ils autorisent l'envoi maximal de presque 7 000 hommes sur les différents théâtres d'opérations. Il y en a moins en ce moment, car cela dépend des demandes. Mais ils sont présents en Afrique, notamment au Mali, au Kosovo, en Méditerranée ou encore en Afghanistan… Je tiens à votre disposition la liste complète.

Au cours des vingt dernières années, l'Allemagne a beaucoup plus évolué dans son état de préparation (preparedness) à la participation éventuelle à ce type de mission que l'on ne l'apprécie parfois à l'étranger. Pour les Allemands, en revanche, la révolution a déjà eu lieu, en quelque sorte, même si elle reste peut-être encore assez timide et pas assez visible. La décision de participer avec des moyens militaires à la lutte anti-Daesh en Syrie a été prise de manière rapide et avec le large concours de toutes les forces politiques, à part celles qui sont très à gauche du spectre. Dans l'opinion publique, cela n'a pas non plus soulevé d'interrogations ; cela est apparu au contraire comme quelque chose de naturel.

En ce qui concerne l'agence Frontex, il faut en effet la renforcer, et bien davantage que par le renforcement dont il est question en ce moment.

À propos du Royaume-Uni, il nous semble que la proposition mise sur la table par le président Donald Tusk avec le concours de la Commission européenne constitue une base sur laquelle un accord est possible et souhaitable. Elle reste cependant à fignoler, car un travail de précision, un travail de détail est nécessaire. Concernant la zone euro, il n'y a pas de veto britannique possible sur ce que doivent et peuvent faire entre eux ses propres membres. S'agissant des droits sociaux, dans la formulation proposée, la décision de suspension ne reviendrait pas au Royaume-Uni, mais au Conseil de l'Union européenne, qui se prononcerait, sur proposition de la Commission européenne, sur la question de savoir si, dans un pays ou autre, des circonstances exceptionnelles sont de nature à justifier une réduction des prestations sociales. Tant que la solution reste structurée ainsi, elle reste acceptable, car la décision reste une décision prise en commun, sur proposition de la Commission, en cas de circonstances exceptionnelles. Mais j'admets volontiers que le texte est un peu flou sur la question de savoir ce que sont des circonstances exceptionnelles, et à partir de quel moment le mécanisme s'applique. Cet élément demande encore un peu de précision.

Pour ce qui est de la Chine, le débat est engagé depuis longtemps. Au sein du gouvernement fédéral, plusieurs points de vue s'expriment sur cette question ; ils évoluent eux-mêmes dans le temps. Pour le moment, les conditions préalables (preconditions) posées par la Commission et par l'Union européenne relativement à l'obtention de ce statut n'ont jamais été remplies par la Chine. La même question m'est posée depuis dix ans ; je lui donne toujours la même réponse. Nous ne sommes toujours pas arrivés au point où les conditions préalables sont remplies, mais cela reste évidemment un sujet de préoccupation et de débats.

S'agissant de l'agriculture, elle s'est développée ces dernières années en Allemagne en mettant davantage l'accent sur la question du marché. Ce dernier peut en effet amener un certain nombre de problèmes à se régler par eux-mêmes. Mais, vu les difficultés de la branche, la nécessité demeure de trouver un filet de sécurité. Entre la France et l'Allemagne, le débat porte sur le bon équilibre à trouver et sur la question de savoir si ce filet de sécurité ne devient pas un matelas de repos. Où est le juste niveau de ce filet de sécurité ? Tel est le débat que nous aurons. Je conseille aux secteurs concernés dans les deux pays d'échanger entre eux pour que nous puissions entendre de leur part ce qui leur est nécessaire.

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