Audition de M. Nikolaus Meyer Landrut, ambassadeur d'Allemagne en France.
La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
Nous accueillons ce matin avec grand plaisir M. Nikolaus Meyer Landrut, ambassadeur d'Allemagne en France.
Je vous remercie beaucoup, monsieur l'Ambassadeur, d'avoir répondu à notre invitation. Nous vous écouterons avec intérêt et amitié, car nous tenons beaucoup à l'amitié franco-allemande. Je tiens d'abord à vous adresser, au nom de toute la commission, mes sincères condoléances pour le terrible accident ferroviaire qui a frappé le Sud de l'Allemagne hier. Il a fait de nombreuses victimes et constitue une tragédie.
Nous sommes convenus de centrer nos premières questions sur la situation intérieure en Allemagne et les relations entre nos deux pays, en y incluant la question de savoir ce que nous pouvons faire ensemble. Il y a toujours eu des différences d'approche et de méthode entre nos deux pays, mais également la volonté de surmonter ces différences, car nous savons que nous sommes interdépendants et que, dans l'Union européenne, et plus largement sur le plan européen, rien ne peut se faire s'il n'y a pas d'accord entre la France et l'Allemagne.
J'ai naturellement bien noté que, samedi dernier, le président François Hollande et la chancelière Angela Merkel ont affiché, à Strasbourg, une ligne commune, tel est le mot qu'ils ont employé, sur les dossiers des réfugiés et du « Brexit » britannique – espérons d'ailleurs qu'il s'agisse plutôt d'un « Brexin ». Ils ont ainsi manifesté leur volonté de mener un dialogue étroit et exigeant entre nos deux pays, en vue d'arriver à une position commune au Conseil européen qui doit se tenir la semaine prochaine.
Dans le cadre de rencontres régulières, une délégation de notre commission se rendra à Berlin la semaine prochaine, pour une réunion avec nos homologues du Bundestag. Elle portera, en accord avec le président de la commission Norbert Röttgen, sur les crises dans le voisinage est et sud de l'Union européenne, y compris la crise migratoire, et sur le rôle capital du moteur franco-allemand dans leur résolution.
Ce matin, nous avons fait le choix d'évoquer avec vous la situation intérieure de l'Allemagne. Car elle éclaire ses positions sur les grands dossiers européens et internationaux.
Nous aborderons évidemment la question des réfugiés. Nos collègues connaissent bien les chiffres : le nombre de réfugiés accueillis en 2015 s'est élevé à plus d'1,1 millions de personnes ; 92 000 nouvelles entrées ont été enregistrées en janvier. C'est un effort considérable. Nous avons constitué un groupe sur les migrations, que je préside. Selon les informations que nous avons recueillies dans ce cadre, un autre million de réfugiés serait sur le point d'arriver à partir du printemps. Votre ministre de l'intérieur, M. Thomas de Maizière, a annoncé le maintien des contrôles aux frontières allemandes pour une période indéterminée. Vous nous direz comment l'opinion publique et son propre parti perçoivent la politique migratoire de la chancelière Angela Merkel, qui continue de plaider pour des solutions européennes et internationales.
À l'approche d'élections régionales importantes, en mars, il semblerait que la CDUCSU enregistre un tassement des intentions de vote, qui profiterait principalement à la formation eurosceptique « Alternative pour l'Allemagne ». Comment analysez-vous ces sondages et l'évolution de l'opinion publique ? N'y a-t-il pas en Allemagne, tout comme en France d'ailleurs, non seulement un essoufflement de l'élan européen, mais un euroscepticisme croissant ?
Bien sûr, nous aborderons aussi les questions macro-économiques, qui nous semblent essentielles. Nous connaissons l'écart qui sépare en ce domaine la France et l'Allemagne ; il n'est pas à notre avantage. En 2015, l'excédent commercial de l'Allemagne a atteint le niveau record de 217 milliards d'euros. Se pose régulièrement à l'Assemblée nationale la question du niveau des investissements publics en Allemagne, mais aussi de la mise en oeuvre du salaire minimum dans votre pays. Nous connaissons bien les différences d'approche entre nos deux pays. Il ne saurait être question en Allemagne, où la tradition du dialogue social est très forte, de prendre sans concertation, mais dans un esprit coopératif sur le plan extérieur, des mesures de soutien à la croissance en Europe, qui est très atone.
Enfin, j'en viens à la revue de la politique étrangère allemande, menée par M. Frank-Walter Steinmeier, que nous avons entendu ici. Il plaide en faveur d'une meilleure réactivité aux crises et d'une plus grande participation à l'ordre international. Cependant, l'opinion publique allemande demeure largement réticente à un engagement accru de l'Allemagne sur la scène internationale.
Je vous remercie de votre introduction, de vos analyses et de votre interpellation. Les choses que vous évoquez sont liées, car il n'est pour ainsi dire pas possible de faire de différence entre la politique intérieure, la politique européenne et la situation sur la scène internationale.
L'Union européenne, notamment l'Allemagne et la France, se trouve devant une multiplicité de crises, qui sont graves chacune en soi. Il ne serait presque pas exagéré de dire que, dans leur addition, elles la placent devant un moment de vérité. En tout état de cause, elles dépassent le simple cadre des affaires courantes : la crise de l'euro persiste ; la situation en Ukraine s'est un peu apaisée, mais elle est loin d'être réglée ; la terrible menace du terrorisme et la manière dont elle a frappé la France nous a aussi saisis et interpellés, car il s'agit d'un vrai défi pour tout le monde ; enfin, la question des réfugiés domine tant les débats politiques que la vie quotidienne en Allemagne.
Au moins sur ces trois derniers points, si nous prenons un peu de hauteur, la question que nous trouvons devant nous est in fine celle de la défense de nos valeurs et de la manière dont elle se manifeste dans le traitement de ces différents problèmes, qui exigent tantôt le respect du droit international, tantôt celui de l'intégrité territoriale, tantôt la défense de nos libertés, tantôt la défense du droit d'asile. Chacun de ces problèmes nous ramène à des questions fondamentales sur lesquelles il convient d'être clair.
Avec l'arrivée des réfugiés, l'Allemagne se trouve confrontée à un défi majeur. Vous avez cité des chiffres globaux, qui traduisent des réalités très différentes. Le défi actuel est un défi qui n'a pas de précédent dans les dernières décennies. Il ne s'agit pas d'un problème conjoncturel, mais d'un problème majeur, qui suscite évidemment des débats importants. En janvier 2016, tant du point de vue du gouvernement fédéral que de l'opinion publique allemande, le nombre de réfugiés qui arrivent est encore nettement trop important. Aussi les autorités allemandes ont-elles pour objectif de faire baisser ce chiffre de manière significative etdurable. Cela est important pour stabiliser le débat sur la scène intérieure.
Encore faut-il préciser que l'opinion publique, dans son ensemble, est moins excitée que ne le font croire les rapports publiés dans les médias. Une forte volonté d'aide et de soutien s'exprime dans les villes, dans les Länder, dans les associations et dans les églises, même si on n'entend que ceux qui rouspètent, si vous me passez cette expression familière. Dans leur majorité, les Allemands s'engagent, au quotidien et de manière importante, en faveur des réfugiés.
Au demeurant, la question politique principale n'est pas l'intégration des personnes déjà arrivées, mais le rythme auquel les nouvelles arrivées vont continuer. Il faut rechercher une décrue. Tant la chancelière Angela Merkel que le reste du gouvernement fédéral ont annoncé qu'il n'y a pas de solution simple au problème, mais qu'il faut, pour arriver à cet objectif, y travailler à la fois au niveau national, au niveau européen et au niveau international.
Au niveau national, l'Allemagne a durci son droit d'asile. Son principe reste non négociable et ne saurait être remis en cause. Mais ses conditions d'application sont désormais plus strictes. Il n'y a plus de soutien en nature aux réfugiés et la liste des pays sûrs s'est allongée, c'est-à-dire des pays réputés sûrs où il est juridiquement plus facile de reconduire les nouveaux arrivants. Elle comprend depuis l'automne l'ensemble des pays des Balkans : alors qu'ils représentaient 40 % des arrivées au premier semestre 2015, ce chiffre est tombé en décembre à seulement 1 %. Les effets sont donc tangibles. Aux alentours de Noël et du Nouvel An, de nouvelles arrivées ont eu lieu en provenance de l'Algérie et du Maroc et, dans une moindre mesure, de la Tunisie ; depuis cette date, le gouvernement a proposé que ces pays soient inscrits sur la liste des pays sûrs. Pour tous ces pays, des centres d'enregistrement spéciaux ont été ouverts en Allemagne ; les demandes d'asile doivent y être traitées dans un délai de trois semaines, y compris l'examen du recours juridique auquel un refus initial ouvre droit. Cela accélère les procédures et accroît les possibilités de retour dans ces cas-là.
En ce moment, un débat est en cours, au sein du gouvernement, au sujet du droit au regroupement familial reconnu à ceux qui ne jouissent que d'une protection secondaire. Aucune décision n'est encore prise, mais vous voyez quelle seconde vague d'immigration la reconnaissance de ce droit peut provoquer. En pratique, les institutions qui traitent ces questions sont déjà surchargées du fait de l'afflux de demandes d'asile ; les demandes de regroupement familial ne peuvent donc être instruites en ce moment. Mais une réponse claire aurait pour conséquence directe d'envoyer dans les pays d'origine le message que certaines choses deviennent plus difficiles.
J'en viens au niveau européen. Y a-t-il une fatigue européenne en Allemagne ? Je dois en tout cas vous avouer la perplexité allemande devant le manque d'application, ou l'application insuffisante, des décisions prises l'an dernier. Car le moins que l'on puisse dire est que cette application est loin d'être prompte et complète. Je prendrai trois exemples. S'agissant de la protection efficace des frontières de l'Union européenne, sur laquelle il y a une totale convergence de vues avec la France, nos ministres de l'intérieur ont décidé –et pas seulement demandé– que des centres d'enregistrement soient installés dans les pays où les réfugiés arrivent, que l'enregistrement y soit effectué et que les fichiers soient comparés, de sorte que l'on sache qui arrive en Europe. Disons, pour rester diplomate, que ce type de décisions n'est pas efficace à 100 %. Il avait été décidé que 160 000 personnes arrivées en Grèce et en Italie seraient redistribuées au niveau européen. Une certaine déception s'est fait jour en Allemagne lorsque l'on a appris, au début de l'année, que moins de 300 personnes ont finalement été réparties, dans une Union européenne qui compte 500 millions d'habitants... Or l'Allemagne n'avait même pas demandé à bénéficier de ces mesures de redistribution.
Quant à la coopération avec la Turquie, il est important de trouver avec elle un terrain d'entente pour qu'elle fasse davantage pour maintenir les réfugiés syriens sur son territoire. L'Union européenne a pris la décision de mettre à cet effet trois milliards d'euros à la disposition de la Turquie. Pour le moment, cette décision peine à se mettre en place. Contrairement à ce que répètent certains médias français et européens, il ne s'agit pas d'une promesse de notre chancelière Angela Merkel, mais d'une décision prise par les Vingt-Huit. Si elle ne s'applique pas, la déception va s'installer. Il est important que les décisions prises au niveau européen soient appliquées, de telle sorte que les opinions publiques voient que le soutien, la coopération et la solidarité sont réalité.
Au niveau international, il faut évidemment continuer à oeuvrer dans le sens d'une solution en Syrie. Certes, il y a eu des revers. Mais nous restons convaincus qu'à la fin, une solution politique ou diplomatique doit prévaloir. À Paris comme ailleurs, la chancelière Angela Merkel a déclaré publiquement que les interventions militaires sont parfois indispensables pour faire avancer les choses, mais qu'à la fin du parcours, seule une solution politique ou diplomatique est viable.
La communauté internationale doit faire le nécessaire pour soutenir la Jordanie et le Liban qui hébergent, tant à proportion de leur population qu'en termes absolus, un nombre de réfugiés bien supérieur à ce que l'Europe envisage pour ce qui la concerne. La récente conférence de Londres était importante en ce sens. Si l'on veut limiter l'afflux, il faut aider davantage les pays limitrophes et les pays d'origine, pour que les problèmes trouvent une solution dans leur voisinage.
Cela étant dit, la difficulté dans le début public allemand est que, même si nous pouvons dire que nous travaillons sur ces trois fronts, il serait difficile d'attribuer à telle ou telle mesure tel pourcentage d'efficacité, ou d'établir un lien direct entre une mesure particulière et des effets précis. Car les mesures prises aux trois niveaux ne peuvent produire d'effet que si elles se combinent.
La chancelière Angela Merkel et le gouvernement fédéral sont favorables à une solution européenne et internationale, car cela nous semble la seule voie possible, mais nous devons être conscients de ce que la pression va monter si les chiffres d'arrivée remontent à nouveau au printemps. Une mesure telle que celle qui a été prise à une extrémité de l'Europe peut être désagréable sans avoir de caractère perturbateur pour l'ensemble de l'Union européenne. Mais, si la solidarité continue à manquer ou à ne pas produire d'effet, le moment arrivera où l'Allemagne se trouvera dans une situation où elle devra prendre des décisions similaires à celles qui ont été prises en Suède. Au centre de l'Europe, cela aurait un caractère relativement perturbateur, avec toutes les conséquences que cela peut induire. Nous sommes dans une situation où des résultats concrets sont nécessaires dans les semaines, et non dans les mois, qui viennent.
C'est aussi ma conviction personnelle. Nous devons agir vite. Même en étant appliquées tout de suite, les décisions prises ne pourraient produire d'effet que dans la durée, sauf à tenter d'assécher les départs.
Monsieur l'Ambassadeur, je tiens d'abord à exprimer notre solidarité, comme président du groupe d'amitié France-Allemagne, avec les victimes de l'accident ferroviaire de Bad Aibling, hier, en Bavière. J'ai ensuite quatre questions à vous poser.
Premièrement, il n'y a jamais eu autant d'enfants réfugiés sur la route des Balkans. Au mois de janvier 2016, plus d'une centaine d'entre eux se sont noyés entre la Turquie et l'île grecque de Lesbos. Par les organisations non gouvernementales (ONG), j'ai été informé qu'il en meurt même, une fois arrivés à Lesbos, en raison des conditions hivernales, du manque de structures d'accueil et du manque de chauffage. Pourrait-on imaginer une initiative franco-allemande en faveur de ces enfants ? J'ai le sentiment bizarre et cruel que l'Europe peut sauver une monnaie, mais échoue à sauver des vies d'enfant.
Deuxièmement, dans le cadre des négociations relatives à un éventuel Brexit, quelle est la position allemande sur la demande formulée par le Royaume-Uni de ne plus allouer de prestations sociales aux ressortissants de l'Union européenne avant qu'ils aient passé au moins quatre années sur son territoire ? Pour maintenir ce pays dans l'Union européenne, ne met-on pas en péril les libertés fondamentales sur lesquelles elle est construite, au premier chef desquelles la liberté de circulation et la liberté d'établissement ? Plus précisément, il est prévu que l'accord négocié avec le président du Conseil européen Donald Tusk revête la forme d'une décision prise within the European Council plutôt qu'une décision of the European Council. Si l'on passe ainsi à côté d'une révision des traités, les parlements nationaux ne pourraient exercer leur contrôle. Alors que l'Allemagne défend généralement de manière sourcilleuse les droits des États et des parlements, est-elle prête à accepter une solution de ce genre ?
Troisièmement, quel est l'impact sur la consommation intérieure allemande de l'introduction d'un salaire minimum dans le pays, il y a un an et demi ? Quatrièmement, quelle est la position allemande sur le projet de partenariat transatlantique de commerce et d'investissement ou Trans-Atlantic Free Trade Agreement (TAFTA), en particulier sur le mécanisme arbitral de règlement des différends qu'il prévoit ?
J'ai été président de la commission des migrations de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe durant deux années. Quand j'entends les chiffres que vous donnez et ceux que donne notre présidente, je me rends compte que nous allons vers une catastrophe. Depuis des mois, l'on répète qu'il faut prendre des mesures d'urgence… L'an dernier, 1,1 millions de migrants sont arrivés en Europe, et 92 000 en janvier de cette année. Selon certaines ONG, il faut s'attendre à deux millions ou deux millions et demi de nouvelles arrivées en 2016, à partir du mois d'avril. Si tel est le cas, nous devons craindre une réaction catastrophique de l'opinion publique allemande comme de l'opinion publique française. Ce sera la fin de l'Europe.
Vous nous dites d'abord que, sur les 160 000 migrants devant être redistribués au niveau européen, seulement 300 cas ont été traités. Quelle naïveté ! Comment peut-on croire que les migrants vont repartir ? Tout le monde sait que l'installation de centres spéciaux d'enregistrement ou hotspots n'a pour autre objectif que de dissimuler notre inaction. Vous nous dites ensuite que beaucoup de migrants viennent aujourd'hui d'Algérie, du Maroc et de Tunisie : nous sommes loin du théâtre des opérations en Syrie ! En ne se défendant pas, l'Europe porte une responsabilité terrible. Par ses déclarations, la chancelière Angela Merkel porte une lourde responsabilité devant l'Histoire pour avoir créé un appel d'air qu'il n'est plus possible d'arrêter. Que faire aujourd'hui pour arrêter cet afflux aux frontières ? La création de centres d'enregistrement ne résout rien, car les migrants s'échappent et passent dans la clandestinité. Je crains que n'ayons à faire dans six mois le même constat, voire un constat pire encore s'agissant des chiffres.
J'en viens à la situation en Ukraine. Votre homologue danois a remarqué il y a quelques jours que ce pays ne respecte pas les accords de Minsk, notamment en ce qui concerne l'autonomie des territoires de l'Est et l'adoption de lois de décentralisation. Ces accords constituaient pourtant un succès obtenu grâce à nos deux pays. Même s'il faut déplorer des violations du cessez-le-feu imputables en majorité au côté russe, il me semble que le blocage institutionnel vient du côté ukrainien. Dans ces conditions, pourrons-nous maintenir éternellement nos sanctions contre la Russie ? Nous savons bien que la partie ukrainienne, qui ne dispose même plus de majorité au sein de son propre parlement, ne tiendra jamais l'engagement d'autonomie des territoires de l'Est contenu dans les accords de Minsk.
Je voudrais évoquer avec vous la question des crises agricoles, qui ont une dimension française, mais aussi européenne, s'agissant en particulier de l'étiquetage des produits transformés, de la levée de l'embargo russe et de la lutte contre les distorsions de concurrence.
Une nouvelle politique agricole commune (PAC) se prépare aussi en ce moment. Une convergence se dégage-t-elle déjà sur certains objectifs ? Y a-t-il une prise de conscience de ce que certaines solutions de nouvelle agriculture répondent à des problèmes de restructuration des filières, de réduction des intrants et de qualité de l'alimentation ? Ce sont autant de sujets sur lesquels nous pourrions, à mon sens, converger. Estimez-vous que l'on puisse aujourd'hui travailler ensemble pour aller dans ce sens-là ?
Sur la question des réfugiés, j'irai dans le même sens que mon collègue Thierry Mariani. La politique menée en Allemagne au premier semestre 2015 reste pour moi une source d'incompréhension totale, tant du point de vue des déclarations de la chancelière Angela Merkel que des actes qui les ont suivies. Dire qu'on veut accueillir un million de réfugiés, n'est-ce pas une fantastique erreur, qui engage en outre l'ensemble des pays européens ? L'Allemagne porte une très grande responsabilité en raison de l'appel d'air qui a été créé. Dire que l'on va accueillir un million pousse forcément les gens à l'exode. Par ces déclarations, vous avez été ainsi générateurs d'une bonne partie de l'exode qui s'est produit. La responsabilité de l'Allemagne est importante. Considère-t-on aujourd'hui que ce fut une erreur ? Par ailleurs, ces annonces ont-elles été faites en coordination avec la France ? Les autorités françaises étaient-elles au courant que vous vous lanciez dans une telle politique d'accueil de réfugiés ?
En ce qui concerne le Brexit, quelle est la position allemande sur les quatre points mis en avant par le Royaume-Uni ? Pour ce qui me concerne, je ne suis pas du tout choqué par la demande des Britanniques qui veulent limiter le versement des aides sociales aux ressortissants européens ayant déjà passé quatre années dans le pays. Tant que l'Union européenne n'aura pas de politique budgétaire, sociale et fiscale commune, cela ne me choque pas. Que pensez-vous, sinon, de la reconnaissance aux parlements nationaux d'un droit de veto qu'ils pourraient exercer ensemble sur certaines dispositions européennes ? Quelle est la position de l'Allemagne sur ce point ?
Monsieur l'Ambassadeur, comme vous l'avez dit vous-même, il n'est pas possible de parler de la situation intérieure en Allemagne sans évoquer le niveau européen et le niveau international. Comme notre collègue Jean-Marc Ayrault, je suis très attaché à la qualité de la relation entre la France et l'Allemagne, qui se trouvent confrontées à des difficultés nombreuses aujourd'hui, à la fois sur le plan intérieur, sur le plan européen et sur le plan international. Ces difficultés n'étaient-elles pourtant pas plus grandes encore lorsqu'est intervenu l'accord entre le général De Gaulle et Konrad Adenauer ? L'accord historique qu'ils ont passé a, pour ainsi dire, renversé la table. Leurs successeurs ont eux-mêmes eu besoin de beaucoup d'énergie pour donner corps à cette coopération.
L'on entend pourtant trop souvent aujourd'hui que les relations franco-allemandes relèvent d'un amour déçu, voire du dépit amoureux. Parfois, il me semble que l'Allemagne n'a pas pris la mesure des changements du monde. Pour des raisons historiques tout à fait compréhensibles, elle paraît en être restée à l'époque du général De Gaulle et de Konrad Adenauer. Puisse-t-elle trouver la même volonté qu'eux à affronter ces problèmes complexes. Du côté français, nous avons le sentiment qu'il n'y a pas eu assez de coopération et de prévision commune s'agissant de l'accueil des réfugiés.
Mais nous avons aussi le sentiment qu'il y a un certain manque d'engagement allemand sur la question de la sécurité interne de l'Union européenne, lorsqu'il s'agit de traiter les problèmes à la source, en luttant contre Boko-Haram ou contre le prétendu État islamique. Nous sommes trop seuls devant la charge que représente la lutte contre ces groupements, l'Allemagne ne prenant pas sa part au coût qu'elle fait peser sur l'économie française. Peut-on penser que l'Allemagne pourra dire un jour –le plus vite sera le mieux– que les choses changent et que vous voulez prendre votre part dans la sécurité en Europe et dans la lutte contre les djihadistes, que vous traquerez avec les Français ? Êtes-vous prêts à cette révision fondamentale ?
Serait-il possible d'approfondir la question de l'OTAN ? Le week-end dernier, au cours de sa visite en Turquie, la chancelière Angela Merkel a lancé un appel à l'OTAN en vue d'un renforcement du contrôle des frontières. Une réunion importante de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN se tiendra le week-end prochain, qui abordera la question.
Deuxièmement, je n'en ferais pas porter la responsabilité sur la chancelière Angela Merkel Merkel, mais sur l'Union européenne : nous traversons aujourd'hui une crise de solidarité et de responsabilité collective. Comment rebâtir, à partir du couple franco-allemand, une vraie dimension européenne de la sécurité ?
Comme mon collègue Jean-Luc Bleunven, je voudrais savoir quelle est votre lecture des crises agricoles actuelles. Quelles sont les propositions franco-allemandes qui peuvent se construire en ce domaine ?
J'aborderai plusieurs questions relatives à la politique étrangère de l'Allemagne. D'abord, quelles sont vos relations exactes avec la Turquie ? Il me semble que ce pays joue et a joué un rôle ambivalent vis-à-vis de la crise irako-syrienne. Sur la Syrie, quelle est votre position sur la sortie de crise politique ? Je crois que la situation est en train d'évoluer.
Chère aux Américains, la politique de sanctions aboutit souvent à des impasses et à des lourdeurs, car il est aisé de savoir comment on y entre, mais beaucoup moins de savoir comment l'on en sort. Croyez-vous vraiment qu'il soit possible de faire plier la Russie avec ce genre de politique ? Je suis très dubitatif.
S'agissant des réfugiés, la déclaration de la chancelière Angela Merkel Merkel relative à l'accueil de 800 000 d'entre eux a ouvert la boîte de Pandore. Je crois qu'il faut le dire franchement, comme on le fait entre amis.
Enfin, ne pensez-vous pas que nous arrivons au bout d'un logiciel européen qu'il va falloir changer ? Je n'en dirai pas davantage, mais la crise qui s'annonce va durer dix ans.
Je vous poserai trois questions. Contrairement à ce que nous venons d'entendre, je voudrais saluer l'initiative de l'Allemagne en faveur de l'accueil des immigrés. En la matière, l'Allemagne a plutôt relevé le gant. Je pense sincèrement que vous avez dû vous sentir bien seuls ces derniers mois sur cette ligne-là. Si l'on a en tête la structure démographique de certains pays européens, l'on s'aperçoit qu'il serait parfois heureux de savoir accueillir les étrangers, sous certaines conditions bien sûr.
Je voudrais attirer aussi votre attention sur l'une des conséquences de cette crise, conséquence liée à une certaine incompréhension de la politique d'accueil et à la crise économique. Il s'agit de la montée du populisme, en Europe de l'Est, d'une caricature de la démocratie, voire de ce que certains ont appelé la mise en place de « démocratures » dans certains pays voisins de l'Allemagne. Je voudrais connaître votre analyse sur cette situation qui ne manque pas de nous inquiéter.
J'en viens à l'attitude de la Turquie, qui se développe parfois de manière bien insincère. Le week-end dernier, la chancelière Angela Merkel est allée à la rencontre du président turc, pour trouver un accord avec son pays. Pensez-vous qu'un tel accord puisse être efficace et pertinent dans un délai rapide ? J'ai noté que trois milliards d'euros seraient alloués à la Turquie. Mais quelle peut être l'efficacité de cet accord dans un délai rapide ?
Enfin, nous avons le sentiment que l'Union européenne n'arrive pas à se dépêtrer d'une crise économique qui continue de faire rage sur ce continent bien plus fortement qu'ailleurs. D'autres continents ont effet renoué avec une relance de leur activité. À votre avis, n'y a-t-il pas des initiatives à prendre en la matière ? Je pense tout particulièrement au secteur énergétique, qui préoccupe nos deux pays. Dans le domaine du nucléaire, il y a des opérations de reconversion à mener, mais il faut aussi aller plus loin sur la question des énergies renouvelables. N'avons-nous pas, comme ce fut le cas dans les années 1950, au moment de la reconstruction de l'Europe, l'occasion de porter en ce domaine une vision décisive du partenariat franco-allemand, mais aussi du partenariat de l'Union européenne ?
Monsieur l'Ambassadeur, le 3 février dernier, votre ministre de l'environnement a annoncé que l'Allemagne arriverait à réduire de nouveau cette année ses émissions de gaz à effet de serre. En 2005, l'Allemagne est passée sous la barre des 1 000 millions de tonnes de dioxyde de carbone émises chaque année, malgré sa croissance économique. À ce rythme, l'objectif de 749 millions de tonnes fixés est pourtant loin d'être acquis.
Il me semble qu'un paradoxe se fait jour : plus vous réduisez vos émissions de gaz à effet de serre, plus vous êtes dépendants de vos voisins sur le plan énergétique. Qu'en est-il exactement ?
Il y a quinze ans, la Chine a adhéré à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). À la fin de cette année, l'OMC doit revoir les conditions de la Chine et lui octroyer le statut d'économie de marché, si elle en satisfait les critères. L'octroi de ce statut n'est pas une simple question académique n'intéressant que les économistes. Comme vous le savez, elle conditionne au contraire l'efficacité des mesures de défense commerciale prises par l'Union européenne, en particulier l'imposition de droits anti-dumping et anti-subventions à certains produits chinois, tel l'acier.
Par conséquent, si le statut d'économie de marché était accordé à la Chine, il deviendrait plus difficile à l'Union européenne d'adopter ou de maintenir de telles mesures. Les conséquences pourraient être dramatiques pour certains secteurs de l'économie européenne. Devant les parlementaires européens, la commissaire au Commerce Cecilia Malmström a récemment estimé à 180 000 le nombre des pertes d'emploi dus en Europe au dumping chinois. Certains députés européens ont fait état d'autres estimations, allant jusqu'à 3,5 millions d'emplois perdus.
Quelle est la position de l'Allemagne sur la question cruciale de l'octroi à la Chine du statut d'économie de marché ?
Monsieur l'Ambassadeur, votre pays est perçu depuis longtemps comme un modèle de puissance économique et de stabilité politique. Vus de l'extérieur, certains éléments récents paraissent mettre à mal cette stabilité. Il ne s'agit pas seulement du problème des réfugiés, mais aussi de la montée de mouvements anti-européens tels que Alternative für Deutschland (AfD), de l'émergence de Pegida et de ses manifestations ou encore, dans un tout autre contexte, de l'affaire Volkswagen.
Quelles sont les conséquences, dans la société allemande, de ces différents éléments d'instabilité qui se démarquent de l'habitude ?
Quelle est la position de l'Allemagne sur les quatre volets des demandes britanniques visant à éviter un Brexit ? Y a-t-il actuellement des débats au Bundestag là-dessus ?
En matière de défense, l'Allemagne contribue aux efforts faits, c'est incontestable. Mais comment cela est-il perçu par la population ? À partir de cette montée en puissance, l'Allemagne va-t-elle aller jusqu'à fournir un effort important en matière de défense, notamment en matière d'action en Syrie et en Irak ?
S'agissant de la Grèce, quelle est votre position concernant les migrants ? Quelle est votre position concernant l'absence de réformes en matière économique ?
Quant aux migrants, nous n'avons cessé de demander ici un renforcement de Frontex, dans ses effectifs, dans ses moyens et dans son rôle. Je crois que son financement est passé de 90 millions d'euros à 160 millions d'euros, mais cela reste tout à fait insuffisant. Maintenant que la Grèce semble accepter la coopération européenne en ce domaine, quelle est la position de la chancelière Angela Merkel sur ce point ?
En ce qui concerne l'AfD, je souligne que ses représentants font des déclarations que le Front national ne ferait pas en France. C'est ahurissant. Quelles sont les perspectives qui se dégagent des études d'opinion, à l'approche des élections régionales qui vont se tenir en mars ?
En France, l'attitude d'ouverture aux migrants de la chancelière Angela Merkel a été imputée à des raisons démographiques, en raison des besoins à venir en main-d'oeuvre qualifiée en République fédérale. Qu'en est-il de cet argument ? En France, la courbe démographique s'inverse elle aussi, ce qui n'est guère satisfaisant. En Allemagne, l'argument démographique avait-il ou non quelques fondements ?
Sur la question migratoire, quels sont les clivages au sein des partis politiques allemands ? Y a-t-il une amorce de consensus sur les grandes lignes ou au contraire des clivages très marqués entre les uns et les autres ?
Vous noterez l'affluence particulière dans notre commission ce matin. J'y vois une manifestation de notre volonté commune d'agir en faveur des relations franco-allemandes.
Le prochain conseil des ministres franco-allemand devrait se tenir en mars. L'intégration au sein de nos sociétés y sera abordée, une mission ayant été confiée sur ce sujet à notre collègue Jean-Marc Ayrault et à la ministre-présidente de la Sarre, Mme Annegret Kramp Karrenbauer. Quels sont les sujets auxquels l'Allemagne accorde une importance particulière en vue de ces discussions ?
Je regrouperai mes réponses par sujet, plutôt que de procéder dans l'ordre des interventions.
En ce qui concerne les réfugiés, je voudrais premièrement rappeler quelques faits et quelques chiffres. L'impression a pu s'installer que la chancelière Angela Merkel a fait venir un million de réfugiés de sa propre initiative. Mais non, c'est tout simplement faux. Longtemps avant ce fameux week-end du mois de septembre 2015, en juin, en juillet et en août 2015, le nombre de personnes en route était déjà passé à des centaines de milliers. Sur cette base, le ministre de l'intérieur a établi une prévision selon laquelle, à ce rythme, il y aurait entre 800 000 à 1 000 000 de réfugiés sur l'ensemble de l'année. Cela fait une grande différence. L'Allemagne n'a jamais dit qu'elle allait accueillir de son plein gré un million de réfugiés, en criant « Venez mes enfants ! ». C'est tout simplement faux de le dire.
Deuxièmement, concernant ce prétendu appel d'air, il y a beaucoup de faits à prendre en compte. Au cours de l'année 2014, très peu de personnes sont venues vers la Turquie et vers la Grèce. Au début de l'année 2015, des changements d'attitude sont survenus en Grèce et en Turquie. Ils ne procédaient ni du souhait du gouvernement allemand, ni de celui de quelque autre gouvernement européen. Mais ils ont provoqué un appel d'air important.
Troisièmement, nous avons recueilli des informations très précises auprès des réfugiés, qui nous ont déclaré s'être mis en route en juillet. Or il faut quatre à cinq semaines pour faire la route entre la Syrie et l'Europe centrale. Tels sont les faits. Les gens arrivés en juillet et en août nous ont dit être partis parce que la Hongrie commençait à construire un mur et qu'ils voulaient arriver avant que celui-ci soit construit. Il peut y avoir une multitude de raisons qui ont amené les gens à partir. Ils se trouvaient dans des situations assez désastreuses.
La Turquie offre un problème complexe à l'analyse. Dans ce pays, les réfugiés n'avaient pas le droit de travailler. Ils étaient dans une situation où ils n'avaient aucun moyen de s'intégrer, après quatre à cinq années sur place. Par ailleurs, la communauté internationale a réduit les fonds alloués à l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), qui a dû réduire la ration de nourriture que l'on pouvait donner aux réfugiés. Et vous vous étonnez qu'ils partent ! Dire que des millions de personnes sont arrivées en Europe parce que la chancelière Angela Merkel a prononcé une fois une phrase, c'est tout simplement faux. Je tiens à dire que c'est faux.
Que s'est-il passé ce week-end de septembre ? Des dizaines de milliers de personnes se trouvaient entre Budapest et Bratislava, marchant sur l'autoroute en direction de l'Allemagne, qui n'avait le choix qu'entre les accueillir ou… les accueillir. Sommes-nous un État ouvert ou un État fermé ? Où se trouvait l'alternative ? Qu'auriez-vous fait ? Il faut relire les déclarations de la chancelière Angela Merkel, non ce que les journaux en ont fait. C'était une décision très particulière dans des circonstances qui l'étaient tout autant. Nous avons aussi interrogé les personnes qui sont venues de Hongrie. Elles nous ont déclaré que traverser la Hongrie avait été un calvaire pire que la situation qu'elles avaient connue en Grèce, en Turquie et en Syrie. Est-ce l'Europe qu'on veut ? Merci pour les valeurs, merci pour leur défense ! Il faut tout de même faire un tout petit peu attention quand on dit que les choses ont été faites à la légère et uniquement pour complaire à tel ou tel.
Peut-être. Mais j'essaie de vous expliquer de mon point de vue, et de rétablir, les faits et la manière dont les choses se sont déroulées.
Les départs de Syrie et de Turquie avaient commencé longtemps avant les déclarations de la chancelière Angela Merkel. Il est vrai que le gouvernement allemand et une grande partie de la société allemande sont très attachés au droit fondamental que constitue le droit d'asile. Dans son histoire, l'Allemagne a connu une situation où le droit d'asile était bafoué, où des gens ont péri parce que les Allemands les ont laissés partir. Le droit d'asile fait donc partie de la conscience nationale de l'Allemagne.
Ancré dans sa constitution nouvelle, il est un droit individuel, qui requiert une instruction individuelle. Cette instruction doit aller très vite, pour que ce droit ne fasse pas l'objet d'abus. Il faut s'assurer que soient protégés, à la fin de l'instruction, ceux qui ont droit à une protection ; ces procédures sont compliquées à mettre en place. Il faut aller beaucoup plus vite qu'on ne le faisait initialement. Ce n'est pas aisé et cela fait naître des interrogations. Mais le droit d'asile, en tant que tel, est un droit fondamental, tout comme le droit à la dignité humaine. Lorsque les personnes arrivent, même celles qui veulent abuser de ce droit et qu'il faudra ultérieurement renvoyer, il faut les traiter humainement et instruire leur dossier de manière individuelle.
Je reviens sur les chiffres que je vous ai donnés tout à l'heure. La décision européenne que j'évoquais prévoyait la répartition de 160 000 migrants entre les États européens. Pour le dire précisément, la France avait déclaré qu'elle en accueillerait 30 000. Or, à ce jour, seulement trois cents personnes ont été réparties en vertu de cette décision... La solidarité européenne, ce n'est pas ça.
Pour le rapatriement, il est difficile à mettre en oeuvre, mais nous y procédons ; ce sont beaucoup plus que trois cents personnes qui sont concernées. Beaucoup de gens qui sont déboutés de leurs droits partent d'eux-mêmes, parce qu'ils n'ont plus les mêmes possibilités à partir de ce moment-là. Ils repartent dans leur pays ; le gouvernement les renvoie en prenant en charge le coût de leur retour par avion.
Sur le million de personnes qui sont arrivées, il n'y a pas un million de Syriens. Sur l'ensemble de l'année 2015, plus de 30 % des migrants venaient des pays des Balkans. La moitié des procédures d'instruction menées en 2015 a débouché sur la reconnaissance d'un droit à protection. Peu ont obtenu le bénéfice du droit d'asile ; beaucoup ont obtenu la reconnaissance d'un statut de réfugié ; d'autres se sont vu reconnaître le droit à une protection secondaire. Ceux qui bénéficient d'une protection secondaire peuvent rester un an, les autres deux, voire trois ans. Ceux qui n'ont pas droit à ce titre doivent repartir. Cela fait donc déjà la moitié.
Il faut que ces processus se mettent en marche. Plusieurs dizaines de milliers de migrants sont repartis dans les Balkans. Nous en avons reconduit d'autres. Nous avons conclu des accords avec ces pays, qui reprennent leurs nationaux sur présentation d'une carte d'identité, ou pièce d'identité, provisoire établie par les autorités allemandes. Voilà une politique concrète qui permet de s'assurer que les personnes puissent être effectivement reconduites. Cela n'atteint pas encore les dimensions nécessaires, mais cela concerne des dizaines de milliers de personnes, et non seulement trois cents. Je conçois aisément que le résultat soit mis en balance avec le total de un million, mais il faut se rendre compte que la mise en oeuvre des procédures prendra du temps.
Pour ce qui est de l'argument démographique et économique développé en lien avec l'accueil des migrants, je l'entends honnêtement beaucoup en France et peu en Allemagne. Notre analyse est que 10 % des nouveaux arrivants pourront être intégrés et entrer sur le marché du travail dans l'année, et environ 60 % à 70 % dans un délai de quatre, cinq à six ans. Il y a en effet une formation linguistique et une formation professionnelle à faire. L'accueil des migrants n'a donc pas de visée économique. Il y a un important effort d'intégration à fournir.
La mission confiée à M. Jean-Marc Ayrault et à la ministre-présidente de la Sarre, Annegret Kramp Karrenbauer, met ainsi l'accent sur l'intégration, qui est une question beaucoup plus difficile que la question de l'accueil. L'accueil recouvre un premier logement, des soins médicaux et la prise en charge alimentaire. Mais l'intégration constitue le vrai défi. Elle suppose une formation, notamment une formation linguistique, et le respect des normes en vigueur dans nos pays.
Est-ce que cela déstabilise l'Allemagne, est-ce que cela fait monter Pegida ? Ce serait le contraire qui serait étonnant. Bien sûr, un tel choc ne peut que produire des interrogations. À mon sens, ces interrogations sont, à ce stade, peut-être très fortes dans leur expression, mais cependant loin d'être le fait de la majorité. Ne nous laissons pas non plus impressionner par les accents outragés de certaines personnes, qui ne représentent pas le gros de l'opinion publique.
Oui, les candidats aux prochaines élections régionales auront besoin de faire un travail d'explication. Le résultat n'y est pas acquis. Selon certains sondages, l'AfD obtiendrait 10 % dans les Länder concernés, tandis que le parti social-démocrate tournerait, selon certains autres sondages, entre 11 % et 15 % en Bade-Wurtemberg. Ces élections seront donc un vrai défi, dont il faudra observer les conséquences politiques.
Pour revenir à l'Ukraine et aux sanctions imposées à la Russie, l'Allemagne ne cherche pas à imposer des sanctions pour imposer des sanctions. À ses yeux, les sanctions ne sont pas une fin en soi. La Russie est un grand voisin avec lequel nous souhaitons entretenir des relations correctes. Mais les opérations qu'elle a menées en Crimée constituent une violation du droit international. Celles qu'elles mènent, de manière à peine voilée, au Donbass, en constituent une également.
Les sanctions ont pour objectif de faire avancer les accords de Minsk. Leur application a pris du retard tant à cause de l'Ukraine que de la Russie. Cette dernière prétend ne pas avoir de pouvoir pour agir au Donbass, tout en intervenant lorsque cela va dans ses intérêts. Le double jeu russe ne permet pas un cessez-le-feu permanent, ni le véritable retrait des armes lourdes. Même la première phase des accords n'est pas mise en application avec le plein soutien russe. Cela ne nous empêche pas de dire aussi à l'Ukraine où elle a sa responsabilité. La question des sanctions reposera à l'été. D'ici là, il faut essayer de faire avancer au maximum le processus de Minsk.
S'agissant de la Turquie, je dois apporter une correction. Ce n'est pas l'Allemagne qui a promis trois milliards d'euros à ce pays. Il s'agit d'une décision commune de l'Union européenne ; prise en novembre, elle peine à se mettre en place. Oui, la Turquie a des positions compliquées et conflictuelles. Notons cependant, en passant, qu'elle est un pays de passages pour de nombreux combattants étrangers (foreign fighters). Nous avons donc intérêt à travailler avec elle à de nombreux égards. Il faut s'assurer qu'elle tienne ses engagements. En comparant l'année 2014 à l'année 2015, nous sommes convaincus que la Turquie peut faire beaucoup plus qu'en ce moment pour fermer ses frontières. Car elle l'a fait auparavant. Ne soyons cependant pas naïfs sur la question de ses intérêts dans la région.
Pour la situation en Syrie, le seul processus est celui qui a été engagé à Vienne et qui implique à la fois les grandes puissances et les puissances régionales. Il faut le faire avancer, même si c'est compliqué et même si cela prend du temps. Si nous voulons avoir in fine quelque chose qui résout le problème sur le plan diplomatique, nous ne pouvons l'obtenir qu'en y associant les grandes puissances et les puissances régionales, telles l'Arabie saoudite ou l'Iran. Tant que la question est envisagée comme un conflit restreint à un territoire, il n'y aura pas de solution.
Quant à la participation de l'Allemagne à l'effort de défense, elle est parfois sous-évaluée. L'Allemagne participe en effet à plus d'opérations militaires qu'on ne le sait communément. L'ensemble des mandats votés par le Bundestag et autorisant la participation de l'armée allemande portent sur des missions qui vont de l'Afghanistan au Mali ; ils autorisent l'envoi maximal de presque 7 000 hommes sur les différents théâtres d'opérations. Il y en a moins en ce moment, car cela dépend des demandes. Mais ils sont présents en Afrique, notamment au Mali, au Kosovo, en Méditerranée ou encore en Afghanistan… Je tiens à votre disposition la liste complète.
Au cours des vingt dernières années, l'Allemagne a beaucoup plus évolué dans son état de préparation (preparedness) à la participation éventuelle à ce type de mission que l'on ne l'apprécie parfois à l'étranger. Pour les Allemands, en revanche, la révolution a déjà eu lieu, en quelque sorte, même si elle reste peut-être encore assez timide et pas assez visible. La décision de participer avec des moyens militaires à la lutte anti-Daesh en Syrie a été prise de manière rapide et avec le large concours de toutes les forces politiques, à part celles qui sont très à gauche du spectre. Dans l'opinion publique, cela n'a pas non plus soulevé d'interrogations ; cela est apparu au contraire comme quelque chose de naturel.
En ce qui concerne l'agence Frontex, il faut en effet la renforcer, et bien davantage que par le renforcement dont il est question en ce moment.
À propos du Royaume-Uni, il nous semble que la proposition mise sur la table par le président Donald Tusk avec le concours de la Commission européenne constitue une base sur laquelle un accord est possible et souhaitable. Elle reste cependant à fignoler, car un travail de précision, un travail de détail est nécessaire. Concernant la zone euro, il n'y a pas de veto britannique possible sur ce que doivent et peuvent faire entre eux ses propres membres. S'agissant des droits sociaux, dans la formulation proposée, la décision de suspension ne reviendrait pas au Royaume-Uni, mais au Conseil de l'Union européenne, qui se prononcerait, sur proposition de la Commission européenne, sur la question de savoir si, dans un pays ou autre, des circonstances exceptionnelles sont de nature à justifier une réduction des prestations sociales. Tant que la solution reste structurée ainsi, elle reste acceptable, car la décision reste une décision prise en commun, sur proposition de la Commission, en cas de circonstances exceptionnelles. Mais j'admets volontiers que le texte est un peu flou sur la question de savoir ce que sont des circonstances exceptionnelles, et à partir de quel moment le mécanisme s'applique. Cet élément demande encore un peu de précision.
Pour ce qui est de la Chine, le débat est engagé depuis longtemps. Au sein du gouvernement fédéral, plusieurs points de vue s'expriment sur cette question ; ils évoluent eux-mêmes dans le temps. Pour le moment, les conditions préalables (preconditions) posées par la Commission et par l'Union européenne relativement à l'obtention de ce statut n'ont jamais été remplies par la Chine. La même question m'est posée depuis dix ans ; je lui donne toujours la même réponse. Nous ne sommes toujours pas arrivés au point où les conditions préalables sont remplies, mais cela reste évidemment un sujet de préoccupation et de débats.
S'agissant de l'agriculture, elle s'est développée ces dernières années en Allemagne en mettant davantage l'accent sur la question du marché. Ce dernier peut en effet amener un certain nombre de problèmes à se régler par eux-mêmes. Mais, vu les difficultés de la branche, la nécessité demeure de trouver un filet de sécurité. Entre la France et l'Allemagne, le débat porte sur le bon équilibre à trouver et sur la question de savoir si ce filet de sécurité ne devient pas un matelas de repos. Où est le juste niveau de ce filet de sécurité ? Tel est le débat que nous aurons. Je conseille aux secteurs concernés dans les deux pays d'échanger entre eux pour que nous puissions entendre de leur part ce qui leur est nécessaire.
Vous avez répondu, autant qu'il était possible, aux questions posées. Vous avez répondu avec franchise à des questions qui étaient elles-mêmes posées avec franchise. Ce n'est qu'en se comprenant et qu'en se parlant que nous arrivons à bâtir des choses ensemble.
Irak : approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Irak sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (n° 2653) – Mme Nicole Ameline, rapporteure.
Le présent accord « sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements » a été signé en 2010 avec l'Irak.
Je rappelle dans mon rapport écrit la situation extrêmement difficile que connaît aujourd'hui ce pays, tant sur le plan politique et humanitaire qu'économique. Je me contenterai donc d'en évoquer quelques points centraux. Sur le front militaire, les derniers mois ont été marqués par plusieurs avancées contre Daesh, qui a perdu près de 40 % des territoires qu'il contrôlait. Mais, sur le plan politique, le gouvernement de M. Haïder al-Abadi n'a pas, jusqu'à présent, justifié les espoirs placés en lui. Les réformes politiques destinées à réintégrer les Sunnites dans la communauté nationale sont bloquées ; la corruption reste endémique avec un score désastreux dans le classement international de l'ONG Transparency International, 161ème sur 167 ; la situation financière devient inquiétante, avec un déficit budgétaire dépassant 20 % du PIB en 2015 et une dette publique qui devrait passer de 32 % du PIB en 2013 à 88 % fin 2016.
Dans ce contexte, nos échanges économiques avec l'Irak sont limités. En 2014, nous y avons exporté pour 417 millions d'euros de biens, soit moins de 0,1 % du total des exportations françaises dans le monde, et en avons importé pour 752 millions d'euros. Ces importations sont constituées à peu près exclusivement de pétrole, l'Irak étant notre 11ème fournisseur, à l'origine de 2,3 % de nos importations de brut.
La situation actuelle ne doit pas conduire à négliger le potentiel de l'Irak. C'est l'un des grands pays du Moyen-Orient, avec 35 millions d'habitants, soit une population plus importante que celle de l'Arabie Saoudite. Même en état de guerre, il a produit, en 2014, 160 millions de tonnes de pétrole, soit 3,8 % de la production mondiale. Surtout, pour les réserves, il serait au 5ème rang, avec près de 9 % du total mondial.
Il est donc important d'être présent économiquement dans ce pays. Or, le fait est que notre présence est plus faible, sur le plan commercial, que celle de l'Allemagne, dont la part de marché est 2,5 fois plus forte que la nôtre, ou l'Italie, dont la part de marché est la double de la nôtre. Sur le plan des investissements, seul un petit nombre de grandes entreprises françaises sont présentes en Irak, mais parfois avec des investissements significatifs. Deux entreprises, Total et LafargeHolcim, qui a trois cimenteries, ont des investissements se chiffrant en milliards d'euros. Orange, CMA-CGM, Renault-Trucks, Danone ou Schneider Electric sont également présents.
La ratification d'un accord sur les investissements avec l'Irak donnera à nos entreprises plusieurs avantages : des garanties de droit et de recours à l'arbitrage, j'y reviendrai en présentant les clauses de l'accord ; la possibilité de bénéficier de garanties de la Coface pour leurs opérations avec l'Irak, possibilité qui est conditionnée légalement à l'existence d'un accord de ce type ; enfin, un avantage concurrentiel relatif par rapport à certaines de leurs concurrentes, car l'Irak a peu d'accords de ce type en vigueur. En Europe, l'Irak a conclu des accords sur les investissements avec l'Allemagne et l'Italie, mais ils ne sont pas encore en vigueur, et des négociations sont en cours avec les Pays-Bas.
Par ailleurs, il faut souligner que nous sommes fortement engagés politiquement et militairement aux côtés du gouvernement irakien et des peshmergas kurdes contre Daesh. Nous avons déployé plus de 200 conseillers militaires. Même si l'accord que nous examinons aujourd'hui a une portée essentiellement économique, sa ratification sera aussi un geste de confiance dans l'avenir politique de l'Irak. En effet, en promouvant les investissements français dans ce pays, il s'agit non seulement d'ouvrir des perspectives à nos entreprises, mais aussi de contribuer à la reconstruction de l'Irak et au retour de sa prospérité, ce qui sera nécessaire pour stabiliser politiquement le pays.
J'en viens au texte de l'accord. Il s'agit d'un accord sur les investissements extrêmement classique comme la France en a conclu avec une centaine de pays, soit quasiment tous ses partenaires économiques. Ce réseau conventionnel bilatéral couvre notamment l'ensemble des autres pays de la région de l'Irak : Iran, Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, Arabie saoudite, Koweït, Qatar, Bahreïn, Émirats-Arabes-Unis, etc.
Les clauses de l'accord suivent fidèlement, à quelques nuances près, un modèle d'accord de cette nature qui avait été élaboré par la direction générale du Trésor et que l'on retrouve donc dans la plupart des accords bilatéraux de la France sur la protection des investissements. Sans les détailler, je vais citer rapidement les plus importantes. L'article 4 de l'accord pose le principe du traitement « juste et équitable » des investissements en provenance de l'autre partie. L'article 5 prévoit l'octroi aux investissements en provenance de l'autre partie du « traitement national » et du « traitement de la nation la plus favorisée ». L'article 6 garantit les investisseurs contre toute mesure d'expropriation ou de nationalisation, même indirecte, qui ne serait pas justifiée par un motif d'utilité publique et ne donnerait pas lieu à indemnisation. L'article 7 garantit la liberté de rapatrier les différents types de revenus liés aux investissements et les produits de leur éventuelle cession.
Enfin, l'article 8 est peut-être le plus important, mais aussi celui qui, aujourd'hui, peut susciter le plus fort débat. C'est un article, très classique lui aussi, qui prévoit le recours à l'arbitrage international dans le cadre du système du CIRDI en cas de litige entre un investisseur étranger et l'administration. Le CIRDI, ou Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, a été justement créé en 1966, dans l'orbite de la Banque mondiale, pour permettre un arbitrage international de ce type de litiges, car l'existence d'un tel système était considérée comme la seule garantie de protection des investissements internationaux dans des pays où la justice n'offre pas toutes les garanties d'indépendance et d'honnêteté.
La présence d'une clause d'arbitrage est donc la clef de voûte des accords de protection des investissements, sans laquelle rien ne garantirait leur application impartiale. Et, de fait, ces clauses sont très appréciées et même revendiquées par les entreprises françaises et européennes.
Mais, vous le savez aussi, ces clauses, connues sous l'acronyme anglais d'ISDS, pour Investor-State Dispute Settlement, suscitent depuis maintenant deux ans un débat public particulièrement vif dans le cadre du futur Partenariat transatlantique avec les États-Unis, qui, s'il est signé, pourrait en comporter une.
Les critiques contre les systèmes d'arbitrage sont motivées par des arguments que l'on ne peut pas balayer d'un revers de main : l'opacité et le coût des procédures arbitrales, les doutes sur l'indépendance d'arbitres qui ont pu avoir des liens d'affaires avec les entreprises requérantes, l'existence de recours abusifs par celles-ci, l'absence de mécanisme d'appel, le contournement des justices nationales, le risque de remise en cause du droit des États à adopter des réglementations légitimes en matière d'environnement et de santé notamment…
Il y a eu une consultation publique conduite par la Commission européenne, une résolution votée par le Parlement européen, des propositions formalisées par le gouvernement français, puis la Commission européenne, qui convergent vers le remplacement du recours à des arbitres par un système complétement différent, à savoir un tribunal public permanent des investissements, avec de plus un mécanisme d'appel.
Dans le même temps, l'Union européenne a finalisé avec le Canada un accord commercial global, dit CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), qui comprend lui aussi une clause de recours à l'arbitrage. Cette clause reste dans le cadre de l'arbitrage privé dans le système du CIRDI, mais comprend déjà une certain nombre de progrès par rapport à la rédaction que l'on trouve dans l'accord que nous examinons aujourd'hui : certaines définitions sont précisées pour protéger la souveraineté réglementaire des Etats ; des garanties sont données en matière de déontologie des arbitres et de publicité des procédures ; des garde-fous sont prévus contre l'usage abusif de l'arbitrage par les entreprises.
Dans ce contexte, devons-nous, aujourd'hui, autoriser la ratification d'un accord comprenant une clause d'arbitrage que je dirais d'ancien modèle, alors que ces débats sont en cours ?
Après avoir réfléchi et consulté sur cette question, je pense que l'on ne peut pas traiter sur le même plan l'accord avec l'Irak et la négociation transatlantique.
Un accord transatlantique, s'il est conclu, aura une portée exceptionnelle. Il concernera deux ensembles économiques qui sont à l'origine de près de la moitié des flux d'investissements étrangers dans le monde, donc aura une incidence sur un montant énorme d'investissements, ce qui peut justifier un mécanisme juridictionnel permanent comme celui que la Commission européenne a récemment proposé. De plus, du fait de cette portée, cet accord aura un effet d'entraînement normatif : les règles qu'il fixera serviront probablement de référence pour les négociations économiques ultérieures.
Il n'en est évidemment pas de même pour l'accord avec l'Irak que nous examinons. Si, un jour, il y a un accord transatlantique, son effet d'entraînement fera que les autres accords existants devront être amendés en conséquence, à moins que le système du CIRDI lui-même ne soit révisé.
Mais, pour le moment, nous sommes face à un accord beaucoup plus modeste, mais de nature à favoriser nos investissements en Irak et à nous donner un relatif avantage comparatif. Un accord, j'ajoute, qu'une de nos entreprises présentes sur place attend impatiemment, car elle a un litige difficile avec l'administration locale. Un accord dont l'entrée en vigueur sera un signal pour nos entreprises, qui doivent être présentes dans ce pays important. Un accord, enfin, qui est un signe de confiance dans l'avenir de l'Irak, aux côtés duquel nous sommes engagés politiquement et militairement contre Daesh. Pour toutes ces raisons, nous devons en autoriser la ratification sans attendre la fin de la négociation transatlantique.
Il y a une trentaine d'années, j'ai contribué, sous la direction de Jean-Claude Trichet, à l'élaboration du modèle français d'accord sur les investissements. Je le retrouve dans l'accord que nous examinons.
Sur le recours à l'arbitrage dans le système du CIRDI, il ne faut pas céder aux effets de mode : l'arbitrage, c'est long et cher, et même si l'on obtient une sentence favorable, il reste la question de l'exequatur. Mais la présence de clauses de ce type dans les accords a au moins un intérêt dissuasif quand ces accords concernent des pays où la justice est « en devenir ».
Dans le cas du traité transatlantique, les systèmes judiciaires des deux parties sont efficaces, même si tout ne fonctionne pas de façon idéale, et même s'ils diffèrent entre eux. C'est une situation très différente et il faut effectivement dissocier le cas présent de l'Irak de la négociation transatlantique.
Chacun comprend l'importance politique et économique de cet accord. Je souhaite féliciter la rapporteure de ne pas avoir éludé les questions posées par l'article 8 concernant l'arbitrage. Je partage les observations faites sur les différences de situation entre le présent accord et la négociation transatlantique. Les commissaires socialistes voteront donc en faveur de ce projet.
Quels sont les principaux partenaires de l'Irak en matière d'investissements et d'échanges ?
Je comprends qu'il faut renforcer notre présence économique dans ce pays. Est-ce que les femmes irakiennes occupent fréquemment des postes de responsabilité au sein des sociétés irakiennes ?
Quand j'étais ministre des transports, je me suis rendu deux fois en Irak et j'ai pu constater le potentiel de ce pays. Plus loin dans le passé, nous avons eu de très bonnes relations avec l'Irak du temps de Jacques Chirac et nous y avions alors une position très forte. Le problème des sanctions est que l'on sait dans quelle situation on est au moment où on les met en place, mais on ne sait pas où on en sera lorsqu'elles seront levées. Dans le cas de l'Irak, les sanctions nous ont véritablement pillés. Je me demande notamment pourquoi l'Allemagne est passée devant la France alors qu'avant nous étions très bien placés.
Il nous faut aujourd'hui ratifier cet accord qui remonte déjà à 2010. Concernant les relations économiques de l'Irak, ses principaux fournisseurs sont ses voisins, notamment la Turquie pour 23 % des importations et la Syrie pour 17 % en 2014. La Chine vient ensuite, et l'Union européenne encore après. La France représente 1,2 % des importations irakiennes, soit à peu près le même niveau que le Royaume-Uni, tandis que l'Allemagne et l'Italie sont à environ 3 %. Il faut souligner que notre part de marché est en déclin constant. Nos exportations sont dominées par les équipements mécaniques, électriques, électroniques et informatiques, les produits métallurgiques, les matériels de transport et les produits pharmaceutiques.
En ratifiant cet accord, nous accompagnerons le redressement économique de l'Irak et le développement de nos entreprises, en leur apportant de la sécurité juridique.
Concernant les femmes irakiennes, elles subissent malheureusement toutes sortes de discriminations multisectionnelles, en tant que femmes, que victimes de barrières sociales et culturelles et que menacées par l'extrémisme.
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission adopte le projet de loi (n° 2653) sans modification.
Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, portant approbation du deuxième protocole d'amendement à l'accord relatif au groupe aérien européen (n° 1800) – M. Jean-Claude Mignon, rapporteur.
Le présent projet de loi vise à approuver un protocole de 2012 qui amende l'accord initial, remontant à 1998, qui créait le « Groupe aérien européen ». Bien que cet accord initial, c'est à noter, n'ait pas alors été soumis à l'approbation du Parlement, il me faut présenter brièvement ce Groupe aérien européen.
Celui-ci est un état-major qui regroupe une trentaine d'officiers et sous-officiers provenant de ses sept membres, à savoir la France et le Royaume-Uni, qui en sont à l'origine, et l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et les Pays-Bas, qui les ont ensuite rejoints. Le Groupe aérien européen est donc l'une des diverses institutions qui ont été établies dans les années 1990 au temps ou un certain nombre de pays européens s'efforçaient de construire l'Europe de la défense.
La mission du Groupe aérien européen est de développer l'interopérabilité des armées de l'air de ses membres, c'est-à-dire leur capacité à conduire des missions militaires conjointes. C'est un organisme qui réalise des études dans ce domaine, travaille à l'harmonisation des procédures des différentes armées, organise des exercices communs et des stages de formation.
Il faut saluer au moins l'une de ses réalisations concrètes : il a joué un rôle moteur dans la constitution progressive de ce qui est devenu le Commandement européen du transport aérien (EATC-European Air Transport Command), qui est quant à lui un organisme opérationnel, basé à Eindhoven aux Pays-Bas, destiné à faciliter la mise à disposition d'appareils de transport militaire aérien entre pays européens. L'EATC a notamment fourni des appareils pour les évacuations de ressortissants européens en Côte d'Ivoire et en Libye en 2011 et pour l'opération Serval au Mali. C'est donc une institution qui a un rôle concret et a permis à nos voisins européens de contribuer, à leur manière, à certaines de nos opérations militaires.
J'en reviens au Groupe aérien européen. Ce petit organisme bénéficie d'un budget commun annuel très modeste, 140 000 livres sterling, réparti à parts égales entre ses membres, qui lui sert notamment à rémunérer les services généraux fournis par la base britannique de High Wycombe où il est localisé. La quote-part française de ce budget est de l'ordre de 20 000 livres, soit environ 26 000 euros. Comme une allocation spécifique est en plus ouverte aux personnels français affectés au Groupe pour couvrir leurs frais de déplacement et des dépenses non prises en charge par le budget commun, la dépense annuelle pour la France est de l'ordre de 50 000 euros.
Si j'évoque ces enjeux budgétaires, aussi minimes soient-ils, c'est parce que le protocole que nous examinons porte sur eux. En effet, ce texte a seulement deux objets. Le premier, traité à ses articles 1er et 2, est de rectifier la dénomination d'un état-major britannique mentionné dans l'accord initial, car cette dénomination a changé. Le second, traité à ses articles 3 et 4, est de modifier les règles de financement du Groupe aérien européen. Jusqu'à présent, les factures communes étaient présentées aux États membres et payées par eux, selon leur quote-part, trimestriellement. Il est proposé d'avoir désormais un budget annuel alimenté par une dotation annuelle des États, pour simplifier cette gestion.
La question est donc la suivante : acceptons-nous que la dotation de la France au budget commun du Groupe aérien européen, soit environ 26 000 euros par an, soit versée en une seule fois en début d'exercice, plutôt que déboursée en quatre fois à trimestres échus – le tout sans changer le montant de la dépense ?
Si la Représentation nationale est saisie de cette question fondamentale, c'est en raison de ses pouvoirs budgétaires et de l'interprétation très stricte qu'en a donnée le Conseil d'État. Je suis, comme vous tous, attaché à ces prérogatives budgétaires. Mais il faut bien admettre que, dans certains cas, nous en arrivons à devoir approuver des arrangements administratifs aux enjeux très minimes. Cela encombre notre ordre du jour et retarde l'entrée en vigueur, au moins formelle, des accords en cause.
Je voudrais partager avec vous une réflexion plus personnelle. Dans le même temps, il me semble que l'évolution des instruments de la diplomatie conduit de plus en plus souvent à ce que des textes diplomatiques importants ne soient pas soumis à ratification parlementaire. Je ne remets pas en cause les prérogatives que notre Constitution reconnaît à l'exécutif en matière de politique étrangère. Mais quand un engagement international important sur le plan diplomatique et formalisé, juridiquement contraignant, est pris, il est légitime que l'on demande l'approbation du Parlement.
Or, du fait du développement des compétences de l'Union européenne et de la diversification des formes des actes internationaux, ce n'est plus toujours le cas. Quand il est décidé de sanctionner économiquement un grand pays comme la Russie ou l'Iran, c'est une décision européenne sur laquelle nous ne sommes pas consultés. Quand il est décidé de vendre des armements majeurs, comme des navires de guerre ou des avions de combat, à tel ou tel pays, ce n'est pas seulement un accord commercial, c'est aussi un geste diplomatique fort, qui donne souvent lieu d'ailleurs à la signature d'un accord intergouvernemental pour chapeauter le contrat commercial. Or, les accords de ce type ne nous sont pas soumis.
Il y a eu en 2015 deux accords internationaux majeurs dans lesquels la diplomatie française s'est beaucoup investie. L'accord de Paris, conclu au terme de la COP21, nous sera renvoyé. Mais qu'en sera-t-il de l'accord de juillet avec l'Iran, dit « Joint Comprehensive Plan of Action » ?
Cette question dépasse largement le cadre du débat d'aujourd'hui, mais je souhaitais tout de même la poser.
Quel paradoxe ! Nous votons sur un texte qui porte sur 26 000 euros, mais pas sur les sanctions contre la Russie. Sommes-nous même sûrs de voter sur le TAFTA ?
L'examen du texte d'aujourd'hui prouve au moins que, lorsque le Quai d'Orsay le veut, nous pouvons être consultés sur un texte. Je dis cela car je me rappelle nos échanges sur un texte lourd de conséquences pour les Français de l'étranger, la convention fiscale avec Andorre, sur laquelle on nous a prétendu qu'il était impossible de revenir sur un membre de phrase. Celui-ci ne valait donc pas 26 000 euros !
En effet. Lorsque l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, où Thierry Mariani et moi siégeons, a décidé de suspendre les pouvoirs de la délégation russe, l'Assemblée nationale n'a pas été saisie de cette question. Des décisions essentielles sont ainsi prises en toute discrétion…
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 1800) sans modification.
La séance est levée à onze heures quarante-cinq.