Le présent accord « sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements » a été signé en 2010 avec l'Irak.
Je rappelle dans mon rapport écrit la situation extrêmement difficile que connaît aujourd'hui ce pays, tant sur le plan politique et humanitaire qu'économique. Je me contenterai donc d'en évoquer quelques points centraux. Sur le front militaire, les derniers mois ont été marqués par plusieurs avancées contre Daesh, qui a perdu près de 40 % des territoires qu'il contrôlait. Mais, sur le plan politique, le gouvernement de M. Haïder al-Abadi n'a pas, jusqu'à présent, justifié les espoirs placés en lui. Les réformes politiques destinées à réintégrer les Sunnites dans la communauté nationale sont bloquées ; la corruption reste endémique avec un score désastreux dans le classement international de l'ONG Transparency International, 161ème sur 167 ; la situation financière devient inquiétante, avec un déficit budgétaire dépassant 20 % du PIB en 2015 et une dette publique qui devrait passer de 32 % du PIB en 2013 à 88 % fin 2016.
Dans ce contexte, nos échanges économiques avec l'Irak sont limités. En 2014, nous y avons exporté pour 417 millions d'euros de biens, soit moins de 0,1 % du total des exportations françaises dans le monde, et en avons importé pour 752 millions d'euros. Ces importations sont constituées à peu près exclusivement de pétrole, l'Irak étant notre 11ème fournisseur, à l'origine de 2,3 % de nos importations de brut.
La situation actuelle ne doit pas conduire à négliger le potentiel de l'Irak. C'est l'un des grands pays du Moyen-Orient, avec 35 millions d'habitants, soit une population plus importante que celle de l'Arabie Saoudite. Même en état de guerre, il a produit, en 2014, 160 millions de tonnes de pétrole, soit 3,8 % de la production mondiale. Surtout, pour les réserves, il serait au 5ème rang, avec près de 9 % du total mondial.
Il est donc important d'être présent économiquement dans ce pays. Or, le fait est que notre présence est plus faible, sur le plan commercial, que celle de l'Allemagne, dont la part de marché est 2,5 fois plus forte que la nôtre, ou l'Italie, dont la part de marché est la double de la nôtre. Sur le plan des investissements, seul un petit nombre de grandes entreprises françaises sont présentes en Irak, mais parfois avec des investissements significatifs. Deux entreprises, Total et LafargeHolcim, qui a trois cimenteries, ont des investissements se chiffrant en milliards d'euros. Orange, CMA-CGM, Renault-Trucks, Danone ou Schneider Electric sont également présents.
La ratification d'un accord sur les investissements avec l'Irak donnera à nos entreprises plusieurs avantages : des garanties de droit et de recours à l'arbitrage, j'y reviendrai en présentant les clauses de l'accord ; la possibilité de bénéficier de garanties de la Coface pour leurs opérations avec l'Irak, possibilité qui est conditionnée légalement à l'existence d'un accord de ce type ; enfin, un avantage concurrentiel relatif par rapport à certaines de leurs concurrentes, car l'Irak a peu d'accords de ce type en vigueur. En Europe, l'Irak a conclu des accords sur les investissements avec l'Allemagne et l'Italie, mais ils ne sont pas encore en vigueur, et des négociations sont en cours avec les Pays-Bas.
Par ailleurs, il faut souligner que nous sommes fortement engagés politiquement et militairement aux côtés du gouvernement irakien et des peshmergas kurdes contre Daesh. Nous avons déployé plus de 200 conseillers militaires. Même si l'accord que nous examinons aujourd'hui a une portée essentiellement économique, sa ratification sera aussi un geste de confiance dans l'avenir politique de l'Irak. En effet, en promouvant les investissements français dans ce pays, il s'agit non seulement d'ouvrir des perspectives à nos entreprises, mais aussi de contribuer à la reconstruction de l'Irak et au retour de sa prospérité, ce qui sera nécessaire pour stabiliser politiquement le pays.
J'en viens au texte de l'accord. Il s'agit d'un accord sur les investissements extrêmement classique comme la France en a conclu avec une centaine de pays, soit quasiment tous ses partenaires économiques. Ce réseau conventionnel bilatéral couvre notamment l'ensemble des autres pays de la région de l'Irak : Iran, Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, Arabie saoudite, Koweït, Qatar, Bahreïn, Émirats-Arabes-Unis, etc.
Les clauses de l'accord suivent fidèlement, à quelques nuances près, un modèle d'accord de cette nature qui avait été élaboré par la direction générale du Trésor et que l'on retrouve donc dans la plupart des accords bilatéraux de la France sur la protection des investissements. Sans les détailler, je vais citer rapidement les plus importantes. L'article 4 de l'accord pose le principe du traitement « juste et équitable » des investissements en provenance de l'autre partie. L'article 5 prévoit l'octroi aux investissements en provenance de l'autre partie du « traitement national » et du « traitement de la nation la plus favorisée ». L'article 6 garantit les investisseurs contre toute mesure d'expropriation ou de nationalisation, même indirecte, qui ne serait pas justifiée par un motif d'utilité publique et ne donnerait pas lieu à indemnisation. L'article 7 garantit la liberté de rapatrier les différents types de revenus liés aux investissements et les produits de leur éventuelle cession.
Enfin, l'article 8 est peut-être le plus important, mais aussi celui qui, aujourd'hui, peut susciter le plus fort débat. C'est un article, très classique lui aussi, qui prévoit le recours à l'arbitrage international dans le cadre du système du CIRDI en cas de litige entre un investisseur étranger et l'administration. Le CIRDI, ou Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, a été justement créé en 1966, dans l'orbite de la Banque mondiale, pour permettre un arbitrage international de ce type de litiges, car l'existence d'un tel système était considérée comme la seule garantie de protection des investissements internationaux dans des pays où la justice n'offre pas toutes les garanties d'indépendance et d'honnêteté.
La présence d'une clause d'arbitrage est donc la clef de voûte des accords de protection des investissements, sans laquelle rien ne garantirait leur application impartiale. Et, de fait, ces clauses sont très appréciées et même revendiquées par les entreprises françaises et européennes.
Mais, vous le savez aussi, ces clauses, connues sous l'acronyme anglais d'ISDS, pour Investor-State Dispute Settlement, suscitent depuis maintenant deux ans un débat public particulièrement vif dans le cadre du futur Partenariat transatlantique avec les États-Unis, qui, s'il est signé, pourrait en comporter une.
Les critiques contre les systèmes d'arbitrage sont motivées par des arguments que l'on ne peut pas balayer d'un revers de main : l'opacité et le coût des procédures arbitrales, les doutes sur l'indépendance d'arbitres qui ont pu avoir des liens d'affaires avec les entreprises requérantes, l'existence de recours abusifs par celles-ci, l'absence de mécanisme d'appel, le contournement des justices nationales, le risque de remise en cause du droit des États à adopter des réglementations légitimes en matière d'environnement et de santé notamment…
Il y a eu une consultation publique conduite par la Commission européenne, une résolution votée par le Parlement européen, des propositions formalisées par le gouvernement français, puis la Commission européenne, qui convergent vers le remplacement du recours à des arbitres par un système complétement différent, à savoir un tribunal public permanent des investissements, avec de plus un mécanisme d'appel.
Dans le même temps, l'Union européenne a finalisé avec le Canada un accord commercial global, dit CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), qui comprend lui aussi une clause de recours à l'arbitrage. Cette clause reste dans le cadre de l'arbitrage privé dans le système du CIRDI, mais comprend déjà une certain nombre de progrès par rapport à la rédaction que l'on trouve dans l'accord que nous examinons aujourd'hui : certaines définitions sont précisées pour protéger la souveraineté réglementaire des Etats ; des garanties sont données en matière de déontologie des arbitres et de publicité des procédures ; des garde-fous sont prévus contre l'usage abusif de l'arbitrage par les entreprises.
Dans ce contexte, devons-nous, aujourd'hui, autoriser la ratification d'un accord comprenant une clause d'arbitrage que je dirais d'ancien modèle, alors que ces débats sont en cours ?
Après avoir réfléchi et consulté sur cette question, je pense que l'on ne peut pas traiter sur le même plan l'accord avec l'Irak et la négociation transatlantique.
Un accord transatlantique, s'il est conclu, aura une portée exceptionnelle. Il concernera deux ensembles économiques qui sont à l'origine de près de la moitié des flux d'investissements étrangers dans le monde, donc aura une incidence sur un montant énorme d'investissements, ce qui peut justifier un mécanisme juridictionnel permanent comme celui que la Commission européenne a récemment proposé. De plus, du fait de cette portée, cet accord aura un effet d'entraînement normatif : les règles qu'il fixera serviront probablement de référence pour les négociations économiques ultérieures.
Il n'en est évidemment pas de même pour l'accord avec l'Irak que nous examinons. Si, un jour, il y a un accord transatlantique, son effet d'entraînement fera que les autres accords existants devront être amendés en conséquence, à moins que le système du CIRDI lui-même ne soit révisé.
Mais, pour le moment, nous sommes face à un accord beaucoup plus modeste, mais de nature à favoriser nos investissements en Irak et à nous donner un relatif avantage comparatif. Un accord, j'ajoute, qu'une de nos entreprises présentes sur place attend impatiemment, car elle a un litige difficile avec l'administration locale. Un accord dont l'entrée en vigueur sera un signal pour nos entreprises, qui doivent être présentes dans ce pays important. Un accord, enfin, qui est un signe de confiance dans l'avenir de l'Irak, aux côtés duquel nous sommes engagés politiquement et militairement contre Daesh. Pour toutes ces raisons, nous devons en autoriser la ratification sans attendre la fin de la négociation transatlantique.