Monsieur le ministre, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, le projet de loi que vous nous présentez doit permettre de sortir de l’état d’urgence en inscrivant dans la loi ordinaire des mesures de lutte efficaces contre la menace terroriste afin de la détecter, de la prévenir, de l’endiguer et d’y faire face lorsque nous y sommes confrontés de plein fouet.
Mais ces moyens ne peuvent être efficaces que s’ils ont pour objectif primordial de maintenir la société de liberté qui est la nôtre. C’est cette société qui est attaquée. C’est elle que nous devons défendre.
Le djihadisme n’est pas un terrorisme comme nous l’avons connu avec les révolutions du XXème siècle. Les profils de recrutement de Daech sont très différents de ceux d’Al Qaida.
Notre société ne fait désormais plus rêver notre jeunesse. Une infime partie d’entre elle rejette le monde que nous avons construit et que nous voulons construire. Elle le rejette et, avec lui, la démocratie et la laïcité. Elle les rejette d’autant plus qu’elle est directement ou indirectement en butte à des injustices ou à des sentiments d’injustice. Les dérapages, si peu nombreux soient-ils, nourrissent ce sentiment et constituent un terreau d’enrôlement.
Mais ce n’est pas seulement cette infime mais déjà trop nombreuse proportion de la jeunesse qui grandit dans un tel terreau propice au terrorisme. Il y a aussi toutes celles et ceux qui pensent que la privation de nos libertés, lorsqu’elle est irraisonnée, donne raison à ceux qui nous attaquent. Il est impérieux et indispensable de leur donner tort.
Ce point d’équilibre entre l’efficience des mesures antiterroristes et la protection de nos libertés doit être la ligne d’horizon de nos débats.
L’efficience, l’optimisation de nos moyens impliquent de reprendre un certain nombre de points qui ont déjà été évalués ou proposés dans le cadre de travaux antérieurs, notamment les deux commissions d’enquête créées après les affaires Merah et Charlie, auxquelles j’ai participé. Il me semble que ce n’est pas toujours le cas dans votre projet.
Ainsi, la commission des lois a réintroduit le bureau du renseignement pénitentiaire dans la chaîne du renseignement. Je m’en félicite, tant cette question était encore scandaleuse il y a quelques mois.
Dans le cadre de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, que j’ai présidée avec vous, monsieur le ministre, j’avais proposé la mise en oeuvre d’un service européen de renseignement dont nous constatons l’impérieuse utilité depuis le 13 novembre. Où en est-on ?
S’agissant de la compétence des juridictions antiterroristes et afin de permettre leur désengorgement, la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, dite commission Ciotti-Mennucci, a proposé l’extension de la compétence antiterroriste à plusieurs juridictions interrégionales spécialisées.
Je m’étonne que cette proposition me semble-t-il pertinente ne soit pas reprise. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de juges antiterroristes et d’être plus réactifs sur le territoire.
De même, les questions qui tiennent à la chaîne d’information et de détection ou aux processus de désendoctrinement ont déjà été largement étudiées.
Dans le cadre de la commission Ciotti-Mennucci, j’ai proposé la création d’une brigade d’éducateurs spécialisés permettant de faire le lien entre les familles, l’éducation nationale, les travailleurs sociaux d’une part – ils sont parfois directement confrontés à ces publics – et les chaînes de commandement de la sécurité et du renseignement d’autre part. En la matière, nous devons aller vite.
L’article 20 mentionne des « établissements habilités » pour traiter des processus de radicalisation. Mais où en est la réflexion sur cette question ? Il serait souhaitable que nous obtenions rapidement des réponses.
Au-delà de ces aspects techniques, le projet présente un déséquilibre entre l’accusation et la défense du fait du transfert de prérogatives du juge d’instruction au parquet.
De deux choses l’une : soit nous nous dirigeons vers un système accusatoire à l’anglo-saxonne, avec des droits d’investigation donnés à la défense en matière pénale, et il faut l’assumer et s’en donner les moyens ; soit les voies de recours, de contestation et de réparation doivent être renforcées par la réintroduction du juge des libertés et de la détention, par la précision des voies de recours, tant pour les procédures de contrôle, avec par exemple le fameux récépissé – engagement n° 30 du Président de la République – que dans les garde à vue de quatre heures ou encore dans les autorisations de recrutement des professionnels travaillant sur les événements.
Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame et messieurs les rapporteurs, le travail parlementaire en commission a permis des avancées pertinentes. Nous espérons qu’il en sera de même cette semaine dans l’hémicycle, et que nous pourrons ainsi voter cette loi.