La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (nos 3473, 3515 et 3510).
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé que nous ne commencerons l’examen des articles que demain après-midi, après les questions au Gouvernement.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Tourret.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, la République, c’est un État de droit dont la colonne vertébrale est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le principe, c’est la liberté, l’exception, c’est la contrainte. Rappelons-le nous : nul ne peut être condamné sans loi préalablement votée. La présomption d’innocence reste le socle de cet État de droit, et les atteintes à cette loi fondamentale ne peuvent être que limitées dans le temps et dans l’espace. Mais, à l’évidence, rien ne serait pire que l’angélisme, rien ne serait pire que de renoncer à assurer la sécurité, car chaque Français revendique haut et fort le droit à sa sécurité. Pour n’avoir pas tiré les leçons de l’état de désordre, pour n’y avoir pas remédié, nous avons, monsieur le garde des sceaux, été balayés en 2002, alors que nous avions, à l’unanimité, voté la loi sur la présomption d’innocence.
La procédure pénale peut paraître excessive et complexe. Cette complexité est telle qu’elle autorise parfois des bavures et la remise en liberté de dangereux criminels lorsque des erreurs de droit sont commises. Mais, rappelons-le, la procédure pénale, c’est d’abord et avant tout la garantie des droits du citoyen.
Aujourd’hui, le crime organisé, le terrorisme nous lancent un défi d’exception. Nous devons nous poser les questions suivantes : pouvons-nous, avec les outils actuels, les lois existantes, les moyens dont nous disposons, dont les forces de l’ordre sont dotées, défendre la République ? La loi et l’ordre, l’ordre de la loi : telles sont les devises républicaines. Mais, monsieur le ministre, jusqu’où peut-on aller en termes de sécurité ? Nous avons déjà voté de nombreuses lois, sur le terrorisme, sur le renseignement, sur l’urgence. Nous avons voté d’innombrables restrictions au principe même de liberté.
Monsieur le ministre, il est des moments où le radical et le républicain que je suis se pose la question suivante : jusqu’où puis-je soutenir un tel renforcement de la sécurité ? Ce renforcement des lois sécuritaires est-il véritablement bien utile ? N’est-il pas, in fine, contre-productif ? Ne risque-t-il pas d’être utilisé dans d’autres périodes et dans d’autres domaines ? Je dois vous dire que cela m’angoisse. Cela m’angoisse quand je constate un certain délitement de l’État. Sur les huit textes nouveaux que nous avons votés, cinq ou six sont sans doute de trop.
Il convient dès lors de rappeler un certain nombre de principes. Premier principe : ne jamais permettre la normalisation de l’exception, la banalisation de l’urgence. Telles sont, bien évidemment, les lignes rouges que nous devons avoir à l’esprit.
Deuxième principe : la Constitution a prévu, dans son article 66, que l’autorité judiciaire reste la gardienne de la liberté individuelle, qu’elle assure le respect de ce principe. Or, texte après texte, nous renforçons l’autorité administrative et pourquoi pas, demain, l’autorité préfectorale. L’indépendance du juge, monsieur le garde des sceaux, est l’un des fondements mêmes de notre République.
Troisième principe : les contrôles d’identité, les investigations ne peuvent se faire que dans le cadre de textes prédéterminés, dans le cadre de la garde à vue. En effet, depuis des décennies, cette période du droit limité a été définie et précisée. J’ai vécu, dans l’exercice de ma profession et comme député, toutes ces évolutions, s’agissant de la présence de l’avocat, de la présence du médecin, du droit de prévenir un proche, du droit de se taire. Or, le nouveau cas de retenue administrative ouvre une période de non-droit. Vous me direz que cela ne dure que quatre heures, mais quatre heures, c’est, par moments, une vie. En tous temps, les droits du gardé à vue ont finalement été l’un des socles de la République et l’image même de la République irréprochable que nous voulons.
Monsieur le garde des sceaux, on nous dit que l’on ne peut entendre les mineurs de moins de dix-huit ans, à moins qu’ils ne soient accompagnés. Mais s’agissant des mineurs de moins de seize ans, n’y avait-il pas là une obligation d’interdiction ? Peut-on entendre quelqu’un qui a douze ans, treize ans ou quatorze ans ? Oui, dès lors que son tuteur ou son représentant légal se trouve auprès de lui. C’est insupportable, j’insiste sur ces mots. Comment, nous autres Républicains, pouvons-nous en arriver là sans nous poser, fondamentalement, des questions ?
Certes, les textes qui nous sont proposés ont une justification : la lutte contre le terrorisme. Faut-il pour autant faire notre loi de l’adage « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » ? C’est sur ce thème que la Révolution s’est faite. Faut-il accepter de limiter la liberté de ceux qui participent à la défense des libertés ? Faut-il accepter la limitation de l’exercice des droits des avocats, des journalistes, des élus, qui sont autant de remparts contre l’arbitraire ? Chaque fois que nous l’acceptons, n’avons-nous pas le sentiment, finalement, de faire reculer l’État de droit ?
Alain, en son temps, a écrit un magnifique éloge sur Le citoyen contre les pouvoirs. C’est donc en me référant à celui qui a toujours été pour moi un guide, ce père du radicalisme, que je demande au Gouvernement, que je vous demande, monsieur le garde des sceaux, dont je connais l’attachement viscéral aux libertés, de renforcer ces dernières, de créer un nouvel équilibre dans le texte. Je vous le dis sereinement, mais avec une grande inquiétude : j’estime qu’actuellement, cet équilibre entre la sécurité et la liberté n’existe pas véritablement.
Je vous ai entendu dire, cet après-midi, qu’un certain nombre de propositions seraient faites. Pour l’heure, je ne les connais pas, mais si ces propositions ne conduisaient pas à nous rassurer sur cet équilibre, le soutien du groupe RRDP ne pourrait être acquis au Gouvernement.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les événements dramatiques que nous avons subis l’année dernière ont forcément eu un impact sur l’élaboration de certaines dispositions de ce texte, mais plus encore sur son calendrier. Il serait néanmoins faux d’en conclure que c’est uniquement un projet de loi de circonstance.
Outre un volet renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, qui fait l’objet de sa première partie, le projet de loi comporte dans sa deuxième partie – sur laquelle je concentrerai mon propos – des dispositions qui visent à améliorer l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. De fait, je ne voudrais pas que l’on oublie ce volet du texte, qui a aussi fait l’objet d’un travail considérable ; j’en remercie Mme la rapporteure Colette Capdevielle.
Cette réforme de la procédure pénale est le fruit d’une concertation aboutie, élaborée par la Chancellerie depuis 2015, dont notre nouveau garde des sceaux reprend naturellement le fil. Les dispositions retenues émanent pour la plupart de rapports qui furent commandés par Christiane Taubira à des personnalités dont la compétence est unanimement reconnue sur ces bancs. En novembre 2013, Jean-Louis Nadal nous proposait de refonder le ministère public et d’adapter l’institution judiciaire aux évolutions de la société. En juillet 2014, Jacques Beaume réfléchissait aux évolutions qu’il convenait d’apporter à la procédure pénale en repensant le rôle du ministère public et de la police judiciaire. Leur diagnostic fut partagé. L’ensemble des acteurs de la chaîne pénale nous alertaient sur ce cadre procédural insatisfaisant.
Les membres des autorités publiques, juges, procureurs, mais aussi policiers et gendarmes, évoluent dans un environnement juridique instable et complexe. Les enquêteurs et les magistrats sont accaparés par des contraintes procédurales qui, sans rien apporter aux justiciables, ni à la sauvegarde des libertés, contribuent en revanche à rendre la procédure souvent incohérente. Ce sont autant d’obstacles formels qui appellent une nécessaire simplification de notre procédure pénale. Il nous appartient de la réformer dans le respect des engagements internationaux que nous avons contractés, de sécuriser la procédure afin de prévenir des recours en justice et des condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme.
Le projet de loi, qui a fait l’objet de plus de sept heures d’examen approfondi en commission des lois, a été enrichi par quelque 350 amendements. Je tenais à en souligner les mesures les plus marquantes. D’une part, des dispositions renforcent les garanties de la procédure pénale, clarifient le rôle des acteurs de la procédure pénale, ce qui renforce la garantie des droits des citoyens. Ce projet de loi clarifie le rôle et les attributions du procureur de la République, en en faisant le directeur de l’enquête. De fait, il est défini comme tel et doit mener ses investigations afin de permettre la manifestation de la vérité, dans le respect des droits de chacune des personnes concernées, victime ou suspect.
Si le rôle du procureur est clarifié, son autorité est également renforcée, notamment à l’égard de la police judiciaire, dont les manquements professionnels pourront être sanctionnés à travers une procédure d’urgence créée spécialement.
La mesure la plus marquante, qui annonce une vraie révolution des pratiques, consiste sans doute en l’introduction du contradictoire dans les enquêtes. Les personnes suspectées verront leurs garanties renforcées au cours de l’enquête, dans la mesure où elles pourront demander communication du dossier de la procédure d’enquête préliminaire et faire des observations nécessaires à leur défense. Cette avancée notable rompt avec la tradition de secret et d’absence de contradictoire qui prévaut lors des enquêtes préliminaires qui sont, comme on le sait, menées sous l’autorité du parquet.
L’article 25 renforce, quant à lui, les garanties applicables au cours de l’instruction en matière d’interceptions de communications, en exigeant des décisions motivées.
Je pourrais, si j’avais davantage de temps, me livrer à une manière d’inventaire à la Prévert. Beaucoup de mesures, parmi lesquelles le fait de rendre moins restrictive la compétence territoriale des officiers de police judiciaire, de simplifier les dispositions relatives au contrôle judiciaire et à la détention provisoire ou d’étendre la procédure de recherche des personnes en fuite, permettent d’améliorer le travail des policiers et des magistrats et de défendre l’intérêt du justiciable.
D’autre part, nombre de ces dispositions simplifient le déroulement de la procédure pénale.
Ce renforcement des garanties s’accompagne de mesures de simplification souhaitées et attendues des praticiens qui font appliquer la loi et qui protègent les Français au quotidien, ainsi que de dispositions simplifiant par exemple le traitement du contentieux de la détention sans restreindre les droits des personnes concernées.
Dans une période où la justice souffre d’un manque de moyens dramatique et où les délais s’allongent sans fin, les dispositions de ces articles sont les bienvenues.
Je ne voudrais pas oublier la majoration de 10 % des amendes prononcées en matière contraventionnelle, les conditions d’accès aux fichiers de police judiciaire ou diverses dispositions permettant notamment de fluidifier la réponse pénale en cas d’absence du prévenu.
Parmi les mesures diverses, je relève les amendements qui permettraient aux forces de l’ordre de faire usage de caméras mobiles – j’aurai l’occasion de rappeler notre point de vue quant à l’utilisation de cette nouvelle disposition.
Lors de l’examen du texte en commission, le groupe SRC a veillé à l’équilibre entre la garantie de l’efficacité de la procédure et la protection des droits des citoyens.
Manque encore, bien entendu, l’indispensable réforme constitutionnelle du statut du parquet – nous insistons sur l’effort budgétaire dont cette institution menacée d’embolie doit bénéficier.
Nous sommes néanmoins convaincus que l’adaptation de notre droit à la menace qui pèse sur notre pays est nécessaire et qu’il faut rechercher la performance, et c’est pourquoi le groupe SRC votera ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre, deux lois pour lutter contre le terrorisme, une loi sur le renseignement, deux lois relatives à l’état d’urgence, une réforme constitutionnelle : voici la septième loi sur le même sujet !
Elle est d’ailleurs ambitieuse, touffue, et concerne des sujets extrêmement divers – d’où l’absence de cohérence dont elle souffre, ce qui contribuera assez vite à révéler ses limites dans la lutte hélas concrète et quotidienne contre le terrorisme islamique.
Que l’on comprenne bien le sens de ma critique ! Par définition, les sociétés démocratiques vivant comme la nôtre en paix depuis plus d’un demi-siècle, psychologiquement peu préparées à la guerre et à sa violence – le philosophe Marcel Gauchet évoque le « pacifisme radical » de la société française, et il n’a pas tort – peinent à basculer du jour au lendemain de l’état de paix – donc de la protection des libertés – à la déclaration de guerre que le Président de la République a lui-même annoncée.
Comment trouver la voie étroite entre le respect des libertés, auquel nous sommes tous attachés, et la défense de nos concitoyens et la guerre contre les djihadistes ?
D’où cette impression de tâtonnement, cette succession de textes législatifs qui se superposent les uns aux autres au fil des événements et des attentats, comme si le Gouvernement – à l’image de nos services de sécurité – courait après l’événement plutôt que de le prévenir.
Je crois également comprendre que les préoccupations politiques sont réelles : vous devez sortir de l’état d’urgence le plus vite possible, mettre fin aux soubresauts de la gauche et aux recours juridiques.
Il faut donc trouver les moyens de vivre avec des mesures d’exception en temps de paix, et c’est précisément ce que ce projet de loi tente de faire.
Certains points sont d’ailleurs bienvenus. Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails, mais je citerai l’usage des armes, la rétention temporaire, la fouille des bagages, la protection des témoins, les opérations de contrôle du financement du terrorisme : tout cela est bienvenu.
Mais au moins trois volets, absolument majeurs dans la lutte que nous devons livrer, me paraissent vraiment insuffisants.
Le premier problème concerne le retour des terroristes des théâtres d’opérations.
C’est le problème clé, que j’avais déjà évoqué ici même face à M. Cazeneuve au mois de septembre 2014.
Il faut savoir que la France bat tous les records en matière de djihad : notre pays est aujourd’hui celui qui compte le plus grand nombre de ressortissants en Syrie et en Irak – ils sont au moins 1 500.
Le vrai problème viendra, monsieur le ministre de la justice, le jour où nous gagnerons la guerre contre Daech, quand ces gens-là reviendront totalement fanatisés, surentraînés, disposant de techniques de combat non encore utilisées en Europe – je pense aux IED, les Improvised Explosive Devices, aux voitures béliers bourrées d’explosifs… Là, nous serons confrontés au vrai problème !
D’où la question que je posais en 2014 à votre collègue Cazeneuve, et que je réitère : qu’en faire ? Lorsqu’il est possible de judiciariser parce qu’on dispose de preuves, tout va bien. Mais quand ces dernières font défaut ?
Le dispositif que vous prévoyez est tout bonnement surréaliste ! Vous parlez de retour à « une vie familiale et professionnelle normale » ! Pensez-vous qu’ils iront pointer à Pôle emploi, qu’ils seront M. Tout-le-Monde ? Comment les surveillerez-vous autrement que dans des centres de rétention permettant de juger et de trier ces personnes ? J’avais déposé un amendement en ce sens, mais il est tombé sous le coup de l’article 40.
Le jour où de tels événements se produiront, vous devrez expliquer aux Français que l’on sait trouver de l’argent pour loger des migrants, mais pas pour s’occuper des terroristes de retour en France. Vous serez confrontés à ce problème-là.
Deuxième volet qui me paraît extrêmement insuffisant : tout ce qui touche aux communications cryptées – je suis d’ailleurs heureux de constater que le Gouvernement a évoqué ce sujet tout à l’heure, car il est fondamental.
Il est établi que les attentats commis à Paris et les difficultés que nos services ont rencontrées résultent de l’utilisation par les terroristes du dark cloud – de sites dédiés comme Tor, un ancien site de l’armée américaine – ou de cryptages afin de communiquer et d’organiser des attentats.
Le drame, c’est que les multinationales américaines utilisent l’argument de la liberté et de la protection de leurs centaines de millions de consommateurs pour ne pas coopérer avec la justice. Nous sommes donc confrontés à un problème de droit international majeur, monsieur le ministre !
J’ai proposé un amendement féroce visant à considérer ces dernières comme complices – car elles le sont ! J’ai parlé à d’autres gouvernements : nous sommes également confrontés à un problème de coordination internationale et, si j’ose dire, de « corrélation des forces » avec elles.
En tout cas, le débat sera ouvert et c’est une bonne chose. J’espère que nous trouverons les bonnes solutions.
Tout dernier point : un rapport de l’Union européenne vient de montrer – et c’est gravissime – que faute d’une interdiction légale du droit international, là encore, un certain nombre de pays – y compris européens, comme les Pays-Bas, la Roumanie, la Suisse, mais aussi le Japon et les États-Unis, sans parler de la Turquie, de l’Inde ou de l’Iran – fournissent à l’État islamique, ou plutôt à des sociétés-écrans basées au Liban et en Turquie, tout ce qui est nécessaire à la conduite de la guerre : cordons d’explosifs, détonateurs, explosifs, tout cela circule et se retrouve à Rakka ou à Mossoul !
Il me semble que c’est l’une des questions clés à prendre en compte. Nous devons prendre une initiative diplomatique afin de faire en sorte que le Conseil de sécurité de l’ONU considère que l’État islamique mérite des sanctions internationales et sanctionne toute entreprise qui, directement ou indirectement, contribue à sa puissance.
Votre loi vise le trafic des objets d’art et des antiquités, ce qui est une bonne chose, mais il n’est pas question de tout le reste. Je vous invite, et nous vous inviterons à voter la résolution que le groupe Les Républicains déposera…
…afin que la diplomatie française prenne le taureau par les cornes et que l’on organise un régime de sanctions contre l’État islamique. Cela me paraît véritablement urgent. Même si cela est connexe à votre loi, c’est nécessaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le ministre, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, le projet de loi que vous nous présentez doit permettre de sortir de l’état d’urgence en inscrivant dans la loi ordinaire des mesures de lutte efficaces contre la menace terroriste afin de la détecter, de la prévenir, de l’endiguer et d’y faire face lorsque nous y sommes confrontés de plein fouet.
Mais ces moyens ne peuvent être efficaces que s’ils ont pour objectif primordial de maintenir la société de liberté qui est la nôtre. C’est cette société qui est attaquée. C’est elle que nous devons défendre.
Le djihadisme n’est pas un terrorisme comme nous l’avons connu avec les révolutions du XXème siècle. Les profils de recrutement de Daech sont très différents de ceux d’Al Qaida.
Notre société ne fait désormais plus rêver notre jeunesse. Une infime partie d’entre elle rejette le monde que nous avons construit et que nous voulons construire. Elle le rejette et, avec lui, la démocratie et la laïcité. Elle les rejette d’autant plus qu’elle est directement ou indirectement en butte à des injustices ou à des sentiments d’injustice. Les dérapages, si peu nombreux soient-ils, nourrissent ce sentiment et constituent un terreau d’enrôlement.
Mais ce n’est pas seulement cette infime mais déjà trop nombreuse proportion de la jeunesse qui grandit dans un tel terreau propice au terrorisme. Il y a aussi toutes celles et ceux qui pensent que la privation de nos libertés, lorsqu’elle est irraisonnée, donne raison à ceux qui nous attaquent. Il est impérieux et indispensable de leur donner tort.
Ce point d’équilibre entre l’efficience des mesures antiterroristes et la protection de nos libertés doit être la ligne d’horizon de nos débats.
L’efficience, l’optimisation de nos moyens impliquent de reprendre un certain nombre de points qui ont déjà été évalués ou proposés dans le cadre de travaux antérieurs, notamment les deux commissions d’enquête créées après les affaires Merah et Charlie, auxquelles j’ai participé. Il me semble que ce n’est pas toujours le cas dans votre projet.
Ainsi, la commission des lois a réintroduit le bureau du renseignement pénitentiaire dans la chaîne du renseignement. Je m’en félicite, tant cette question était encore scandaleuse il y a quelques mois.
Dans le cadre de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, que j’ai présidée avec vous, monsieur le ministre, j’avais proposé la mise en oeuvre d’un service européen de renseignement dont nous constatons l’impérieuse utilité depuis le 13 novembre. Où en est-on ?
S’agissant de la compétence des juridictions antiterroristes et afin de permettre leur désengorgement, la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, dite commission Ciotti-Mennucci, a proposé l’extension de la compétence antiterroriste à plusieurs juridictions interrégionales spécialisées.
Je m’étonne que cette proposition me semble-t-il pertinente ne soit pas reprise. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de juges antiterroristes et d’être plus réactifs sur le territoire.
De même, les questions qui tiennent à la chaîne d’information et de détection ou aux processus de désendoctrinement ont déjà été largement étudiées.
Dans le cadre de la commission Ciotti-Mennucci, j’ai proposé la création d’une brigade d’éducateurs spécialisés permettant de faire le lien entre les familles, l’éducation nationale, les travailleurs sociaux d’une part – ils sont parfois directement confrontés à ces publics – et les chaînes de commandement de la sécurité et du renseignement d’autre part. En la matière, nous devons aller vite.
L’article 20 mentionne des « établissements habilités » pour traiter des processus de radicalisation. Mais où en est la réflexion sur cette question ? Il serait souhaitable que nous obtenions rapidement des réponses.
Au-delà de ces aspects techniques, le projet présente un déséquilibre entre l’accusation et la défense du fait du transfert de prérogatives du juge d’instruction au parquet.
De deux choses l’une : soit nous nous dirigeons vers un système accusatoire à l’anglo-saxonne, avec des droits d’investigation donnés à la défense en matière pénale, et il faut l’assumer et s’en donner les moyens ; soit les voies de recours, de contestation et de réparation doivent être renforcées par la réintroduction du juge des libertés et de la détention, par la précision des voies de recours, tant pour les procédures de contrôle, avec par exemple le fameux récépissé – engagement n° 30 du Président de la République – que dans les garde à vue de quatre heures ou encore dans les autorisations de recrutement des professionnels travaillant sur les événements.
Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame et messieurs les rapporteurs, le travail parlementaire en commission a permis des avancées pertinentes. Nous espérons qu’il en sera de même cette semaine dans l’hémicycle, et que nous pourrons ainsi voter cette loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le présent projet de loi est un texte stratégique et difficile.
Stratégique, parce qu’il a vocation à permettre la sortie de l’état d’urgence sans que pour autant la menace terroriste trouve à se libérer, ce qui serait évidemment dangereux pour notre sécurité.
Difficile, mais quel texte ne l’est pas, parce qu’il doit répondre à la fois à l’exigence de prévention des risques que font peser sur nous les acteurs du crime organisé et du terrorisme et à l’exigence de garanties apportées à nos droits et libertés résultant de notre droit interne comme du droit international et européen.
Si, au regard de cette actualité meurtrière de 2015 – ici, en France, et dans le monde – ainsi que des attentats déjoués en 2016, il est en quelque sorte attendu que nous dotions de moyens efficaces les forces de police, de gendarmerie, les douanes, le renseignement, mais aussi que nous prenions des mesures adaptées pour les aider dans ce travail ardu et nouveau tendant à prévenir l’attentat fatal, il est tout aussi essentiel pour nous de veiller au respect de la vie privée et au droit à un procès équitable – respect des droits de la défense et débat contradictoire – ainsi qu’à la mise en place d’une procédure identifiée permettant à tout un chacun de se défendre.
Il importe de sécuriser encore quelques points de ce texte et de clarifier et expliquer la portée de certaines mesures – je pense notamment aux articles 18, 19 et 20. S’agissant de l’article 18, j’aimerais, en ce qui me concerne, comprendre son articulation avec le nouveau statut de suspect libre, adopté en mai 2014, du fait d’une stricte transposition en droit interne d’une directive européenne. Celle-ci encadre les personnes auditionnées librement pendant une durée maximale de quatre heures et fait obligation de les informer des faits qui peuvent leur être reprochés.
La France a trop souvent été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour son système judiciaire, et aucun d’entre nous ne souhaite que le texte comporte une mesure de police susceptible d’être contestée. Le débat permettra d’exercer notre vigilance commune.
Le chapitre IV, dont j’ai plus particulièrement la charge, a pour objet d’améliorer la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et plus particulièrement les investigations de Tracfin, la cellule de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins. Ce service de renseignement spécifique, appartenant au ministère de l’économie et des finances, recueille et analyse les renseignements financiers. L’évolution institutionnelle qui s’est produite en 2015 le place désormais dans le coeur opérationnel des services de renseignement, et les éléments financiers pertinents qu’il apporte peuvent aider à la judiciarisation des dossiers.
À partir des modalités connues du financement du terrorisme, le texte propose d’abord la création d’une infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de théâtres d’opérations de groupements terroristes. Il prévoit également l’encadrement des cartes prépayées, qui peuvent être distribuées de façon anonyme. Il ne s’agit pas de les interdire, mais de pallier le manque actuel de traçabilité, en permettant la conservation des éléments d’identité lors de l’achat de la carte et le retrait de l’argent liquide. Tracfin pourra aussi appeler à la vigilance les professionnels assujettis à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et leur signaler de manière confidentielle des secteurs géographiques ou des personnes physiques ou morales présentant des risques élevés de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
Un processus volontariste est ainsi engagé avec ce projet de loi ; un processus nécessaire au nom de l’intérêt général, pour prévenir un danger qui était connu depuis longtemps, mais contre lequel nos outils n’étaient pas adaptés.
En matière douanière, enfin, il est prévu un renversement partiel de la charge de la preuve de l’infraction concernant l’origine illicite des fonds qui concourent au financement du terrorisme, dès lors que les autres éléments du délit de blanchiment douanier sont établis. Le Conseil constitutionnel, comme la Cour européenne des droits de l’homme, a admis cette présomption de responsabilité, à condition que l’enjeu soit réel et que les droits de la défense soient préservés.
Certains d’entre nous – notamment le député Jean-Michel Clément – ont souhaité compléter ce chapitre en déposant des amendements mettant l’accent sur la contrefaçon. Lors de l’examen de la loi renforçant la lutte contre la contrefaçon, adoptée en 2014, nous avions en effet noté que les flux internationaux de contrefaçons ont de plus en plus de liens avec des organisations criminelles organisées transnationales.
Ce texte annonce aussi, par bien des aspects, le projet de loi sur la justice du XXIe siècle. C’est la raison pour laquelle notre groupe a repoussé plusieurs amendements qui auront toute leur place dans le texte à venir.
Mais, au-delà des textes et du cadre qu’ils tracent à l’action administrative ou judiciaire, se pose, plus que jamais, la question des effectifs et des moyens matériels au service de la protection de la nation, que ce soit en termes de sécurité ou de justice.
L’effort mené par le Gouvernement et le Parlement pour remettre des hommes et des femmes derrière ces fonctions doit être poursuivi. Et les outils prévus par ce projet de loi ne trouveront leur pleine efficacité que si des passerelles existent entre les services : il importe que les réseaux d’acteurs cessent d’être hermétiques pour se compléter et s’entraider, au niveau national, européen et international.
Le texte dont nous débattons aujourd’hui nous rappelle, s’il en était besoin, cette exigence.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame et monsieur les rapporteurs, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la paix, la justice, la sécurité, le progrès sous toutes ses formes – matériel, intellectuel et moral –, tous ces idéaux dont les deux siècles précédents avaient fait un credo qu’ils croyaient accessible sont, en ce début de XXIe siècle, devenus un horizon fuyant. Comme s’il n’était pas assez d’avoir connu depuis trois décennies les guerres d’ingérence, le triomphe d’une mondialisation financière sans idéal et sans pitié, l’oubli des nations, qui sont pourtant le cadre naturel d’une démocratie ouverte au monde, voici que s’invitent au banquet des formes nouvelles de terrorisme, porteuses de désintégration des territoires, aussi bien que des modèles sociaux et politiques.
C’est pourquoi l’enjeu du XXIe siècle – et nous le voyons d’ailleurs – est le retour des États. J’y vois pour ma part un motif d’espoir, car nous avons en France un bien précieux, qui est la tradition de l’État républicain. Lui seul, sans doute, saura refaire le ciment d’une intégration très gravement mise à mal. Il lui faudra pour cela un souffle, une volonté de reconstruire, sur une génération au moins, un modèle de paix sociale, de civisme, d’égalité – au sens vrai du terme – et de modernité. Mais l’État républicain doit aussi savoir relever les défis immédiats. Or qui pourrait nier que ce défi premier est aujourd’hui celui de la sécurité du territoire et de la population ?
Un débat peut certes avoir lieu sur la manière dont ce défi doit être relevé, et nous pourrons, au cours de l’examen de ce texte, peser au trébuchet chacune de ces mesures : retenue de quelques heures, assignation à résidence des individus de retour des théâtres d’opérations et non judiciarisés, conditions de l’usage des armes par les forces de sécurité. Il est parfaitement compréhensible que le débat ait lieu, et nul ne dispose a priori des solutions les meilleures. Mais du moins pouvons-nous examiner l’ensemble des mesures ici proposées, qui émanent de trois ministères, ce qui en fait au sens propre une panoplie de lutte. Nous pouvons même en présumer l’efficacité, puisqu’elles supposent des réflexions croisées.
Je propose d’examiner ces mesures en fonction de quelques critères simples. Ces mesures, d’abord, sont-elles bien proposées de sang-froid, et non sous le coup de l’émotion – ce qui inclut les émotions négatives ? En d’autres termes, ont-elles su, ou sauront-elles, trouver un équilibre entre prévention et répression, entre moyens accrus et contrôle de ces moyens et, pour dire le tout, entre efficacité et action symbolique ?
Ces mesures, ensuite, sont-elles bien distinctes de celles qui caractérisent un état d’exception comme l’état d’urgence ? En d’autres termes, permettront-elles d’affronter des phénomènes durables avec des moyens appropriés, équilibrés et contrôlables ? Leur inscription dans le droit est-elle rendue nécessaire par l’évolution même des choses ? Je songe à l’usage des armes, aux progrès de la cybernétique ou, bien sûr, à la nécessité de lutter contre la radicalisation et ses formes nouvelles. Jusqu’ici, la réponse à ces questions me semble devoir être positive.
Il reste le troisième critère, qui à mes yeux est certainement le plus important. Ces mesures s’inscrivent-elles dans la tradition d’un État de droit, d’une démocratie comme la nôtre, capable de préserver les droits de chacun et la sécurité de tous, dont la fameuse proportionnalité n’est que la traduction juridique ? Je le crois.
Je sais bien que la compétition dans notre pays entre l’autorité administrative et le juge judiciaire fait rage. Je mesure particulièrement, à titre personnel, sur quelle méconnaissance elle repose quant au rôle de ces deux juges, qui caractérisent pourtant notre ordre constitutionnel. Cet égarement, qui nous éloigne tant du principe révolutionnaire invoqué tout à l’heure par notre collègue Alain Tourret, mais que l’on peut invoquer sur d’autres fondements – et je pense notamment à la grande loi des 16 et 24 août 1790 – est une épine au coeur de notre conception de l’État républicain. C’est grand dommage.
J’engage tout de même ceux qui choisissent cette critique, qui est en fait la volonté d’une suprématie absolue du juge judiciaire, à regarder ce qu’une grande démocratie a fait outre-Atlantique de cette institution qu’est le juge judiciaire, alors même qu’elle ne dispose pas du contrôle que nous avons en France – celui du juge administratif : détention d’une semaine à six mois sur la base du seul soupçon raisonnable de l’autorité administrative, et sans aucune garantie ; lettres de sécurité nationale, version contemporaine, sans doute, des lettres de cachet ; interception et recueil quasi sans limite des données individuelles ; refus à deux reprises par le Congrès conservateur de l’Habeas corpus, que voulaient imposer les juges après-coup ; tribunaux d’exception maintenus. Ce contre-exemple, mes chers collègues, montre les dérives auxquelles aboutit la confusion entre état d’urgence et droit permanent.
C’est pourquoi je donne mon aval à un texte qui me semble, au rebours de ces dérives, respecter une tradition républicaine : celle dont nous pouvons nous honorer, comme nous le faisons assez souvent en invoquant les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre des finances et des comptes publics, monsieur le président de la commission des lois, madame et monsieur les rapporteurs, monsieur le rapporteur pour avis, ce projet de loi sur le terrorisme ne parviendra pas à réparer les erreurs commises par la gauche et à rattraper le temps perdu depuis qu’elle est au pouvoir.
Il y a quatre ans, la France est entrée dans l’ère du terrorisme de masse, précisément depuis les attentats commis en mars 2012 par Mohammed Merah, qui firent sept morts à Toulouse et Montauban. Deux mois après, en mai 2012, M. François Hollande était élu Président de la République et la gauche prenait les rênes du pays.
Depuis, la menace terroriste s’est accrue dans des proportions inimaginables, jusqu’aux attaques de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier 2015, puis aux massacres de Paris et Saint-Denis en novembre de la même année. Qu’a fait votre majorité pendant ces quatre ans en matière de lutte contre le terrorisme et de politique pénale ?
Elle a en permanence louvoyé entre deux attitudes totalement contradictoires.
Comment pouvez-vous dire des inepties pareilles ? C’est facile, mais c’est idiot.
…prisonnière de son idéologie, a considérablement affaibli la répression pénale de la criminalité en supprimant les peines plancher pour les récidivistes et la rétention de sûreté, que nous avions instaurée…
…et en restant sans réaction face à la mainmise de l’islam radical sur les prisons. De l’autre, les ministres de l’intérieur successifs ont fait voter plusieurs lois sur le terrorisme et le renseignement. J’ai, pour ma part, voté pour certains de ces textes, lorsqu’ils allaient dans le bon sens.
Le projet de loi qui nous occupe aujourd’hui, messieurs les ministres, aurait pu vous permettre de sortir de cette contradiction et d’assumer enfin, sans réserve, une politique de lutte à outrance contre le terrorisme et la criminalité.
Certaines mesures prévues par votre projet de loi, du moins dans sa version initiale, allaient dans ce sens : l’assouplissement des règles d’ouverture du feu par les forces de l’ordre ; l’instauration, après un contrôle d’identité, d’une possible rétention pour vérifier la situation d’un suspect ; l’élargissement de la possibilité, pour les forces de l’ordre, de fouiller les bagages et les véhicules, sous l’autorité du préfet ; l’institution de perquisitions de nuit dans le cadre d’enquêtes préliminaires, sous le contrôle du parquet ; la possibilité de recueillir, en matière de crime organisé ou d’entreprise terroriste, les données de connexion, sous le contrôle du juge ; et, enfin, l’amélioration de la protection des témoins contre les représailles.
Mais le passage en commission des lois a en partie dénaturé vos bonnes intentions, messieurs les ministres.
La majorité de la commission a multiplié les contraintes procédurales qui vont, si elles subsistent à l’issue de nos débats, paralyser les forces de l’ordre et les magistrats dans l’exercice de leur mission.
Je suis très content, monsieur le rapporteur, de voir que je suscite une réaction de votre part, mais il aurait fallu l’avoir plus tôt.
Et que dire de l’article 27 sexies, ajouté par la commission, qui prévoit que les réductions de peine seront accordées plus ou moins généreusement aux condamnés, en fonction du taux d’occupation ou d’encombrement de la prison où ils purgent leur peine ! C’est absurde ! Le laxisme pénal, maladie chronique de la gauche, a encore frappé.
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre des finances, les députés du groupe Les Républicains ont déposé de nombreux amendements. S’ils sont adoptés, votre projet de loi retrouvera son sens…
…et l’efficacité de la répression du terrorisme sera renforcée. Notre vote final dépendra de l’accueil que vous réserverez à nos propositions.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre des finances et des comptes publics, monsieur le président de la commission, madame et monsieur les co-rapporteurs, chers collègues, nous sommes amenés, de nouveau, à nous poser la question de l’adaptation de notre cadre législatif et réglementaire pour combattre efficacement la menace terroriste. Ce travail, nous l’avons mené à plusieurs reprises depuis 2012, notamment avec les lois de décembre 2012, de novembre 2014 et de juillet 2015. Bien sûr, le renforcement continu, ces dernières années, aussi bien en moyens financiers qu’en ressources humaines, des services concourant à la lutte contre le terrorisme, et l’instauration de l’état d’urgence, prorogé à deux reprises par le Parlement, participent à l’élargissement de la diversité des outils mis à la disposition de l’État pour répondre à la menace très réelle qui nous a frappés à deux reprises l’année dernière.
L’ambition du projet de loi aujourd’hui soumis à notre discussion commune est de couvrir autant que faire se peut la réalité terroriste dans deux de ses aspects : sa nature protéiforme, soulignée dans le rapport de Pascal Popelin, et sa capacité d’adaptation permanente. En poursuivant ces objectifs, nous mettons parallèlement en place les conditions de la sortie de l’état d’urgence. Le projet de loi s’inscrit donc dans une orientation générale que l’on ne peut qu’approuver.
Il contient en conséquence un ensemble de dispositions dont l’évidence s’impose. Je pense particulièrement au renforcement du cadre législatif en matière de contrôle d’armes à feu et de lutte contre les trafics dans ce domaine, à l’amélioration des outils de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, notamment pour empêcher les nouveaux trafics de biens culturels issus de théâtres d’opérations de groupements terroristes, ou bien encore à l’essentiel du titre II en matière de procédure pénale. Je tiens particulièrement à saluer, sur ce dernier volet, le grand progrès que représente le renforcement de la dimension contradictoire de l’enquête préliminaire, qui est une mesure de grande portée.
Une fois ces éléments positifs soulignés, il reste à voir si le projet de loi répond bien aux objectifs d’ensemble fixés et si les dispositions proposées sont à la fois en adéquation avec les besoins de la lutte antiterroriste et respectueuses des libertés publiques. Comme certains ont déjà eu l’occasion de le souligner, il nous paraît essentiel d’obtenir, à l’issue de nos travaux, un texte équilibré de ce point de vue. Pour l’instant, nous n’y sommes pas encore.
Les travaux de la commission des lois ont déjà permis de franchir d’importantes étapes vers cet objectif s’agissant de points particulièrement sensibles du texte. Il en est ainsi de l’article 18 instaurant une nouvelle retenue administrative pour les cas de suspicions sérieuses d’activités à caractère terroriste. Sur proposition du rapporteur, nous avons précisé ce qu’il était possible de faire ou non dans le cadre de cette procédure et nous avons amélioré les garanties concernant les mineurs. Il nous faudra néanmoins aller plus loin et plusieurs amendements proposés seront de nature, j’en suis sûre, à améliorer le niveau des garanties pour bien délimiter le champ de cette nouveauté qui ne vise et ne doit viser, bien sûr, que les contrôles et les vérifications d’identité renforcés en cas de soupçon clair d’une connexion terroriste.
Je pense également à l’article 19, qui nourrit beaucoup d’interrogations quant à sa portée pratique et opérationnelle. Il a été amélioré sur proposition du rapporteur et de Mme Pochon, notamment par la suppression de la notion de « temps rapproché », qui posait une difficulté d’interprétation certaine dans l’appréciation de l’état de nécessité. Ces améliorations ont permis de mieux intégrer les apports de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous pouvons encore aller plus loin, particulièrement en ce qui concerne la notion de réitération que nous considérons comme l’un des éléments essentiels pour caractériser l’état de nécessité dans le cadre d’un périple meurtrier.
Les modifications apportées à l’article 20 ont enfin été déterminantes. Ses dispositions instaurent un cadre administratif des retours sur le territoire national. Ceux qui ont lu, sans doute un peu vite, la version initiale du projet de loi y ont vu l’introduction dans le droit commun d’une mesure qui est du ressort de l’état d’urgence. Après le travail survenu en commission et compte tenu des amendements à venir, c’est une lecture que je ne partage pas.
Le travail en commission a permis de réintroduire une logique judiciaire et même de la faire primer sur la logique administrative si elle a lieu de s’exercer. Le parquet sera ainsi informé préalablement à toute mesure de contrôle administratif. Nous pouvons aller plus loin en resserrant le champ des publics visés qui, en l’état actuel des choses, est trop large. Je pense notamment à la notion de « tentative » dont le périmètre est pour le moins très large.
Le travail sur les articles qui ont fait l’objet des discussions les plus nourries ne s’est pas achevé là. Nous avons collectivement avancé sur d’autres sujets : je pense notamment au renforcement des garanties en matière de perquisition de nuit, avec l’intégration de propositions du Défenseur des droits, ou aux articles additionnels votés sur la proposition de Mme Capdevielle, visant à compléter et à améliorer le déroulement de la procédure pénale.
Une part importante du travail pourra, je l’espère du moins, être accomplie en séance publique à partir de demain et parachever le travail commencé pour amener le texte au point d’équilibre, que j’ai déjà évoqué, entre objectif d’efficacité, d’une part, et respect des libertés publiques et de nos principes fondamentaux, d’autre part. Dans cette perspective, je tiens à saluer l’écoute attentive, depuis le début de l’examen du texte, du Gouvernement dans sa transversalité sur les problématiques soulevées par les parlementaires.
Il est heureux que le délai de dépôt des amendements ait été prolongé, car cela nous a permis de mieux travailler, dans cette période difficile. Sur un projet de loi qui engage autant, cet état d’esprit est non seulement légitime, mais même indispensable pour avancer vers l’équilibre souhaité. C’est pourquoi il faut continuer de le faire vivre. Ce sera difficile, je le sais. Nous ne parviendrons pas à la perfection, que ce soit en raison de la brièveté des délais, du recours à la procédure accélérée, parfois de certaines postures, et enfin de nos lacunes. Mais je me fierai aux mots de René Char pour nous guider : « L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne. »
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre des finances et des comptes publics, monsieur le président de la commission, madame et monsieur les co-rapporteurs, chers collègues, nous débutons aujourd’hui l’examen d’un nouveau texte sur la criminalité et le terrorisme, le quatrième depuis 2012, comme l’a rappelé M. le ministre de l’intérieur dans son propos introductif cet après-midi.
Force est de constater qu’elle est loin, l’époque où les socialistes ironisaient sur la présentation à répétition de textes relatifs à la sécurité. L’exercice du pouvoir vous amène donc à votre tour à faire l’expérience à la fois d’une menace et de technologies qui évoluent, et à admettre qu’il est du devoir du législateur de modifier en conséquence les réponses de l’État. Je me félicite de cette évolution des parlementaires socialistes. Aujourd’hui, nous n’ironisons donc pas sur la présentation de ce texte, d’autant que notre groupe, Les Républicains, a demandé une réponse législative depuis les attentats de janvier 2015 et qu’elle a tardé à venir.
Plusieurs mesures du texte vont incontestablement dans le bon sens – Charles de La Verpillière les a énumérées – : peut-être sont-elles de celles que vous auriez combattues il y a quatre ans, puisque, je le rappelle, l’actuelle majorité n’a jamais voté aucun texte relatif à la sécurité des Français entre 2002 et 2012. Parmi ces mesures dont je me félicite, je retiendrai le plafonnement des cartes prépayées, le renforcement de la législation sur la détention d’armes ou les facilités de recueil des données techniques de connexion.
Je voudrais concentrer mon propos sur l’article 20 du projet de loi qui révèle, me semble-t-il, le malaise du Gouvernement pour traiter la difficile question du retour des djihadistes sur notre sol. J’observe tout d’abord avec une certaine satisfaction que nous sortons enfin de plus d’un an de déni sur le sujet. Que ce soit Mme Taubira ou le ministre de l’intérieur, le Gouvernement s’était évertué jusque-là à nous faire un décompte précis pour nous expliquer que les individus qui rentrent de Syrie ou d’Irak sont tous connus et tous suivis par la justice. Pourtant, avec ce texte, alors que « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles », comme nous l’explique le docteur Pangloss, alias Bernard Cazeneuve, nous découvrons, presque étonnés tant nous sommes confiants dans la parole du Gouvernement…
...cette mesure nouvelle de « contrôle administratif des retours sur le territoire national ». À quoi peut-elle correspondre ?
Il y aurait donc bien quelques problèmes de gestion des djihadistes de retour. Le ministre de l’intérieur nous a d’ailleurs indiqué, lors de sa présentation du texte cet après-midi, qu’ « au 12 février dernier, sur les 254 individus recensés par la DGSI et dont il a pu être établi qu’ils avaient séjourné dans la zone syro-irakienne ou dans tout autre zone de conflit terroriste, 143 seulement ont pu faire l’objet d’une procédure judiciaire. » Il faut donc en conclure que les autres sont considérés comme de simples touristes. Vous reconnaissez le problème, mais vous n’y apportez évidemment qu’une réponse timide.
En effet, alors que nous vous demandons depuis plus d’un an une mesure de rétention administrative pour avoir le temps de faire toutes les investigations nécessaires, vous nous proposez dans ce texte d’instaurer une simple assignation à résidence, avec les limites que chacun connaît.
Pour des personnes qui ont exprimé la volonté de participer à des activités terroristes et à des actes de guerre, et sont passés à l’action, c’est évidemment bien faible. En clair, même si nous avons changé de ministre de la justice – plusieurs d’entre nous avaient alors exprimé un a priori plutôt favorable –, il semble que la doctrine Taubira, qui consiste à refuser de considérer ces personnes qui partent faire le djihad comme des acteurs de crimes de guerre ou de génocides ou, du moins, des complices de ces crimes, elle, n’a pas changé. Elle est toujours celle de votre gouvernement.
Pourtant, la France est aujourd’hui en guerre et ces individus ont pris les armes contre elle. Nous sommes en guerre : le chef de l’État l’a solennellement affirmé devant le Congrès le 16 novembre 2015, et je vous rappelle que le 25 novembre, dans cet hémicycle, nous avons voté l’autorisation de la prolongation de l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien, en application de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution. Cette guerre n’a malheureusement pas été déclarée sur le plan pénal. Aucune circulaire n’a adapté notre politique pénale depuis cette date, alors que l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, revendiquée par Mme Taubira dans sa circulaire du 5 décembre 2014 comme fondement sinon unique, du moins principal, de toute poursuite, est désormais totalement à côté de la plaque.
Ce sont plutôt les dispositions du livre IV bis du code pénal, notamment pour les crimes envers les populations civiles, qui devraient servir de fondement à vos poursuites. Il n’est pas acceptable en effet, ainsi que l’a rappelé Pierre Lellouche, que des djihadistes soient remis en liberté par des juges au motif qu’ils ont un emploi, qu’ils sont mariés ou qu’ils ont déjà été « trop longtemps séparés de leurs enfants », comme cela a été le cas en 2015 ! Deux tribunaux ont également récemment condamné des djihadistes français à des peines assez légères, au motif qu’il était nécessaire de « trouver un équilibre entre répression et volonté de réinsertion ».
La rédaction de l’article 20 poursuit, hélas, dans cette voie empreinte d’angélisme, en prévoyant une limitation de la liberté des djihadistes de retour en France qui reste compatible, et conciliable, pour reprendre les mots du rapporteur, avec une « vie familiale et professionnelle normale ». Tout cela est évidemment, là encore, à côté de la plaque et représente une source ingérable d’inquiétude, de désordre et de préoccupation pour nos forces de sécurité. Même si ce texte était encore trop pour l’ancienne garde des sceaux, chacun peut le constater, l’esprit de Mme Taubira demeure. Vos préoccupations sont bien mal placées à l’égard d’individus, repentis ou pas, qui, à un moment donné, ont pris la décision de quitter leur pays, la France, pour rejoindre, en vue de leur prêter main-forte, des criminels coupables d’atrocités sans nom à l’égard de populations civiles.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre des finances et des comptes publics, monsieur le président de la commission, madame et monsieur les co-rapporteurs, le code de procédure pénale est entré en vigueur il y a près de soixante ans. Il fait l’objet dans le présent projet de loi d’une nouvelle réforme qui apporte sa pierre au compromis historique posé dès l’origine entre exigence de sécurité et protection des libertés individuelles, compromis entre deux exigences parfois vécues comme antagonistes, contradictoires, objet souvent de débats et de controverses finalement salutaires pour aboutir au point d’équilibre.
Depuis 1959, la procédure pénale a fait l’objet de modifications régulières. Il y a trois raisons majeures à cela. D’abord, il est heureux que nous soyons à la recherche constante d’une plus grande efficacité, de procédures plus rapides, plus simples, ajustées également, il faut bien l’avouer, à la pénurie récurrente des moyens. Le code de procédure pénale a intégré ensuite l’influence grandissante des normes internationales, principalement européennes, et des autres sources du droit comme la jurisprudence constitutionnelle. Surtout, le législateur a toujours eu le souci d’adapter la procédure pénale à l’apparition des nouvelles formes de délinquance. Il l’a fait par exemple à plusieurs reprises en matière de lutte contre le terrorisme, notamment au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 par la loi sur la sécurité quotidienne, qui introduit dans le droit positif des mesures spécifiques, les premières du genre, liées à la conservation des données issues de l’usage d’internet.
C’est armé de ces trois mêmes intentions – efficacité, intégration des évolutions des autres sources du droit et lutte contre les nouvelles formes de délinquance – que le Gouvernement nous soumet le projet de loi dont nous entamons aujourd’hui la discussion en première lecture.
Ce texte vise à plus d’efficacité, quand il apporte des moyens nouveaux au parquet et au juge d’instruction ou renforce leurs moyens existants, ou quand il facilite le recueil et l’exploitation des témoignages par la protection des témoins. Il vise surtout à plus d’efficacité lorsqu’il s’attaque à une simplification à tous les étages de la procédure pénale pour faciliter le travail des enquêteurs et des magistrats.
Le projet de loi offre également plus de garanties, lorsqu’il clarifie les missions du procureur de la République et renforce la dimension contradictoire de l’enquête préliminaire. La commission a renforcé ces garanties en adoptant un certain nombre d’amendements déposés par le Gouvernement ou par nos rapporteurs.
Le texte adapte, enfin, notre procédure pénale aux nouvelles menaces et aux nouveaux types de délinquance, lorsqu’il prévoit de nouveaux moyens et une répression accrue contre le trafic de biens culturels provenant de théâtres d’opérations de groupements terroristes, contre le blanchiment et le financement du terrorisme, contre la cybercriminalité et enfin contre les trafics d’armes.
Sur ce dernier point, je veux dire combien nous pouvons mesurer, en nous comparant à d’autres grandes démocraties, la chance qui est la nôtre de vivre dans un pays qui bénéficie d’une tolérance minimum et, subséquemment, d’un droit extrêmement restrictif à la détention d’armes. De même, nous pouvons nous réjouir de la retenue avec laquelle nous abordons dans ce texte la situation des policiers et gendarmes confrontés à la nécessité de faire usage de leurs armes en cas de périple meurtrier.
Si la matière pénale est et doit rester une matière vivante, les réformes de la procédure pénale ont parfois été prises en otage par la recherche du profit politique maximum. Des réformes guidées par l’agitation du moment ont pu nous éloigner d’une vision d’ensemble et durable de la procédure et du procès pénal. Tel n’est pas le cas dans ce projet de loi, et je m’en réjouis.
De ce point de vue, l’allégorie de la caverne développée par notre collègue Ciotti éclaire utilement les propositions de l’opposition.
Vous avez fait un tabac, monsieur Ciotti !
Sourires.
Elles ne sont que des réponses aux préjugés, aux sens plutôt qu’à la raison, à l’habitude plutôt qu’à la vérité. À l’allégorie de la caverne de Ciotti, nous préférons l’allégorie de Platon, qui nous enseigne la nécessité de rejeter toute idée reçue, de s’interroger sur l’ordre établi, sur la relation à l’autorité, et de rechercher la vérité. Pour notre part, nous ne voulons pas légiférer pour les ombres projetées sur les murs de la caverne.
Depuis longtemps, la doctrine, les professionnels et les associations de victimes aspirent à une réforme globale, à une réforme répondant à la question de la multiplication des procédures et clarifiant durablement le nouvel équilibre, ou plutôt le nouveau déséquilibre qui s’est installé, avec les années, au profit du parquet.
Ce projet de loi ne répond que partiellement à cette aspiration, mais il est ambitieux dans sa volonté d’efficience, de simplification et d’adaptation aux nouvelles menaces. Il doit être aussi ambitieux dans sa volonté de préserver les grands principes et les valeurs qui fondent la procédure pénale et le procès pénal depuis 1959. À ces principes, qui sont rappelés, depuis la loi du 15 juin 2000, dans un article préliminaire de notre code de procédure pénale, nous avons ajouté celui de l’indépendance du parquet, établi par la loi du 25 juillet 2013.
Dans le prolongement du Gouvernement, notre assemblée se met au service de cette balance nécessaire entre exigence de sécurité et protection impérieuse des libertés individuelles. Nos discussions doivent tendre encore davantage vers le parfait point d’équilibre auquel, au sein du groupe socialiste, nous aspirons tous.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre des finances, mes chers collègues, le combat mené contre les ennemis de la civilisation doit s’appuyer sur plusieurs axes de travail. Je remarque d’ailleurs qu’il manque un ministre pour mener cette réflexion : je veux parler de l’excellent nouveau ministre des affaires étrangères, dont j’espère qu’il aura une vision plus gaullienne des relations internationales que son prédécesseur.
Nous ne pourrons pas parler du financement de l’État islamique et des terroristes sans évoquer les alliances désastreuses avec les Saoud, alliés au poison mortel du sunnisme qu’est le wahhabisme, ni les financements qataris, ni les dernières provocations de Riyad qui prétend vouloir intervenir sur le sol syrien. Or il faut rappeler que la Syrie est un État souverain,…
C’est une critique en règle de la politique étrangère menée par Nicolas Sarkozy !
…quelle que soit l’opinion que l’on ait par ailleurs sur son président, qui est à la tête de la seule structure légale et qui tient encore, sur le terrain, sans l’appui des islamistes, qu’il s’agisse d’Al-Qaida, d’où vient M. Al-Baghdadi, d’al-Nosra ou de l’État islamique.
Messieurs les ministres, je veux rappeler ici l’effet désastreux de l’embargo sur le peuple syrien. Cet embargo détruit les entreprises ; il réduit les Syriens à la misère et les pousse soit à immigrer, soit à rejoindre l’État islamique pour 300 dollars par mois. Voilà la réalité internationale !
S’agissant de votre projet de loi, je conviens qu’il est animé de bonnes intentions. Mais je voudrais insister sur un domaine tout à fait particulier, qui nécessiterait des mesures d’urgence. Sans doute serez-vous sensible à mes arguments, monsieur le garde des sceaux – M. le Premier ministre l’y était également lorsqu’il occupait d’autres fonctions. Je veux parler du milieu carcéral.
Depuis plusieurs années, un chef islamiste qui ne jouit plus des marques de reconnaissance qu’il avait autrefois gouverne en parallèle les prisons de France, en particulier les centrales de France.
Dans le monde d’aujourd’hui, nombreux sont les prisonniers qui ne vont plus au parloir, parce qu’ils en ont assez de servir de mules pour les caïds islamistes qui dominent les prisons de France.
Dans le monde d’aujourd’hui, les portiques installés à l’entrée des prisons sont totalement inefficaces, et leurs normes d’emploi totalement irréalistes. D’autres possibilités techniques, moins coûteuses, auraient pourtant pu être installées. Il faut faire évoluer la législation, de sorte que les visiteurs soient également fouillés.
Est-il normal, monsieur le garde des sceaux, que les agents des brigades cynophiles de l’administration pénitentiaire ne soient pas armés, contrairement à leurs camarades policiers et gendarmes ?
Est-il normal, monsieur le garde des sceaux, que votre prédécesseur ait fait sciemment scier les bâtons de défense de nos gardiens de prison ?
Est-il normal, monsieur le garde des sceaux, qu’un détenu de Condé-sur-Sarthe se fasse livrer par palette un colis de près de 50 kilos, alors que la limite autorisée est de 5 kilos ?
Est-il normal, monsieur le garde des sceaux, que l’on saisisse l’ordinateur d’un détenu lourdement condamné, qui contenait une liste de compatriotes journalistes supposés être de confession juive, mais qu’on le rende à son usager après l’avoir vidé ? Les détenus n’ont le droit de disposer d’un ordinateur que dans la perspective de leur réinsertion. Une première mesure serait simplement de faire appliquer le règlement de l’administration pénitentiaire.
Est-il normal qu’un tiers des locaux de la prison de Condé-sur-Sarthe aient été saccagés, détruits par les détenus ? Est-il normal qu’un détenu ait sciemment détruit une porte et que la seule réponse du directeur soit de faire remplacer rapidement la porte, et non de punir le détenu en question ? Nous avons trop souffert du laxisme et de la paresse. Depuis des années, nous avons cédé trop de terrain dans le milieu carcéral.
Est-il normal, monsieur le garde des sceaux, que les gardiens de prison ne soient pas armés quand ils emmènent un détenu dangereux à l’hôpital, alors qu’ils le sont quand ils accompagnent le même détenu lors d’un transfèrement ou d’une audience devant un magistrat ? Sous prétexte qu’il irait à l’hôpital, ce détenu serait-il devenu tout à coup moins dangereux ?
Est-il normal que les gilets pare-balles de nos gardiens ne soient pas aux normes de ceux de notre armée de terre ?
Vous le voyez, monsieur le garde des sceaux : vous prenez vos fonctions dans un moment difficile pour la nation. J’espère que nous pourrons compter sur vous. Les agents de l’administration pénitentiaire font un travail de plus en plus difficile, de plus en plus lourd. Depuis des années, leur administration centrale est sourde.
Enfin, monsieur le garde des sceaux, on parle d’unités de déradicalisation. On dit que 800 détenus seraient fichés, mais seules 100 places sont prévues dans ces unités. Que va-t-on y faire ?
S’agissant du renseignement pénitentiaire, les spécialistes attendus ne sont toujours pas présents. Tant que la République continuera de sous-payer ces spécialistes, nous ne les recruterons pas.
Nous avons donc des carences en matière de renseignement, nous manquons de traducteurs et nous avons des problèmes de sécurité dans nos centrales. On sait que l’hôpital public et la prison représentent la société avec dix années d’avance : c’est pourquoi les députés du groupe Les Républicains ont largement de quoi être inquiets !
Je ne dis pas ici que les uns ou les autres ont fait mieux. Mais, monsieur le garde des sceaux, nous comptons sur votre courage et votre ténacité pour aller au-delà de la démagogie et des belles paroles superficielles, et changer totalement la politique de la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre des finances, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, « le combat contre le terrorisme se mène inlassablement, avec les armes de la République ». Cette phrase prononcée par le ministre de l’intérieur, nous devons l’avoir en tête durant l’ensemble de l’examen de ce projet de loi.
Depuis 2012, le Président de la République et les gouvernements successifs ont considérablement renforcé notre arsenal de défense face à la menace insidieuse que peut être le terrorisme. Ils ont créé des postes dans la police, la justice et la gendarmerie. Ils ont fait voter les lois du 21 décembre 2012 et du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Ils ont élaboré le plan antiterroriste du 21 janvier 2015. Ils ont aussi mené, depuis septembre 2014, des opérations militaires en Irak et en Syrie.
Malgré cela, les procès en laxisme n’ont pas manqué. Nous venons d’en entendre encore un bel exemple. Au fond, une partie de l’échiquier politique n’a jamais accepté que la gauche se saisisse des questions de sécurité, avec le souci constant de la justice, de la proportion et de l’efficacité. À l’opposé, des accusations de pratiques dignes de régimes totalitaires se sont également fait entendre, les unes répondant finalement aux autres, de façon parfois étonnante, d’un bout à l’autre de cet hémicycle.
Nous connaissons les positions de chacun dans notre assemblée. Au fond, on peut être pour ou contre certaines dispositions, pour ou contre l’utilisation de caméras mobiles par les policiers municipaux, pour ou contre la possibilité pour les policiers, après un contrôle d’identité, de retenir pendant quatre heures maximum un suspect pour recueillir des informations à son sujet. Toutes ces mesures seront débattues : c’est le rôle du Parlement. Mais méfions-nous des positions caricaturales qui seraient motivées par de mauvaises raisons. Certains ne voient les choses qu’à travers un prisme ultra-sécuritaire, prêts à sacrifier des pans entiers de nos libertés. À l’inverse, d’autres pensent que la liberté, c’est tout accepter, ne rien contrôler, ne rien changer et tout risquer.
Ce texte, amélioré par le travail déjà réalisé en commission, est un point d’équilibre entre ces deux écueils : il vise à garantir à la fois la sécurité et la liberté de nos concitoyens. C’est même la marque de ce gouvernement et de cette majorité, qui ont pu s’appuyer sur l’excellent travail de nos rapporteurs. Au fond, le sens de ce projet de loi, c’est de mettre un point final au vieux débat qui consiste à opposer systématiquement sécurité et liberté.
La République est responsable de tous ses enfants. La gauche a une responsabilité particulière dans la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, car le grand combat de la gauche, c’est celui des libertés, collectives et individuelles. Et qu’y a-t-il de plus liberticide, pour nos concitoyens, que de ne pas se sentir en sécurité dans nos rues, nos restaurants, nos salles de spectacles ou nos stades ? Quelle pire confiscation de liberté que celle qui consiste à instaurer la peur, à priver les Françaises et les Français de la sérénité qui est leur droit le plus légitime ? Vivre dans la peur, c’est ne pas vivre libre.
Il est temps de retrouver l’attitude qui s’impose face à la situation qui est la nôtre, celle de la France, de l’Europe et du monde dans son ensemble. Il est temps de remplir le mandat qui nous a été confié et de trouver, ensemble, le chemin de la raison, celui de l’action tournée résolument et exclusivement vers l’intérêt général, celui des Françaises et des Français que notre devoir est de servir. Pour y parvenir, le Président de la République, devant le Parlement réuni en Congrès, comme le Premier ministre, ici même le 27 janvier dernier, ont rappelé la nécessité de nous rassembler pour prendre ces décisions essentielles, dans le seul intérêt de la nation et du peuple français.
Nous ne pouvons pas tricher sur des sujets aussi fondamentaux que celui de la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Le défi que nous devons relever est supérieur aux postures idéologiques qui nous opposent, souvent de façon légitime, mais qui sont aujourd’hui déplacées, voire indécentes. Sachons toutes et tous nous montrer à la hauteur.
Ce texte répond aux inquiétudes exprimées par certains quant à l’application de l’état d’urgence, dont nous avons très largement voté une nouvelle prorogation il y a deux semaines et qui doit rester une mesure exceptionnelle et transitoire.
Il est donc nécessaire de créer les conditions permettant de renforcer l’efficacité de celles et ceux qui mènent au quotidien la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Il est nécessaire, aussi, de compléter l’arsenal de prévention que la loi relative au renseignement a accru et encadré. Il est nécessaire, enfin, de simplifier les procédures pour faciliter le travail des enquêteurs et des magistrats, dans le respect des principes constitutionnels et de la séparation des pouvoirs.
C’est évidemment ce que prévoit ce texte. Je ne doute pas que le travail déjà réalisé et le travail que nous réaliserons encore permettront son adoption extrêmement large par notre Parlement.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Je veux dire quelques mots pour remercier les seize parlementaires, issus de tous les groupes, qui ont souhaité s’exprimer dans le cadre de la discussion générale. J’en retiens la conviction que nous partageons le même but, celui de faire en sorte que notre législation soit la plus adaptée et la plus performante pour répondre aux défis qui sont les nôtres.
Il me semble que le texte du Gouvernement a été salué, au moins pour les intentions qui l’animent, et parfois même en citant certaines mesures qui recueillent d’ores et déjà l’assentiment de tous les parlementaires. Je ne doute pas que la discussion des articles permettra de consolider ces points d’accord, voire de les élargir, permettant ainsi d’avoir un vote assez massif au sein de cet hémicycle.
Je ne crois pas que nous ayons des désaccords fondamentaux sur l’ensemble des sujets. Il peut y avoir, ici ou là, des aspirations, des exigences non satisfaites, des espérances, mais en tout état de cause, je veux redire la disposition du Gouvernement et vous assurer de l’écoute dont nous allons faire preuve, Bernard Cazeneuve, Michel Sapin et moi-même.
Un dernier mot, pour conclure, s’agissant de l’autorité judiciaire. Des observateurs et des acteurs du monde judiciaire ont exprimé des inquiétudes relayées dans cet hémicycle. Je tiens à dire que celles-ci ne sont pas fondées.
Nous bénéficions en effet d’un texte incroyablement fort, insuffisamment rappelé, à savoir l’article 66 de la Constitution, qui dispose que l’autorité judiciaire est la gardienne des libertés. Il est loin de constituer une disposition technique de la Constitution de 1958 : c’était la première fois que cet aspect de préservation des libertés figurait dans un texte fondamental.
Auparavant, des éléments de cet ordre figuraient dans le code d’instruction criminelle de 1807, ou encore dans le nouveau code de procédure pénale de 1958. Mais en 1958, le constituant a, pour la première fois, introduit cet article 66 dont personne n’envisage la remise en cause.
Le Conseil constitutionnel a eu, à de multiples reprises, l’occasion de dire qu’il y a deux ordres de juridiction : l’ordre administratif, pour l’essentiel dans la prévention, et l’ordre judiciaire pour la répression, même s’il peut y avoir des éléments de discussion ou d’interprétation. Mais la jurisprudence est constante.
Le Gouvernement est évidemment soucieux de la séparation des pouvoirs, du respect des deux ordres. Deux juges pour protéger les libertés : nous aurions bien tort de nous en plaindre ! Je veux souligner ici l’attachement à l’autorité judiciaire, à son rôle particulier, singulier, définitif. Nous aurons l’occasion de le rappeler à l’occasion de la discussion des amendements, qui recueilleront pour certains – pas pour tous – l’assentiment du Gouvernement. Quoi qu’il en soit, telle est l’intention générale.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Je vous informe qu’à la demande du Gouvernement, nous examinerons demain, après les questions au Gouvernement, par priorité, les dispositions qui relèvent de la compétence du ministre de l’intérieur, c’est-à-dire les articles 7, 9, 10, 17 à 21, ainsi que les amendements portant articles additionnels après l’article 21, les amendements portant articles additionnels avant l’article 32 A, l’article 32 et les amendements portant articles additionnels après l’article 32.
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Suite de la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-deux heures quarante-cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly