Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le présent projet de loi est un texte stratégique et difficile.
Stratégique, parce qu’il a vocation à permettre la sortie de l’état d’urgence sans que pour autant la menace terroriste trouve à se libérer, ce qui serait évidemment dangereux pour notre sécurité.
Difficile, mais quel texte ne l’est pas, parce qu’il doit répondre à la fois à l’exigence de prévention des risques que font peser sur nous les acteurs du crime organisé et du terrorisme et à l’exigence de garanties apportées à nos droits et libertés résultant de notre droit interne comme du droit international et européen.
Si, au regard de cette actualité meurtrière de 2015 – ici, en France, et dans le monde – ainsi que des attentats déjoués en 2016, il est en quelque sorte attendu que nous dotions de moyens efficaces les forces de police, de gendarmerie, les douanes, le renseignement, mais aussi que nous prenions des mesures adaptées pour les aider dans ce travail ardu et nouveau tendant à prévenir l’attentat fatal, il est tout aussi essentiel pour nous de veiller au respect de la vie privée et au droit à un procès équitable – respect des droits de la défense et débat contradictoire – ainsi qu’à la mise en place d’une procédure identifiée permettant à tout un chacun de se défendre.
Il importe de sécuriser encore quelques points de ce texte et de clarifier et expliquer la portée de certaines mesures – je pense notamment aux articles 18, 19 et 20. S’agissant de l’article 18, j’aimerais, en ce qui me concerne, comprendre son articulation avec le nouveau statut de suspect libre, adopté en mai 2014, du fait d’une stricte transposition en droit interne d’une directive européenne. Celle-ci encadre les personnes auditionnées librement pendant une durée maximale de quatre heures et fait obligation de les informer des faits qui peuvent leur être reprochés.
La France a trop souvent été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour son système judiciaire, et aucun d’entre nous ne souhaite que le texte comporte une mesure de police susceptible d’être contestée. Le débat permettra d’exercer notre vigilance commune.
Le chapitre IV, dont j’ai plus particulièrement la charge, a pour objet d’améliorer la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et plus particulièrement les investigations de Tracfin, la cellule de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins. Ce service de renseignement spécifique, appartenant au ministère de l’économie et des finances, recueille et analyse les renseignements financiers. L’évolution institutionnelle qui s’est produite en 2015 le place désormais dans le coeur opérationnel des services de renseignement, et les éléments financiers pertinents qu’il apporte peuvent aider à la judiciarisation des dossiers.
À partir des modalités connues du financement du terrorisme, le texte propose d’abord la création d’une infraction réprimant le trafic de biens culturels émanant de théâtres d’opérations de groupements terroristes. Il prévoit également l’encadrement des cartes prépayées, qui peuvent être distribuées de façon anonyme. Il ne s’agit pas de les interdire, mais de pallier le manque actuel de traçabilité, en permettant la conservation des éléments d’identité lors de l’achat de la carte et le retrait de l’argent liquide. Tracfin pourra aussi appeler à la vigilance les professionnels assujettis à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et leur signaler de manière confidentielle des secteurs géographiques ou des personnes physiques ou morales présentant des risques élevés de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
Un processus volontariste est ainsi engagé avec ce projet de loi ; un processus nécessaire au nom de l’intérêt général, pour prévenir un danger qui était connu depuis longtemps, mais contre lequel nos outils n’étaient pas adaptés.
En matière douanière, enfin, il est prévu un renversement partiel de la charge de la preuve de l’infraction concernant l’origine illicite des fonds qui concourent au financement du terrorisme, dès lors que les autres éléments du délit de blanchiment douanier sont établis. Le Conseil constitutionnel, comme la Cour européenne des droits de l’homme, a admis cette présomption de responsabilité, à condition que l’enjeu soit réel et que les droits de la défense soient préservés.
Certains d’entre nous – notamment le député Jean-Michel Clément – ont souhaité compléter ce chapitre en déposant des amendements mettant l’accent sur la contrefaçon. Lors de l’examen de la loi renforçant la lutte contre la contrefaçon, adoptée en 2014, nous avions en effet noté que les flux internationaux de contrefaçons ont de plus en plus de liens avec des organisations criminelles organisées transnationales.
Ce texte annonce aussi, par bien des aspects, le projet de loi sur la justice du XXIe siècle. C’est la raison pour laquelle notre groupe a repoussé plusieurs amendements qui auront toute leur place dans le texte à venir.
Mais, au-delà des textes et du cadre qu’ils tracent à l’action administrative ou judiciaire, se pose, plus que jamais, la question des effectifs et des moyens matériels au service de la protection de la nation, que ce soit en termes de sécurité ou de justice.