Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre des finances et des comptes publics, monsieur le président de la commission, madame et monsieur les co-rapporteurs, chers collègues, nous sommes amenés, de nouveau, à nous poser la question de l’adaptation de notre cadre législatif et réglementaire pour combattre efficacement la menace terroriste. Ce travail, nous l’avons mené à plusieurs reprises depuis 2012, notamment avec les lois de décembre 2012, de novembre 2014 et de juillet 2015. Bien sûr, le renforcement continu, ces dernières années, aussi bien en moyens financiers qu’en ressources humaines, des services concourant à la lutte contre le terrorisme, et l’instauration de l’état d’urgence, prorogé à deux reprises par le Parlement, participent à l’élargissement de la diversité des outils mis à la disposition de l’État pour répondre à la menace très réelle qui nous a frappés à deux reprises l’année dernière.
L’ambition du projet de loi aujourd’hui soumis à notre discussion commune est de couvrir autant que faire se peut la réalité terroriste dans deux de ses aspects : sa nature protéiforme, soulignée dans le rapport de Pascal Popelin, et sa capacité d’adaptation permanente. En poursuivant ces objectifs, nous mettons parallèlement en place les conditions de la sortie de l’état d’urgence. Le projet de loi s’inscrit donc dans une orientation générale que l’on ne peut qu’approuver.
Il contient en conséquence un ensemble de dispositions dont l’évidence s’impose. Je pense particulièrement au renforcement du cadre législatif en matière de contrôle d’armes à feu et de lutte contre les trafics dans ce domaine, à l’amélioration des outils de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, notamment pour empêcher les nouveaux trafics de biens culturels issus de théâtres d’opérations de groupements terroristes, ou bien encore à l’essentiel du titre II en matière de procédure pénale. Je tiens particulièrement à saluer, sur ce dernier volet, le grand progrès que représente le renforcement de la dimension contradictoire de l’enquête préliminaire, qui est une mesure de grande portée.
Une fois ces éléments positifs soulignés, il reste à voir si le projet de loi répond bien aux objectifs d’ensemble fixés et si les dispositions proposées sont à la fois en adéquation avec les besoins de la lutte antiterroriste et respectueuses des libertés publiques. Comme certains ont déjà eu l’occasion de le souligner, il nous paraît essentiel d’obtenir, à l’issue de nos travaux, un texte équilibré de ce point de vue. Pour l’instant, nous n’y sommes pas encore.
Les travaux de la commission des lois ont déjà permis de franchir d’importantes étapes vers cet objectif s’agissant de points particulièrement sensibles du texte. Il en est ainsi de l’article 18 instaurant une nouvelle retenue administrative pour les cas de suspicions sérieuses d’activités à caractère terroriste. Sur proposition du rapporteur, nous avons précisé ce qu’il était possible de faire ou non dans le cadre de cette procédure et nous avons amélioré les garanties concernant les mineurs. Il nous faudra néanmoins aller plus loin et plusieurs amendements proposés seront de nature, j’en suis sûre, à améliorer le niveau des garanties pour bien délimiter le champ de cette nouveauté qui ne vise et ne doit viser, bien sûr, que les contrôles et les vérifications d’identité renforcés en cas de soupçon clair d’une connexion terroriste.
Je pense également à l’article 19, qui nourrit beaucoup d’interrogations quant à sa portée pratique et opérationnelle. Il a été amélioré sur proposition du rapporteur et de Mme Pochon, notamment par la suppression de la notion de « temps rapproché », qui posait une difficulté d’interprétation certaine dans l’appréciation de l’état de nécessité. Ces améliorations ont permis de mieux intégrer les apports de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous pouvons encore aller plus loin, particulièrement en ce qui concerne la notion de réitération que nous considérons comme l’un des éléments essentiels pour caractériser l’état de nécessité dans le cadre d’un périple meurtrier.
Les modifications apportées à l’article 20 ont enfin été déterminantes. Ses dispositions instaurent un cadre administratif des retours sur le territoire national. Ceux qui ont lu, sans doute un peu vite, la version initiale du projet de loi y ont vu l’introduction dans le droit commun d’une mesure qui est du ressort de l’état d’urgence. Après le travail survenu en commission et compte tenu des amendements à venir, c’est une lecture que je ne partage pas.
Le travail en commission a permis de réintroduire une logique judiciaire et même de la faire primer sur la logique administrative si elle a lieu de s’exercer. Le parquet sera ainsi informé préalablement à toute mesure de contrôle administratif. Nous pouvons aller plus loin en resserrant le champ des publics visés qui, en l’état actuel des choses, est trop large. Je pense notamment à la notion de « tentative » dont le périmètre est pour le moins très large.
Le travail sur les articles qui ont fait l’objet des discussions les plus nourries ne s’est pas achevé là. Nous avons collectivement avancé sur d’autres sujets : je pense notamment au renforcement des garanties en matière de perquisition de nuit, avec l’intégration de propositions du Défenseur des droits, ou aux articles additionnels votés sur la proposition de Mme Capdevielle, visant à compléter et à améliorer le déroulement de la procédure pénale.
Une part importante du travail pourra, je l’espère du moins, être accomplie en séance publique à partir de demain et parachever le travail commencé pour amener le texte au point d’équilibre, que j’ai déjà évoqué, entre objectif d’efficacité, d’une part, et respect des libertés publiques et de nos principes fondamentaux, d’autre part. Dans cette perspective, je tiens à saluer l’écoute attentive, depuis le début de l’examen du texte, du Gouvernement dans sa transversalité sur les problématiques soulevées par les parlementaires.
Il est heureux que le délai de dépôt des amendements ait été prolongé, car cela nous a permis de mieux travailler, dans cette période difficile. Sur un projet de loi qui engage autant, cet état d’esprit est non seulement légitime, mais même indispensable pour avancer vers l’équilibre souhaité. C’est pourquoi il faut continuer de le faire vivre. Ce sera difficile, je le sais. Nous ne parviendrons pas à la perfection, que ce soit en raison de la brièveté des délais, du recours à la procédure accélérée, parfois de certaines postures, et enfin de nos lacunes. Mais je me fierai aux mots de René Char pour nous guider : « L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne. »