Intervention de Pascal Saint-Amans

Réunion du 9 février 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économique, OCDE :

Monsieur Bleunven, ces critiques ne viennent pas des pays en développement, mais plutôt des organisations non gouvernementales (ONG) ; ce n'est pas tout à fait pareil. Les ONG sont certes très bien intentionnées et font un travail remarquable, mais elles ont parfois tendance à parler à la place des pays en développement eux-mêmes. Nous avions plus de seize pays en développement autour de la table, dont le Sénégal, le Kenya, le Rwanda, le Ghana, l'Afrique du Sud, l'Uruguay, le Pérou et le Vietnam, et ils sont assez grands pour parler en leur nom propre. Ils ne nous ont pas reproché de ne pas être associés.

Il est important de le souligner, car les ONG ont mené une campagne autour du slogan : « Si vous n'êtes pas à la table, vous êtes sur le menu. » C'est un proverbe africain qui fait beaucoup d'effet, mais il n'est pas pertinent pour ce projet, dont l'objet est de mettre fin aux paradis fiscaux, ce qui profite à tout le monde de manière égale.

S'il faut réunir deux cent pays pour se mettre d'accord dans un cadre onusien, soit, mais nous n'obtiendrons jamais d'accord. Nous avons utilisé la dynamique politique qui existait au G20 avec l'OCDE, en y incluant progressivement inclus le plus grand nombre de pays en voie de développement.

Vous avez tout à fait raison de souligner qu'en termes relatifs, ils sont plus affectés que les pays développés car ils dépendent davantage de l'impôt sur les sociétés. Mais sur ce sujet, la division ne se fait pas entre pays développés et pays en voie de développement, comme les ONG l'ont laissé entendre à tort. La ligne de partage est entre les paradis fiscaux, ou les petites économies ouvertes qui ont profité de la mondialisation, et les pays qui taxent ou qui veulent taxer pour assurer leur développement.

Ce travail ne se fait donc pas au détriment des pays en voie de développement, qui ont d'ailleurs été intégrés. Nous venons d'ailleurs de concevoir un mécanisme pour que les pays en développement intéressés par nos travaux puissent se retrouver dans les semaines qui viennent sur un pied d'égalité avec tous les pays de l'OCDE et du G20. Ce mécanisme très important sera présenté aux ministres des finances du G20 très prochainement.

Une question demeure : si les revenus des entreprises ne vont plus dans des paradis fiscaux, ils devront être partagés là où la valeur est créée. Il faut donc déterminer où est créée cette valeur. C'est une question vieille de plus d'un siècle, et qui va continuer à animer les États. Il faut que les pays en développement comme les pays développés puissent, sur un pied d'égalité, discuter des techniques fiscales telles que la taxation à la source ou la taxation à la résidence. Un pays comme la France, qui est plutôt exportateur de capitaux, aura tendance à privilégier la taxation à la résidence ; tandis qu'un pays en développement, plutôt importateur de capitaux, voudra taxer les paiements d'intérêts ou de dividendes qui quittent son territoire, ou taxer les établissements stables des entreprises étrangères, donc taxer à la source.

Ce débat aura lieu, mais jusqu'à présent, les profits n'étaient ni à la source, ni à la résidence, mais dans un paradis fiscal. Les travaux BEPS vont permettre que ces profits ne soient plus expédiés dans les paradis fiscaux : il faudra qu'ils soient partagés entre pays développés et pays en voie de développement. Il existe des règles, qui figurent aujourd'hui dans les conventions fiscales, il y a une dynamique, et il faudra peut-être rééquilibrer ces droits de taxer.

Mais les pays en développement ont des visions bien plus complexes que le discours parfois relayé par les ONG. Ils veulent taxer, certes, mais aussi attirer des investissements, décisifs pour leur croissance. Les petits pays ne sont pas dans la même situation que les grands pays émergents, qui ont un marché et qui peuvent décider du prix à payer pour investir chez eux : les équilibres ne sont pas les mêmes pour la Chine ou l'Inde, dont les populations dépassent le milliard d'habitants, et pour l'Afrique du Sud où vivent quelques dizaines de millions de personnes. Ces questions feront l'objet d'un débat au sein du cadre inclusif que nous sommes en train de mettre en place, et tous les pays intéressés seront invités à y prendre part.

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