Commission des affaires étrangères

Réunion du 9 février 2016 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), sur la lutte contre l'érosion des bases fiscales et le transfert des profits des grandes entreprises

La séance est ouverte à dix-sept heures.

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Nous accueillons aujourd'hui M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

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Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économique, OCDE

Merci de votre invitation. Les travaux de l'OCDE en matière de fiscalité internationale au cours des dernières années, au delà de leur haute technicité, sont en réalité très politiques. Permettez-moi de vous dire d'où nous venons, où nous en sommes, et où nous allons.

Le système mondial est fait de souverainetés fiscales, dont vous êtes l'incarnation : le consentement à l'impôt est au coeur de la souveraineté de l'État. La communauté internationale est faite d'États souverains qui se soucient assez peu de ce qui se passe à l'étranger, sauf pour éliminer des doubles impositions par des conventions fiscales ad hoc.

Mais la mondialisation de l'économie a fait émerger de nouveaux acteurs: des personnes physiques, qui peuvent assez facilement délocaliser leurs actifs grâce à la liberté de circulation des capitaux, et des multinationales dont le poids relatif dans l'économie mondiale est en forte croissance. Ces multinationales peuvent choisir sous quelle souveraineté elles souhaitent se placer, d'autant que les règles internationales existantes, limitées à l'élimination de la double imposition, n'ont pas suivi le rythme de la mondialisation, ce qui a permis l'apparition de situations de « double non-imposition ». L'exploitation des défaillances de la faible réglementation fiscale internationale permet à certains contribuables de localiser leurs profits dans des ordres juridiques où il n'y a pas d'impôts, et où aucune activité ne prend place.

Ce problème est connu depuis longtemps, il semblait inéluctable, et les États avaient renoncé à agir, faute d'urgence. La crise de 2008 a entraîné l'apparition du G 20 et l'émergence de ce que nous pourrions qualifier de gouvernance mondiale, suscitant une réaction politique de tous les gouvernements du monde, de droite comme de gauche, et les poussant à agir.

Le problème politique est qu'à l'heure où la TVA, l'impôt sur le revenu des personnes physiques et les contributions qui pèsent sur les facteurs non mobiles de production augmentent, il est très difficile d'accepter que les facteurs mobiles de production soient peu ou pas taxés non par décision des parlements, mais parce que des règles obscures de fiscalité internationale – prix de transfert, conventions fiscales – n'ont pas été actualisées de la bonne manière.

Un autre volet du problème est relatif non à l'évasion fiscale – qui est légale – mais à la fraude fiscale : pendant des années, des États ont refusé d'assister les autres à recouvrer leurs impôts dans l'exercice de leur souveraineté, au nom du fameux secret bancaire opposé à l'échange de renseignements fiscaux à travers le monde.

La création du G20 en 2008 a permis de changer radicalement ces choses sous deux aspects.

En premier lieu, l'OCDE a établi en 2009 une liste de pays qui, sous la pression du G20, se sont engagés à échanger les renseignements à des fins fiscales ; c'était l'échange de renseignements à la demande. Il a été suivi, en 2013, par la multilatéralisation des règles du Foreign account tax compliance act (FATCA), permettant à l'échange automatique de renseignements bancaires de devenir une réalité pour tous les pays du monde. Hormis Panama, qui n'a pas pris d'engagement clair mais pratiquera néanmoins l'échange automatique de renseignements, quatre-vingt-seize juridictions dont la Suisse, Singapour, le Luxembourg, Hong Kong, Jersey, Guernesey ou les îles Caïman vont, à compter de 2017, échanger automatiquement des renseignements sur les résidents bancaires d'autres pays. Cette évolution se traduit d'ores et déjà par des rentrées fiscales : la France a collecté plus de 6 milliards d'euros d'impôts sur des actifs détenus à l'étranger. Une partie de cette somme est due à un effet de rattrapage, mais les revenus générés par les actifs déclarés à l'étranger continueront à alimenter les impôts dans les années à venir.

En second lieu, l'OCDE a été mandatée par le G20 pour travailler à la lutte contre l'érosion des bases fiscales et les transferts des bénéfices, plus connue sous son acronyme anglais : BEPS, pour base erosion and profit shifting. Nous avons proposé au G20 de prendre ce sujet à bras-le-corps en 2012, et il nous a mandaté en 2013 pour proposer, en deux ans, quinze actions permettant de changer fondamentalement l'ensemble des règles de fiscalité internationale et de réaligner la localisation des profits sur celle des activités.

Du fait de la souveraineté fiscale, il n'y a pas aujourd'hui de consensus pour s'accorder sur des niveaux minimums d'imposition ; les pays sont donc libres de fixer les niveaux d'imposition qu'ils veulent. Néanmoins, il existe un accord général pour que la fiscalité d'un État s'applique aux activités créant de la valeur sur son sol. Il ne faut pas que des artifices juridiques permettent de localiser des profits dans un territoire où l'on n'a pas d'activité réelle. Il faut donc refaire coïncider la localisation des profits et celle des activités. En conséquence, si une société veut bénéficier du taux d'imposition de 12,5 % en vigueur en Irlande, il faut vraiment qu'elle y soit présente, avec de vraies équipes, et qu'elle ne fasse pas passer ses profits aux Bermudes. Pour vous donner un exemple ; 2 100 milliards de profits de sociétés américaines sont transférés entre les Bermudes et lesîles Caïman, ce qui représente plus de 700 milliards de dollars d'impôts « évadés » des États-Unis en toute légalité.

Le G20 nous a donc demandé de changer les règles. Tout d'abord, il faut s'assurer que, lorsque les États légifèrent, ils n'ignorent pas ce qui se passe chez les autres. Ensuite, il faut que les règles de fiscalité internationale ne connaissent plus de défaillances : les règles de prix de transfert ne doivent pas faire l'objet d'abus et les conventions fiscales doivent prévoir des dispositions qui évitent, par exemple, que 27 % de l'investissement direct en Inde provienne de l'île Maurice. Enfin, il faut plus de transparence entre les différentes administrations – c'est la coopération fiscale – mais aussi entre les contribuables et les administrations fiscales, par exemple grâce à des déclarations de montage ou au reporting pays par pays, qui obligera les entreprises à dévoiler à toutes les administrations fiscales des pays où elles opèrent la localisation de leur chiffre d'affaires, de leurs profits, leurs impôts, leurs employés et leurs actifs. Ainsi les administrations fiscales auront des instruments leur donnant une vraie vision de la planification globale des entreprises.

Quinze mesures ont fait l'objet d'un accord par consensus de tous les pays-membres de l'OCDE et du G20. Parmi ces mesures, on trouve l'action 11, relative au chiffrage : au niveau mondial, entre 100 et 240 milliards de dollars par an s'échappent à cause de ce phénomène d'érosion des bases fiscales et de transferts de bénéfice. Les quatorze autres mesures permettent de traiter le problème.

Cet accord rassemble l'ensemble du G20, de l'OCDE et un certain nombre de pays en voie de développement, le tout représentant près de 90 % de l'économie mondiale. Il est aujourd'hui en phase d'application, et vous avez d'ores et déjà commencé à l'appliquer en votant le reporting pays par pays dans le projet de loi de finances pour 2016.

Toute une série de mesures relèvent soit du Parlement, soit de l'exécutif, soit de négociations internationales. Un exemple de législation nationale possible concerne la lutte contre les produits hybrides, afin qu'une obligation convertible en action ne bénéficie pas d'une déduction dans un pays où on la considère comme une obligation et d'une exonération en France où on la considérera comme une action. Ce mécanisme créerait un crédit d'impôt à l'intérieur du groupe, parce que les deux États concernés ne communiquent pas. Il suffit d'adopter des législations permettant de neutraliser le caractère hybride de ces produits ; l'action 2 propose un modèle de législation dans ce domaine.

En plus de ces mesures législatives internes, qui relèvent des parlements, il faut modifier les conventions fiscales bilatérales pour que le chalandage fiscal ne soit plus possible. Nous proposons un nouveau modèle de convention fiscale, dont l'entrée en vigueur ne dépendra pas de la modification des quelque 3 500 conventions fiscales existantes. L'action 15 prévoit la négociation d'une convention multilatérale qui amendera, dans le domaine BEPS, l'ensemble des conventions bilatérales liant les parties à cet instrument multilatéral. Cette convention fera naturellement l'objet d'une ratification parlementaire dans tous les pays signataires. Aujourd'hui, quatre-vingt seize pays négocient cette convention multilatérale, et comme nous sommes impatients, l'objectif de la négociation est d'aboutir à la fin de l'année 2016, de manière à modifier plus de 2 000 conventions fiscales bilatérales et mettre ainsi fin au chalandage fiscal.

L'ensemble de ces mesures a été définitivement adopté : tous les chefs d'État et de gouvernement du G20 les ont acceptées lors du sommet d'Antalya. Ils nous ont maintenant demandé de mettre en place un cadre inclusif pour leur application, de manière à placer tous les pays du monde sur un pied d'égalité. Les parlements nationaux doivent pouvoir protéger la base taxable de leur territoire en adoptant ces mesures de manière coordonnée, car s'il est très important de mettre fin à l'évasion fiscale internationale, il ne faut pas aboutir à une situation chaotique qui se traduirait par un recul des investissements, dont tout le monde a besoin pour la croissance et l'emploi, priorités partagées quelles que soient les appartenances partisanes.

À ce sujet, nous essayons d'organiser le 2 mai prochain une réunion des parlementaires des pays membres de l'OCDE et des parlementaires européens, puisque la Commission européenne a proposé un ensemble de directives pour appliquer l'accord au sein de l'Union européenne. Vous serez naturellement invités à cette occasion pour dialoguer avec vos homologues des pays membres de l'OCDE et de l'Union européenne.

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Il faut saluer le volontarisme de l'OCDE sur ce dossier important. Cependant, certaines critiques ont été formulées à l'encontre du processus de consultation des pays en développement. Ces derniers reprochent à l'OCDE et au G20 de prendre leurs décisions de manière unilatérale sans tenir compte des propositions ou des préoccupations spécifiques des pays en développement. Pourtant, ces pays sont les plus affectés par les pratiques d'évasion fiscale des entreprises. Que répondez-vous à ces critiques ?

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Vous affirmez qu'entre 100 et 240 milliards de dollars pourraient être récupérés, et l'on constate que les pays qui pourraient en profiter prioritairement sont les pays en voie de développement.

Comment va-t-on faire jouer les vases communicants pour que les recettes soient affectées là où elles devraient aller ?

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Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économique, OCDE

Monsieur Bleunven, ces critiques ne viennent pas des pays en développement, mais plutôt des organisations non gouvernementales (ONG) ; ce n'est pas tout à fait pareil. Les ONG sont certes très bien intentionnées et font un travail remarquable, mais elles ont parfois tendance à parler à la place des pays en développement eux-mêmes. Nous avions plus de seize pays en développement autour de la table, dont le Sénégal, le Kenya, le Rwanda, le Ghana, l'Afrique du Sud, l'Uruguay, le Pérou et le Vietnam, et ils sont assez grands pour parler en leur nom propre. Ils ne nous ont pas reproché de ne pas être associés.

Il est important de le souligner, car les ONG ont mené une campagne autour du slogan : « Si vous n'êtes pas à la table, vous êtes sur le menu. » C'est un proverbe africain qui fait beaucoup d'effet, mais il n'est pas pertinent pour ce projet, dont l'objet est de mettre fin aux paradis fiscaux, ce qui profite à tout le monde de manière égale.

S'il faut réunir deux cent pays pour se mettre d'accord dans un cadre onusien, soit, mais nous n'obtiendrons jamais d'accord. Nous avons utilisé la dynamique politique qui existait au G20 avec l'OCDE, en y incluant progressivement inclus le plus grand nombre de pays en voie de développement.

Vous avez tout à fait raison de souligner qu'en termes relatifs, ils sont plus affectés que les pays développés car ils dépendent davantage de l'impôt sur les sociétés. Mais sur ce sujet, la division ne se fait pas entre pays développés et pays en voie de développement, comme les ONG l'ont laissé entendre à tort. La ligne de partage est entre les paradis fiscaux, ou les petites économies ouvertes qui ont profité de la mondialisation, et les pays qui taxent ou qui veulent taxer pour assurer leur développement.

Ce travail ne se fait donc pas au détriment des pays en voie de développement, qui ont d'ailleurs été intégrés. Nous venons d'ailleurs de concevoir un mécanisme pour que les pays en développement intéressés par nos travaux puissent se retrouver dans les semaines qui viennent sur un pied d'égalité avec tous les pays de l'OCDE et du G20. Ce mécanisme très important sera présenté aux ministres des finances du G20 très prochainement.

Une question demeure : si les revenus des entreprises ne vont plus dans des paradis fiscaux, ils devront être partagés là où la valeur est créée. Il faut donc déterminer où est créée cette valeur. C'est une question vieille de plus d'un siècle, et qui va continuer à animer les États. Il faut que les pays en développement comme les pays développés puissent, sur un pied d'égalité, discuter des techniques fiscales telles que la taxation à la source ou la taxation à la résidence. Un pays comme la France, qui est plutôt exportateur de capitaux, aura tendance à privilégier la taxation à la résidence ; tandis qu'un pays en développement, plutôt importateur de capitaux, voudra taxer les paiements d'intérêts ou de dividendes qui quittent son territoire, ou taxer les établissements stables des entreprises étrangères, donc taxer à la source.

Ce débat aura lieu, mais jusqu'à présent, les profits n'étaient ni à la source, ni à la résidence, mais dans un paradis fiscal. Les travaux BEPS vont permettre que ces profits ne soient plus expédiés dans les paradis fiscaux : il faudra qu'ils soient partagés entre pays développés et pays en voie de développement. Il existe des règles, qui figurent aujourd'hui dans les conventions fiscales, il y a une dynamique, et il faudra peut-être rééquilibrer ces droits de taxer.

Mais les pays en développement ont des visions bien plus complexes que le discours parfois relayé par les ONG. Ils veulent taxer, certes, mais aussi attirer des investissements, décisifs pour leur croissance. Les petits pays ne sont pas dans la même situation que les grands pays émergents, qui ont un marché et qui peuvent décider du prix à payer pour investir chez eux : les équilibres ne sont pas les mêmes pour la Chine ou l'Inde, dont les populations dépassent le milliard d'habitants, et pour l'Afrique du Sud où vivent quelques dizaines de millions de personnes. Ces questions feront l'objet d'un débat au sein du cadre inclusif que nous sommes en train de mettre en place, et tous les pays intéressés seront invités à y prendre part.

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Vous avez évoqué la règle de localisation des profits et des activités, en citant des exemples extrêmes. Hors de ces exemples extrêmes, la question des prix de transfert est essentielle : c'est une optimisation fiscale qui est plus subtile qu'il n'y paraît, et il est possible, grâce aux prix, de transférer des profits. Cette matière est tellement complexe et difficile que l'on se demande si les États ont les moyens d'aller au fond des choses et de contrôler les prix de transfert dans le cadre de la lutte contre les optimisations fiscales.

S'agissant par ailleurs de l'exemple de l'Irlande et de son taux d'imposition sur les résultats des sociétés, les choses sont plus complexes qu'on ne veut bien le dire. Si l'Irlande a effectivement un taux bas, les bases d'imposition y sont très larges, de telle sorte que la part des recettes fiscales de cette imposition dans le PIB irlandais est plus élevée qu'en France. Nous affichons des taux nominaux extrêmement élevés – en comptant les surcotes et les divers mécanismes, il n'est pas loin de 40 % – mais les bases peuvent être à ce point réduites qu'en réalité, pour les grandes entreprises qui bénéficient du crédit impôt recherche (CIR), d'un amortissement très dégressif et de la localisation des bénéfices dans le pays où se trouve le siège du groupe, le taux peut descendre à 7 %. C'est notoirement inférieur au taux que ces groupes paieraient en Irlande. J'en viens à me demander si l'exemple irlandais n'est pas un effet de communication assez réussi plutôt qu'une réalité fiscale, en tout cas sur le point précis de l'imposition des sociétés.

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Est-ce que la convention sera pleinement applicable dans les états fédérés, et particulièrement aux États-Unis ? On évoque souvent le cas de l'Etat du Delaware, est-ce que la signature des États-Unis engage toutes les autorités publiques, notamment les états fédérés ?

Par ailleurs, dans la zone Asie-Pacifique, quels États restent peu coopératifs ? Je m'interroge notamment sur la situation du Vanuatu.

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Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économique, OCDE

Le problème du Delaware est un problème d'accès aux informations sur les bénéficiaires effectifs ; il s'agit plutôt d'une question de secret bancaire que d'évasion fiscale. On peut y dissimuler la propriété d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée – single limited liability partnership en anglais. Les États-Unis se sont engagés internationalement à échanger des renseignements, et ils sont conscients qu'ils doivent régler ce problème d'opacité qui est assez important. En tout cas, les banquiers suisses s'en plaignent beaucoup aujourd'hui.

S'agissant des États peu coopératifs, le Forum mondial que nous avons mis en place en 2009, après que les États se sont engagés à échanger des renseignements, identifie les pratiques. Tous les États qui ont une activité financière se sont engagés, sauf le Liban. Nous savons que ce pays a d'autres problèmes par ailleurs et que ce n'est peut-être pas l'urgence première à ses yeux, mais il constitue une vraie source d'évasion et de fraude fiscale.

D'autres pays ont pris les engagements, mais les appliquent mal : Panama est l'un d'entre eux, sa volonté de faire de l'échange automatique de renseignements est très faible. Tous les pays ont pris l'engagement de procéder à l'échange automatique de renseignements sauf Panama, Vanuatu, Bahreïn et Nauru. Nous sommes en train de réfléchir aux moyens d'organiser une pression du G20 sur ces territoires pour qu'ils changent de position.

Un mécanisme de suivi a été mis en place : il ne suffit pas de prendre des engagements, il faut en vérifier l'effectivité, d'où la mise en place du Forum mondial en 2009. Il comprend aujourd'hui 131 États, sur un pied d'égalité, et réalise des examens par les pairs. Ces examens sont publics et donnent lieu à une notation globale par pays, ce qui est le meilleur moyen d'identifier les bons et les mauvais élèves. Ce que ne faisait pas le Groupe d'action financière (GAFI), nous le faisons au sein du Forum mondial. Nous avons même mis en place un code couleur : vert pour les pays totalement conformes, jaune pour ceux qui sont largement conformes, orange pour les pays partiellement conformes, et du rouge pour ceux qui ne sont pas conformes. Une dizaine d'États sont classés en rouge aujourd'hui, et nous sommes en train de travailler avec eux.

Nous sommes en train de vivre un changement fondamental : vos homologues suisses sont en train de voter des lois qui changent radicalement l'approche fiscale de ce pays. Aujourd'hui, la Suisse échange des renseignements à la demande de manière satisfaisante – nous sommes en ce moment en train d'évaluer sa performance à cet égard – et s'est engagée à mettre en place l'échange automatique à la fin de l'année 2016. C'est un changement dont je ne pensais pas être témoin de mon vivant.

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Pour revenir sur le Delaware, les États-Unis se sont engagés à faire le maximum, mais il n'y a pas de prééminence du droit fédéral en cette matière. Concrètement, rien n'empêche donc les autorités du Delaware de s'engager à agir, mais de ne rien faire ?

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Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économique, OCDE

C'est un sujet très compliqué. Constitutionnellement, l'État fédéral n'a pas tous les pouvoirs, mais il a certaines compétences, qu'il est en train d'exercer. Fondamentalement, les États-Unis se sont engagés à échanger des renseignements de façon réciproque avec les pays de leur choix. C'est un engagement international fort.

Toutefois, le GAFI et le Forum mondial pointent un problème, limité mais important : dans tous les états fédérés – mais en pratique, le cas se pose uniquement dans le Delaware – il n'est pas obligatoire de dévoiler qui est le bénéficiaire effectif d'un single limited liability partnership. Par conséquent, un terroriste ou n'importe qui d'autre peut avoir un single LLP aux États-Unis ; si la France demande des renseignements sur le bénéficiaire de cette entreprise, l'information ne sera pas disponible. Il y a donc un trou dans la législation, limité à des cas particuliers. Aux États-Unis, les single LLP sont largement utilisés pour les activités d'artisans et autres, comme les entreprises unipersonnelles à responsabilité en France, mais ces structures peuvent être utilisées internationalement. Les États-Unis sont en train d'y travailler, et ils sont conscients de la pression croissante qui s'exerce sur eux pour que la réciprocité soit totale en matière d'échange de renseignements.

S'agissant des prix de transfert, il faut se garder de tomber dans le piège : cette question peut paraître trop simple ou trop compliquée. Les prix de transferts obligent les entreprises à « jouer à la marchande » pour que chaque État récupère la matière taxable qui lui appartient. Dans l'hypothèse où les taux et les bases d'imposition seraient partout identiques, il importe peu au directeur financier d'une entreprise que le bénéfice soit taxé dans un pays ou un autre. Mais, pour les pays en question, ce n'est pas sans importance : c'est de la matière taxable. Puisqu'il n'y a qu'un seul décideur au sein d'un groupe, les États ont édicté une règle en 1928, dans le premier modèle de convention fiscale de la Société des nations, qui oblige les entreprises à « jouer à la marchande » en facturant les biens et les services comme s'ils étaient facturés à un tiers. Le prix doit donc être conforme au marché.

Le principe est simple, il est prévu à l'article 9 des plus de cent dix conventions fiscales de la France, mais il est très difficile à mettre en oeuvre. L'OCDE a publié en 1995 des principes directeurs pour expliquer comment appliquer ce principe ; le document faisait plus de deux cent pages.

Manifestement, ces principes directeurs sont insuffisants et font la part trop belle à une approche purement juridique des choses, de sorte qu'a fini par se généraliser le schéma suivant : une entité juridique dans laquelle beaucoup de capitaux sont placés va aussitôt redistribuer ces capitaux pour financer la recherche et le développement. Et puisque cette entité est juridiquement autonome, l'ensemble des profits lui reviennent en vertu des règles de prix de transfert. Avec le projet BEPS, nous avons proposé une approche plus économique pour que l'on ne puisse plus aboutir à ce schéma, grâce aux actions 8 à 10.

Enfin, vous avez tout à fait raison en ce qui concerne le taux et la base d'imposition : l'impôt versé est le produit d'une base et d'un taux. L'objectif de BEPS est de faire en sorte que l'on élargisse la base fiscale pour limiter l'évasion internationale et la délocalisation des profits dans des juridictions où il ne se passe rien. Il appartient donc aux États de protéger leur matière taxable en appliquant le plan BEPS.

Ce plan a aussi pour objet d'éviter que des juridictions offrent des régimes fiscaux dommageables à la base taxable des autres. En d'autres mots, rien n'empêche l'Irlande de fixer un taux à 12,5 %, car nous ne savons pas quel est le bon taux d'imposition et chaque pays est souverain. En revanche, le fait d'avoir un régime de taxation de la propriété intellectuelle à des taux réduits, alors que ce régime va s'appliquer aussi à la propriété intellectuelle développée à l'étranger – imaginons un brevet développé en France en bénéficiant du crédit d'impôt recherche qui serait délocalisé dans un pays offrant cette « boîte à brevets » – consiste en un transfert de matière taxable qui n'est pas légitime.

L'action 5 du plan d'action prévoit un lien entre le bénéfice de la boîte à brevets et la localisation des activités qui ont généré ce profit, de manière à ce que le bénéfice de la boîte à brevets ne soit accordé qu'aux profits générés par de l'activité locale. C'est ce qui a été fait, et vous avez raison de regarder non seulement le taux, mais aussi la base. Jusqu'à présent, l'Irlande avait un taux faible tout en donnant la possibilité de transférer une partie des profits aux Bermudes par des entités hybrides, c'est ce que l'on appelait le « double irlandais ». Le plan d'action BEPS y a mis fin, d'ailleurs l'Irlande l'a anticipé en prenant une mesure unilatérale pour y mettre fin. De ce fait, aujourd'hui, il y a vraiment un taux de 12,5 % sur une base large. D'ailleurs, la base taxable irlandaise a augmenté de 40 % l'an dernier, ce qui démontre une bien moindre évasion fiscale vers les Bermudes grâce au plan BEPS.

Examen, ouvert à la presse, du projet de loi autorisant la ratification de l'accord portant création de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (n° 3218) – M. Michel Destot, rapporteur.

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Nous examinons, sur le rapport de M. Michel Destot, le projet de loi autorisant la ratification de l'accord portant création de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (n° 3218).

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Monsieur le Président, mes chers collègues, il nous est proposé aujourd'hui d'autoriser la ratification de l'accord portant création de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures, ou BAII.

La création de la BAII a été annoncée par le président chinois en octobre 2013, devant le parlement indonésien, afin de « soutenir le processus d'interconnexion et d'intégration du développement économique de la région ».

Le positionnement de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures correspond à un besoin économique réel.

Son champ d'intervention géographique correspond au continent asiatique et à l'Océanie. Son périmètre thématique se limitera initialement aux transports, à l'énergie, à l'eau et à l'assainissement, mais pourra par la suite être étendu aux ports, à la protection de l'environnement, au développement urbain, aux technologies de l'information et de la communication, aux infrastructures rurales et au développement agricole.

Le besoin de financement de long terme en matière de développement des infrastructures en Asie est en effet estimé par la Banque mondiale en 2010 à 8 000 milliards de dollars US entre 2010 et 2020. Des régions comme l'Asie du Sud, l'Asie du Sud-Est ou l'Asie centrale présentent, à l'exception de quelques pays, des besoins particulièrement élevés dans ce domaine.

Pour la Chine, il s'agit tout d'abord de faciliter le déplacement des exportations et des importations chinoises en améliorant la qualité des ports et des routes du Sud de l'Asie, voire en créant de nouvelles voies, éventuellement ferroviaires, afin de relier la Chine à l'Europe. On pense en effet à la fameuse « route de la soie ». L'amélioration des infrastructures devrait également amener plus d'investissements dans la région.

La création de la BAII est aussi l'occasion de renforcer la présence de la Chine au sein des institutions financières internationales, au sein desquelles elle se considère aujourd'hui comme insuffisamment représentée compte tenu de la place qu'elle occupe désormais dans l'économie mondiale. À titre d'exemple, la part de capital détenue par la Chine au sein de la Banque asiatique de Développement ne s'élève qu'à 6,5 %, contre 15,6 % pour les États-Unis et 15,7 % pour le Japon, dont un ressortissant occupe la présidence.

En prenant l'initiative de créer cette nouvelle institution, la Chine entendait donc remédier à ces deux problèmes.

Il est cependant permis de se demander pour quelle raison la France a fait le choix d'adhérer à la BAII.

La décision de rejoindre le groupe des membres fondateurs de la BAII a été prise par la France au mois de mars 2015, peu de temps après la décision similaire du Royaume-Uni et en même temps que plusieurs États européens, dont l'Allemagne et l'Italie.

Le statut de membre fondateur potentiel permettait en effet de participer aux négociations en vue de l'élaboration des statuts de la banque sans prendre l'engagement formel de participer par la suite à son capital. Or, à ce stade, deux attitudes étaient possibles pour les grands États.

La première, qui a été celle des États-Unis et du Japon, consistait à voir dans la BAII une institution concurrente de celles déjà existantes et un outil au service de l'expansion économique chinoise. Il est vrai que la Chine prévoyait alors de détenir la moitié du capital de la BAII, qu'elle aurait alors presque entièrement contrôlée.

La deuxième attitude consistait à voir au contraire dans cette banque un moyen de placer les investissements régionaux chinois dans un cadre plus coopératif et d'inciter la Chine à s'insérer réellement dans le groupe des principaux acteurs de l'aide au développement.

C'est ce choix qu'ont fait la France et ses partenaires européens. Grâce à une coordination entre les 17 pays européens membres fondateurs de la BAII autour d'un noyau dur de six pays : l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l'Italie, les Pays-Bas et la Suisse, des modifications importantes aux statuts de la banque ont pu être obtenues.

En matière de gouvernance, la Chine a ainsi réduit sa part du capital de la Banque de 50 % à environ 30 % et ses droits de vote à 26,06 %. Elle reste donc le principal État-membre, mais ne dispose plus d'un droit de veto de fait sur les sujets requérant une majorité qualifiée.

Par ailleurs, la part de capital de la banque allouée aux États non régionaux, qui s'élève à 25 %, pourra être élargie à 30 % en vue d'une éventuelle adhésion des États-Unis et du Canada.

Les Européens ont également obtenu des modifications en matière d'environnement, de droit social, de politiques financières et de relations avec les autres institutions.

En matière environnementale, le concept de développement durable est désormais explicitement mentionné dans les statuts de la banque. La Banque s'engage également à assister ses pays bénéficiaires pour mettre en oeuvre les annonces faites dans le cadre de la COP21. En matière de droit du travail, le travail des enfants et le travail forcé ont été ajoutés à la liste d'exclusion. Les droits fonciers légitimes mais non formalisés sont par ailleurs pris en compte dans le cadre des déplacements et relocalisations de populations qui seraient rendus nécessaires par des travaux d'infrastructures financés par la Banque.

Enfin, les standards de la Banque en matière environnementale et sociale et en matière de règles de passation de marchés lui permettront de mettre en place des cofinancements, notamment avec les bailleurs bilatéraux.

Contrairement à ce que l'on aurait pu craindre, la Chine s'est montrée ouverte aux modifications proposées par les Européens. Elle est et demeurera le principal membre de la BAII, dont le siège se trouve à Pékin et dont le président est chinois, mais n'en sera pas le décideur unique. En contrepartie, la BAII devient une institution pleinement multilatérale, dont les standards et la méthodologie lui permettent d'agir de façon complémentaire et coordonnée avec les institutions existantes, ce qui est profitable à la fois à la Chine et aux principaux donateurs internationaux.

La place de la France au sein de la BAII est liée à la part de capital qu'elle y détient, laquelle est proportionnelle à son produit intérieur brut. La part de la France s'élève ainsi à 3,37 % du capital, soit 3 375 millions de dollars US, dont 675,12 millions de parts appelées qui devront être versées sur cinq ans. L'accord étant entré en vigueur au deuxième semestre de 2015, avant la ratification de l'accord par la France, cette dernière devra verser en 2016 les deux premières tranches, soit 270 millions de dollars US, puis une tranche de 135 millions de dollars US par an pendant trois ans.

Compte tenu du mode de calcul des droits de vote au sein de l'institution, la France détiendra 3,19 % des droits de vote totaux des membres de la Banque et 11,9 % des droits de vote des membres non-régionaux.

Mais c'est par la coordination entre les membres européens de l'institution que l'influence de ces derniers se trouvera maximisée. Sur les douze membres que comptera son conseil d'administration, trois seront des membres non régionaux, dont deux seront européens. L'un de ces deux sièges sera occupé à tour de rôle par un État membre de la zone euro, l'autre par un État non membre de la zone euro, en vertu d'un accord de rotation agréé en décembre 2015 permettant à chaque pays d'occuper tour à tour un siège de membre ou de suppléant du Conseil d'administration.

L'accord dont nous sommes saisis contient onze chapitres, soixante articles et deux annexes.

La Banque a pu commencer ses opérations dès l'entrée en vigueur de l'accord, qui a eu lieu le 25 décembre 2015, les conditions prévues à son article 59 étant réunies, puisque 17 pays, dont les contributions prévues agrégées représentent 50,1 % des souscriptions totales prévues, avaient déposé leur instruments de contribution à cette date.

C'est donc en tenant compte du caractère pressant de la ratification de cet accord par la France que je vous invite à adopter le projet de loi qui nous est soumis.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

On ne peut que se féliciter de cet accord. Sa ratification sera une façon de marquer notre intérêt pour une partie du monde qui compte des territoires français, des pays amis et des francophones.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 3218) sans modification.

Information relative à la commission

Au cours de sa réunion du mardi 9 février 2016 à 17h00, la commission des affaires étrangères a nommé :

– M. Boinali Said, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail sur le travail forcé, 1930 (n° 3454).

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.