Intervention de Pascal Saint-Amans

Réunion du 9 février 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économique, OCDE :

C'est un sujet très compliqué. Constitutionnellement, l'État fédéral n'a pas tous les pouvoirs, mais il a certaines compétences, qu'il est en train d'exercer. Fondamentalement, les États-Unis se sont engagés à échanger des renseignements de façon réciproque avec les pays de leur choix. C'est un engagement international fort.

Toutefois, le GAFI et le Forum mondial pointent un problème, limité mais important : dans tous les états fédérés – mais en pratique, le cas se pose uniquement dans le Delaware – il n'est pas obligatoire de dévoiler qui est le bénéficiaire effectif d'un single limited liability partnership. Par conséquent, un terroriste ou n'importe qui d'autre peut avoir un single LLP aux États-Unis ; si la France demande des renseignements sur le bénéficiaire de cette entreprise, l'information ne sera pas disponible. Il y a donc un trou dans la législation, limité à des cas particuliers. Aux États-Unis, les single LLP sont largement utilisés pour les activités d'artisans et autres, comme les entreprises unipersonnelles à responsabilité en France, mais ces structures peuvent être utilisées internationalement. Les États-Unis sont en train d'y travailler, et ils sont conscients de la pression croissante qui s'exerce sur eux pour que la réciprocité soit totale en matière d'échange de renseignements.

S'agissant des prix de transfert, il faut se garder de tomber dans le piège : cette question peut paraître trop simple ou trop compliquée. Les prix de transferts obligent les entreprises à « jouer à la marchande » pour que chaque État récupère la matière taxable qui lui appartient. Dans l'hypothèse où les taux et les bases d'imposition seraient partout identiques, il importe peu au directeur financier d'une entreprise que le bénéfice soit taxé dans un pays ou un autre. Mais, pour les pays en question, ce n'est pas sans importance : c'est de la matière taxable. Puisqu'il n'y a qu'un seul décideur au sein d'un groupe, les États ont édicté une règle en 1928, dans le premier modèle de convention fiscale de la Société des nations, qui oblige les entreprises à « jouer à la marchande » en facturant les biens et les services comme s'ils étaient facturés à un tiers. Le prix doit donc être conforme au marché.

Le principe est simple, il est prévu à l'article 9 des plus de cent dix conventions fiscales de la France, mais il est très difficile à mettre en oeuvre. L'OCDE a publié en 1995 des principes directeurs pour expliquer comment appliquer ce principe ; le document faisait plus de deux cent pages.

Manifestement, ces principes directeurs sont insuffisants et font la part trop belle à une approche purement juridique des choses, de sorte qu'a fini par se généraliser le schéma suivant : une entité juridique dans laquelle beaucoup de capitaux sont placés va aussitôt redistribuer ces capitaux pour financer la recherche et le développement. Et puisque cette entité est juridiquement autonome, l'ensemble des profits lui reviennent en vertu des règles de prix de transfert. Avec le projet BEPS, nous avons proposé une approche plus économique pour que l'on ne puisse plus aboutir à ce schéma, grâce aux actions 8 à 10.

Enfin, vous avez tout à fait raison en ce qui concerne le taux et la base d'imposition : l'impôt versé est le produit d'une base et d'un taux. L'objectif de BEPS est de faire en sorte que l'on élargisse la base fiscale pour limiter l'évasion internationale et la délocalisation des profits dans des juridictions où il ne se passe rien. Il appartient donc aux États de protéger leur matière taxable en appliquant le plan BEPS.

Ce plan a aussi pour objet d'éviter que des juridictions offrent des régimes fiscaux dommageables à la base taxable des autres. En d'autres mots, rien n'empêche l'Irlande de fixer un taux à 12,5 %, car nous ne savons pas quel est le bon taux d'imposition et chaque pays est souverain. En revanche, le fait d'avoir un régime de taxation de la propriété intellectuelle à des taux réduits, alors que ce régime va s'appliquer aussi à la propriété intellectuelle développée à l'étranger – imaginons un brevet développé en France en bénéficiant du crédit d'impôt recherche qui serait délocalisé dans un pays offrant cette « boîte à brevets » – consiste en un transfert de matière taxable qui n'est pas légitime.

L'action 5 du plan d'action prévoit un lien entre le bénéfice de la boîte à brevets et la localisation des activités qui ont généré ce profit, de manière à ce que le bénéfice de la boîte à brevets ne soit accordé qu'aux profits générés par de l'activité locale. C'est ce qui a été fait, et vous avez raison de regarder non seulement le taux, mais aussi la base. Jusqu'à présent, l'Irlande avait un taux faible tout en donnant la possibilité de transférer une partie des profits aux Bermudes par des entités hybrides, c'est ce que l'on appelait le « double irlandais ». Le plan d'action BEPS y a mis fin, d'ailleurs l'Irlande l'a anticipé en prenant une mesure unilatérale pour y mettre fin. De ce fait, aujourd'hui, il y a vraiment un taux de 12,5 % sur une base large. D'ailleurs, la base taxable irlandaise a augmenté de 40 % l'an dernier, ce qui démontre une bien moindre évasion fiscale vers les Bermudes grâce au plan BEPS.

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