Afin de dresser un tableau de la politique étrangère de M. Obama, j'aborderai trois chapitres : d'abord, la politique étrangère de Barack Obama est-elle le signe d'un désengagement américain ou d'une realpolitik avec laquelle il nous faut composer ? En deuxième lieu, quel est l'effet de cette évolution sur la politique étrangère française ? Je terminerai enfin par quatre points qui méritent une attention particulière dans nos relations avec les États-Unis.
Il existe de nombreuses critiques aux Etats-Unis à l'égard de la politique étrangère de M. Obama, jugée faible, mais il est aussi possible d'y voir non pas de la faiblesse mais du pragmatisme. Les États-Unis sont-ils arrivés à la conclusion qu'ils ne veulent plus, ou ne peuvent plus, agir seuls ? M. Obama privilégie-t-il l'entremise diplomatique ? Il faut en premier lieu remettre en perspective cette question avec la scène politique intérieure américaine. M. Obama a été élu alors que l'opinion publique américaine ressentait les effets d'une « war fatigue », après une décennie d'interventions armées. En outre, l'autosuffisance énergétique programmée des États-Unis accroît leur indépendance vis-à-vis du Moyen-Orient et de la Russie, qui disposent de moins en moins de ce levier d'influence auprès des Etats-Unis. Ensuite, à l'instar d'autres pays soumis aux contraintes budgétaires, les États-Unis appellent aujourd'hui à « partager le fardeau » de la sécurité mondiale. Enfin, la révolution technologique — les drones, la cyber-technologie, les télécommunications — leur ouvre de nouvelles perspectives et les conduit à envisager leur rôle différemment.
Sur le plan extérieur, les États-Unis ont pris en compte la nouvelle donne internationale : le monde est devenu multipolaire — selon une expression que le président américain reprend lui-même désormais dans son discours. La Chine requiert une attention accrue : en témoignent les efforts de l'administration pour conclure le Partenariat Trans-Pacifique, l'activité chinoise en mer de Chine ainsi que les tentatives pour s'entendre sur les questions cyber.
Cette évolution correspond aux convictions de M. Obama. Il établit une distinction entre les « intérêts stratégiques » ou existentiels, pour reprendre son expression, et les autres, secondaires. Il considère qu'il n'incombe pas aux États-Unis d'assumer seuls la charge de la sécurité et de la paix internationales et que son pays ne peut pas reconstruire l'ensemble des Etats faillis et des sociétés qui s'effondrent, tâche qui incombe aux acteurs locaux. Les États-Unis sont prêts à apporter leur appui à leurs alliés, mais pas, ou plus, à faire les choses à leur place.
A cette fin, les États-Unis disposent d'une palette d'instruments — militaire, diplomatique et commercial — sur lesquels ils peuvent jouer pour exercer ce smart power — ou « puissance intelligente ». M. Obama est resté fidèle à cette approche depuis 2009, qu'il a définie comme une utilisation sage de la puissance militaire, cherchant à rallier le plus grand nombre aux causes « justes » du monde.
On trouve une illustration de cette politique au Proche et au Moyen-Orient : dans son dernier discours sur l'état de l'Union, le président américain a affirmé que Daech ne représentait pas une menace existentielle pour les États-Unis. Dans cet usage raisonné de la puissance, les opérations de précision sur le terrain prennent une part grandissante, avec l'utilisation de drones, de forces spéciales ou d'attaques ciblées. Il serait toutefois faux de dire que les États-Unis ne prennent pas leur part dans la coalition internationale : sur les 9 000 frappes de cette dernière, ils en ont réalisé 7 000.
Cette politique constitue-t-elle un succès ou un échec ? Dans le discours sur l'état de l'Union, M. Obama a souligné plusieurs succès de son mandat, en premier lieu l'aboutissement des négociations sur l'accord nucléaire iranien dans lequel l'administration s'est fortement impliquée pour parvenir à l'Implementation Day. Il a également cité la COP 21 et l'accord de Paris, dont le résultat — sans l'engagement des États-Unis — n'aurait pas été du niveau que l'on connait. Le président Obama a également souligné le succès de l'aboutissement des négociations du Partenariat Trans-Pacifique - bien que la ratification par le Congrès ne s'annonce pas facile - ; le succès de la lutte contre le virus Ebola ou encore la reprise des relations diplomatiques avec Cuba.
Ce discours laisse apparaître en creux les dossiers qui restent difficiles. Le premier est évidement celui du processus de paix au Proche-Orient sur lequel les Etats-Unis se sont toutefois mobilisés : John Kerry a rencontré M. Abbas à quarante reprises et M. Netanyahou soixante fois en l'espace d'un an et demi. Il est urgent d'élargir le cadre des discussions.
Avec la Russie, en dépit des efforts déployés en début de mandat, le « reset » — le redémarrage — n'a pas fonctionné ; les « irritants » persistent. Concernant la crise syrienne, les États-Unis continuent de privilégier la coalition arabo-occidentale, en formant et en armant les troupes locales, en conduisant des frappes aériennes, en cherchant à tarir les sources de financement de Daech et en surveillant la frontière turco-syrienne.
Les États-Unis défendent de grandes causes et de grands principes — par exemple la non-prolifération —, mais ils ont aussi en parallèle le souci de leurs intérêts, comme de nombreux pays. Il est manifeste que leur politique étrangère est devenue plus prudente et plus économe. C'est une politique étrangère qui est aussi sensible aux évolutions de l'opinion publique américaine. On notera qu'au début du second mandat de M. Obama, elle recueillait 50 % d'opinions favorables ; ce pourcentage est aujourd'hui de 33 %.
J'en viens à mon deuxième chapitre. Quelles peuvent être les conséquences de la nouvelle approche américaine sur la politique étrangère de la France ? En effet, cette position en retrait des Américains ouvre la possibilité de coopérations étroites avec leurs partenaires. Parmi ceux-ci, la France est un élément essentiel, reconnu pour sa contribution diplomatique et militaire : elle est le seul pays de l'Union européenne à disposer de tous les outils de l'autonomie stratégique ; elle s'engage sur le terrain, elle soutient des positions diplomatiques fermes et défend des valeurs similaires.
La relation franco-américaine connaît ainsi une dynamique exceptionnelle. La lutte contre le terrorisme est le meilleur exemple de cette coopération sur le plan diplomatique — on l'a vu avec la résolution 2178 sur les combattants terroristes étrangers ou avec le Comité des sanctions créé par le Conseil de sécurité des Nations unies à la suite de la résolution 1267.
Ceci se traduit aussi sur le terrain. L'action de la France a été soutenue par la mise à disposition de ressources logistiques et financières exceptionnelles, en particulier au Sahel. Les États-Unis ont apporté un appui dans le domaine des transports, de la logistique, du ravitaillement en vol et du partage du renseignement. Ils nous ont accordé un droit de tirage budgétaire pour les opérations Serval et Barkhane qui a été pérennisé. La coopération en matière de renseignement est également intense.
Les États-Unis demeurent un interlocuteur incontournable pour la résolution et la gestion des grandes crises internationales. Sur le nucléaire iranien, la France a joué un rôle fondamental. Jusqu'au bout, elle a soutenu la recherche d'un accord robuste, conforme à nos exigences en matière de non-prolifération. Mais il n'y aurait pas eu d'accord sans les États-Unis.
Sur l'Ukraine, malgré des divergences, les États-Unis ont apporté leur soutien aux négociations en « format Normandie » et à la mise en oeuvre du paquet des accords de Minsk.
Enfin, sur la COP21, la collaboration a été très positive. Les États-Unis, sans lesquels l'accord n'aurait pas été possible, ont notamment joué un rôle important pour convaincre la Chine d'en être partie prenante.
Cette dynamique exceptionnelle des relations bilatérales n'interdit pas les différences d'appréciation. Les États-Unis sont, comme d'autres, soucieux de leurs intérêts. À cet égard, je tiens à appeler votre attention sur plusieurs points.
En premier lieu, la politique étrangère américaine marque désormais une distinction nette entre les dossiers dans lesquels un intérêt stratégique ou existentiel est en jeu pour les Etats-Unis et le traitement des autres crises régionales. Le président Obama a lui-même indiqué dans le discours sur l'état de l'Union que Daech ne représentait pas une menace existentielle pour les Etats-Unis, ce qui a des implications sur la façon dont Washington voit la crise actuelle en Syrie.
En deuxième lieu, chacun sait désormais que les Etats-Unis investissent massivement dans les moyens de renseignement et le traitement des données dans le but de préserver leur sécurité. Cela peut conduire à des situations de tension avec les Etats européens comme nous l'avons observé récemment l'été dernier.
En troisième lieu, dans la compétition pour le développement des nouvelles technologies, les États-Unis tiennent à garder une avance, vue comme un élément essentiel de leur puissance.
En dernier lieu, en matière économique et commerciale, chacun doit être bien évidemment attentif à ses intérêts en parallèle des grandes opportunités qui peuvent exister entre l'Europe et les Etats-Unis. S'agissant des négociations du Partenariat Transatlantique sur le Commerce et l'Investissement (PTCI ou encore TAFTA), nous avons conscience que les États-Unis sont un partenaire économique majeur pour l'Union européenne, mais nous avons des intérêts offensifs et défensifs. Ces négociations seront cruciales pour l'avenir de nos relations.
En conclusion, je ferai deux remarques : la France et les États-Unis sont des partenaires incontournables. Nous avons besoin l'un de l'autre, ce n'est pas un aveu de faiblesse que de l'admettre. Notre réponse est plus forte quand elle est commune. Cela n'enlève rien à notre liberté d'action et d'appréciation. Des différences d'appréciation demeurent sur un certain nombre de sujets : Cuba, le conflit israélo-palestinien, la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, les relations entre la Russie et l'Ukraine ou la Syrie.
Il faut se réjouir de la vitalité de la relation franco-américaine et ne pas seulement raisonner dans la logique d'une relation du faible au fort. Chaque pays est respectivement le premier partenaire de l'autre pour les investissements croisés ; les échanges entre les jeunes sont particulièrement dynamiques ; l'image de la France s'améliore — 79 % des Américains ont aujourd'hui une bonne image de la France, contre 39 % au coeur du différent de 2003 sur la guerre en Irak. Le groupe d'amitié avec la France au Congrès américain est celui qui compte le plus de membres, avec 110 membres.