Intervention de C

Réunion du 9 février 2016 à 16h15
Mission d'information sur les moyens de daech

C, DGRIS :

Je vais rebondir sur cette conclusion: quand on se penche sur les moyens de Daech, on voit que cette organisation n'est pas un État, même si elle en possède certains attributs. Daech ne dispose pas de toute la panoplie de moyens normalement dévolue à un État ; il s'agit bien d'un proto-État. Cependant, compte tenu de l'ampleur de ses moyens, Daech est bien plus qu'une organisation terroriste. Ses moyens sont parfois un peu exagérés mais il ne faut pas les sous-estimer non plus. Cette organisation est hors normes parce que les moyens mis à sa disposition dépassent très largement ceux des organisations infra-étatiques violentes auxquelles nous avons été habitués.

J'ai classé ces moyens en quatre catégories : l'appareil administratif ; les finances ; l'outil de communication stratégique – force immatérielle qui, à notre avis, sera la plus dure à vaincre – ; les moyens militaires. J'ouvrirai cette très courte présentation sur ce que peut être la stratégie globale de Daech, étant bien entendu que les moyens ne valent qu'au service d'une stratégie mise en oeuvre dans un but bien déterminé.

Premier point : l'appareil administratif. Daech bénéficie de cet ancrage territorial précédemment évoqué, qui en fait une organisation inédite. Daech est capable d'administrer les populations des territoires contrôlés grâce à un appareil certes rustique mais qui fonctionne. Au maximum de son expansion, Daech contrôlait en gros un territoire d'environ 200 000 kilomètres carrés, c'est-à-dire une superficie proche de celle de la Grande-Bretagne, peuplé de quelque 10 millions d'habitants. Régner sur des déserts ne veut pas dire grand-chose mais il n'y a pas que des déserts dans la zone sous l'emprise de Daech. Compte tenu du caractère opaque de cette organisation, il faut toujours se méfier des données la concernant : il s'agit plus d'ordres de grandeur plus que de chiffres précis. On considère que l'appareil administratif de Daech aurait mis en place environ 12 000 fonctionnaires, si l'on peut les qualifier ainsi.

L'organisation est à la fois centralisée – il y a une structure de direction politique – et décentralisée territorialement puisque Daech est organisé en wilayas, en districts. Sur la carte dessinée par Daech, il y a dix-neuf wilayas dont l'une au moins est à cheval sur les frontières syro-irakiennes, signe de la remise en question des frontières internationales et de l'aspect révolutionnaire du projet. Chaque wilaya dispose de services quasi étatiques : une police, y compris une police des moeurs qui n'hésite pas à rappeler très sévèrement et brutalement à l'ordre tout contrevenant aux codes vestimentaires et autres types de comportements qui ne correspondraient pas à la doxa de Daech ; un appareil judiciaire très sévère mais que l'organisation veut impartial ; des structures d'action sociale, notamment au profit des familles ayant des combattants. Cet appareil administratif procure un certain nombre de services à la population mais Daech se caractérise aussi par l'exercice de la contrainte et de la terreur, il ne faut pas l'oublier. On peut qualifier l'organisation de totalitaire puisqu'elle exerce un contrôle total et quotidien sur la population.

Deuxième point : les finances. L'appareil administratif permet de contrôler et d'organiser les finances. Les estimations du budget variant du simple au double, j'ai retenu le chiffre moyen de 2 milliards de dollars par an. N'oublions pas que l'organisation avait pu mettre la main sur les réserves des banques de Mossoul et Raqqa au moment de la conquête de ces deux villes. Le montant du pillage était estimé à quelque 700 millions de dollars.

Qu'en est-il aujourd'hui alors que la coalition s'évertue à amoindrir ces sources de financement, notamment par un ciblage des frappes aériennes sur les infrastructures pétrolières ? Ses finances sont effectivement mises à mal du fait de la baisse des revenus pétroliers qui ont atteint un maximum d'environ un milliard de dollars avant de redescendre aux alentours de 300 à 400 millions de dollars par an. L'organisation est parvenue à trouver d'autres sources de revenus : elle a augmenté les taxes sur les territoires qu'elle contrôle et elle a intensifié les trafics. Tous les types de trafics sont pratiqués – organes, biens culturels, antiquités, êtres humains, etc. – hormis le trafic de drogues, qui reste un interdit religieux, en tout cas sur le théâtre du Levant.

Cette structure de financement est assez résiliente mais elle comporte quand même un certain nombre de vulnérabilités. L'accroissement de la pression fiscale peut être très mal accepté par les populations. On sait aussi que Daech a du mal à payer les combattants et qu'il diminue leur salaire. À terme, cela peut créer des vulnérabilités.

Troisième point : la communication stratégique, l'une des principales forces de Daech. Son appareil de communication est extrêmement efficace et multidimensionnel, c'est-à-dire qu'il agit dans tout le spectre médiatique : Daech est capable de fabriquer du contenu vidéo, internet, radiophonique, etc. Il peut en quelque sorte inonder la sphère médiatique, en tout cas internet, de ses produits. Il agit énormément sur les réseaux sociaux et il y aurait une quarantaine de milliers de comptes twitter émanant de l'organisation. Et surtout, Daech est capable de produire de la communication stratégique dans des langues variées – onze langues sont maîtrisées par l'organisation. Il publie notamment Dar al-Islam en français, Istok en russe et Konstantiniyye en turc. C'est vraiment une force de frappe. Daech sait s'adresser à des audiences cibles assez variées à travers le monde.

Quatrième point : les moyens militaires. Dans ce domaine-là aussi, on peut lire des chiffres parfois un peu farfelus. On estime que l'organisation compte encore entre 25 000 et 30 000 hommes réellement engageables pour le combat. Dans notre vocable militaire, on parlerait d'une force d'infanterie légère motorisée. Bien sûr, Daech possède quelques moyens lourds tels que des chars, mais très peu et de moins en moins car ils sont la cible prioritaire des frappes aériennes. En outre, des incertitudes existent quant à l'état de fonctionnement de ceux qui restent et quant à la capacité des combattants à les utiliser. Concernant l'armement léger, Daech peut vivre avec les stocks des armées irakienne et syrienne, pillés il y a plus d'un an, et bénéficier des trafics transfrontaliers propres à la région et très difficilement contrôlables.

L'organisation n'a pas de moyens aériens – j'enfonce une porte ouverte mais encore faut-il le rappeler. Sur le plan opérationnel, Daech doit concéder la supériorité aérienne totale à l'adversaire. C'est une vulnérabilité. D'un autre côté, l'organisation est résiliente parce qu'elle a appris à se prémunir en partie des frappes en appliquant les règles des trois « d » : discrétion, dispersion et dissimulation. Il est de plus en plus difficile de trouver des cibles à haute valeur ajoutée. Tout en étant affaibli dans la durée, Daech sait se prémunir des frappes aériennes, comme le font d'ailleurs de nombreux acteurs infra-étatiques.

L'une des forces de Daech réside dans sa capacité à attirer des recrues, notamment des combattants étrangers qui représenteraient 40 % de ses effectifs. Certains n'ont aucune valeur militaire quand ils arrivent sur son territoire ; d'autres, comme les Tchétchènes, sont déjà aguerris et se retrouvent souvent dans ses forces d'élite. Dans la logique de guerre d'attrition qui s'est enclenchée, Daech serait capable de compenser ses pertes par un recrutement de combattants locaux et étrangers.

Quelle est la capacité de Daech à employer ces moyens militaires ? Même s'il ne détient pas de nombreux matériels lourds, il a démontré son efficacité sur le plan tactique. Il maîtrise parfaitement l'art de la défensive et, s'il perd désormais du terrain, c'est de façon lente et progressive. Il est toujours très difficile de reconquérir un terrain détenu par Daech.

À notre avis, Daech mène une double stratégie : l'une est appliquée de manière directe sur son sanctuaire syro-irakien, l'autre de façon indirecte dans sa périphérie. Selon sa mystique et son projet politico-religieux, il faut absolument que le califat survive : Daech va faire en sorte de préserver une assise territoriale, même réduite, dans son sanctuaire levantin. Pour la périphérie, elle s'appuie notamment sur ses nombreux affidés pour orchestrer des actions de guérilla et de terrorisme, afin de provoquer et de diffuser le chaos. Ce faisant, elle fixe les forces de ses adversaires hors de son territoire principal. Daech s'efforce donc de déstabiliser des zones entières pour discréditer les États, polariser les sociétés et éloigner du califat le maximum de forces armées. Au passage, il alimente son flux de recrutements.

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