Mission d'information sur les moyens de daech

Réunion du 9 février 2016 à 16h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • al-qaïda
  • combattant
  • daech

La réunion

Source

L'audition débute à seize heures vingt-cinq.

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Nous recevons une délégation de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la défense. Cette audition se déroule à huis clos. Nous sommes également convenus que la composition de la délégation ne ferait pas l'objet de publicité et je vous demande donc de ne pas faire état, postérieurement à notre réunion, du nom et de la qualité des personnes que nous allons entendre. Je remercie nos intervenants d'être venus jusqu'à nous. Il serait souhaitable que vos exposés liminaires ne dépassent pas la durée d'une demi-heure pour laisser de temps à l'échange avec les membres de la mission, sachant que certains de nos collègues voudront ensuite rejoindre l'hémicycle pour participer au débat sur la révision constitutionnelle.

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A, DGRIS

En préambule, je voudrais préciser que c'est au titre de la mission « Stratégie de défense » de la DGRIS que nous allons nous exprimer aujourd'hui devant vous sur les moyens de Daech.

En effet, la réforme de la fonction internationale du ministère de la défense, qui a abouti à la création de la DGRIS en janvier 2015, a notamment confié à la nouvelle direction générale la mission de piloter la réflexion stratégique du ministère pour le moyen terme, c'est-à-dire à un horizon de trois à dix ans, afin de préparer l'élaboration ou l'actualisation des Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale, et l'élaboration des lois de programmation militaire (LPM).

La DGRIS n'a pas vocation à intervenir dans les travaux d'anticipation stratégique à caractère opérationnel – qui couvrent un horizon de dix-huit mois à deux ans – et encore moins dans la conduite des opérations militaires, fonction qui relève des attributions de l'état-major des armées. Elle n'est pas non plus un service de renseignement, même si les services de renseignement participent activement à nos travaux.

En revanche, dès la création de la DGRIS au début de l'année dernière, nous avons été appelés à étudier la menace constituée par Daech, dans le cadre des travaux d'actualisation de la LPM auxquels nous avons contribué. Ces travaux ont été approfondis en cours d'année, afin de déterminer dans quelle mesure cet « ennemi », tel que l'a désigné lui-même le Président de la République devant le Congrès, le 16 novembre dernier, pouvait potentiellement modifier l'équation stratégique définie dans le Livre blanc de 2013 et éventuellement influer sur notre posture de défense voire, à moyen terme, sur notre système de forces.

Notre analyse a consisté à définir la véritable nature de cet « objet politico-militaire non identifié », à évaluer son pouvoir de nuisance et sa résilience, à identifier ses objectifs et sa stratégie, afin d'en déduire certains impératifs et principes pour l'élaboration de notre propre stratégie générale visant à le combattre.

De ces travaux, nous avons dégagé les trois principales caractéristiques de Daech, qui, à notre sens, en font à la fois un adversaire distinct des organisations terroristes qui l'ont précédé, en particulier al-Qaïda, et une menace bien plus dangereuse, dont la capacité de nuisance va au-delà de l'Irak et du Levant.

Première caractéristique : son ancrage territorial – sur une région de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés où vit une population de plusieurs millions d'habitants – lui confère des moyens financiers, militaires et humains tant quantitatifs que qualitatifs, sans commune mesure avec ceux des organisations terroristes classiques. Au-delà de cet ancrage territorial, sa volonté de créer un véritable État constitue son originalité. Il développe en effet une sorte de state-building djihadiste, non seulement dans les domaines régaliens – il bat monnaie, par exemple – mais aussi au plan social et éducatif, afin d'accroître son emprise sur les populations qu'il a soumises. Cet effort vise en particulier à recueillir des revenus réguliers par l'impôt et non pas seulement par la prédation.

Deuxième caractéristique : cette emprise territoriale lui permet de développer une entreprise totalitaire qui n'a rien à envier aux totalitarismes séculiers du XXe siècle, si l'on en juge par son extrémisme, sa détermination et la sophistication de sa propagande.

Troisième caractéristique : en proclamant le califat, le 4 juillet 2014, dans la grande mosquée de Mossoul, Abou Bakr al-Baghdadi a revendiqué pour Daech une ambition universelle qui lui donne un écho bien au-delà de son repaire au Moyen-Orient et qui lui procure des dizaines de milliers de recrues venant du monde entier, les allégeances collectives de groupes terroristes aussi nombreux et différents que Boko Haram ou le groupe Khorasan en Afghanistan, ainsi qu'une audience à l'échelle mondiale, notamment en Europe.

Que peut-on en déduire sur les moyens de cet ennemi hybride ? Certes, il ne faut pas surévaluer les capacités et les ressources matérielles de Daech. Cette organisation est encore loin de constituer un véritable État, ne serait-ce que parce que son contrôle reste lâche et intermittent sur un espace aux frontières floues, et qu'elle n'a pas obtenu, tant s'en faut, la moindre reconnaissance internationale.

À la différence des grands totalitarismes du XXe siècle, ce proto-État ne dispose que de ressources assez limitées : un territoire essentiellement désertique, dont le produit intérieur brut (PIB) est probablement inférieur à celui du Kosovo ; une population pauvre et dans l'ensemble peu éduquée – sauf à Mossoul ; peu d'infrastructures industrielles et techniques ; des ressources financières amoindries par l'action internationale, qui représentent environ le dixième du chiffre d'affaires de la Française des jeux (FDJ) ; au maximum 30 000 combattants vraiment efficaces mais principalement dotés d'armement et de véhicules légers. Au plan militaire, Daech a d'ailleurs surtout profité de la division de ses adversaires pour réaliser ses fulgurantes conquêtes de 2013-2014 ; son élan s'est en fait assez vite essoufflé, notamment quand il a été confronté à la détermination et à la combativité des Kurdes au nord.

A contrario, il ne faudrait pas sous-estimer le potentiel de nuisance de Daech en tant que mouvement totalitaire à prétention révolutionnaire. Son emprise territoriale lui confère la puissante attraction d'une utopie : le califat. Cette utopie est à la fois en construction, concrète, et conquérante. Elle s'inspire de la geste des premiers califes. Selon l'idéologie millénariste de Daech, rien ne peut arrêter sa dynamique jusqu'à l'avènement, à la fin des temps, d'une sorte de parousie musulmane.

Cette mystique est magnifiée par une propagande particulièrement moderne, redoutablement efficace et à diffusion mondiale. C'est une propagande de masse, comme celle des grands totalitarismes du XXe siècle ; elle utilise les nouveaux canaux multimédias, notamment internet, pour se diffuser universellement. Mais à la différence de la propagande des grands totalitarismes du XXe siècle, elle est également très ciblée : elle sait utiliser les réseaux sociaux ou les jeux vidéo afin de repérer les individus les plus fragiles et tenter de les convertir en détournant habilement leurs propres codes sociaux tels que les films d'action, les séries télévisées, le rap, etc.

Comme le suggère l'anthropologue franco-américain Scott Atran, spécialiste du terrorisme, cette manipulation de type sectaire – qui utilise la théorie du complot et la mise en scène de l'hyper-violence pratiquée comme un système – exerce une fascination morbide qui épuise les tentatives d'explication trop univoques. Daech parvient ainsi à attirer des jeunes de tous les milieux et de tous les horizons dont 25 % – souvent les plus féroces – sont de récents convertis.

La forte résilience et la dangerosité de Daech s'expliquent plus par la nocivité de son idéologie et sa puissance d'attraction que par son ancrage dans le terreau local des tribus arabes sunnites. Mais il ne faut pas sous-estimer cet ancrage territorial car c'est lui qui lui assure les moyens de sa propagande ainsi que sa crédibilité. C'est bien la spécificité de Daech.

Par conséquent, la réponse à un tel ennemi hybride ne peut qu'être globale, c'est-à-dire multinationale, multi-théâtres et surtout multidimensionnelle. Elle doit être multinationale : nous devons associer notre action à celle de nos alliés, en particulier les acteurs locaux et les pays arabes sunnites qui combattent ce cancer. Elle doit être multi-théâtres : nous devons combattre directement ou indirectement les métastases de ce cancer qui apparaissent à travers le monde. Elle doit être multidimensionnelle : militaire sur son sanctuaire territorial ; économique contre ses revenus ; policière et judiciaire dans notre pays ; mais également politique et idéologique dans le champ de l'information et des perceptions. Pour cette raison, même si des résultats positifs sont d'ores et déjà enregistrés sur le théâtre irako-levantin, cette guerre sera sûrement de longue haleine.

Une telle menace confirme également l'absolue nécessité de penser notre sécurité nationale comme un continuum entre la sécurité intérieure et la défense sur les fronts extérieurs car c'est là-bas que sont instiguées, planifiées et préparées matériellement les attaques perpétrées sur notre sol par des commandos terroristes. Ces derniers ont profité du chaos syrien pour se fanatiser, s'entraîner et s'aguerrir. Ce continuum, introduit dans notre stratégie par le Livre blanc de 2008 et réaffirmé dans celui de 2013, prouve toute sa validité dans le contexte actuel de contre-terrorisme dans lequel sont engagées nos armées.

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B, DGRIS

Avant d'aborder les spécificités de Daech, je vais donner ses points communs avec les organisations du courant djihadiste représenté pendant de longues années par al-Qaïda. Ces organisations sont structurées sur un socle idéologique commun : le salafisme djihadiste. Le salafisme se définit comme un retour aux valeurs premières de l'islam, au califat de Médine, tandis que le djihadisme fait référence au combat armé. À ces deux notions, il faut ajouter le takfir qui consiste à porter l'anathème sur les autres musulmans.

Venons-en aux spécificités de Daech. Plus complexe dans sa genèse, il est le produit d'influences diverses. Ce mouvement hybride est à la fois révolutionnaire et totalitaire. Le millénarisme et le messianisme y prennent une place centrale, beaucoup plus importante que dans le narratif d'al-Qaïda.

Autre grande différence : Daech, califat autoproclamé, défend un projet politique, régional et territorial alors qu'al-Qaïda a toujours été une mouvance transnationale combattant les régimes arabes et les alliances occidentales menées par les États-Unis, l'ennemi numéro un. Daech programme son extension à partir du califat ; al-Qaïda envisage le califat comme une finalité à laquelle conduisent des étapes intermédiaires, c'est-à-dire la construction de micro-émirats ou de franchises.

Al-Qaïda considère que les conditions géopolitiques requises pour proclamer le califat n'ont jamais été réunies, alors que Daech l'a proclamé de manière unilatérale, sans consultation. Ses divergences avec al-Qaïda reposent sur cette question de la légitimité du califat et elles sont anciennes : dans les années 2000, l'Irak a été un théâtre de discorde entre Daech et al-Qaïda, notamment les mouvances al-Zarkaoui et autres.

Les deux organisations divergent aussi en ce qui concerne leur manière de concevoir le djihad : il est défensif pour al-Qaïda et offensif pour Daech. Al-Qaïda l'envisage comme un moyen de défense et de protection des territoires de l'islam contre un ennemi. Du fait de sa construction califale, Daech prône les attaques préventives contre l'ennemi désigné. Il suffit que le calife le proclame, pour que ses partisans s'y engagent. Le djihad offensif est un élément extrêmement structurant de l'organisation.

La Syrie occupe aussi une place différente dans le logiciel de l'une et l'autre organisation ; pour al-Qaïda, la Syrie représente un pivot stratégique comme un autre dans son projet de djihad global ; pour Daech, le Levant, ce territoire à cheval entre la Syrie et l'Irak, est quelque chose de central, de très important.

Les deux groupes adoptent aussi des stratégies différentes en matière d'expansion. Al-Qaïda se développe de façon inclusive, à travers des franchises et des coalitions, notamment en Libye, au Yémen et en Syrie. Avec sa rhétorique totalitaire d'élimination de tout adversaire potentiel, Daech est dans une logique exclusiviste : il ne s'agit pas de nouer des alliances puisque tous les autres sont des ennemis. Daech utilise énormément cette rhétorique pour décrédibiliser, délégitimer le projet d'al-Qaïda. Ce n'est pas un hasard si ces deux grandes mouvances sont entrées dans une phase de combat d'idées et se disputent la position dominante dans le djihad global. Dans la géopolitique djihadiste, nous assistons à une bipolarisation entre al-Qaïda et Daech, chacun voulant avoir la suprématie. Cette émulation induit une profonde évolution de la menace.

L'expansion de Daech se fait dans une configuration de califat : les fameuses provinces extérieures, les wilayas, ont des liens organisationnels avec le centre levantin irako-syrien. Ces wilayas, qui diffèrent d'une région à l'autre, entretiennent des liens plus ou moins étroits avec le centre, selon leur éloignement géographique. La structure centrale de Daech a des relations plus étroites avec les wilayas de Libye qu'avec, par exemple, celles du Caucase ou de la région afghano-pakistanaise du Khorasan. Daech s'est étendu de manière importante puisqu'une partie des territoires libyens, afghans et nigérians est sous le contrôle de groupes qui s'en réclament et qui lui ont prêté allégeance. C'est d'ailleurs essentiellement sur ces trois territoires que Daech exerce un véritable contrôle territorial : en Libye, sur une petite partie de l'Afghanistan à la frontière avec le Pakistan, et au Nigeria depuis le ralliement de Boko Haram en mars 2015. Les autres wilayas sont virtuelles. Daech y revendique des attentats terroristes pour affirmer sa présence mais il n'y a pas de contrôle territorial, y compris au Yémen.

Pour autant, Daech revendique de nombreuses wilayas, de nombreuses métastases, en Arabie Saoudite, au Yémen, en Égypte, en Libye, en Algérie, au Nigeria, en Russie, en Afghanistan, et jusqu'aux confins du Bangladesh et de l'Indonésie. Toutes n'ont pas la même valeur ; il faut nuancer cette expansion en soulignant ses limites. Tout d'abord, comme je l'ai indiqué, les liens organisationnels peuvent être très distendus entre certaines de ces wilayas et Daech. Ensuite, il peut exister des dissonances. C'est ainsi que des dissensions internes sont apparues au Yémen, par exemple, entre la base militante et la hiérarchie qui est quelquefois trop liée à la centralité levantine et qui a des difficultés à faire passer le message. Enfin, certaines wilayas ont des difficultés de structuration. En fait, dans un monde musulman extrêmement fragmenté et diversifié, il n'est pas si simple de construire depuis Bagdad, Damas ou le Levant, un califat qui s'étendrait du Maroc à l'Indonésie. Le projet, même s'il est très utopique et dans cette rhétorique millénariste, se heurte à la réalité géopolitique et sociale du monde musulman.

Pour terminer, je voudrais insister sur cette tendance apparue au cours du deuxième semestre 2015 : Daech prône un djihad total et global pour réaliser son expansion, sur fond de lutte pour la suprématie avec al-Qaïda. Au Sinaï, au Liban, en France ou en Turquie, des attentats terroristes ont été imputés à Daech ou revendiqués par lui. Pour mener à bien ce projet totalitaire et expansionniste, Daech cible un très grand nombre d'ennemis : les sunnites apostats, les chiites, les groupes minoritaires musulmans ou non, comme les Yézidis, les Occidentaux, les Russes. Voilà la cartographie à la fois idéologique et stratégique de cette organisation qui est davantage un proto-État qu'un simple mouvement terroriste.

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C, DGRIS

Je vais rebondir sur cette conclusion: quand on se penche sur les moyens de Daech, on voit que cette organisation n'est pas un État, même si elle en possède certains attributs. Daech ne dispose pas de toute la panoplie de moyens normalement dévolue à un État ; il s'agit bien d'un proto-État. Cependant, compte tenu de l'ampleur de ses moyens, Daech est bien plus qu'une organisation terroriste. Ses moyens sont parfois un peu exagérés mais il ne faut pas les sous-estimer non plus. Cette organisation est hors normes parce que les moyens mis à sa disposition dépassent très largement ceux des organisations infra-étatiques violentes auxquelles nous avons été habitués.

J'ai classé ces moyens en quatre catégories : l'appareil administratif ; les finances ; l'outil de communication stratégique – force immatérielle qui, à notre avis, sera la plus dure à vaincre – ; les moyens militaires. J'ouvrirai cette très courte présentation sur ce que peut être la stratégie globale de Daech, étant bien entendu que les moyens ne valent qu'au service d'une stratégie mise en oeuvre dans un but bien déterminé.

Premier point : l'appareil administratif. Daech bénéficie de cet ancrage territorial précédemment évoqué, qui en fait une organisation inédite. Daech est capable d'administrer les populations des territoires contrôlés grâce à un appareil certes rustique mais qui fonctionne. Au maximum de son expansion, Daech contrôlait en gros un territoire d'environ 200 000 kilomètres carrés, c'est-à-dire une superficie proche de celle de la Grande-Bretagne, peuplé de quelque 10 millions d'habitants. Régner sur des déserts ne veut pas dire grand-chose mais il n'y a pas que des déserts dans la zone sous l'emprise de Daech. Compte tenu du caractère opaque de cette organisation, il faut toujours se méfier des données la concernant : il s'agit plus d'ordres de grandeur plus que de chiffres précis. On considère que l'appareil administratif de Daech aurait mis en place environ 12 000 fonctionnaires, si l'on peut les qualifier ainsi.

L'organisation est à la fois centralisée – il y a une structure de direction politique – et décentralisée territorialement puisque Daech est organisé en wilayas, en districts. Sur la carte dessinée par Daech, il y a dix-neuf wilayas dont l'une au moins est à cheval sur les frontières syro-irakiennes, signe de la remise en question des frontières internationales et de l'aspect révolutionnaire du projet. Chaque wilaya dispose de services quasi étatiques : une police, y compris une police des moeurs qui n'hésite pas à rappeler très sévèrement et brutalement à l'ordre tout contrevenant aux codes vestimentaires et autres types de comportements qui ne correspondraient pas à la doxa de Daech ; un appareil judiciaire très sévère mais que l'organisation veut impartial ; des structures d'action sociale, notamment au profit des familles ayant des combattants. Cet appareil administratif procure un certain nombre de services à la population mais Daech se caractérise aussi par l'exercice de la contrainte et de la terreur, il ne faut pas l'oublier. On peut qualifier l'organisation de totalitaire puisqu'elle exerce un contrôle total et quotidien sur la population.

Deuxième point : les finances. L'appareil administratif permet de contrôler et d'organiser les finances. Les estimations du budget variant du simple au double, j'ai retenu le chiffre moyen de 2 milliards de dollars par an. N'oublions pas que l'organisation avait pu mettre la main sur les réserves des banques de Mossoul et Raqqa au moment de la conquête de ces deux villes. Le montant du pillage était estimé à quelque 700 millions de dollars.

Qu'en est-il aujourd'hui alors que la coalition s'évertue à amoindrir ces sources de financement, notamment par un ciblage des frappes aériennes sur les infrastructures pétrolières ? Ses finances sont effectivement mises à mal du fait de la baisse des revenus pétroliers qui ont atteint un maximum d'environ un milliard de dollars avant de redescendre aux alentours de 300 à 400 millions de dollars par an. L'organisation est parvenue à trouver d'autres sources de revenus : elle a augmenté les taxes sur les territoires qu'elle contrôle et elle a intensifié les trafics. Tous les types de trafics sont pratiqués – organes, biens culturels, antiquités, êtres humains, etc. – hormis le trafic de drogues, qui reste un interdit religieux, en tout cas sur le théâtre du Levant.

Cette structure de financement est assez résiliente mais elle comporte quand même un certain nombre de vulnérabilités. L'accroissement de la pression fiscale peut être très mal accepté par les populations. On sait aussi que Daech a du mal à payer les combattants et qu'il diminue leur salaire. À terme, cela peut créer des vulnérabilités.

Troisième point : la communication stratégique, l'une des principales forces de Daech. Son appareil de communication est extrêmement efficace et multidimensionnel, c'est-à-dire qu'il agit dans tout le spectre médiatique : Daech est capable de fabriquer du contenu vidéo, internet, radiophonique, etc. Il peut en quelque sorte inonder la sphère médiatique, en tout cas internet, de ses produits. Il agit énormément sur les réseaux sociaux et il y aurait une quarantaine de milliers de comptes twitter émanant de l'organisation. Et surtout, Daech est capable de produire de la communication stratégique dans des langues variées – onze langues sont maîtrisées par l'organisation. Il publie notamment Dar al-Islam en français, Istok en russe et Konstantiniyye en turc. C'est vraiment une force de frappe. Daech sait s'adresser à des audiences cibles assez variées à travers le monde.

Quatrième point : les moyens militaires. Dans ce domaine-là aussi, on peut lire des chiffres parfois un peu farfelus. On estime que l'organisation compte encore entre 25 000 et 30 000 hommes réellement engageables pour le combat. Dans notre vocable militaire, on parlerait d'une force d'infanterie légère motorisée. Bien sûr, Daech possède quelques moyens lourds tels que des chars, mais très peu et de moins en moins car ils sont la cible prioritaire des frappes aériennes. En outre, des incertitudes existent quant à l'état de fonctionnement de ceux qui restent et quant à la capacité des combattants à les utiliser. Concernant l'armement léger, Daech peut vivre avec les stocks des armées irakienne et syrienne, pillés il y a plus d'un an, et bénéficier des trafics transfrontaliers propres à la région et très difficilement contrôlables.

L'organisation n'a pas de moyens aériens – j'enfonce une porte ouverte mais encore faut-il le rappeler. Sur le plan opérationnel, Daech doit concéder la supériorité aérienne totale à l'adversaire. C'est une vulnérabilité. D'un autre côté, l'organisation est résiliente parce qu'elle a appris à se prémunir en partie des frappes en appliquant les règles des trois « d » : discrétion, dispersion et dissimulation. Il est de plus en plus difficile de trouver des cibles à haute valeur ajoutée. Tout en étant affaibli dans la durée, Daech sait se prémunir des frappes aériennes, comme le font d'ailleurs de nombreux acteurs infra-étatiques.

L'une des forces de Daech réside dans sa capacité à attirer des recrues, notamment des combattants étrangers qui représenteraient 40 % de ses effectifs. Certains n'ont aucune valeur militaire quand ils arrivent sur son territoire ; d'autres, comme les Tchétchènes, sont déjà aguerris et se retrouvent souvent dans ses forces d'élite. Dans la logique de guerre d'attrition qui s'est enclenchée, Daech serait capable de compenser ses pertes par un recrutement de combattants locaux et étrangers.

Quelle est la capacité de Daech à employer ces moyens militaires ? Même s'il ne détient pas de nombreux matériels lourds, il a démontré son efficacité sur le plan tactique. Il maîtrise parfaitement l'art de la défensive et, s'il perd désormais du terrain, c'est de façon lente et progressive. Il est toujours très difficile de reconquérir un terrain détenu par Daech.

À notre avis, Daech mène une double stratégie : l'une est appliquée de manière directe sur son sanctuaire syro-irakien, l'autre de façon indirecte dans sa périphérie. Selon sa mystique et son projet politico-religieux, il faut absolument que le califat survive : Daech va faire en sorte de préserver une assise territoriale, même réduite, dans son sanctuaire levantin. Pour la périphérie, elle s'appuie notamment sur ses nombreux affidés pour orchestrer des actions de guérilla et de terrorisme, afin de provoquer et de diffuser le chaos. Ce faisant, elle fixe les forces de ses adversaires hors de son territoire principal. Daech s'efforce donc de déstabiliser des zones entières pour discréditer les États, polariser les sociétés et éloigner du califat le maximum de forces armées. Au passage, il alimente son flux de recrutements.

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D, DGRIS

En guise de conclusion, je vous propose d'élargir le débat au positionnement des différents acteurs régionaux pour lesquels Daech ne représente pas une priorité d'égale importance.

Commençons par la Turquie qui s'est engagée de manière significative dans la lutte contre Daech depuis l'été. Pour la Turquie, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK – Partiya Karkerên Kurdistan) reste pourtant la principale menace, et cela d'autant plus qu'un continuum kurde se met en place à sa frontière, à l'intérieur du territoire syrien. Si la lutte contre Daech est devenue une priorité pour la Turquie, elle reste d'un niveau secondaire par rapport au combat contre le PKK.

L'Iran est conscient que Daech menace de déstabiliser la région et donc ses alliances. Dès la chute de Mossoul, en juin 2014, l'Iran a proposé son soutien à l'Irak. Dans un premier temps, il s'agissait non pas d'apporter une aide militaire mais de jouer un rôle de conseiller sur le terrain, notamment au moment où les lieux saints chiites ont pu être considérés comme atteints, ou en tout cas menacés, par l'extension territoriale fulgurante de Daech, au cours de l'été 2014. En ce qui concerne la Syrie, la priorité de l'Iran est de soutenir le régime syrien, Daech n'étant qu'un élément tout à fait secondaire.

Dans les pays arabes limitrophes du proto-État, l'émergence de Daech a d'abord provoqué une certaine empathie de la part des populations. Dans un premier temps, Daech pouvait être perçu comme une sorte de nouveau nationalisme arabo-sunnite d'obédience irakienne, dans un environnement dominé par des pouvoirs chiites. Mais bien vite, l'organisation a été vue comme une menace, compte tenu de sa mobilisation, de son extension territoriale, de son caractère révolutionnaire susceptible de remettre en cause les leaderships dans les monarchies. Les pays de la région sont désormais engagés dans le cadre de la coalition.

Partenaires depuis 2011, les États-Unis et l'Irak ont signé un accord stratégique qui a justifié l'engagement américain dans le cadre de la coalition contre Daech. Les États-Unis se sont engagés de manière extrêmement forte aux côtés du gouvernement irakien, afin de préserver la stabilité du régime et l'intégrité du pays.

Quant à l'engagement russe, il est significatif, voire massif, depuis l'automne 2015. Les Russes veulent avant tout préserver leurs intérêts en Syrie, la lutte contre Daech restant secondaire et soumise à des variations. Le combat contre Daech ne constitue qu'une opportunité de circonstance pour établir une alliance avec Bagdad.

Pour conclure, je dirais que le phénomène Daech est plus complexe qu'il n'y paraît : sa logique est plus irakienne en Irak qu'elle n'est syrienne en Syrie. Il s'agirait en Irak d'une mutation du nationalisme arabe, rétrécie sur une base communautaire sunnite.

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Vous indiquez que Daech dispose de 25 000 à 30 000 combattants, ce qui me semble peu, sachant que la zone compte environ 10 millions d'habitants. Environ 40 % de ces combattants seraient étrangers. Avez-vous des précisions sur la nationalité de ces derniers ? La situation s'éternise et le nombre de morts s'accroît chaque jour. Pensez-vous que les Syriens, aidés par les bombardements russes, ont pu faire évoluer la situation ?

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Après les attentats du 13 novembre à Paris, le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel a tenu dans la presse les propos suivants : « L'Arabie Saoudite finance des mosquées wahhabites partout dans le monde. En Allemagne ce sont de ces communautés que viennent de nombreux islamiques classés comme dangereux. Les Saoudiens doivent savoir que le temps où l'on regardait ailleurs est révolu. » On dit qu'il n'y aurait pas ou plus de financements officiels de Daech par l'Arabie Saoudite, mais que persisteraient des financements indirects ou privés. Notre pays partage-t-il l'opinion du vice-chancelier allemand ?

Qu'en est-il des rapports entre Daech et al-Nosra ? Il semble que de nombreuses alliances se nouent sur le terrain même si parfois les deux groupes se combattent. Dans le New York Times, l'agence de renseignement de la défense américaine (DIA – Defense Intelligence Agency) a mis en cause l'Agence centrale du renseignement (CIA – Central Intelligence Agency). Selon les services de renseignement de l'armée, 60 % à 80 % des armes livrées par les États-Unis et les Saoudiens sont tombées dans de mauvaises mains, comprenez dans celles de groupes djihadistes dont certains sont directement liés à al-Qaïda. Avez-vous des informations à ce sujet ?

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Les combattants seraient 25 000, 30 000 ou 40 000, selon les chiffres qui circulent, mais nous ne sommes pas allés les compter. Il y a aussi d'autres groupes comme al-Nosra et Ahrar al-Sham. Au total, ça fait combien ? Arrive-t-on à faire la différence entre les deux mouvances ? On sait qu'al-Nosra combat à Alep contre les Russes et l'armée régulière syrienne. Pour vous, que reste-t-il sur le terrain contre les Russes et l'armée syrienne ? L'Armée syrienne libre (ASL) existe-t-elle ou pas ?

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A, DGRIS

S'agissant des effectifs de Daech, on estime en effet sa force combattante à quelque 25 000 ou 30 000 hommes, dont 40 % d'étrangers. Ils sont certainement plus nombreux mais les recrues locales sont essentiellement dédiées à la sécurisation de zones. Les unités combattantes de choc comptent au maximum 30 000 hommes. C'est peu, mais leur force réside dans leur stratégie, comme l'a expliqué le colonel Garnier, dans leur extrême mobilité tactique : ils sont situés au milieu du théâtre et peuvent faire basculer rapidement leur effort d'un côté à l'autre pour faire des contre-attaques locales.

Parmi les combattants étrangers, il y aurait 4 000 russophones, dont 2 000 d'Asie centrale et 2 000 du Caucase ; les Tchétchènes font partie des unités de choc. Les Libyens – de l'ordre de 700 à 1 000 combattants – formeraient la garde rapprochée d'al-Baghdadi car ce sont des tribus très fidèles à celui qu'elles considèrent comme le calife. Les Tunisiens – environ 3 000 combattants – constituent sans doute le plus fort contingent ; ils commettent beaucoup d'attentats suicides. Sur les quelque 2 000 Français impliqués, 600 seraient sur place, 250 seraient revenus, 300 seraient en transit dans les pays limitrophes ou autres, 700 auraient manifesté des velléités de départ. Ces nombres de combattants sont un peu difficiles à manier car on ne sait pas s'ils vont tous rejoindre Daech ou si certains d'entre eux vont rallier al-Nosra ou d'autres mouvements insurgés. Ils vont plus en Syrie, en profitant du chaos ambiant, qu'en Irak.

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A, DGRIS

La proportion de femmes augmente. Elles représenteraient entre 30 % et 40 % des départs.

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B, DGRIS

L'engagement féminin est devenu un phénomène très structurant du djihadisme.

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A, DGRIS

Daech a eu environ 20 000 à 25 000 pertes, entre les combats au sol et les bombardements, au cours de la dernière année. Néanmoins, les effectifs se reconstituent car environ 100 combattants rejoignent ses rangs chaque semaine.

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C, DGRIS

Leur capacité de recrutement sur place est estimée à quelque 1 000 combattants – plus ou moins volontaires – par mois, auxquels s'ajouteraient environ 400 recrues étrangères. Ces arrivées équilibrent à peu près les pertes.

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A, DGRIS

Il faut le dire vite. Pour l'instant, il y a quand même une attrition assez sévère. En plus, il faut former ces combattants car, heureusement, ils ne sont pas tous aguerris. En plus des pertes, Daech commence aussi à enregistrer des désertions. Je ne vous cache pas que le sort réservé à ceux qui ratent leur désertion n'est pas très enviable.

Qu'en est-il des soutiens financiers de l'Arabie Saoudite ? Il y a eu des soutiens privés mais le royaume n'aide en aucun cas Daech qui est un ennemi, un concurrent qui conteste sa légitimité de protecteur des lieux saints de l'islam. On pourrait penser que l'objectif ultime de Daech est de contrôler La Mecque. Au départ, il avait probablement l'ambition de reconquérir une capitale califale : Damas, celle des Omeyyades, ou Badgad, celle des Abbassides. Il avait d'ailleurs des groupes infiltrés à quelques kilomètres du centre de Damas.

L'action russe vise à replacer la Russie au centre du jeu moyen-oriental et à préserver ses bases en Syrie, notamment les bases navales qui constituent son seul point d'attache permanent en Méditerranée. En faisant étalage de ses capacités, la Russie adresse aussi un message aux pays occidentaux. On peut douter de l'efficience de certaines de leurs es opérations pour lutter contre les mouvements terroristes. Ainsi les Russes montrent qu'ils ont des avions à long rayon d'action qui font le tour de l'Europe pour aller bombarder en Syrie. Le message s'adresse moins aux groupes insurgés qu'au reste de l'Europe et aux Américains. Il est d'ailleurs patent que Daech ne constitue pas une cible prioritaire des frappes russes, loin de là. Ces frappes tendent surtout à renforcer le régime de Damas.

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Les Russes ont beaucoup frappé, ces derniers temps !

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A, DGRIS

Ils frappent les groupes insurgés et l'offensive du 1er février visait Alep.

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A, DGRIS

Il y a 160 groupes insurgés en Syrie.

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Enfin, ce sont des islamistes ! Arrêtez, mon colonel !

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A, DGRIS

Sur ces 160 groupes insurgés, les avis sont partagés. C'est l'Orient compliqué.

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Pourriez-vous revenir sur les rapports entre al-Nosra et Daech ?

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A, DGRIS

Ces deux mouvances sont en forte concurrence et se confrontent militairement sur le terrain.

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B, DGRIS

Je reviens brièvement sur l'Arabie Saoudite. Effectivement, au début de l'insurrection en Syrie en 2011, la monarchie a manifesté une volonté de soutenir l'opposition. Entre 2011 et 2012, il y a eu énormément de flux de combattants et d'argent. Ensuite, une véritable politique d'endiguement et de contrôle des flux a été menée, qui a peut-être partiellement échappé au royaume. Cela étant, le royaume n'est en aucun cas apparu de manière directe dans des financements destinés à Daech ou al-Nosra.

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B, DGRIS

Les financements étatiques peuvent être tracés mais les dons privés n'ont pas été contrôlés entre 2011 et 2012. À partir de 2012, l'État saoudien a mené une vraie politique d'encadrement et a effectué des contrôles de manière un peu plus sévère. Il y a eu des arrestations de prédicateurs et de personnes appartenant à des réseaux de soutien à des groupes armés tels que Daech et al-Nosra, des sommes d'argent ont été saisies, des groupes ont été interdits.

En Syrie, il existe en effet une très forte fragmentation des groupes armés. Al-Nosra, la franchise d'al-Qaïda, compte 8 000 à 10 000 combattants, très majoritairement Syriens. Même avec l'étiquette al-Qaïda, ce groupe développe une stratégie nationale. Il y a des divergences profondes et des confrontations entre al-Nosra et Daech. C'est ainsi que lors de la prise de Raqqa, al-Nosra avait l'avantage avant d'être expulsé par Daech. À la frontière libanaise, des affrontements ont eu lieu récemment entre les deux groupes pour le contrôle d'un axe stratégique qui peut permettre à Daech d'avoir une continuité depuis Raqqa.

La cartographie des groupes syriens est extrêmement complexe. Vous avez al-Nosra mais aussi des groupes islamo-nationalistes dont le plus important est Ahrar al-Sham qui compte plusieurs milliers de combattants, qui est très structurant, et qui est ouvertement soutenu par certains acteurs régionaux. Il existe aussi une demi-douzaine de groupes affiliés à al-Qaïda mais qui ne font pas partie d'al-Nosra, et qui sont essentiellement composés de combattants étrangers : Ansar al-Din, Jund al-Aqsa et autres.

Tous ces groupes sont dans une logique de coalition, à l'exception de Daech qui a un projet très exclusif. Ces coalitions doivent être observées région par région. C'est aussi ce qui fait la grande spécificité du théâtre syrien : on ne peut plus regarder le pays de manière globale, mais il faut observer le front nord, le front sud, la frontière libanaise, ce qui se passe à Damas, etc. Gouvernés par des chefs locaux différents, ces groupes n'ont pas forcément la même logique.

Au printemps 2015, la coalition d'Idlib, au nord-ouest d'Alep, s'est jointe à al-Nosra et ses coalisés pour défaire l'ASL. Certaines bases militaires de l'ASL étaient contrôlées par un ancien officier de l'armée syrienne qui avait reçu de l'armement donné par des pays étrangers. Les coalitions se sont emparées de ce matériel. C'est ainsi que des groupes appartenant à la mouvance al-Qaïda se sont retrouvés avec ce matériel donné. Le transfert de matériel vient aussi du fait que certaines puissances régionales se sont appuyées sur des groupes malheureusement faibles, non structurants, qui ont été vaincus. Actuellement, les groupes les plus importants sont effectivement islamo-nationalistes ou partisans d'un djihad global aux côtés d'al-Qaïda.

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En tout, ces groupes comptent combien de combattants ?

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C, DGRIS

Environ 80 000 hommes.

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L'ASL représentant la portion congrue, tous les gens que vous venez de décrire ont un objectif idéologique : l'application de la charia. Le leader de l'un de ces groupes a encore réaffirmé récemment sur Al Jazeera : « bien évidemment, les minorités n'ont rien à craindre, mais dès qu'on prendra Damas, on appliquera la charia ». Il faut regarder la réalité telle qu'elle est : ces 80 000 bonhommes sont des islamistes, point barre.

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Il faudrait plus de complexité dans l'analyse !

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A, DGRIS

En fait, ce chiffre de 80 000 ne veut pas dire grand-chose. Quels sont les groupes vraiment efficaces sur le plan militaire ? En premier lieu, nous avons Daech. Ce groupe ne compte que 25 000 à 30 000 hommes mais ce sont les plus efficaces et cela suffit pour tenir le territoire ou, en tout cas, pour se défendre même en concédant du terrain. Jabhat al-Nosra, la branche d'al-Qaïda en Syrie, compte environ 8 000 hommes qui sont aussi des combattants assez aguerris. On n'a pas évoqué les Kurdes, la force sur laquelle misent de manière prioritaire les États-Unis. Ils forment actuellement une coalition avec quelques groupes armés musulmans et chrétiens. C'est pour cela que les choses sont quand même assez compliquées : il y a aussi des coalitions assez étranges qui se reconfigurent en permanence. C'est très difficile à suivre. Les Kurdes syriens ont marqué le premier coup d'arrêt à l'expansion de Daech à Kobané. Dernier groupe armé non étatique dont l'efficacité est reconnue de longue date : le Hezbollah.

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Dans cette guerre asymétrique, nous savons qu'il faudra en venir à une intervention terrestre. Pensez-vous qu'elle pourra être le fait des pays avoisinants, des forces locales, ou sera-t-il nécessaire d'engager des troupes terrestres disons “occidentales” pour simplifier, sinon caricaturer ?

Ma deuxième question porte sur le trafic d'organes, dont j'avais déjà entendu parler. Ce trafic implique des clients occidentaux en bout de chaîne. Avez-vous des informations supplémentaires à nous communiquer sur ce plan ?

Enfin, nombre d'entre nous s'inquiètent beaucoup pour la Libye, la Tunisie et l'Algérie. Comment percevez-vous les évolutions en cours dans ces trois pays ?

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Pour ma part, je voudrais revenir sur les trafics d'antiquités, d'objets d'art, d'organes ou d'êtres humains. A-t-on une idée des masses financières qu'ils représentent, des circuits qu'ils empruntent, des destinations qu'ils atteignent ?

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On dit qu'autour d'al-Baghdadi, il y a essentiellement des anciens des services irakiens. Est-ce vrai ? Si c'est le cas, nous devons les connaître.

J'avoue ne pas comprendre comment, en étant dépourvu de moyens aériens, Daech fait preuve d'une capacité de projection aussi rapide qui lui permet d'être sur tous les théâtres d'opérations. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

Parmi les acteurs régionaux, vous n'avez pas cité l'Égypte.

La rumeur urbaine dit aussi que les grands blessés très gradés sont soignés en Israël. Est-ce complètement faux ?

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Vous avez expliqué avec force détails que nous avions affaire à un État, et vous avez beaucoup parlé de la tactique de son armée. Elle doit bénéficier d'un sacré encadrement pour être aussi efficace ! Cet encadrement vient-il exclusivement des anciennes forces irakiennes de Saddam Hussein ou d'ailleurs ? Même si le nombre de combattants semble assez faible, c'est quand même assez remarquable.

Ensuite, se pose la question de l'approvisionnement en matériel. Savons-nous d'où proviennent les munitions qui permettent à cette armée de combattre ? Il faut bien renouveler ces munitions. Or nous avons l'impression que Daech bénéficie d'un approvisionnement absolument extraordinaire.

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A, DGRIS

Commençons par l'engagement au sol. Compte tenu de sa stratégie opérationnelle, Daech va utiliser la dissimulation et se servir des populations comme boucliers humains, afin d'échapper le plus possible aux effets des frappes qui ont des conséquences concrètes sur les camps d'entraînement, sur les bases et dépôts logistiques et sur le matériel lourd.

Si la coalition veut éradiquer complètement Daech, elle devra avoir un engagement au sol qui peut être le fait de divers types d'acteurs. Mais pour ne pas alimenter la propagande de Daech, les Occidentaux n'ont pas intérêt à prendre le commandement d'une intervention au sol massive. Daech tient en effet un discours millénariste, fondé notamment sur un hadith du Prophète qui parle d'une grande bataille finale entre les armées occidentales et musulmanes. Cette confrontation finale aurait lieu à Dabiq, un village près d'Alep qui a aussi donné son nom à la revue de Daech en anglais. En cas d'intervention au sol, la coalition a donc tout intérêt à s'appuyer sur des forces locales : les tribus sunnites, les Kurdes jusqu'à un certain point, et évidemment les pays sunnites de la région.

S'agissant des financements et des trafics, Daech est parfaitement au point en matière de réseaux occultes. Ils ont réactivé les circuits financiers et de contrebande mis en place pendant l'embargo, sous Saddam Hussein. Vers où vont les oeuvres d'art ? Elles arriveraient jusqu'en Amérique du sud, d'après les informations que nous avons, sachant que nous ne sommes pas un service de renseignements. Il est très difficile d'évaluer les sommes retirées de ces trafics. Il faut savoir qu'ils sont en train de reprendre le contrôle de la production artisanale de pétrole, à partir des puits qui ont été détruits. Cette production significative est exportée au moyen de petits véhicules car ils ont abandonné les gros véhicules et les camions-citernes qui étaient devenus des cibles de frappes aériennes.

Vous nous avez aussi interrogés sur leur capacité de projection interne. Grâce à leurs véhicules 4×4 légers, qui sont très dispersés et qui peuvent traverser le théâtre d'intervention, ils peuvent faire des bascules de forces – au moins locales – dans des délais très réduits. Leur principal souci est évidemment de contrôler les axes et les carrefours afin d'assurer leur mobilité et de taxer les flux.

Y a-t-il des anciens des services irakiens dans l'entourage d'al-Baghdadi ? Nous savons que Daech – et c'est ce qui en fait un objet assez nouveau sur le plan militaire et politique – résulte d'une fusion entre des anciens des services et de l'armée irakienne et des membres d'al-Qaïda. Cette fusion s'est produite notamment dans les geôles irakiennes. Daech s'est effectivement appuyé beaucoup sur la structure administrative et de commandement irakienne et sur les cadres formés par le régime de Saddam Hussein. Cette caractéristique lui permet d'avoir une bonne connaissance des voies de trafic et une expérience particulière du contrôle sécuritaire des populations.

Il semble y avoir une sorte de répartition des tâches entre Irakiens et Syriens : les premiers gardent le commandement militaire et stratégique ; les seconds seraient plutôt chargés des aspects sécuritaires, de la contre-ingérence et du contre-espionnage. Mais ce n'est pas si simple parce qu'il existe un rapport de force et que la partie irakienne se fait peut-être contester avec l'extension progressive de Daech. Comme indiqué tout à l'heure, Daech est une organisation complexe qui n'est pas exempte de tensions. Rappelons que le noyau dur initial, héritier d'al-Zarkaoui, a fusionné avec certains cadres de l'administration baasiste de Saddam Hussein.

Pour l'administration du territoire, Daech s'appuie aussi sur les structures encore en place dans les pays. À Mossoul, les fonctionnaires continuent à toucher leur salaire mais ils doivent prêter allégeance à Daech et lui reverser une partie des sommes. Daech a aussi mis en place une administration, notamment dans le domaine judiciaire où l'on trouve surtout des Saoudiens.

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C'est la division internationale du travail ! (Sourires.)

Le chef de la Délégation de la DGRIS. Mais pour l'administration courante, Daech s'appuie sur les structures existantes qui n'ont pas été décapitées.

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D, DGRIS

Une question a été posée sur l'Égypte. La coalition de lutte contre Daech agrège soixante-trois pays, douze organisations de l'Union européenne et la Ligue des États arabes. En sa qualité de membre de la Ligue des États arabes, l'Égypte soutient la coalition et elle est extrêmement mobilisée sur son propre territoire dans la lutte contre Daech. Depuis la chute de Mohamed Morsi, une politique de rétorsion très forte a visé les Frères musulmans et d'autres groupes djihadistes, notamment dans le Sinaï où il existe une contestation djihadiste ancienne de groupes qui ont prêté allégeance à Daech il y a plus d'un an. L'Égypte mobilise donc tous ses moyens intérieurs pour lutter contre cette menace directe. Le pays est géographiquement décalé par rapport au Levant et il ne peut pas être sur tous les fronts à la fois. Il a néanmoins accepté de participer à la coalition formée récemment par l'Arabie Saoudite, ce qui montre qu'il est prêt à contribuer par tous les moyens possibles à la lutte contre Daech.

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C, DGRIS

Vous nous avez aussi interrogés sur la Libye. Ce pays constitue un terreau de choix pour Daech, voire une zone éventuelle de repli au cas où les choses se passeraient mal dans son sanctuaire levantin. La Libye possède deux caractéristiques qui peuvent favoriser le développement in situ de l'organisation djihadiste : il n'y a plus ni gouvernement ni autorité centrale dans ce pays ; c'est un territoire où s'exercent de nombreux trafics illicites. Daech a déjà sur place quelque 3 000 combattants et une assise territoriale centrée autour de Syrte, qu'il cherche à étendre. Pour Daech, le Libye occupe une position idéale : il y a la Tunisie d'un côté, l'Égypte de l'autre, et l'Europe n'est pas loin. Comme rappelé précédemment, Daech menace aussi l'Égypte sur sa frontière est, dans le Sinaï.

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C, DGRIS

En Algérie, Daech souffre de la concurrence d'autres groupes djihadistes et notamment de ceux qui évoluent dans la sphère al-Qaïda. Il a du mal à se développer au Maghreb, où il y a quand même des États dotés d'appareils de sécurité qui sont capables de juguler cette menace.

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A, DGRIS

Dans les effectifs de Daech, les Algériens sont d'ailleurs beaucoup moins nombreux que les Libyens ou les Tunisiens. N'oublions pas que l'Algérie est en partie vaccinée par les « années de plomb ».

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J'ai une dernière question mais je ne vous en voudrai pas si vous ne me répondez pas. Vous êtes à la DGRIS du ministère de la défense. Comment se fait-il que l'on ait pu, depuis le début, annoncer la chute de Bachar el-Assad pour le mois suivant, et en être là où l'on en est aujourd'hui ?

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Je regrette que vous n'ayez pas dit un mot d'Israël, pays qui compte tout de même dans la région.

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Nous réinterrogerons les services autant que de besoin. Mais nous devons maintenant gagner l'hémicycle pour participer au débat sur la révision constitutionnelle. Merci à tous pour votre participation.

L'audition s'achève à dix-sept heures quarante.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les moyens de DAECH

Réunion du mardi 9 février 2016 à 16 h 15.

Présents. –.M. Kader Arif, M. Xavier Breton, M. Alain Claeys, M. Olivier Falorni, M. Olivier Faure, M. Jean-Marc Germain, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Janquin, Mme Sandrine Mazetier, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Joaquim Pueyo, M. Eduardo Rihan Cypel, M. François Rochebloine.

Excusés. – M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Destans, M. Axel Poniatowski, Mme Marie Récalde.