En guise de conclusion, je vous propose d'élargir le débat au positionnement des différents acteurs régionaux pour lesquels Daech ne représente pas une priorité d'égale importance.
Commençons par la Turquie qui s'est engagée de manière significative dans la lutte contre Daech depuis l'été. Pour la Turquie, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK – Partiya Karkerên Kurdistan) reste pourtant la principale menace, et cela d'autant plus qu'un continuum kurde se met en place à sa frontière, à l'intérieur du territoire syrien. Si la lutte contre Daech est devenue une priorité pour la Turquie, elle reste d'un niveau secondaire par rapport au combat contre le PKK.
L'Iran est conscient que Daech menace de déstabiliser la région et donc ses alliances. Dès la chute de Mossoul, en juin 2014, l'Iran a proposé son soutien à l'Irak. Dans un premier temps, il s'agissait non pas d'apporter une aide militaire mais de jouer un rôle de conseiller sur le terrain, notamment au moment où les lieux saints chiites ont pu être considérés comme atteints, ou en tout cas menacés, par l'extension territoriale fulgurante de Daech, au cours de l'été 2014. En ce qui concerne la Syrie, la priorité de l'Iran est de soutenir le régime syrien, Daech n'étant qu'un élément tout à fait secondaire.
Dans les pays arabes limitrophes du proto-État, l'émergence de Daech a d'abord provoqué une certaine empathie de la part des populations. Dans un premier temps, Daech pouvait être perçu comme une sorte de nouveau nationalisme arabo-sunnite d'obédience irakienne, dans un environnement dominé par des pouvoirs chiites. Mais bien vite, l'organisation a été vue comme une menace, compte tenu de sa mobilisation, de son extension territoriale, de son caractère révolutionnaire susceptible de remettre en cause les leaderships dans les monarchies. Les pays de la région sont désormais engagés dans le cadre de la coalition.
Partenaires depuis 2011, les États-Unis et l'Irak ont signé un accord stratégique qui a justifié l'engagement américain dans le cadre de la coalition contre Daech. Les États-Unis se sont engagés de manière extrêmement forte aux côtés du gouvernement irakien, afin de préserver la stabilité du régime et l'intégrité du pays.
Quant à l'engagement russe, il est significatif, voire massif, depuis l'automne 2015. Les Russes veulent avant tout préserver leurs intérêts en Syrie, la lutte contre Daech restant secondaire et soumise à des variations. Le combat contre Daech ne constitue qu'une opportunité de circonstance pour établir une alliance avec Bagdad.
Pour conclure, je dirais que le phénomène Daech est plus complexe qu'il n'y paraît : sa logique est plus irakienne en Irak qu'elle n'est syrienne en Syrie. Il s'agirait en Irak d'une mutation du nationalisme arabe, rétrécie sur une base communautaire sunnite.