Commençons par l'engagement au sol. Compte tenu de sa stratégie opérationnelle, Daech va utiliser la dissimulation et se servir des populations comme boucliers humains, afin d'échapper le plus possible aux effets des frappes qui ont des conséquences concrètes sur les camps d'entraînement, sur les bases et dépôts logistiques et sur le matériel lourd.
Si la coalition veut éradiquer complètement Daech, elle devra avoir un engagement au sol qui peut être le fait de divers types d'acteurs. Mais pour ne pas alimenter la propagande de Daech, les Occidentaux n'ont pas intérêt à prendre le commandement d'une intervention au sol massive. Daech tient en effet un discours millénariste, fondé notamment sur un hadith du Prophète qui parle d'une grande bataille finale entre les armées occidentales et musulmanes. Cette confrontation finale aurait lieu à Dabiq, un village près d'Alep qui a aussi donné son nom à la revue de Daech en anglais. En cas d'intervention au sol, la coalition a donc tout intérêt à s'appuyer sur des forces locales : les tribus sunnites, les Kurdes jusqu'à un certain point, et évidemment les pays sunnites de la région.
S'agissant des financements et des trafics, Daech est parfaitement au point en matière de réseaux occultes. Ils ont réactivé les circuits financiers et de contrebande mis en place pendant l'embargo, sous Saddam Hussein. Vers où vont les oeuvres d'art ? Elles arriveraient jusqu'en Amérique du sud, d'après les informations que nous avons, sachant que nous ne sommes pas un service de renseignements. Il est très difficile d'évaluer les sommes retirées de ces trafics. Il faut savoir qu'ils sont en train de reprendre le contrôle de la production artisanale de pétrole, à partir des puits qui ont été détruits. Cette production significative est exportée au moyen de petits véhicules car ils ont abandonné les gros véhicules et les camions-citernes qui étaient devenus des cibles de frappes aériennes.
Vous nous avez aussi interrogés sur leur capacité de projection interne. Grâce à leurs véhicules 4×4 légers, qui sont très dispersés et qui peuvent traverser le théâtre d'intervention, ils peuvent faire des bascules de forces – au moins locales – dans des délais très réduits. Leur principal souci est évidemment de contrôler les axes et les carrefours afin d'assurer leur mobilité et de taxer les flux.
Y a-t-il des anciens des services irakiens dans l'entourage d'al-Baghdadi ? Nous savons que Daech – et c'est ce qui en fait un objet assez nouveau sur le plan militaire et politique – résulte d'une fusion entre des anciens des services et de l'armée irakienne et des membres d'al-Qaïda. Cette fusion s'est produite notamment dans les geôles irakiennes. Daech s'est effectivement appuyé beaucoup sur la structure administrative et de commandement irakienne et sur les cadres formés par le régime de Saddam Hussein. Cette caractéristique lui permet d'avoir une bonne connaissance des voies de trafic et une expérience particulière du contrôle sécuritaire des populations.
Il semble y avoir une sorte de répartition des tâches entre Irakiens et Syriens : les premiers gardent le commandement militaire et stratégique ; les seconds seraient plutôt chargés des aspects sécuritaires, de la contre-ingérence et du contre-espionnage. Mais ce n'est pas si simple parce qu'il existe un rapport de force et que la partie irakienne se fait peut-être contester avec l'extension progressive de Daech. Comme indiqué tout à l'heure, Daech est une organisation complexe qui n'est pas exempte de tensions. Rappelons que le noyau dur initial, héritier d'al-Zarkaoui, a fusionné avec certains cadres de l'administration baasiste de Saddam Hussein.
Pour l'administration du territoire, Daech s'appuie aussi sur les structures encore en place dans les pays. À Mossoul, les fonctionnaires continuent à toucher leur salaire mais ils doivent prêter allégeance à Daech et lui reverser une partie des sommes. Daech a aussi mis en place une administration, notamment dans le domaine judiciaire où l'on trouve surtout des Saoudiens.