La Turquie a assurément joué avec le feu et mené une politique très aventureuse. J'ai eu, à Damas, une conversation avec le ministre des affaires étrangères syrien, qui m'a confié qu'au début du conflit, Recep Erdoğan avait demandé à Bachar al-Assad de prendre des Frères musulmans dans son gouvernement. Il a annoncé des ennuis au président syrien qui refusait de le faire au motif que les Frères musulmans, qu'il considérait comme des terroristes, confondaient politique et religion.
Nous avons aujourd'hui affaire à une guerre par procuration. La Turquie, le Qatar, et l'Arabie saoudite ont armé des acteurs d'un côté, les Iraniens et les Russes interviennent de l'autre. Au-delà d'une guerre civile, nous sommes, en fait, confrontés à une guerre internationale. La question de l'intervention étrangère dans un conflit interne est essentielle.
Votre analyse, excellente et très intellectuelle, d'un État islamique détruisant sa propre rationalité ne prend pas vraiment en compte la vision eschatologique de Daech. Les grilles d'analyse occidentales ne tiennent pas lorsque des gens croient réellement qu'ils iront au paradis s'ils se font sauter. Je suis resté bouche bée lorsque j'ai été confronté à des adeptes de la scientologie qui m'affirmaient qu'ils avaient signé un contrat de travail de plusieurs millions d'années avec cette dernière. Lorsque vous êtes à ce degré de croyance ou de dévoiement de croyance, la rationalité ne porte pas. Ce que vous considérez comme « une destruction de sa propre rationalité » par Daech, n'est pas autre chose qu'un phénomène d'engrenage qui se termine, à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, puisque vous l'évoquiez, par le suicide des principaux chefs nazis à Berlin. En l'espèce, nous avons affaire à un véritable engrenage dans la violence, fondé sur une vision eschatologique.