Intervention de Philip Cordery

Réunion du 16 janvier 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery, rapporteur :

Le projet de loi qui nous est soumis tend à autoriser la ratification du traité d'adhésion de la République croate à l'Union européenne, signé le 9 décembre 2011 à Bruxelles, six ans après l'ouverture des négociations en octobre 2005, et dont la clôture était intervenue le 10 juin 2011. A ce jour, vingt Etats membres ont procédé à cette ratification et treize ont déposé les instruments de ratification. Exception faite de la Slovénie, j'y reviendrai, tous les autres États membres ont entamé la procédure de ratification et ont exprimé à plusieurs reprises leur engagement à permettre une entrée en vigueur le 1er juillet 2013, comme prévu. Le Sénat a adopté le projet de loi. La Croatie a procédé à la ratification de son traité d'adhésion à l'UE par voie référendaire le 22 janvier 2012, à une large majorité.

C'est en juin 1999 que l'Union européenne a lancé le processus de stabilisation et d'association, cadre d'une politique ambitieuse et à long terme vis-à-vis des pays des Balkans occidentaux. La « vocation européenne » de ces pays a été reconnue au Conseil européen de Zagreb en 2000, sous présidence française de l'Union européenne, et a été régulièrement réaffirmée depuis. Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne réunis à Bruxelles le 11 décembre dernier ont rappelé l'« engagement sans équivoque » à l'égard de la perspective européenne de tous les pays des Balkans occidentaux qui « demeure essentielle pour la stabilité, la réconciliation et l'avenir de la région ».

Il faut se réjouir de ce que la crise que nous traversons n'ait pas provoqué de repli qui aurait maintenu les Etats des Balkans aux marches de l'Europe. Cela revêt d'autant plus d'importance qu'il s'agit désormais d'intégrer des Etats issus des dernières guerres du continent et l'attribution du prix Nobel de la paix à l'Union européenne en 2012 doit nous rappeler à notre engagement politique de consolider la paix en conservant l'ouverture qui caractérise le projet européen.

En revanche, forte de l'expérience retirée des précédents élargissements et consciente des difficultés qu'elle affronte, l'Union européenne a renforcé la qualité et la rigueur du processus de négociation et de suivi, conformément au « consensus renouvelé sur l'élargissement » de 2006. A cet égard, l'intégration Etat par Etat s'avère plus efficace qu'une méthode d'intégration « en bloc ». Dans les négociations avec la Croatie, d'importants efforts ont été réalisés pour assurer une préparation optimale et prévenir les difficultés qui ont conduit à l'établissement d'un mécanisme de coopération et de vérification avec la Bulgarie et la Roumanie.

D'une part, le processus de négociation pour la Croatie fut ainsi plus exigeant que celui appliqué lors des élargissements de 2004 et 2007, avec l'augmentation du nombre de chapitres de l'acquis communautaire de 31 à 35 chapitres.

D'autre part, l'Union européenne a fait preuve d'une grande fermeté sur certains dossiers, comme en matière de sécurité en matière de transports ou de contrôles vétérinaires, elle a refusé toute dérogation. La Croatie a aussi dû procéder à des investissements importants pour sécuriser les futures frontières extérieures de l'UE.

Enfin, un mécanisme spécifique de suivi renforcé qui fait le lien entre les négociations et l'adhésion a été introduit suite à une initiative conjointe franco-allemande. Ce mécanisme porte une attention toute particulière aux questions de justice et de droits fondamentaux et de restructuration des chantiers navals, sans pour autant s'y limiter. Il permet à la Commission d'évaluer, chapitre par chapitre, le respect des engagements pris au cours des négociations d'adhésion. Des modalités spécifiques pour l'adhésion de la Croatie à l'espace Schengen ont également été agréées dans le cadre de ce mécanisme de suivi renforcé. Ainsi, la décision du Conseil d'entrée dans l'espace Schengen sera prise au vu d'un rapport de la Commission confirmant que la Croatie continue de remplir les engagements pertinents pour l'acquis de Schengen qu'elle a pris au cours des négociations relatives à son adhésion. C'est une nouveauté.

Dans son dernier rapport remis le 10 octobre 2012 dans le cadre de ce processus de suivi renforcé, la Commission a souligné le fait que l'alignement croate était désormais quasi-complet, tout en identifiant les domaines dans lesquels des efforts restaient nécessaires d'ici au 1er juillet 2013, établissant à cet effet une liste de 10 actions. On y trouve le parachèvement de la réforme judiciaire et l'amélioration de son efficacité, l'achèvement du processus de restructuration du secteur de la construction navale, la gestion efficace des frontières extérieures de la Croatie après l'adhésion. Le rapport de suivi que la Commission remettra au printemps prochain, théoriquement le dernier avant l'adhésion, se concentrera sur ces 10 actions.

Dans les conclusions publiées à l'issue de sa réunion « Affaires générales » du 11 décembre dernier consacrée à l'élargissement, les 27 États membres se félicitent d'accueillir bientôt la Croatie au sein de l'Union Européenne et appelle les autorités croates à poursuivre leurs efforts dans les dix domaines clés.

La Croatie devrait donc présenter un niveau de préparation très satisfaisant au 1er juillet prochain. Elle pourra dès son adhésion consolider et développer son poids en Europe, tant sur les plans économique que politique.

Sur le plan économique, la Croatie a été sévèrement frappée par la crise comme beaucoup de ses voisins. Après avoir affiché de bonnes performances économiques entre 2003 et 2006 (+5 % de croissance annuelle en moyenne), et alors qu'elle est l'économie la plus avancée de la zone balkanique, la Croatie a connu une tendance inverse à partir de 2008, avec une récession de -6 % en 2009 et -1,2 % en 2010. La croissance a été nulle en 2011 et la prévision pour 2012 est négative. Le taux de chômage s'établit à 15,8 %. Le Gouvernement croate est par ailleurs très attaché au modèle social européen et l'inclut dans ses objectifs.

Le pays est aujourd'hui à la recherche d'un nouveau modèle de croissance, fondé sur ses avantages comparatifs, une reprise de l'investissement et la modernisation de la sphère publique. Une Agence pour l'investissement et la compétitivité a été créée en avril 2012 et une nouvelle loi destinée à stimuler les investissements et à améliorer l'environnement des entreprises est entrée en vigueur en octobre 2012. L'attractivité auprès des investisseurs devrait se trouver renforcée avec l'adhésion à l'Union européenne et, si l'économie sera confrontée à une intensification de la concurrence, elle est déjà étroitement liée à celle de l'Union. Les pays membres de l'UE représentent en effet ses plus importants partenaires économiques et commerciaux, avec 60% du commerce total, et au cours de la dernière décennie le PIB par habitant de la Croatie a atteint 61% de la moyenne de l'UE (10 200 euros par habitant), surpassant ainsi plusieurs nouveaux États membres de l'UE.

Sur le plan politique, la Croatie est un pays qui voit dans l'Union européenne la possibilité de consolider la paix, la liberté et la prospérité sur le continent. Elle est disposée à concéder des transferts de souveraineté et voit d'un bon oeil les efforts déployés pour renforcer l'Union européenne, y compris au travers d'une intégration plus poussée de l'UEM. A cet égard, on soulignera que la Croatie a fait part de sa volonté de participer à l'exercice du semestre européen 2013 avant même sa pleine adhésion. La Croatie se prépare déjà pour faire son entrée dans la zone euro, escomptant être prête dans cinq à six ans.

Concernant la politique étrangère européenne, la Croatie s'est déjà fortement investie. Elle a acquis une grande expérience des situations post-conflit et de renforcement des institutions. Il est intéressant de souligner que dans le cadre des négociations sur les chapitres « Relations extérieures » et « PESD », la Croatie s'est engagée à reprendre l'intégralité de l'acquis sans exemption et à s'aligner sur les stratégies et actions communes de la PESC.

Concernant ses relations de voisinage, la déclaration du Parlement croate d'octobre 2011 relative à la promotion des valeurs européennes dans l'Europe du Sud-est a confirmé l'engagement de la Croatie à soutenir les autres pays de la région pour leur cheminement vers l'Union européenne. Elle soutient à ce titre fortement l'adhésion du Monténégro à l'UE, dont les négociations d'adhésion ont été ouvertes le 29 juin 2012. La Croatie a par ailleurs continué à coopérer dans les affaires de crimes de guerre et elle contribue toujours activement au processus de la déclaration de Sarajevo afin d'apporter une solution durable pour tous les réfugiés de la région.

La coopération bilatérale avec la Serbie fonctionne bien et l'acquittement des généraux croates Markač et Gotovina par le TPIY le 16 novembre dernier n'a pas eu de retombées diplomatiques bilatérales négatives. Concernant le Kosovo, la Croatie a reconnu son indépendance dès mars 2008 et entretient de bons rapports. La Bosnie-Herzégovine reste le principal sujet de préoccupation pour la Croatie dans la région. L'adhésion de la Croatie à l'UE aura d'ailleurs des conséquences importantes sur le plan économique, la Croatie quittera l'accord de libre-échange d'Europe centrale, et géopolitique, du fait de l'accès bosniaque à la mer qui coupe le territoire croate sur une dizaine de kilomètres.

Hors Balkans, des difficultés persistent avec la Slovénie et la situation reste bloquée. On se souvient du blocage des négociations en 2008-2009 lié au différend territorial sur la baie de Piran, qui sera finalement, sur proposition française, réglé au sein d'un tribunal spécial international. C'est ensuite un différend bancaire bilatéral né à la suite de l'effondrement de la Fédération yougoslave relatif à la banque slovène Ljubljana. Cette banque détenait entre autres des avoirs de pays d'ex-Yougoslavie. Les autorités slovènes ont décidé de ne rembourser que les avoirs slovènes, créant un différend avec les anciens détenteurs. Le 6 novembre 2012, la Cour européenne des Droits de l'Homme a pourtant statué en faveur de la restitution des anciens dépôts en devises étrangères d'épargnants bosniaques. Cette décision pourrait faire jurisprudence pour les avoirs croates. Ce différend, qui avait provoqué le blocage, fin 2010, de la clôture du chapitre 4 a ressurgi et la Slovénie a menacé de ne pas ratifier le traité d'adhésion.

Vous me permettrez à ce stade de mon intervention de dire quelques mots de nos excellentes relations bilatérales. Nos relations économiques demeurent modestes mais sont en développement important. La France atteint 7 à 8 % des IDE et devrait encore renforcer sa place avec l'adhésion grâce notamment à l'obtention d'importants contrats de partenariat public-privé. Ce sont en tout près de 800 millions d'euros d'investissements français qui devraient être effectués en 2012-2013, des entreprises françaises ayant notamment remporté les appels d'offre pour la construction des autoroutes d'Istrie et l'extension et la concession de l'aéroport international de Zagreb. Un Club d'Affaires Franco-Croate a été créé et rassemble près de 65 filiales françaises.

Surtout, les relations politiques sont intenses, les visites de haut niveau, les rapprochements et les initiatives se multiplient. Une délégation conjointe des Commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale française et du Bundestag s'est rendue en Croatie les 17 et 18 janvier 2011. Elle a eu un fort retentissement médiatique en Croatie. Dernièrement, le président croate Ivo Josipovic est venu à Paris les 8 à 10 octobre derniers à l'invitation du Président François Hollande.

Un partenariat stratégique a été signé entre la France et la Croatie, en juillet 2010, qui a d'abord permis à la France d'aider la Croatie à mieux se préparer à son adhésion prochaine à l'UE, notamment dans la restructuration de ses institutions, avec plusieurs jumelages, des consultations et missions d'expert et une aide à la préparation des fonctionnaires croates. Un plan d'action d'une durée de trois ans se concentre notamment sur la coopération économique et culturelle. A cet égard, l'organisation de la saison culturelle croate en France « Croatie, la voici », avec près de 45 lieux concernés et plus de 60 manifestations, a été un beau succès. Je soulignerai enfin que la Croatie est un Etat observateur au sein de l'Organisation internationale de la francophonie depuis 2004, que 6,2 % de la population serait francophone et que la Croatie a choisi la France comme partenaire privilégié pour la mise en oeuvre des réformes du système éducatif dans la perspective de l'adhésion à l'UE.

J'en viens maintenant au contenu du traité, assez similaire aux précédents sous réserve du suivi renforcé déjà présenté. Le texte du traité d'adhésion stricto sensu se compose de quatre articles prévoyant que la Croatie devienne membre de l'Union européenne à compter du 1er juillet 2013 sous réserve de l'achèvement des processus de ratification. Les conditions de l'adhésion et les adaptations que celle-ci nécessitent, figurent dans un « acte » annexé dont les dispositions « font partie intégrante » du traité d'adhésion. Cet acte est accompagné de neuf annexes ainsi que d'un protocole relatif au protocole de Kyoto. S'y ajoute l'acte final, récapitulant la liste des textes arrêtés, auquel sont annexées quatre déclarations, ainsi qu'un modèle d'échange de lettres concernant la procédure d'information et de consultation pendant la période courant entre la signature du traité et l'adhésion.

Comme pour les précédents élargissements, le principe retenu est simple : la Croatie doit reprendre l'acquis communautaire et en assurer l'application effective dès le premier jour de son adhésion, sous réserve des mesures de transition prévues dans l'acte d'adhésion et le quatrième protocole. La Croatie ne sera d'emblée ni membre de l'espace Schengen, bien qu'elle se verra appliquer certaines dispositions de l'acquis de Schengen, ni de la zone euro, bien qu'elle participera à l'UEM en tant qu'Etat faisant l'objet d'une dérogation et sera pleinement intégrée au sein du processus de coordination des politiques économiques et de surveillance multilatérale.

Le traité contient des dispositions permanentes qui portent sur les adaptations des traités actuels résultant de l'entrée d'un nouvel Etat membre.

Sur le plan institutionnel, la Croatie se verra notamment attribuer douze députés européens, qui siègent au Parlement européen depuis le 1er avril 2012 en tant qu'observateurs, un commissaire européen, un membre à la Cour de justice, au Tribunal de l'Union européenne et à la Cour des comptes de l'Union européenne et le gouverneur de sa banque centrale siègera au Conseil général de la BCE. Les institutions européennes devront également procéder au recrutement de fonctionnaires d'origine croate. Par ailleurs, le calcul des règles de majorité au sein du Conseil est modifié pour attribuer 7 voix à la Croatie et fixer le seuil de majorité qualifiée à 260 voix sur 352.

Des adaptations sont également prévues pour certains actes dans des domaines particuliers de l'activité européenne et en application de positions fermes ou de mesures imposées à la Croatie sur certains chapitres de négociation.

Deux périodes transitoires ont été instituées à la demande de l'Union européenne. La première restreint l'accès au marché du travail des salariés croates, avec la possibilité après deux ans de proroger encore pour trois années. La libre circulation des travailleurs salariés croates dans l'Union s'appliquera ensuite de droit, sauf dans les Etats membres qui feraient état de « perturbations graves » de leur marché du travail et qui pourraient alors prolonger encore de deux ans la période transitoire. A ce jour, la France n'a pas fait connaître sa position. La seconde période concerne le cabotage routier avec une première période de deux ans applicable de droit puis une possibilité de proroger pour deux années. La période transitoire fonctionnera sur une base réciproque, la Croatie pouvant également l'imposer.

La Croatie a quant à elle demandé et obtenu des périodes transitoires dans huit chapitres : libre circulation des capitaux, libre-circulation des marchandises, agriculture, sécurité sanitaire des aliments, politique vétérinaire et phytosanitaire, transport, fiscalité, sécurité, liberté, justice et environnement. Par exemple, elle a obtenu le maintien de restrictions aux acquisitions de résidences secondaires, de terres agricoles et de forêts par les ressortissants communautaires non-résidents, des dispositions spécifiques en matière d'importation de sucre, de gestion de la frontière avec la Bosnie-Herzégovine ou encore en matière de traitement des eaux.

En sus du mécanisme de suivi renforcé et des périodes transitoires prévues, trois clauses de sauvegardes sont prévues aux articles 37 à 39 de l'acte d'adhésion permettant à l'Union de suspendre l'entrée de la Croatie dans l'Union pour quelques domaines très précis. Ce sont les mêmes que pour la Bulgarie et la Roumanie. Elles portent sur la sauvegarde économique générale, la protection du marché intérieur et l'espace de sécurité, de liberté et de justice.

Pour finir, les articles 27 à 35 de l'acte d'adhésion prévoient les crédits qui seront alloués à la Croatie pour le deuxième semestre 2013, à savoir 687,5 millions d'euros en engagements. L'Union européenne a consenti des efforts importants, notamment en matière de fixation des taux d'avance et de mesures et facilités temporaires, pour que la Croatie dispose d'une position nette assez largement favorable. Elle devrait bénéficier dès son adhésion de 396,3 millions d'euros. La contribution croate au budget de l'UE devrait quant à elle être de 267 millions d'euros pour le deuxième semestre 2013. Pour les années suivantes, cela dépendra du prochain cadre financier pluriannuel de l'UE mais le coût sera sensiblement supérieur étant donné que la Croatie est en période de montée en charge.

Pour conclure, en réussissant à intégrer l'Union après un processus de négociations particulièrement rigoureux, la Croatie prouve aux autres Etats désireux d'intégrer l'Union que le projet européen demeure inclusif. Je le rappelle, tous les pays des Balkans occidentaux ont vocation à intégrer l'Union européenne, à commencer par le Monténégro, la Serbie et la Macédoine qui ont déjà le statut de candidats, mais aussi les autres pays de la région. L'entrée de la Croatie élargit aussi la façade méditerranéenne de l'Union ce qui, à l'heure des bouleversements dans le monde arabe, est loin d'être négligeable.

En tout état de cause, pour la Croatie, le chemin ne s'arrête pas le jour de l'adhésion et c'est sans doute ce qui doit être souligné. Nous accueillons un Etat convaincu de la nécessité de faire progresser l'Union européenne, qui manifeste un intérêt prononcé pour développer des solutions nouvelles et construire des politiques communes. C'est évident en matière de voisinage, de politique étrangère, mais c'est aussi d'évolutions de l'Union, avec la perception positive d'une évolution vers une architecture différenciée qui permettra plus d'Europe et mieux d'Europe.

Je vous propose d'adopter le projet de loi relatif à la ratification du traité relatif à l'adhésion de la Croatie à l'union européenne.

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