Croatie : adhésion à l'Union européenne (n° 582)
La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
La commission examine, sur le rapport de M. Philip Cordery, le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la République de Croatie à l'Union européenne (n° 582).
Le projet de loi qui nous est soumis tend à autoriser la ratification du traité d'adhésion de la République croate à l'Union européenne, signé le 9 décembre 2011 à Bruxelles, six ans après l'ouverture des négociations en octobre 2005, et dont la clôture était intervenue le 10 juin 2011. A ce jour, vingt Etats membres ont procédé à cette ratification et treize ont déposé les instruments de ratification. Exception faite de la Slovénie, j'y reviendrai, tous les autres États membres ont entamé la procédure de ratification et ont exprimé à plusieurs reprises leur engagement à permettre une entrée en vigueur le 1er juillet 2013, comme prévu. Le Sénat a adopté le projet de loi. La Croatie a procédé à la ratification de son traité d'adhésion à l'UE par voie référendaire le 22 janvier 2012, à une large majorité.
C'est en juin 1999 que l'Union européenne a lancé le processus de stabilisation et d'association, cadre d'une politique ambitieuse et à long terme vis-à-vis des pays des Balkans occidentaux. La « vocation européenne » de ces pays a été reconnue au Conseil européen de Zagreb en 2000, sous présidence française de l'Union européenne, et a été régulièrement réaffirmée depuis. Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne réunis à Bruxelles le 11 décembre dernier ont rappelé l'« engagement sans équivoque » à l'égard de la perspective européenne de tous les pays des Balkans occidentaux qui « demeure essentielle pour la stabilité, la réconciliation et l'avenir de la région ».
Il faut se réjouir de ce que la crise que nous traversons n'ait pas provoqué de repli qui aurait maintenu les Etats des Balkans aux marches de l'Europe. Cela revêt d'autant plus d'importance qu'il s'agit désormais d'intégrer des Etats issus des dernières guerres du continent et l'attribution du prix Nobel de la paix à l'Union européenne en 2012 doit nous rappeler à notre engagement politique de consolider la paix en conservant l'ouverture qui caractérise le projet européen.
En revanche, forte de l'expérience retirée des précédents élargissements et consciente des difficultés qu'elle affronte, l'Union européenne a renforcé la qualité et la rigueur du processus de négociation et de suivi, conformément au « consensus renouvelé sur l'élargissement » de 2006. A cet égard, l'intégration Etat par Etat s'avère plus efficace qu'une méthode d'intégration « en bloc ». Dans les négociations avec la Croatie, d'importants efforts ont été réalisés pour assurer une préparation optimale et prévenir les difficultés qui ont conduit à l'établissement d'un mécanisme de coopération et de vérification avec la Bulgarie et la Roumanie.
D'une part, le processus de négociation pour la Croatie fut ainsi plus exigeant que celui appliqué lors des élargissements de 2004 et 2007, avec l'augmentation du nombre de chapitres de l'acquis communautaire de 31 à 35 chapitres.
D'autre part, l'Union européenne a fait preuve d'une grande fermeté sur certains dossiers, comme en matière de sécurité en matière de transports ou de contrôles vétérinaires, elle a refusé toute dérogation. La Croatie a aussi dû procéder à des investissements importants pour sécuriser les futures frontières extérieures de l'UE.
Enfin, un mécanisme spécifique de suivi renforcé qui fait le lien entre les négociations et l'adhésion a été introduit suite à une initiative conjointe franco-allemande. Ce mécanisme porte une attention toute particulière aux questions de justice et de droits fondamentaux et de restructuration des chantiers navals, sans pour autant s'y limiter. Il permet à la Commission d'évaluer, chapitre par chapitre, le respect des engagements pris au cours des négociations d'adhésion. Des modalités spécifiques pour l'adhésion de la Croatie à l'espace Schengen ont également été agréées dans le cadre de ce mécanisme de suivi renforcé. Ainsi, la décision du Conseil d'entrée dans l'espace Schengen sera prise au vu d'un rapport de la Commission confirmant que la Croatie continue de remplir les engagements pertinents pour l'acquis de Schengen qu'elle a pris au cours des négociations relatives à son adhésion. C'est une nouveauté.
Dans son dernier rapport remis le 10 octobre 2012 dans le cadre de ce processus de suivi renforcé, la Commission a souligné le fait que l'alignement croate était désormais quasi-complet, tout en identifiant les domaines dans lesquels des efforts restaient nécessaires d'ici au 1er juillet 2013, établissant à cet effet une liste de 10 actions. On y trouve le parachèvement de la réforme judiciaire et l'amélioration de son efficacité, l'achèvement du processus de restructuration du secteur de la construction navale, la gestion efficace des frontières extérieures de la Croatie après l'adhésion. Le rapport de suivi que la Commission remettra au printemps prochain, théoriquement le dernier avant l'adhésion, se concentrera sur ces 10 actions.
Dans les conclusions publiées à l'issue de sa réunion « Affaires générales » du 11 décembre dernier consacrée à l'élargissement, les 27 États membres se félicitent d'accueillir bientôt la Croatie au sein de l'Union Européenne et appelle les autorités croates à poursuivre leurs efforts dans les dix domaines clés.
La Croatie devrait donc présenter un niveau de préparation très satisfaisant au 1er juillet prochain. Elle pourra dès son adhésion consolider et développer son poids en Europe, tant sur les plans économique que politique.
Sur le plan économique, la Croatie a été sévèrement frappée par la crise comme beaucoup de ses voisins. Après avoir affiché de bonnes performances économiques entre 2003 et 2006 (+5 % de croissance annuelle en moyenne), et alors qu'elle est l'économie la plus avancée de la zone balkanique, la Croatie a connu une tendance inverse à partir de 2008, avec une récession de -6 % en 2009 et -1,2 % en 2010. La croissance a été nulle en 2011 et la prévision pour 2012 est négative. Le taux de chômage s'établit à 15,8 %. Le Gouvernement croate est par ailleurs très attaché au modèle social européen et l'inclut dans ses objectifs.
Le pays est aujourd'hui à la recherche d'un nouveau modèle de croissance, fondé sur ses avantages comparatifs, une reprise de l'investissement et la modernisation de la sphère publique. Une Agence pour l'investissement et la compétitivité a été créée en avril 2012 et une nouvelle loi destinée à stimuler les investissements et à améliorer l'environnement des entreprises est entrée en vigueur en octobre 2012. L'attractivité auprès des investisseurs devrait se trouver renforcée avec l'adhésion à l'Union européenne et, si l'économie sera confrontée à une intensification de la concurrence, elle est déjà étroitement liée à celle de l'Union. Les pays membres de l'UE représentent en effet ses plus importants partenaires économiques et commerciaux, avec 60% du commerce total, et au cours de la dernière décennie le PIB par habitant de la Croatie a atteint 61% de la moyenne de l'UE (10 200 euros par habitant), surpassant ainsi plusieurs nouveaux États membres de l'UE.
Sur le plan politique, la Croatie est un pays qui voit dans l'Union européenne la possibilité de consolider la paix, la liberté et la prospérité sur le continent. Elle est disposée à concéder des transferts de souveraineté et voit d'un bon oeil les efforts déployés pour renforcer l'Union européenne, y compris au travers d'une intégration plus poussée de l'UEM. A cet égard, on soulignera que la Croatie a fait part de sa volonté de participer à l'exercice du semestre européen 2013 avant même sa pleine adhésion. La Croatie se prépare déjà pour faire son entrée dans la zone euro, escomptant être prête dans cinq à six ans.
Concernant la politique étrangère européenne, la Croatie s'est déjà fortement investie. Elle a acquis une grande expérience des situations post-conflit et de renforcement des institutions. Il est intéressant de souligner que dans le cadre des négociations sur les chapitres « Relations extérieures » et « PESD », la Croatie s'est engagée à reprendre l'intégralité de l'acquis sans exemption et à s'aligner sur les stratégies et actions communes de la PESC.
Concernant ses relations de voisinage, la déclaration du Parlement croate d'octobre 2011 relative à la promotion des valeurs européennes dans l'Europe du Sud-est a confirmé l'engagement de la Croatie à soutenir les autres pays de la région pour leur cheminement vers l'Union européenne. Elle soutient à ce titre fortement l'adhésion du Monténégro à l'UE, dont les négociations d'adhésion ont été ouvertes le 29 juin 2012. La Croatie a par ailleurs continué à coopérer dans les affaires de crimes de guerre et elle contribue toujours activement au processus de la déclaration de Sarajevo afin d'apporter une solution durable pour tous les réfugiés de la région.
La coopération bilatérale avec la Serbie fonctionne bien et l'acquittement des généraux croates Markač et Gotovina par le TPIY le 16 novembre dernier n'a pas eu de retombées diplomatiques bilatérales négatives. Concernant le Kosovo, la Croatie a reconnu son indépendance dès mars 2008 et entretient de bons rapports. La Bosnie-Herzégovine reste le principal sujet de préoccupation pour la Croatie dans la région. L'adhésion de la Croatie à l'UE aura d'ailleurs des conséquences importantes sur le plan économique, la Croatie quittera l'accord de libre-échange d'Europe centrale, et géopolitique, du fait de l'accès bosniaque à la mer qui coupe le territoire croate sur une dizaine de kilomètres.
Hors Balkans, des difficultés persistent avec la Slovénie et la situation reste bloquée. On se souvient du blocage des négociations en 2008-2009 lié au différend territorial sur la baie de Piran, qui sera finalement, sur proposition française, réglé au sein d'un tribunal spécial international. C'est ensuite un différend bancaire bilatéral né à la suite de l'effondrement de la Fédération yougoslave relatif à la banque slovène Ljubljana. Cette banque détenait entre autres des avoirs de pays d'ex-Yougoslavie. Les autorités slovènes ont décidé de ne rembourser que les avoirs slovènes, créant un différend avec les anciens détenteurs. Le 6 novembre 2012, la Cour européenne des Droits de l'Homme a pourtant statué en faveur de la restitution des anciens dépôts en devises étrangères d'épargnants bosniaques. Cette décision pourrait faire jurisprudence pour les avoirs croates. Ce différend, qui avait provoqué le blocage, fin 2010, de la clôture du chapitre 4 a ressurgi et la Slovénie a menacé de ne pas ratifier le traité d'adhésion.
Vous me permettrez à ce stade de mon intervention de dire quelques mots de nos excellentes relations bilatérales. Nos relations économiques demeurent modestes mais sont en développement important. La France atteint 7 à 8 % des IDE et devrait encore renforcer sa place avec l'adhésion grâce notamment à l'obtention d'importants contrats de partenariat public-privé. Ce sont en tout près de 800 millions d'euros d'investissements français qui devraient être effectués en 2012-2013, des entreprises françaises ayant notamment remporté les appels d'offre pour la construction des autoroutes d'Istrie et l'extension et la concession de l'aéroport international de Zagreb. Un Club d'Affaires Franco-Croate a été créé et rassemble près de 65 filiales françaises.
Surtout, les relations politiques sont intenses, les visites de haut niveau, les rapprochements et les initiatives se multiplient. Une délégation conjointe des Commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale française et du Bundestag s'est rendue en Croatie les 17 et 18 janvier 2011. Elle a eu un fort retentissement médiatique en Croatie. Dernièrement, le président croate Ivo Josipovic est venu à Paris les 8 à 10 octobre derniers à l'invitation du Président François Hollande.
Un partenariat stratégique a été signé entre la France et la Croatie, en juillet 2010, qui a d'abord permis à la France d'aider la Croatie à mieux se préparer à son adhésion prochaine à l'UE, notamment dans la restructuration de ses institutions, avec plusieurs jumelages, des consultations et missions d'expert et une aide à la préparation des fonctionnaires croates. Un plan d'action d'une durée de trois ans se concentre notamment sur la coopération économique et culturelle. A cet égard, l'organisation de la saison culturelle croate en France « Croatie, la voici », avec près de 45 lieux concernés et plus de 60 manifestations, a été un beau succès. Je soulignerai enfin que la Croatie est un Etat observateur au sein de l'Organisation internationale de la francophonie depuis 2004, que 6,2 % de la population serait francophone et que la Croatie a choisi la France comme partenaire privilégié pour la mise en oeuvre des réformes du système éducatif dans la perspective de l'adhésion à l'UE.
J'en viens maintenant au contenu du traité, assez similaire aux précédents sous réserve du suivi renforcé déjà présenté. Le texte du traité d'adhésion stricto sensu se compose de quatre articles prévoyant que la Croatie devienne membre de l'Union européenne à compter du 1er juillet 2013 sous réserve de l'achèvement des processus de ratification. Les conditions de l'adhésion et les adaptations que celle-ci nécessitent, figurent dans un « acte » annexé dont les dispositions « font partie intégrante » du traité d'adhésion. Cet acte est accompagné de neuf annexes ainsi que d'un protocole relatif au protocole de Kyoto. S'y ajoute l'acte final, récapitulant la liste des textes arrêtés, auquel sont annexées quatre déclarations, ainsi qu'un modèle d'échange de lettres concernant la procédure d'information et de consultation pendant la période courant entre la signature du traité et l'adhésion.
Comme pour les précédents élargissements, le principe retenu est simple : la Croatie doit reprendre l'acquis communautaire et en assurer l'application effective dès le premier jour de son adhésion, sous réserve des mesures de transition prévues dans l'acte d'adhésion et le quatrième protocole. La Croatie ne sera d'emblée ni membre de l'espace Schengen, bien qu'elle se verra appliquer certaines dispositions de l'acquis de Schengen, ni de la zone euro, bien qu'elle participera à l'UEM en tant qu'Etat faisant l'objet d'une dérogation et sera pleinement intégrée au sein du processus de coordination des politiques économiques et de surveillance multilatérale.
Le traité contient des dispositions permanentes qui portent sur les adaptations des traités actuels résultant de l'entrée d'un nouvel Etat membre.
Sur le plan institutionnel, la Croatie se verra notamment attribuer douze députés européens, qui siègent au Parlement européen depuis le 1er avril 2012 en tant qu'observateurs, un commissaire européen, un membre à la Cour de justice, au Tribunal de l'Union européenne et à la Cour des comptes de l'Union européenne et le gouverneur de sa banque centrale siègera au Conseil général de la BCE. Les institutions européennes devront également procéder au recrutement de fonctionnaires d'origine croate. Par ailleurs, le calcul des règles de majorité au sein du Conseil est modifié pour attribuer 7 voix à la Croatie et fixer le seuil de majorité qualifiée à 260 voix sur 352.
Des adaptations sont également prévues pour certains actes dans des domaines particuliers de l'activité européenne et en application de positions fermes ou de mesures imposées à la Croatie sur certains chapitres de négociation.
Deux périodes transitoires ont été instituées à la demande de l'Union européenne. La première restreint l'accès au marché du travail des salariés croates, avec la possibilité après deux ans de proroger encore pour trois années. La libre circulation des travailleurs salariés croates dans l'Union s'appliquera ensuite de droit, sauf dans les Etats membres qui feraient état de « perturbations graves » de leur marché du travail et qui pourraient alors prolonger encore de deux ans la période transitoire. A ce jour, la France n'a pas fait connaître sa position. La seconde période concerne le cabotage routier avec une première période de deux ans applicable de droit puis une possibilité de proroger pour deux années. La période transitoire fonctionnera sur une base réciproque, la Croatie pouvant également l'imposer.
La Croatie a quant à elle demandé et obtenu des périodes transitoires dans huit chapitres : libre circulation des capitaux, libre-circulation des marchandises, agriculture, sécurité sanitaire des aliments, politique vétérinaire et phytosanitaire, transport, fiscalité, sécurité, liberté, justice et environnement. Par exemple, elle a obtenu le maintien de restrictions aux acquisitions de résidences secondaires, de terres agricoles et de forêts par les ressortissants communautaires non-résidents, des dispositions spécifiques en matière d'importation de sucre, de gestion de la frontière avec la Bosnie-Herzégovine ou encore en matière de traitement des eaux.
En sus du mécanisme de suivi renforcé et des périodes transitoires prévues, trois clauses de sauvegardes sont prévues aux articles 37 à 39 de l'acte d'adhésion permettant à l'Union de suspendre l'entrée de la Croatie dans l'Union pour quelques domaines très précis. Ce sont les mêmes que pour la Bulgarie et la Roumanie. Elles portent sur la sauvegarde économique générale, la protection du marché intérieur et l'espace de sécurité, de liberté et de justice.
Pour finir, les articles 27 à 35 de l'acte d'adhésion prévoient les crédits qui seront alloués à la Croatie pour le deuxième semestre 2013, à savoir 687,5 millions d'euros en engagements. L'Union européenne a consenti des efforts importants, notamment en matière de fixation des taux d'avance et de mesures et facilités temporaires, pour que la Croatie dispose d'une position nette assez largement favorable. Elle devrait bénéficier dès son adhésion de 396,3 millions d'euros. La contribution croate au budget de l'UE devrait quant à elle être de 267 millions d'euros pour le deuxième semestre 2013. Pour les années suivantes, cela dépendra du prochain cadre financier pluriannuel de l'UE mais le coût sera sensiblement supérieur étant donné que la Croatie est en période de montée en charge.
Pour conclure, en réussissant à intégrer l'Union après un processus de négociations particulièrement rigoureux, la Croatie prouve aux autres Etats désireux d'intégrer l'Union que le projet européen demeure inclusif. Je le rappelle, tous les pays des Balkans occidentaux ont vocation à intégrer l'Union européenne, à commencer par le Monténégro, la Serbie et la Macédoine qui ont déjà le statut de candidats, mais aussi les autres pays de la région. L'entrée de la Croatie élargit aussi la façade méditerranéenne de l'Union ce qui, à l'heure des bouleversements dans le monde arabe, est loin d'être négligeable.
En tout état de cause, pour la Croatie, le chemin ne s'arrête pas le jour de l'adhésion et c'est sans doute ce qui doit être souligné. Nous accueillons un Etat convaincu de la nécessité de faire progresser l'Union européenne, qui manifeste un intérêt prononcé pour développer des solutions nouvelles et construire des politiques communes. C'est évident en matière de voisinage, de politique étrangère, mais c'est aussi d'évolutions de l'Union, avec la perception positive d'une évolution vers une architecture différenciée qui permettra plus d'Europe et mieux d'Europe.
Je vous propose d'adopter le projet de loi relatif à la ratification du traité relatif à l'adhésion de la Croatie à l'union européenne.
Merci pour ce rapport extrêmement complet, qui à la fois présente une vision stratégique des enjeux et apporte des informations très précises. Il montre bien que, dans les négociations d'adhésion, depuis toujours, l'Union Européenne est extrêmement attentive et va dans les moindres détails. Mais évidemment, les évolutions récentes l'amènent à être également beaucoup plus exigeante sur des dossiers clés tels que la justice, les affaires intérieures, l'espace Schengen et l'union économique et monétaire.
Je poserai deux questions. Concernant l'union économique et monétaire, vous avez souligné que l'on considérait que la Croatie en serait membre, comme tous les autres nouveaux adhérents d'ailleurs, puisqu'on ne leur laisse pas le choix, ce qui en soi se discute. Elle disposera d'une dérogation concernant l'adoption de l'euro. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement : à quoi participera-t-elle et quel type de contrôle exercera-t-on sur sa politique économique avant qu'elle accède à l'ensemble des droits et devoirs qu'ouvre l'union économique et monétaire en voie de profonde transformation ?
Ma deuxième question porte sur le problème, que vous avez souligné, de l'accès à la mer dont dispose la Bosnie-Herzégovine au nord de Dubrovnik et qui coupe le territoire croate en deux. Lorsqu'il est venu à Paris, le Président croate a formulé le souhait que la France appuie la demande croate que soit dégagés des fonds européens afin de permettre à la Croatie de pouvoir relier les deux parties de son territoire par la construction d'un pont ou d'un tunnel. Le Président de la République a été positif dans sa réponse. Dispose-t-on d'éléments nouveaux à ce sujet ? Les modalités d'un tel financement sont-elles examinées au niveau de l'Union Européenne ?
Je voudrais tout d'abord féliciter le rapporteur pour la qualité et la précision de son rapport, ainsi que pour son enthousiasme. Je voterais en faveur du projet de loi. Je formulerai néanmoins quelques remarques concernant la Croatie et son adhésion à l'Europe. On voit que cette marche d'intégration des états européens est inexorable, en particulier dans les Balkans et dans les pays de l'ex-Yougoslavie. Il faut le faire parce qu'il n'y a pas le choix et il faut donc reconnaître que l'on est en train d'abandonner les idées qui avaient émergé des fameux moratoires après les adhésions passées. Mais au-delà de cette course en avant, il faudrait que l'Europe elle-même en tire toutes les conséquences, sans quoi la démarche n'a pas de sens.
Je rappellerai tout de même que la Croatie, après la chute du mur de Berlin, est le premier État à avoir demandé son indépendance et à être reconnu, ce qui a entraîné un effet domino sur les pays de l'ex-Yougoslavie. En revanche, je n'aurais pas l'outrecuidance de rappeler ses alliances pendant la Seconde guerre mondiale ; il faut dépasser tout cela.
La Croatie est aujourd'hui l'un des pays les plus avancés de l'ancienne Yougoslavie et donc sur le plan des critères européens, on comprend effectivement l'avancée de ce dossier. Je rappelle toutefois que l'Europe avait donné le feu vert à la Grèce après une vérification de l'alignement. Je pense donc qu'il faut être à la fois ouvert et extrêmement prudent, en tout état de cause pas trop naïf.
Sur le domaine économique et monétaire, je partage les remarques qui ont été faites. J'y ajouterais tout le système bancaire, car l'évolution économique de la Croatie est tournée très fortement vers le tourisme, qui se substitue pour partie à certaines économies traditionnelles comme le chantier naval, et ce n'est pas toujours n'importe quelle forme de tourisme. Il faut être extrêmement vigilant sur les mouvements de capitaux, sur le blanchiment d'argent et sur ce que va devenir cette économie qui alimente quelque fois les films de James Bond.
D'autres remarques peuvent encore être formulées, notamment sur les circulations de produits douteux dans toute la région, y compris de personnes humaines, qui méritent que l'on s'y attache tout particulièrement et que l'on soit vigilant.
Je dis donc oui à la Croatie, mais l'on aura tout de même encore des problèmes avec le Kosovo et avec la Slovénie.
Mon intervention va un peu dans le même sens que celle de M. Dufau. Indéniablement, ce projet de loi est le plus important que nous ayons à examiner depuis le début de la session. Le groupe UMP votera pour, bien entendu, même si j'émets à titre personnel quelques réserves.
Comme le soulignait le Rapporteur, les négociations auront duré six ans, c'est-à-dire sensiblement plus que ce qui était prévu à l'origine. On voit bien que l'on peut émettre des réserves quant à savoir si la Croatie est tout à fait prête à adhérer, notamment sur les chapitres 23, 24 et 8, c'est-à-dire sur les droits fondamentaux, la justice et la politique de concurrence. Au vu d'ailleurs de la précipitation qu'il y avait eu pour l'approbation de l'adhésion pour la Roumanie et la Bulgarie, beaucoup d'entre nous ne sont pas totalement convaincus que la Croatie soit prête à adhérer aux règles de l'Union Européenne, notamment sur ces trois chapitres.
Je pense donc qu'il faut, pour les adhésions futures – vous parliez des trois pays qui ont le statut de candidat et pour lesquels les négociations ne tarderont pas à s'ouvrir, à savoir l'ancienne République yougoslave de Macédoine, le Monténégro et la Serbie – que nous soyons parmi ceux qui disent que nous prendrons le temps nécessaire à ce que ces pays soient réellement prêts à adhérer à l'Union Européenne. Le statut d'association s'appliquera le temps utile. Cela se justifie d'autant plus que la procédure de ratification qui sera applicable pour les prochaines adhésions sera différente, puisqu'elle nécessitera une approbation à la majorité des trois cinquièmes ou par référendum. Tout cela doit nous conduire à être encore plus rigoureux pour les prochaines adhésions.
Je remercie le rapporteur pour la qualité de son exposé. Au-delà de ce qui vient d'être dit, il faut souligner le symbole que représente l'entrée dans l'Union européenne du premier Etat des Balkans occidentaux. Quand on pense au rôle qu'on eu les Balkans dans les guerres européennes, l'entrée de la Croatie est la preuve que l'Europe est encore un « espace de paix » et les écologistes s'en félicitent. Toutefois, cela ne dispense pas de faire attention.
La Croatie a une démarche plutôt exemplaire, y compris dans une logique d'approfondissement de l'acquis communautaire. Cela peut servir de modèle aux autres pays candidats des Balkans. Ce que l'Assemblée nationale et le Bundestag avaient fait avec la Croatie, ils s'apprêtent à le faire avec La Serbie au travers d'un déplacement à Belgrade en avril pour rappeler quels sont les devoirs des Etats qui entrent dans l'Union et pas seulement leurs droits.
Je souhaiterais évoquer enfin la question de la mobilité des travailleurs, croates mais pas seulement. Il faut rappeler que les droits qui s'appliquent sont ceux du pays d'accueil et non pas du pays d'origine, mais c'est aussi auprès des entreprises françaises qu'il faut tenir ce discours.
C'est la question de la directive sur les travailleurs détachés qui aurait besoin d'être améliorée encore. Heureusement, nous avons a progressé et on n'est plus sur la logique de la directive Bolkenstein qui consacrait la règle du pays d'origine, une monstruosité libérale. Malgré tout, seule la moitié du chemin est fait car si la rémunération est celle du pays d'accueil, il n'en est rien en ce qui concerne les cotisations sociales. Nous allons devoir travailler sérieusement sur ce sujet car s'il est un sujet pour l'Europe sociale, c'est celui de la lutte contre la concurrence par le dumping fiscal et social.
La Croatie sera le 28ème Etat à entrer dans l'Union européenne. Plus on est de fous plus on rit ! Je veux rappeler que la Croatie, grâce au soutien de certains milieux bavarois, a joué un rôle essentiel dans le démantèlent de l'ex-Yougoslavie. Son adhésion, qu'on le souhaite ou non, renforce le poids des milieux d'affaires allemands. Par ailleurs, je me souviens que lors du passage de 15 à 27 Etats membres, le président Giscard d'Estaing avait dit qu'il fallait faire différemment et que le quantitatif posait le problème du qualitatif. Le passage à 28 et demain à 29 ou 30 pose le problème de l'organisation de l'Europe, qu'il n'est pas possible de résoudre dans le cadre des traités actuels. Je salue l'entrée de la Croatie car sur le plan politique c'est inéluctable, dès lors que l'on décide de coopérer ensemble. Il n'en demeure pas moins que l'on est désormais au pied du mur… comme on le disait jadis à Berlin.
Nous sommes tous favorable à l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Toutefois, le rapporteur a dit qu'il avait été fait le choix d'adhésions pays par pays et c'est un choix qu'il est difficile de comprendre. On parle peu de la Bosnie-Herzégovine parmi les futurs adhérents car elle n'est manifestement pas prête. On lui demande une réforme constitutionnelle qu'elle est incapable de mettre en oeuvre. Son fonctionnement institutionnel a été imposé au moment du règlement du conflit. La République serbe de Bosnie veut son autonomie. Je crains une situation où tous les anciens belligérants adhéreraient à l'Union européenne à l'exception de la Bosnie. Il est regrettable de ne pas avoir choisi l'entrée de l'ensemble pays. La Bosnie est très liée à la Turquie. Je me suis rendu à plusieurs reprises à Srebrenica et les Turcs y sont très présents. Je n'imagine pas une extension de l'Union européenne dans cette région ne réglant pas le problème de la Bosnie.
Il ne faut pas, non plus, sous-estimer les questions religieuses. Je me souviens qu'à peine quinze jours après la signature du traité de Maastricht qui était censé instituer une politique étrangère et de sécurité commune, l'Allemagne avait reconnu unilatéralement la Croatie, sous la pression de la CSU et du Vatican mais aussi des 500.000 Croates catholiques réfugiés en Bavière. Le Chancelier Kohl avait d'ailleurs dit au président Mitterrand qu'il en était désolé. Il ne faut rien occulter mais il faut reconnaître que la perspective d'une adhésion à l'Union européenne a rendu ces questions moins aiguës qu'il y a 20 ans. Les rappels historiques ne doivent pas nous figer en arrière.
L'entrée de la Croatie dans l'Union européenne est un moment émouvant. Toutefois, au moment où le Royaume-Uni s'apprête à en sortir, on voit que l'Europe s'enrichit… Mon expérience ministérielle avec la Roumanie et la Bulgarie m'a montré que ces pays ne sont pas prêts. Je crains que nous ratifiions sous la pression de la machine bruxelloise qui coche des cases sans tenir compte de la réalité.
Je suggère que notre Commission émette un voeu lors de la ratification car c'est le moment de soulever certaines questions institutionnelles. Lorsque la France a besoin de ses partenaires européens – je pense au Mali –, il n'y a personne ! Il faut profiter de l'occasion qui nous est offerte pour rappeler les choses. Il faut arrêter de se gargariser avec les mots. Nous connaissons les canaux technocratiques et il faut nous adresser à l'opinion publique. La France est en train de traiter un problème qui concerne la sécurité de l'ensemble de l'Europe et il n'y a personne. Nous devrions déposer une résolution. De même, on ne peut pas aller à Berlin la semaine prochaine sans signifier à notre partenaire allemand qu'il nous laisse seul.
En outre, je constate que l'ex-Yougoslavie va désormais avoir deux commissaires européens, soit un poids bien disproportionné par rapport à la France. Pour ceux qui connaissent ces pays, on marche sur la tête ! Tous ces processus sont dictés par des canaux technocratiques. En Roumanie et en Bulgarie, il n'y a pas encore d'Etat de droit. Je crois vraiment que notre Commission devrait faire un « rappel au règlement », à l'objectif de la construction européenne.
Je peux partager certaines des observations qui ont été faites. Un petit rappel historique est toutefois nécessaire : qui, de lui-même, avant même que ne commence la négociation du traité d'Amsterdam, a renoncé au deuxième commissaire français ? C'est Jacques Chirac. Cet abandon d'un atout décisif avant toute négociation n'a donc pas résulté d'un engrenage bureaucratique, mais d'une décision politique. Pour le reste, nous aurons demain un débat qui pourra servir à exprimer, notamment, les réserves que nous venons d'entendre.
Je ne vais pas m'étendre sur l'histoire et sur les solidarités bavaro-vaticano-croates qui ont été évoquées. Quand un bateau, comme c'est actuellement le cas de l'Union européenne, ne sait manifestement pas quelle route il doit suivre, est-ce le moment d'accueillir un nouveau passager ? L'UE ressemble de plus en plus à ce que les Chinois disaient du mariage : ceux qui sont dedans veulent en sortir et ceux qui sont dehors veulent y rentrer. C'est comme une forteresse assiégée…
L'entrée de la Croatie présentait-elle un caractère inéluctable ? Seulement dans la mesure où est inéluctable l'action de technocrates qui cochent des cases. Il semblerait que cette adhésion doive être suivie de celle de la Bosnie, de la Serbie, de la Macédoine, etc. Nous aurons ainsi toutes les anciennes colonies turques et il serait alors plus cohérent d'accueillir leur ancienne métropole. Bref, je partage le point de vue de Pierre Lellouche sur l'opportunité d'émettre une résolution.
Je partage les observations qui ont été faites sur les conséquences désastreuses de la reconnaissance prématurée de l'indépendance de la Croatie. Pourquoi devons-nous intégrer les pays balkaniques dans l'Union européenne ? Le projet de rapport nous le rappelle : il y a une grande ambition européenne de stabilisation des Balkans. Je crains que cela ne reste un voeu pieu et j'observe d'ailleurs que le Conseil des affaires générales du 11 décembre dernier a adopté une position plutôt prudente sur les futurs élargissements. Toujours est-il qu'il y avait une ambition politique qui impliquait l'adhésion de l'ensemble des pays balkaniques afin de les stabiliser et qu'avec cette adhésion de la Croatie toute seule, nous n'avons pas le résultat d'un choix politique, mais d'une démarche technocratique. Cela ne règlera pas le problème politique et je ne me sens pas concerné ; je ne voterai donc pas ce projet de loi.
Je voudrais tout de même observer que le processus d'adhésion de la Croatie a été plus sérieux que pour la Bulgarie et la Roumanie. Cela étant, le fait qu'après cette adhésion, un quart de l'ex-Yougoslavie aura deux fois plus de commissaires européens que la France me paraît montrer les limites de l'architecture européenne actuelle. Je pense donc que notre commission doit marquer par une résolution son inquiétude quant à un processus qui fragilise l'édifice européen.
Je ressens également un malaise, mais pas pour les mêmes raisons que certains des orateurs qui m'ont précédé. N'oublions pas que l'Union européenne a d'abord été conçue pour établir la paix en Europe et que cela a parfaitement fonctionné depuis soixante ans. L'aspiration des candidats à l'Europe, c'est également d'être désormais à l'abri des conflits. Il y a d'ailleurs une contradiction politique dans certains propos que j'ai entendus. Quand on prononce de tel réquisitoire, il faut être cohérent et voter contre le texte ! Je dois également ajouter que je n'ai pas entendu des propos aussi durs au moment de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, alors même que le processus s'agissant de la Croatie a été beaucoup plus long, beaucoup plus sérieux et que les observateurs s'accordent pour estimer que ce dernier pays est aujourd'hui beaucoup mieux préparé que ne l'étaient la Bulgarie et la Roumanie et qu'ils ne le sont même à ce jour.
Je suis d'accord avec Pierre Lellouche sur la nécessité de marquer nos interrogations. Nous sommes en train de nous engager au Mali tous seuls et dans le même temps il faudrait contribuer toujours plus à l'Union européenne sans aucun retour dans le champ de la solidarité politique et militaire. Je ne sais pas si cela relève de la commission, du Parlement, du Gouvernement, et comment il faut faire, mais il est clair qu'un signal doit être donné sur le caractère inacceptable de cette situation.
Le rapport de Philip Cordery est très intéressant et détaillé, notamment sur les enjeux budgétaires. Ceux-ci sont importants, le plafond d'engagement des dépenses liées à l'adhésion de la Croatie étant estimé à 687 millions d'euros pour 2013. A quelques semaines du Conseil européen extraordinaire sur les perspectives budgétaires, il est important de rappeler qu'il est impossible de poursuivre l'élargissement de l'Union à budget constant tout en prétendant mener des politiques de plus en plus intégrées.
Je voudrais faire part de ma perplexité, voire de ma consternation. Philip Cordery a présenté un excellent rapport, puis, au fil des interventions, on a entendu des réserves de plus en plus fortes. La Croatie respecte les critères permettant d'adhérer à l'Union européenne ; ce n'est pas à l'occasion du débat sur son adhésion que nous pouvons faire part des réserves que nous inspire éventuellement l'évolution de la construction européenne, la Croatie n'ayant aucune responsabilité dans les problèmes de fonctionnement de l'Europe. Si nous voulons lancer une alerte sur ce point, ce ne peut donc être que dans le cas d'un débat spécifique.
Je voudrais également m'associer aux propos de François Loncle, qui a appelé à plus de sérénité dans le débat.
Je rappellerai d'abord un point de procédure. Les commissions n'adoptent pas de résolution politique, au sens de l'article 34-1 de la Constitution : une proposition de résolution peut-être déposée par un député et ensuite examinée en séance publique mais sans intervention d'une commission telle que la nôtre.
Je voudrais également rappeler que sous la précédente législature, la commission des affaires européennes avait adopté, en application de l'article 88-4 de la Constitution, une résolution européenne favorable à l'adhésion de la Croatie.
En réponse à vos interventions, je voudrais d'abord revenir sur les évocations historiques qui ont été faites. Pour adhérer à l'Union européenne, un Etat doit respecter certains critères à une date donnée, mais n'a pas à présenter une histoire exemplaire. Sinon la communauté européenne n'aurait jamais été créée avec comme pays fondateur l'Allemagne… La Croatie est aujourd'hui un pays démocratique et peut parfaitement adhérer.
Deuxième point, il n'y a jamais eu un élargissement aussi bien préparé que l'a été celui-ci. Et il est faux de dire que tout cela a été une affaire de bureaucrates. Car la Commission a constamment rendu compte de son travail de surveillance au Conseil, c'est-à-dire aux gouvernements. Ce sont bien les gouvernements qui ont décidés. Dire le contraire, c'est méconnaître le processus décisionnel européen.
La Croatie participera au mécanisme de coordination et de surveillance, mais pas à l'euro. L'important est que l'euro soit accessible à tous ceux qui respectent les règles prévues : ce n'est pas un club fermé.
Des négociations sont en cours sur l'accès à la mer. Elles ont pris du retard, notamment car il n'y avait pas d'interlocuteur très clair en Bosnie-Herzégovine, mais la situation a évolué et l'on devrait maintenant se diriger plus rapidement vers un accord sur le financement d'un ouvrage.
Comme je le rappelle dans mon rapport, des mesures ont été prises et des vérifications ont été réalisées sur les questions de blanchiment d'argent et de corruption. Par ailleurs, ce sont des sujets sur lesquels la Commission aura encore à se prononcer d'ici au 1er juillet 2013.
Si les négociations ont pris du temps, c'est avant tout le signe que l'adhésion a été bien préparée, même s'il est vrai aussi qu'il y a eu du retard à cause de différends bilatéraux avec la Slovénie. Une même exigence vaudra pour le Monténégro ou d'autres pays.
Exception faite de la Slovénie, la Croatie est le premier des pays touchés par la dernière guerre importante que nous ayons connue en Europe à adhérer à l'Union européenne. Même si l'Europe ne se résume pas à la paix, c'est aussi un symbole.
La mobilité des travailleurs est un sujet sur lequel nous travaillons au sein de la Commission des affaires européennes et Mme la présidente a rappelé à juste titre que le respect des droits des travailleurs en droit européen est un sujet de préoccupation pour la nouvelle majorité – il s'agit d'en finir avec la course au moins-disant social et le « post-Bolkenstein ».
Je prends acte des propos de François Asensi.
L'approfondissement et la poursuite de l'intégration, évoqués par Jacques Myard, Pierre Lellouche et Thierry Mariani, sont de vraies questions dont nous avons eu l'occasion de débattre à propos du dernier traité européen et sur lesquelles nous continuons à travailler à la Commission des affaires européennes. La nouvelle majorité est déterminée à ce que nous avancions et, au demeurant, la Croatie peut être un allié – elle s'est déclarée prête à une intégration différenciée, comme la France.
Il faut être attentif à ne pas multiplier les petits Etats – d'où la position de la France sur le Kosovo –, mais il faut bien tenir compte de ceux qui existent. A nous de négocier une juste représentation au sein des instances européennes. La Croatie ne sera pas surreprésentée au Conseil ; quant à la Commission, Mme la présidente a déjà apporté une réponse.
Si une autre option a été choisie pour l'élargissement, c'est que la décision de prendre des pays par bloc ne s'est pas révélée satisfaisante. Tous les pays concernés n'étant pas au même niveau de préparation, une approche plus personnalisée était nécessaire pour ne pas bloquer les plus avancés d'entre eux. Dans le même temps, la vocation européenne de l'ensemble des Balkans a été rappelée et l'intégration de la Croatie démontre que si les efforts sont faits les pays seront accueillis.
La question de la religion ayant été évoquée, je tiens à dire qu'elle ne doit pas tenir lieu de critère pour l'adhésion à l'Union européenne, qui est un ensemble ouvert. La Bosnie et l'Albanie ont la même vocation que d'autres Etats à appartenir à l'Union pourvu que les critères soient remplis et que les pays soient prêts.
La question de la stabilisation est effectivement importante. Je rappellerai seulement que l'adhésion de la Croatie résulte d'un choix politique réalisé par le Conseil au début du processus et consistant à ouvrir l'élargissement aux Balkans.
Je ne peux que souscrire aux propos d'Estelle Grelier sur la nécessité d'élargir le budget de l'Union européenne. C'est un vrai débat, en cours dans d'autres instances.
L'histoire n'est pas un critère pour entrer dans l'UE. Mais puisqu'on a construit l'UE à cause de l'histoire, il n'est pas absurde de parler de l'histoire de la Croatie au moment où on ratifie son adhésion.
Par ailleurs, les Etats peuvent-ils s'opposer à la Commission ? Je l'ai fait quand j'étais au gouvernement. J'ai stoppé l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans Schengen. Mais c'est toujours difficile pour un Etat d'arrêter la machine infernale cotonneuse de la Commission ; les autres Etats ont tendance à faire porter la responsabilité sur celui qui dit la vérité.
Je voudrais dire, très amicalement, à notre Présidente, qu'elle a raison en ce qui concerne Jacques Chirac. Mais elle sait qu'à mesure des élargissements, chaque nouvel Etat membre veut son commissaire. Le système actuel, un Etat-un commissaire, est ingérable. Il y a vingt-huit commissaires alors qu'il en faudrait beaucoup moins pour que ça fonctionne. Il n'y a pas de collégialité ni d'homogénéité dans la Commission.
Je souhaiter évoquer un dernier point s'agissant de ma proposition de résolution. La solitude de la France au Mali pose problème pour tout le monde, et méritait à mon sens une résolution bipartisane, cosignée par la majorité et l'opposition. Je souhaite que cela soit un signal envoyé par la Commission, ce n'est pas un problème de droite face au gouvernement de gauche, c'est un problème de la France par rapport à ses partenaires.
Je souscris entièrement aux réponses de Philip Cordery aux diverses interventions. Ne mélangeons pas les sujets. Il ne s'agit pas de nier l'histoire, mais il ne faut pas rester bloqué dessus. Tout ce que j'ai vu de la Croatie dernièrement, lors de la visite du Président et de sa ministre des affaires étrangères, va dans le sens de ce que souhaite la France. Nous voulons une Europe qui soit consciente et fière d'elle-même. La Croatie m'a semblé être dans cette optique, donc je pense qu'elle sera, une fois entrée, un élément de consolidation et un allié pour nous à cet égard.
Que cette nouvelle adhésion pose des problèmes de gouvernance de l'UE, c'est évident. Mais ne faisons pas porter sur la Croatie la responsabilité de choses que nous ne savons pas faire parce que la volonté politique a souvent été défaillante dans le passé. A l'occasion de cette adhésion, posons-nous les questions pertinentes. Par exemple, il faut laisser l'UEM accessible aux nouveaux entrants. Mais cela ne veut pas dire qu'on doive la rendre obligatoire pour tous, or c'est le cas aujourd'hui ! Il faut vraiment y réfléchir car je pense que nous allons renforcer l'UEM, ce qui impliquera une intégration plus grande et des exigences plus fortes. Quant à ce qui se passe au Mali, la France est fondée à demander à ses partenaires européens certaines choses, dès lors qu'elle prend en charge, par son intervention militaire, une partie de la défense du territoire européen.
Mais encore une fois, ne mélangeons pas tout. Je vous invite donc à voter pour ce rapport.
Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 582).
Compte rendu du groupe de travail sur la situation en Syrie
Nous avons souhaité faire une présentation au retour de ce premier déplacement, au cours duquel nous n'avons pu nous rendre qu'à Beyrouth, du 16 au 19 décembre, alors que nous avions envisagé d'aller aussi à Damas, afin de ne pas rencontrer seulement des opposants syriens mais aussi les autorités légales. Le ministère des affaires étrangères nous a demandé de nous limiter à Beyrouth pour des raisons de sécurité, au motif que la « bataille de Damas » allait s'engager, et aussi pour ne pas mettre la diplomatie de notre pays en porte-à-faux en rencontrant les autorités syriennes alors que le Gouvernement venait de reconnaître l'opposition. On peut donc considérer notre mission comme inachevée, mais nous avons tout de même pu rencontrer de nombreux acteurs, essentiellement libanais, à Beyrouth. Nous avons la chance d'y avoir un ambassadeur de grande qualité, M. Patrice Paoli, qui a fait en sorte que nous puissions avoir des entretiens de haut niveau.
Comme je ne défendrai pas nécessairement une position de totale hostilité au gouvernement syrien actuel et comme je suis plutôt modéré en ce qui concerne la suite des événements, je voudrais dire, au préalable, que je rejette à titre personnel tout ce qu'a été le système « Assad ». Dans les fonctions de chef du service central de lutte antiterroriste que j'ai exercées au cours des années 1980, j'ai pu constater que la main de Damas était souvent présente dans les attentats commis en France à cette époque. La Syrie, sous Assad père et fils, a toujours été opposée à toute forme de présence de la France sur les terres libanaises et nous l'a fait payer dans la région, de l'assassinat de notre ambassadeur Louis Delamare à l'attentat contre le DC10 d'UTA – même si mon avis est très minoritaire sur ce dernier point.
Le Premier ministre libanais, lorsque nous l'avons rencontré, nous a exposé la politique officielle de « distanciation » de son gouvernement à l'égard de l'affaire syrienne. A la différence des acteurs politiques libanais, qui prennent position sur cette crise, souvent de manière très contrastée, le gouvernement s'efforce de tenir le pays à l'écart de ce qui se passe en Syrie, du fait des incertitudes quant à l'évolution de la situation et du passé avec le voisin syrien, étant entendu aussi que l'évolution de la situation, quelle qu'elle soit, risque d'avoir des conséquences pouvant aller jusqu'à un embrasement du pays. Dans la ville de Tripoli, au Nord du Liban, il y a fréquemment des affrontements très violents entre alaouites et sunnites, alors qu'à Beyrouth, à 50 kilomètres de là, la vie continue comme si de rien n'était. Le Premier ministre libanais, M. Najib Mikati, qui est sunnite, se voit comme un gardien de but, n'aspirant pas à marquer contre la Syrie ou pour elle, mais à ne pas encaisser de but au Liban.
Nous avons aussi rencontré des représentants des deux factions, d'une part le mouvement du 8 mars, alliant pour l'essentiel les « Aounistes », chrétiens, le Hezbollah et le mouvement chiite Amal, qui soutiennent la Syrie pour des raisons diverses, et d'autre part le mouvement du 14 mars, aujourd'hui dans l'opposition et composé de sunnites, autour de Saad Hariri, mais aussi de chrétiens, les Forces libanaises de Samir Geagea, les chrétiens se répartissant donc entre les deux camps, comme souvent dans leur histoire. La position du mouvement du 8 mars s'explique par l'alliance entre le Hezbollah et l'Iran, mais aussi par la peur du lendemain. Il y a notamment la crainte qu'une chasse aux minorités ne s'engage en cas de disparition d'Assad, avec l'instauration d'un gouvernement à dominante sunnite et sans doute les Frères musulmans ou des djihadistes en arrière-plan. D'où la volonté d'espérer qu'Assad dure longtemps, les avis étant très partagés sur ce sujet : certains de ses soutiens, notamment au sein du Hezbollah, pensent qu'Assad est perdu ; d'autres, parmi ceux qui lui sont hostiles, pensent au contraire qu'il va tenir au moins jusqu'aux prochaines échéances électorales.
Sur le terrain, le face-à-face est en effet peu évolutif. On n'imagine pas au sein du 14 mars que la rébellion puisse prendre le pouvoir, malgré quelques victoires – elle s'empare de coins d'aéroport reperdus dès le lendemain. Par ailleurs, tout le monde se rejette bien sûr la responsabilité des attentats, y compris les plus meurtriers, comme celui d'hier à Alep, qui a fait 80 morts. La situation semble totalement bloquée au plan militaire et l'on peine à voir ce qui pourrait la faire évoluer. Le clan Assad compte sur la Russie, même si le fameux port russe de Tartous se limite à une cinquantaine de mètres mis à la disposition des navires russes ; du côté du 8 mars, on pense que rien ne bougera tant que la Russie soutiendra Assad.
Pour ce qui est de l'avenir, certains craignent que la fin du système Assad ne soit aussi la fin du Liban. Les interlocuteurs que nous avons rencontrés à Beyrouth envisagent globalement trois modèles différents pour un « après-Assad » en Syrie – s'il devait y avoir une telle issue. D'abord, une dictature sous une autre forme, de type sunnito-salafiste, qui pèserait de tout son poids sur les minorités, les sunnites représentant près de 70 % de la population. Ensuite, une solution de type « Taëf », avec une répartition des postes par communautés, comme au Liban – le Président de la République est chrétien, le Premier ministre sunnite et le Président du Parlement chiite. Il reste que le modèle libanais de coalitions et d'ajustements entre les minorités ne constitue pas un exemple en matière de stabilité, d'autorité de l'Etat et de défense des intérêts du pays. Dernière solution, une sorte de fédération à l'irakienne, dans un cadre régional, avec les avantages et les inconvénients que cela implique mais aussi avec l'espoir d'éviter une « somalisation » redoutée des deux côtés.
Voilà les observations dont je voulais vous faire part.
Quelques remarques, pour commencer : il ne s'agit pas vraiment d'un rapport d'étape car le groupe de travail n'a pas encore commencé ses auditions à Paris, qui seront nombreuses. Par ailleurs, il n'y a plus d'ambassadeur du régime syrien à Paris, ni d'ambassadeur de France à Damas, où nous ne pouvions évidemment pas nous rendre. La France ayant reconnu la légitimité des représentants de la résistance syrienne, nous étions sans doute persona non grata en Syrie. Il n'aurait servi à rien d'aller à Damas pour n'y rencontrer aucun interlocuteur autorisé. Nous n'avons donc pu observer la situation que depuis le Liban.
Au plan humanitaire, la situation est réellement catastrophique. Le Liban est le plus petit voisin de la Syrie, mais aussi celui qui accueille proportionnellement le plus de réfugiés, d'ailleurs dans des conditions tout à fait particulières. Du fait de l'intensité des échanges entre la Syrie et le Liban au plan historique et dans le domaine du travail, ces réfugiés ne se sentent pas vraiment à l'étranger au Liban et ils espèrent y trouver des conditions de vie proches de ce qu'elles étaient en Syrie, où les standards sont relativement élevés. Il y a là une grande différence avec d'autres crises, comme celles du Darfour ou du Soudan. Ces réfugiés ont des attentes – tout à fait légitimes – en matière de prestations de santé, de scolarisation des enfants, d'hygiène ou de sécurité.
La situation est d'autant plus complexe que l'Etat libanais, averti par son expérience, ne souhaite pas la constitution de camps, préférant une répartition des réfugiés sur tout son territoire. On sait au Liban la source d'insécurité qu'un camp de réfugiés peut constituer et quelle exploitation on peut en faire. Lorsque l'Arabie saoudite a proposé de financer six camps dans la région de la Bekaa, juste après notre départ, le gouvernement a ainsi opposé un refus catégorique. Mais la principale difficulté au Liban résulte de la masse croissante des réfugiés et de la réaction, croissante aussi, de la partie pauvre de la population libanaise qui voit des réfugiés venir louer des logements, occuper des hangars ou des bâtiments publics et bénéficier d'une aide internationale alors qu'elle ne reçoit rien. C'est d'ailleurs un problème fréquent dans ces circonstances.
Une telle situation humanitaire nécessite une mobilisation de toutes les formes d'aide au plan international. La France pays est plutôt à l'avant-garde dans ce domaine, par l'intermédiaire de l'Union européenne mais aussi en apportant une aide bilatérale, ce qu'elle fait d'une manière particulièrement bien ciblée et très appréciée. Nous aurons à revenir sur ces questions, car le phénomène ne fait que s'accélérer et l'on peut imaginer qu'il s'aggravera une fois que l'offensive sur Damas aura été déclenchée. La récente attaque d'un camp palestinien près de Damas, par les forces d'Assad, a d'ailleurs provoqué un nouveau mouvement vers le Liban assez spécifique dans la mesure où il s'agit de réfugiés palestiniens qui ne bénéficient pas de titres de séjour de plus d'une semaine – ils sont donc généralement en situation irrégulière.
Voilà la situation complexe et dramatique au plan humanitaire dans laquelle le gouvernement libanais se trouve. Il a d'autant moins les moyens d'y faire face qu'il voit son économie entrer en récession.
S'agissant de la situation politique, en première analyse, il me semble nécessaire de distinguer au moins trois niveaux.
Le premier est celui des grandes puissances. Le blocage, résultant essentiellement de la Russie, n'interdit pas tout soutien à la rébellion, mais il n'autorise rien de décisif. La situation risque donc de durer beaucoup plus longtemps qu'on ne le pense en général.
Dans l'environnement immédiat de la Syrie, l'Iran se montre très déterminé et le principal soutien du régime d'Assad, en termes de moyens, vient de ce pays via l'Irak, avec une projection vers la Syrie et vers le Liban, suivant l'axe propre à l'Iran. Nous ne savons pas encore jusqu'où ce pays est décidé à pousser ses pions, ni jusqu'à quel point ses rivaux sont décidés à le laisser faire.
Enfin, je crois nécessaire de rappeler qu'il s'agit en Syrie d'une révolution proprement syrienne, tout à fait singulière par rapport à ce que l'on a nommé les « printemps arabes ». Il ne faut pas oublier la puissance de l'ancienne Syrie, héritière de l'empire assyrien, avant que les accords Sykes-Picot ne lui imposent un mandat international et n'en fassent un simple « Moyen-Orient ». Avec la révolution actuelle, se joue aussi la reconnaissance d'une identité, d'un rôle historique et d'une nouvelle image que les révolutionnaires syriens veulent imposer dans la région et dans le monde. Telle est la force de cette puissance éruptive capable de résister à une armée aussi forte que celle d'Assad – il suffit de voir ce qui se passe à Alep pour prendre la mesure de la violence du régime. Cela fait un siècle que la population syrienne souhaite être reconnue pour ce qu'elle est, dans son identité et dans son histoire.
Je vous remercie de cette mise en bouche, la « messe » n'étant pas terminée. Quel est votre sentiment sur les combats eux-mêmes ? Il semblerait que les victimes soient essentiellement dues à des bombardements. Selon les informations que vous avez recueillies à Beyrouth, y a-t-il des engagements d'armée à armée, comme on en a vu pendant la guerre d'Espagne ? Enfin, dans ce contexte actuel, le soutien dont la rébellion bénéficie, essentiellement en provenance du Qatar et de l'Arabie saoudite, peut-il lui permettre de l'emporter ?
Je remercie nos collègues pour les analyses vraiment intéressantes qu'ils ont bien voulu partager avec nous. Je crois que nous avons bien fait de créer ce groupe de travail, car on a quelque peu tendance, en ce moment, à occulter l'ensemble de la problématique régionale. Nous attendons la suite de leurs travaux.
Je voudrais redire avec une certaine solennité une remarque que j'ai déjà eu l'occasion de faire : il est exaspérant et scandaleux de voir que le Quai d'Orsay fait obstacle assez souvent au travail parlementaire lors de missions impliquant non des risques, mais plutôt une volonté d'investigation dans des parties du monde qui ne sont pas spécialement calmes. Il faut mettre un terme à cette politique du grand parapluie, qui n'est d'ailleurs pas forcément celle du ministre. Le ministre doit prendre ses responsabilités une fois pour toutes dans ce domaine. Vous n'allez tout de même pas faire un rapport sur un tel sujet sans aller à Damas ! Peu importe qu'il n'y ait plus d'ambassadeur de France à Damas, ni d'ambassadeur de Syrie à Paris.
On peut affirmer que la crainte des opérations aventureuses n'est pas du côté des parlementaires…
Nous avons effectivement besoin de plus de liberté de manoeuvre pour conduire nos travaux à l'étranger. Lorsque je me suis rendue à Damas en compagnie de Jean-Jacques Guillet, nous voulions notamment rencontrer un dirigeant du Hamas qui s'était réfugié là ; on nous en a empêchés, mais nous avons tout de même établi un contact téléphonique. Il faut cependant faire attention dans les contacts que nous pouvons avoir dans des pays sensibles, car certaines rencontres peuvent vraiment gêner la diplomatie française.
Que les choses soient claires : lorsque l'on nous a conseillé au Quai d'Orsay de ne pas rencontrer le capitaine Sanogo, nous avons immédiatement pris les dispositions nécessaires pour qu'il en soit ainsi. Nous respectons totalement les impératifs politiques et diplomatiques. Mais on nous avait demandé, dans un premier temps, d'attendre pour nous rendre au Mali, au motif que c'était trop tôt. On voit aujourd'hui ce qu'il en est !
Il y a surtout la peur que des parlementaires soient pris en otage. Il y a plusieurs années, je devais inaugurer à Damas, avec l'archevêque de Salzbourg, un bâtiment récemment restauré par le département des Hauts-de-Seine. Le cabinet du Président Chirac m'a alors appelé, au moment où nous commencions à avoir des problèmes avec Bachar Al-Assad, pour me demander instamment de ne pas faire ce déplacement.
Je remercie nos collègues pour leurs analyses très intéressantes. Ils ne se sont certes rendus qu'au Liban, mais Beyrouth a toujours été un poste d'observation remarquable pour le Moyen-Orient. On y retrouve tout.
Je me suis demandé en écoutant Alain Marsaud si nous n'avions pas agi trop rapidement ou trop lentement dans cette affaire syrienne.
Trop lentement, car nous avons pris une position politique sans nous engager plus avant. Vis-à-vis de la résistance syrienne, la position française ou occidentale en général apparaît comme trop mesurée, ce qui ouvre le champ aux djihadistes. Leur présence est de plus en plus importante au sein de la « résistance » syrienne. Rétrospectivement, après l'intervention au Mali, on peut se demander si l'on a joué le rôle qu'il fallait.
Trop rapidement, car il aurait peut-être fallu se montrer un peu plus souple avec le régime syrien, quoi qu'on puisse en penser – je rejoins un peu Alain Marsaud sur ce point. La Syrie ne sortira pas de cette affaire aussi facilement qu'on pourrait le croire. L'armée de Bachar Al-Assad reste extrêmement forte. J'avais d'ailleurs demandé aux représentants du Conseil national syrien, lorsque nous les avons auditionnés, comment un président pouvait rester en place après de telles manifestations – nous n'en étions à l'époque qu'à ce stade. Bachar Al-Assad aurait disparu dans n'importe quel autre pays du monde.
Le Hezbollah, dont vous avez rencontré des dirigeants, semble par totalement isolé aujourd'hui. Très puissant il y a quelques années, avant l'affaire syrienne, il paraît aujourd'hui coupé de ses parrains iraniens. Il n'a géographiquement plus de source d'approvisionnement par l'intermédiaire de la Syrie, notamment pour les armes, et il semble bien immobile par rapport à ce qu'il a été au Proche-Orient, y compris sur la scène politique libanaise. Bien qu'il participe de très près à la coalition du 8 mars, dont il est la pierre angulaire, et au gouvernement, il paraît un peu absent politiquement vis-à-vis de ce qui se passe aujourd'hui. Quelles sont vos impressions sur ce sujet après vos contacts avec le Hezbollah ?
Je comprends bien que la crise en Syrie est avant tout une crise syrienne, mais j'observe aussi que ce pays a des voisins intéressés et naturellement sensibles à qui se passera chez lui.
J'ai bien noté que vous vous efforciez de voir quelles sont les lignes de force qui se dégagent. A ce stade de votre analyse, quel est le Moyen-Orient en train de se dessiner selon vous ? Il y a eu l'affaire irakienne, il y a Israël bien sûr, mais il y a aussi la Turquie qui émerge et la révolution égyptienne. Quelle peut être l'influence de ce qui se passe en Syrie sur le reste du Moyen-Orient ?
Merci pour les éclaircissements que vous nous avez apportés sur cette crise souvent difficile à comprendre. Nous avons tous été surpris par la rapidité avec laquelle les régimes sont tombés au cours du printemps arabe. En Syrie, pourtant, la situation semble perdurer : le régime est toujours en place, bien que l'on annonce régulièrement qu'il est sur le point de tomber.
Comment expliquer que l'armée syrienne tienne ? On entend dire qu'il y aurait à sa tête non plus des Syriens, mais des personnes venues d'Iraq et d'Iran.
La Syrie a souvent été décrite par le passé comme le dernier refuge de la laïcité, qui a longtemps servi de justification à notre soutien. Doit-on revoir cette position aujourd'hui ?
Des gages ont été donnés en matière de laïcité au moment de l'installation de l'Etat syrien, mais ils se sont considérablement amoindris. Les forces islamiques sont à l'oeuvre aujourd'hui en Syrie comme ailleurs, parfois plus puissamment qu'on ne l'imagine.
Quel est le Moyen-Orient qui se dessine ? Il y a manifestement des conflits à caractère religieux, aussi une résurgence des anciennes puissances qui ont dominé tour à tour cette région du monde. La ligne de partage des eaux n'est d'ailleurs pas arrêtée entre elles. Tout dépend des coalitions qui se forment pour soutenir tel ou tel belligérant et de l'arbitrage rendu par la communauté internationale : jusqu'où les Etats-Unis et le Conseil de sécurité vont-ils laisser la situation se développer ? Comme vous, je suis vraiment dans l'expectative : des forces telluriques sont à l'oeuvre et je pense que le Moyen-Orient n'aura plus rien à voir dans dix ou quinze ans avec ce qu'il est d'aujourd'hui.
Avons-nous réagi à la révolution syrienne trop rapidement ou au contraire pas assez vite ? On a pensé que la Russie bougerait ou bien que l'on serait capable de la faire changer de position, mais il n'en a rien été. Les Russes font obstacle à la fois pour des raisons un peu formelles – ils ne veulent pas qu'on leur joue deux fois le même tour qu'en Libye, nous disent-ils –, et pour des raisons de fond, la population russe étant sur une ligne de défense de l'État syrien tel qu'il existait jusqu'à aujourd'hui. Le Président Poutine doit en tenir compte. Rien ne devrait donc évoluer avant longtemps.
Au plan politique, comment la situation peut-elle bouger ? Plusieurs pistes, toutes insatisfaisantes, peuvent être envisagées, telles qu'un dépeçage de la Syrie en plusieurs Etats ou un fractionnement des Alaouites. Pour trouver une porte de sortie, il s'agirait de les convaincre qu'ils continueront à jouer un rôle dans la Syrie d'après Assad et qu'ils ont donc intérêt à le lâcher. Est-ce encore possible ? Quelques éléments bougent, mais rien n'est assuré de ce côté-là. Pour le moment, le camp alaouite reste suffisamment solidaire pour garantir le maintien d'Assad.
Reste le sort des armes. Il y a d'un côté une armée disposant d'une puissance de feu, notamment avec ses avions de combat, et alimentée par l'extérieur ; de l'autre, des forces rebelles beaucoup plus modestes, même si elles commencent à bénéficier de moyens antiaériens, et engagées dans une guérilla urbaine.
La contagion au Liban est un vrai risque. Les forces armées libanaises nous ont dit ne pouvoir sécuriser la frontière que sur 120 ou 160 kilomètres au Nord ; ailleurs, elle est une véritable passoire. Les Libanais peuvent enrayer le passage des armes lourdes, mais pas celui des personnes ou celui des kalachnikovs. La Syrie atteinte, le Liban est donc très exposé.
A mes yeux, la Syrie est le seul pays laïc de la zone, et si elle disparaît un jour nous le regretterons, nous qui sommes attachés à la laïcité.
Je bénis la Russie, car où en serions-nous sans son veto ? Le gouvernement français précédent comme l'actuel se sont positionnés très en pointe contre le système Assad. Si la Russie avait levé son veto, nous aurions été obligés d'engager la force armée, alors que la Syrie n'est pas la Libye : l'armée syrienne, grâce à son système de défense sol-air, pourrait menacer sérieusement nos Mirage et nos Rafale. N'imaginons pas un seul instant que les Etats-Unis, au-delà d'une aide en matière de renseignement, viendraient nous assister comme ils l'ont fait en Libye. Il n'est pas sûr non plus que les Britanniques nous rejoindraient, si bien que nous serions probablement seuls. Excusez-moi si je choque certains d'entre vous, mais la Russie nous tire d'affaire. Ce que nous faisons au plan diplomatique suffit bien.
Qui peut dire comment tout cela va se terminer ? Je pense pour ma part que la situation pourrait durer longtemps : il ne me paraît pas possible de faire partir Assad dans les mois, voire dans les années qui viennent. La mise en place d'un processus électoral pourrait aussi être difficile. Le gouvernement comme la coalition en face de lui sont extrêmement déterminés à ne pas s'entendre et à ne surtout pas appliquer l'accord de Genève.
Le Hezbollah est le plus inquiet de tous et visiblement sans espoir – c'est du moins ce que nous avons perçu dans son discours. Si Damas tombe, il n'aura plus d'allié sauf l'Iran, qui est plus lointain. Le Hezbollah est donc affaibli. C'est pourtant un interlocuteur bien implanté politiquement et socialement dont il faut tenir compte.
Le Hezbollah est affaibli par ses ambiguïtés vis-à-vis de la Syrie, mais il conserve une grande capacité de nuisance et de blocage dans le jeu politique libanais.
S'agissant de l'attitude du Quai d'Orsay, j'avais un précédent. Lorsque j'ai voulu me rendre à Beyrouth pour enquêter sur les attentats de 1986, le Premier ministre de l'époque m'a appelé pour interdire au juge d'instruction que j'étais d'y aller. J'ai obtempéré. Pour la Syrie, le Quai d'Orsay était très insistant : aller à Damas, c'était risquer de se retrouver au coeur de la bataille.
Pour répondre à Jean-Claude Guibal, je pense qu'on assiste à un affrontement entre chiites et sunnites. Ils font preuve d'une vraie détestation mutuelle et d'une volonté de faire périr l'autre. On voit naître par ailleurs une opposition entre deux pays financièrement très puissants, le Qatar et l'Arabie saoudite, l'un soutenant les Frères musulmans, notamment en Syrie, et l'autre le wahhabisme ainsi que certains djihadistes.
Je partage totalement l'analyse d'Alain Marsaud sur la Russie. Les Russes ont une politique et une vision concernant la radicalisation de l'islam. Ils nous ont toujours dit que nous sommes complètement fous : pour eux, nous ne savons pas ce que nous sommes en train de mettre en place.
Certains experts ont fait un classement des mouvements qui combattent le régime syrien. Il n'est pas défendable, bien sûr, mais il y a une distance entre Charybde et Scylla. Ces experts ont établi trois catégories : les groupes qui peuvent être fréquentables et qui peuvent donc recevoir des aides, ceux qui ne sont pas fréquentables, et ceux qui ne le sont absolument pas. Aucun des groupes qui se battent sur le terrain n'a pu être classé dans la catégorie « fréquentable ».
Une simple remarque : le ministre des affaires étrangères a rappelé ici même qu'il n'y avait aucune comparaison à faire entre la situation de la Libye et celle de la Syrie, en expliquant pourquoi on ne pouvait pas adopter la même attitude sur ces deux crises.
Mais je voudrais surtout remercier le président et le rapporteur du groupe de travail pour l'excellence du rapport qu'ils viennent de nous faire sur leurs premières investigations.
La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.