Intervention de Alain Marsaud

Réunion du 16 janvier 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Marsaud :

Nous avons souhaité faire une présentation au retour de ce premier déplacement, au cours duquel nous n'avons pu nous rendre qu'à Beyrouth, du 16 au 19 décembre, alors que nous avions envisagé d'aller aussi à Damas, afin de ne pas rencontrer seulement des opposants syriens mais aussi les autorités légales. Le ministère des affaires étrangères nous a demandé de nous limiter à Beyrouth pour des raisons de sécurité, au motif que la « bataille de Damas » allait s'engager, et aussi pour ne pas mettre la diplomatie de notre pays en porte-à-faux en rencontrant les autorités syriennes alors que le Gouvernement venait de reconnaître l'opposition. On peut donc considérer notre mission comme inachevée, mais nous avons tout de même pu rencontrer de nombreux acteurs, essentiellement libanais, à Beyrouth. Nous avons la chance d'y avoir un ambassadeur de grande qualité, M. Patrice Paoli, qui a fait en sorte que nous puissions avoir des entretiens de haut niveau.

Comme je ne défendrai pas nécessairement une position de totale hostilité au gouvernement syrien actuel et comme je suis plutôt modéré en ce qui concerne la suite des événements, je voudrais dire, au préalable, que je rejette à titre personnel tout ce qu'a été le système « Assad ». Dans les fonctions de chef du service central de lutte antiterroriste que j'ai exercées au cours des années 1980, j'ai pu constater que la main de Damas était souvent présente dans les attentats commis en France à cette époque. La Syrie, sous Assad père et fils, a toujours été opposée à toute forme de présence de la France sur les terres libanaises et nous l'a fait payer dans la région, de l'assassinat de notre ambassadeur Louis Delamare à l'attentat contre le DC10 d'UTA – même si mon avis est très minoritaire sur ce dernier point.

Le Premier ministre libanais, lorsque nous l'avons rencontré, nous a exposé la politique officielle de « distanciation » de son gouvernement à l'égard de l'affaire syrienne. A la différence des acteurs politiques libanais, qui prennent position sur cette crise, souvent de manière très contrastée, le gouvernement s'efforce de tenir le pays à l'écart de ce qui se passe en Syrie, du fait des incertitudes quant à l'évolution de la situation et du passé avec le voisin syrien, étant entendu aussi que l'évolution de la situation, quelle qu'elle soit, risque d'avoir des conséquences pouvant aller jusqu'à un embrasement du pays. Dans la ville de Tripoli, au Nord du Liban, il y a fréquemment des affrontements très violents entre alaouites et sunnites, alors qu'à Beyrouth, à 50 kilomètres de là, la vie continue comme si de rien n'était. Le Premier ministre libanais, M. Najib Mikati, qui est sunnite, se voit comme un gardien de but, n'aspirant pas à marquer contre la Syrie ou pour elle, mais à ne pas encaisser de but au Liban.

Nous avons aussi rencontré des représentants des deux factions, d'une part le mouvement du 8 mars, alliant pour l'essentiel les « Aounistes », chrétiens, le Hezbollah et le mouvement chiite Amal, qui soutiennent la Syrie pour des raisons diverses, et d'autre part le mouvement du 14 mars, aujourd'hui dans l'opposition et composé de sunnites, autour de Saad Hariri, mais aussi de chrétiens, les Forces libanaises de Samir Geagea, les chrétiens se répartissant donc entre les deux camps, comme souvent dans leur histoire. La position du mouvement du 8 mars s'explique par l'alliance entre le Hezbollah et l'Iran, mais aussi par la peur du lendemain. Il y a notamment la crainte qu'une chasse aux minorités ne s'engage en cas de disparition d'Assad, avec l'instauration d'un gouvernement à dominante sunnite et sans doute les Frères musulmans ou des djihadistes en arrière-plan. D'où la volonté d'espérer qu'Assad dure longtemps, les avis étant très partagés sur ce sujet : certains de ses soutiens, notamment au sein du Hezbollah, pensent qu'Assad est perdu ; d'autres, parmi ceux qui lui sont hostiles, pensent au contraire qu'il va tenir au moins jusqu'aux prochaines échéances électorales.

Sur le terrain, le face-à-face est en effet peu évolutif. On n'imagine pas au sein du 14 mars que la rébellion puisse prendre le pouvoir, malgré quelques victoires – elle s'empare de coins d'aéroport reperdus dès le lendemain. Par ailleurs, tout le monde se rejette bien sûr la responsabilité des attentats, y compris les plus meurtriers, comme celui d'hier à Alep, qui a fait 80 morts. La situation semble totalement bloquée au plan militaire et l'on peine à voir ce qui pourrait la faire évoluer. Le clan Assad compte sur la Russie, même si le fameux port russe de Tartous se limite à une cinquantaine de mètres mis à la disposition des navires russes ; du côté du 8 mars, on pense que rien ne bougera tant que la Russie soutiendra Assad.

Pour ce qui est de l'avenir, certains craignent que la fin du système Assad ne soit aussi la fin du Liban. Les interlocuteurs que nous avons rencontrés à Beyrouth envisagent globalement trois modèles différents pour un « après-Assad » en Syrie – s'il devait y avoir une telle issue. D'abord, une dictature sous une autre forme, de type sunnito-salafiste, qui pèserait de tout son poids sur les minorités, les sunnites représentant près de 70 % de la population. Ensuite, une solution de type « Taëf », avec une répartition des postes par communautés, comme au Liban – le Président de la République est chrétien, le Premier ministre sunnite et le Président du Parlement chiite. Il reste que le modèle libanais de coalitions et d'ajustements entre les minorités ne constitue pas un exemple en matière de stabilité, d'autorité de l'Etat et de défense des intérêts du pays. Dernière solution, une sorte de fédération à l'irakienne, dans un cadre régional, avec les avantages et les inconvénients que cela implique mais aussi avec l'espoir d'éviter une « somalisation » redoutée des deux côtés.

Voilà les observations dont je voulais vous faire part.

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