Intervention de Serge Janquin

Réunion du 16 janvier 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Janquin :

Quelques remarques, pour commencer : il ne s'agit pas vraiment d'un rapport d'étape car le groupe de travail n'a pas encore commencé ses auditions à Paris, qui seront nombreuses. Par ailleurs, il n'y a plus d'ambassadeur du régime syrien à Paris, ni d'ambassadeur de France à Damas, où nous ne pouvions évidemment pas nous rendre. La France ayant reconnu la légitimité des représentants de la résistance syrienne, nous étions sans doute persona non grata en Syrie. Il n'aurait servi à rien d'aller à Damas pour n'y rencontrer aucun interlocuteur autorisé. Nous n'avons donc pu observer la situation que depuis le Liban.

Au plan humanitaire, la situation est réellement catastrophique. Le Liban est le plus petit voisin de la Syrie, mais aussi celui qui accueille proportionnellement le plus de réfugiés, d'ailleurs dans des conditions tout à fait particulières. Du fait de l'intensité des échanges entre la Syrie et le Liban au plan historique et dans le domaine du travail, ces réfugiés ne se sentent pas vraiment à l'étranger au Liban et ils espèrent y trouver des conditions de vie proches de ce qu'elles étaient en Syrie, où les standards sont relativement élevés. Il y a là une grande différence avec d'autres crises, comme celles du Darfour ou du Soudan. Ces réfugiés ont des attentes – tout à fait légitimes – en matière de prestations de santé, de scolarisation des enfants, d'hygiène ou de sécurité.

La situation est d'autant plus complexe que l'Etat libanais, averti par son expérience, ne souhaite pas la constitution de camps, préférant une répartition des réfugiés sur tout son territoire. On sait au Liban la source d'insécurité qu'un camp de réfugiés peut constituer et quelle exploitation on peut en faire. Lorsque l'Arabie saoudite a proposé de financer six camps dans la région de la Bekaa, juste après notre départ, le gouvernement a ainsi opposé un refus catégorique. Mais la principale difficulté au Liban résulte de la masse croissante des réfugiés et de la réaction, croissante aussi, de la partie pauvre de la population libanaise qui voit des réfugiés venir louer des logements, occuper des hangars ou des bâtiments publics et bénéficier d'une aide internationale alors qu'elle ne reçoit rien. C'est d'ailleurs un problème fréquent dans ces circonstances.

Une telle situation humanitaire nécessite une mobilisation de toutes les formes d'aide au plan international. La France pays est plutôt à l'avant-garde dans ce domaine, par l'intermédiaire de l'Union européenne mais aussi en apportant une aide bilatérale, ce qu'elle fait d'une manière particulièrement bien ciblée et très appréciée. Nous aurons à revenir sur ces questions, car le phénomène ne fait que s'accélérer et l'on peut imaginer qu'il s'aggravera une fois que l'offensive sur Damas aura été déclenchée. La récente attaque d'un camp palestinien près de Damas, par les forces d'Assad, a d'ailleurs provoqué un nouveau mouvement vers le Liban assez spécifique dans la mesure où il s'agit de réfugiés palestiniens qui ne bénéficient pas de titres de séjour de plus d'une semaine – ils sont donc généralement en situation irrégulière.

Voilà la situation complexe et dramatique au plan humanitaire dans laquelle le gouvernement libanais se trouve. Il a d'autant moins les moyens d'y faire face qu'il voit son économie entrer en récession.

S'agissant de la situation politique, en première analyse, il me semble nécessaire de distinguer au moins trois niveaux.

Le premier est celui des grandes puissances. Le blocage, résultant essentiellement de la Russie, n'interdit pas tout soutien à la rébellion, mais il n'autorise rien de décisif. La situation risque donc de durer beaucoup plus longtemps qu'on ne le pense en général.

Dans l'environnement immédiat de la Syrie, l'Iran se montre très déterminé et le principal soutien du régime d'Assad, en termes de moyens, vient de ce pays via l'Irak, avec une projection vers la Syrie et vers le Liban, suivant l'axe propre à l'Iran. Nous ne savons pas encore jusqu'où ce pays est décidé à pousser ses pions, ni jusqu'à quel point ses rivaux sont décidés à le laisser faire.

Enfin, je crois nécessaire de rappeler qu'il s'agit en Syrie d'une révolution proprement syrienne, tout à fait singulière par rapport à ce que l'on a nommé les « printemps arabes ». Il ne faut pas oublier la puissance de l'ancienne Syrie, héritière de l'empire assyrien, avant que les accords Sykes-Picot ne lui imposent un mandat international et n'en fassent un simple « Moyen-Orient ». Avec la révolution actuelle, se joue aussi la reconnaissance d'une identité, d'un rôle historique et d'une nouvelle image que les révolutionnaires syriens veulent imposer dans la région et dans le monde. Telle est la force de cette puissance éruptive capable de résister à une armée aussi forte que celle d'Assad – il suffit de voir ce qui se passe à Alep pour prendre la mesure de la violence du régime. Cela fait un siècle que la population syrienne souhaite être reconnue pour ce qu'elle est, dans son identité et dans son histoire.

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