Des gages ont été donnés en matière de laïcité au moment de l'installation de l'Etat syrien, mais ils se sont considérablement amoindris. Les forces islamiques sont à l'oeuvre aujourd'hui en Syrie comme ailleurs, parfois plus puissamment qu'on ne l'imagine.
Quel est le Moyen-Orient qui se dessine ? Il y a manifestement des conflits à caractère religieux, aussi une résurgence des anciennes puissances qui ont dominé tour à tour cette région du monde. La ligne de partage des eaux n'est d'ailleurs pas arrêtée entre elles. Tout dépend des coalitions qui se forment pour soutenir tel ou tel belligérant et de l'arbitrage rendu par la communauté internationale : jusqu'où les Etats-Unis et le Conseil de sécurité vont-ils laisser la situation se développer ? Comme vous, je suis vraiment dans l'expectative : des forces telluriques sont à l'oeuvre et je pense que le Moyen-Orient n'aura plus rien à voir dans dix ou quinze ans avec ce qu'il est d'aujourd'hui.
Avons-nous réagi à la révolution syrienne trop rapidement ou au contraire pas assez vite ? On a pensé que la Russie bougerait ou bien que l'on serait capable de la faire changer de position, mais il n'en a rien été. Les Russes font obstacle à la fois pour des raisons un peu formelles – ils ne veulent pas qu'on leur joue deux fois le même tour qu'en Libye, nous disent-ils –, et pour des raisons de fond, la population russe étant sur une ligne de défense de l'État syrien tel qu'il existait jusqu'à aujourd'hui. Le Président Poutine doit en tenir compte. Rien ne devrait donc évoluer avant longtemps.
Au plan politique, comment la situation peut-elle bouger ? Plusieurs pistes, toutes insatisfaisantes, peuvent être envisagées, telles qu'un dépeçage de la Syrie en plusieurs Etats ou un fractionnement des Alaouites. Pour trouver une porte de sortie, il s'agirait de les convaincre qu'ils continueront à jouer un rôle dans la Syrie d'après Assad et qu'ils ont donc intérêt à le lâcher. Est-ce encore possible ? Quelques éléments bougent, mais rien n'est assuré de ce côté-là. Pour le moment, le camp alaouite reste suffisamment solidaire pour garantir le maintien d'Assad.
Reste le sort des armes. Il y a d'un côté une armée disposant d'une puissance de feu, notamment avec ses avions de combat, et alimentée par l'extérieur ; de l'autre, des forces rebelles beaucoup plus modestes, même si elles commencent à bénéficier de moyens antiaériens, et engagées dans une guérilla urbaine.
La contagion au Liban est un vrai risque. Les forces armées libanaises nous ont dit ne pouvoir sécuriser la frontière que sur 120 ou 160 kilomètres au Nord ; ailleurs, elle est une véritable passoire. Les Libanais peuvent enrayer le passage des armes lourdes, mais pas celui des personnes ou celui des kalachnikovs. La Syrie atteinte, le Liban est donc très exposé.