Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 15 janvier 2013 à 16h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, présidente :

Comme tous les ans, une délégation de notre commission s'est rendue à New York les 29 et 30 novembre 2012, à l'occasion de l'Assemblée générale de l'ONU. Je vais vous présenter quelques conclusions de cette mission que j'ai conduite avec nos collègues Odile Saugues, Hervé Gaymard et Noël Mamère.

L'actualité internationale a été très riche depuis la fin du mois de novembre, mais les sujets que nous avons abordés sont restés d'actualité et même, pour certains, le sont devenus encore d'avantage.

Comme tous les ans, la délégation de la commission a pu constater à quel point la diplomatie française jouissait d'un atout essentiel de par son statut de membre permanent du Conseil, atout qu'elle jouait dans un esprit de partenariat avec les autres membres du Conseil, permanents ou non permanents. La coopération avec les Britanniques en particulier est aujourd'hui très étroite sur la plupart des dossiers, notamment sur celui du Sahel, sur lequel nous sommes très en phase, et la France demeure un acteur écouté sur les dossiers africains et moyen orientaux. Le dialogue avec les États-Unis en revanche est plus difficile comme le démontrent certains dossiers que je vais évoquer.

La délégation était à New York le jour où l'Assemblée générale a voté le rehaussement du statut de la Palestine qui est devenue le 29 novembre « État observateur non membre des Nations Unies » alors qu'elle était jusqu'à ce vote « Observateur simple ». Elle a pu assister à la séance de l'Assemblée générale et a eu un entretien chaleureux avec Mahmoud Abbas quelques minutes avant qu'il ne prenne la parole à la tribune pour présenter sa demande.

Le vote a été acquis à une large majorité ( 138 voix pour, 41 abstentions et neuf voix contre dont celles des États-Unis et d'Israël ). Parmi les 27 membres de l'Union européenne, 14 ont voté pour, 12 se sont abstenus et un seul a voté contre. L'Union européenne n'est donc pas unie sur ce dossier mais elle aurait pu se diviser davantage. Grâce à notre diplomatie, le pire a sans doute été évité. En effet, un seul membre de l'Union a voté contre : la République tchèque. L'Allemagne, les Pays bas et la Pologne, dont on aurait pu penser qu'ils voteraient contre, ont choisi de s'abstenir ce qui témoigne d'une évolution intéressante.

La France et le Royaume Uni ont tenté conjointement de convaincre M. Abbas de faire deux concessions : un engagement de ne pas demander l'adhésion de la Palestine à la CPI et un discours ouvert sur une reprise des négociations avec Israël. Le président palestinien n'a satisfait aucune de ces demandes ; son discours lors de la discussion de la résolution a été un discours de combat manifestement à destination de la population palestinienne. Par la suite, la France est restée sur sa décision de principe alors que le Royaume Uni a opté pour l'abstention, non sans hésitation.

Il ne faut sans doute pas exagérer la portée de cette résolution, ni dans un sens, ni dans un autre. Elle ne change pas fondamentalement l'équation de cette crise, mais n'a pas provoqué non plus la crise diplomatique que certains redoutaient.

Elle a surtout une portée symbolique. Elle ne confère pas à la représentation palestinienne de droits supplémentaires significatifs car celle-ci avait déjà un statut qui lui permettait de s'exprimer très largement à l'ONU. Elle permet surtout à la Palestine d'adhérer aux organisations internationales onusiennes ce qui aurait d'ailleurs pour conséquence automatique la suppression des contributions des États-Unis à ces organisations. Mais il n'est pas certain que la Palestine exploitera cette possibilité.

Ce vote est une victoire politique du président Abbas qui peut l'aider à défendre son leadership alors que la dernière crise de Gaza a permis au Hamas de marquer des points. On est loin encore d'une réconciliation palestinienne et ce vote, de ce point de vue, est une bonne nouvelle pour la paix car le président Abbas en a perçu un bénéfice politique.

La réaction d'Israël a été très critique, mais on ne peut en conclure que ce vote ait achevé de compromettre tout espoir d'une reprise du dialogue. J'ai d'ailleurs reçu quelques jours plus tard l'ambassadeur israélien en poste à Paris et celui-ci a tenu à me faire part de l'attachement de son pays à conserver de bonnes relations avec la France. Malgré tout, Israël a réagi en annonçant de nouvelles implantations dans les colonies et en retenant un mois de redevances qu'elle aurait dû reverser à l'Autorité palestinienne. C'est évidemment beaucoup mais Israël n'est pas allé au-delà, en particulier Israël n'a pas pris de sanctions directes contre l'Autorité palestinienne. De toute façon, Israël ne paraît guère disposé à assouplir sa position sur les colonies – malgré nos pressions – et à s'orienter vers de vraies négociations.

La ligne défendue par la France sur ce dossier a toujours été de voter pour la résolution, mais en plaidant pour que ce vote ne complique pas davantage la possibilité de reprendre les négociations car, pour notre pays, telle est bien aujourd'hui l'urgence. On peut considérer que cette étape a été franchie sans provoquer la crise que certains redoutaient ou annonçaient.

La délégation a évoqué le sujet de la crise syrienne avec M. Brahimi, représentant spécial de l'ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie, et avec des représentants permanents du monde arabe et de la Russie.

Le Conseil de Sécurité n'est pas parvenu à sortir d'une paralysie qui affecte sa crédibilité. La Russie et la Chine ont opposé à trois reprises leur veto à des résolutions du Conseil et les initiatives prises par le Secrétariat général ont toutes fait long feu. Chacun s'accorde sur la prévision que le régime en place ne pourra rester en place indéfiniment car l'opposition armée a progressé. Mais le régime paraît toujours aussi déterminé.

M. Brahimi, à l'origine dubitatif quant à la politique française de reconnaissance de la Coalition nationale syrienne, a noué le dialogue avec le cheikh Ahmad Moaz al-Khatib, alors que le RP russe, lors de notre entretien, était très critique sur cette initiative française. M. Brahimi ne semble pas avoir de plan précis. Il privilégie la recherche d'un processus négocié et donc le dialogue avec le régime en place. Il est attentif aux garanties que l'opposition syrienne doit donner à la communauté alaouite.

La Russie ne paraît pas porteuse d'une solution sérieuse. Son représentant s'est contenté de déplorer les prises de position occidentales tout en reconnaissant qu'il n'y avait pas de bonne solution. Toutefois, la Russie paraît prendre conscience que sa position n'est pas tenable à moyen terme et M. Brahimi a certainement raison de développer le dialogue avec Moscou.

Outre son action humanitaire, la France est sur deux lignes d'action : elle accroît la pression sur le régime syrien et elle soutient l'opposition en l'aidant à se structurer. À ses yeux, le Conseil de Sécurité reste une enceinte incontournable, mais il ne peut jouer un rôle positif qu'en délivrant des messages de fermeté à Damas.

S'agissant de la situation en République démocratique du Congo, la délégation s'est entretenue avec Jan Eliasson, Secrétaire général adjoint de l'ONU et Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint en charge des opérations de maintien de la paix à l'ONU.

Les attaques des rebelles du M23 dans la province du Kivu ont conduit le Conseil de sécurité a adopté le 20 novembre, à l'initiative de la France, une résolution très ferme condamnant ces attaques et les soutiens extérieurs au M23. La France n'a pas pu obtenir que le Rwanda soit explicitement cité comme l'un de ces soutiens en raison de l'opposition des États-Unis à cette mention. Depuis, le Rwanda est devenu membre non permanent du Conseil.

Cette action néanmoins n'a pas été vaine puisque des négociations se sont engagées et que le M23 s'est retiré de Goma.

Il est clair que le sort de la RDC dépend principalement de la capacité des parties en présence à respecter leurs engagements respectifs.

En ce qui concerne la MONUSCO, celle-ci a été très critiquée pour sa relative passivité pendant la crise.

Il s'agit en effet de la plus importante force de l'ONU déployée dans le monde. Elle est constituée de 17 000 hommes et dispose d'hélicoptères de combat. Son mandat consiste à protéger les populations civiles « par tous les moyens nécessaires » et à appuyer l'armée congolaise. On peut donc se demander pourquoi une force de cette importance n'a pas été en mesure de contenir le M23 dont les effectifs sont évalués à 3 000 hommes et qui se servent de la torture et des viols comme armes de guerre.

Il convient bien entendu de tempérer cette interrogation :

- le territoire à contrôler est immense et l'armée congolaise, comme les structures étatiques sont faibles.

- les forces de la MONUSCO sont implantées sur une dizaine de sites. Cette dispersion n'a pas facilité la résistance à l'offensive mais elle se justifiait dans la mesure où cette présence permettait de contrôler des lieux où la population locale était menacée par des bandes armées.

- Le M23 est composé de 3 000 hommes à peine mais est en mesure de faire des dégâts importants, notamment parce qu'il bénéficie du soutien logistique du Rwanda et de l'Ouganda.

- La MONUSCO n'est pas restée complètement inactive. Lorsque le M23 est passé à l'offensive contre Goma, l'armée congolaise a résisté pendant trois jours, trois jours au cours desquels les hélicoptères de la MONUSCO se sont engagés, en tirant 600 roquettes et plusieurs milliers de bombes. A partir du 3ème jour, le M23 a attaqué de nuit car il a pu se procurer du matériel de vision nocturne. L'armée congolaise s'est délitée ce qui a permis au M23 d'envahir Goma et la MONUSCO a cessé toute action militaire car celle-ci, en milieu urbain, aurait pu avoir des conséquences désastreuses sur la population civile et car son mandat ne lui permet pas de combattre en lieu et place de l'armée congolaise.

Autrement dit, le manque de combativité des contributeurs de troupes indien et pakistanais n'explique pas tout.

Il s'agit non pas de redéfinir le mandat de la MONUSCO mais plutôt ses moyens. Une réflexion est en cours afin de doter la MONUSCO d'une brigade d'intervention robuste et mobile. Une autre piste est de l'équiper de drones de surveillance. Cependant ces idées, tout à fait pertinentes d'un point de vue opérationnel, devront être approuvées par les membres du Conseil de Sécurité et il n'est pas certain qu'elles fassent l'unanimité.

J'en viens maintenant à la question du Mali. La délégation était à New York avant l'adoption de la résolution 2085 qui a autorisé le déploiement de la MISMA.

La légalité de notre intervention ne repose pas sur cette résolution, mais sur l'article 51 de la Charte des Nations Unies qui dispose qu'aucune disposition de la Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre est l'objet d'une agression armée. Le président malien a écrit à François Hollande et informé le Conseil de sécurité qu'il demandait l'assistance militaire de la France contre les groupes terroristes et qu'il entendait conjointement accélérer le déploiement de la MISMA. Aucun membre du Conseil n'a soulevé d'objections et dix d'entre eux ont déclaré qu'ils nous soutenaient. Quant à la légitimité, notion il est vrai plus subjective, elle se fonde sur la nature et l'urgence de la menace et sur le soutien international très large dont nous bénéficions.

Il convient maintenant de mettre en échec l'offensive terroriste, de conforter le pouvoir malien afin qu'il restaure son intégrité mais aussi d'accélérer le passage de relais à l'armée malienne et à la MISMA car il n'est pas question que nous nous éternisions sur le sol malien.

Les derniers événements semblent lever un certain nombre de freins dont nous avons constaté l'existence lors de notre mission.

Les États-Unis étaient très réservés sur le concept militaire retenu par la résolution et le sont sans doute encore. Ils ne croient pas qu'une force africaine puisse éradiquer les forces terroristes installées au nord du Mali. Ceci dit, ils ont appuyé notre intervention.

Les pays d'Afrique sud-saharienne sont unanimes dans leur soutien tandis que l'Algérie, très réservée sur toute forme d'intervention étrangère, a manifestement évolué. Sa tentative de détacher Ansar Eddine d'AQMI a échoué et elle a décidé d'autoriser le survol de son territoire et de fermer sa frontière avec le Mali.

Le MNLA s'est dissocié des groupes terroristes et a déclaré être prêt à aider la France.

La mise en oeuvre de la MISMA s'accélère ; certains États ont annoncé des contributions : le Niger, le Burkina Faso, le Nigéria, la Cote d'Ivoire, le Sénégal, le Togo, le Tchad, le Bénin et, du côté européen, le Royaume-Uni, le Danemark, la Belgique ont apporté des moyens de transport de ces forces. La MISMA sera dirigée par un général nigérian francophone, ce qui est important pour se faire comprendre dans la région.

L'armée malienne est évidemment dans un état de très grande faiblesse et la situation militaire est encore marquée par des difficultés dans le fuseau ouest du Mali.

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