Nous constatons évidemment une accélération des événements depuis notre voyage à Bamako du 18 au 20 décembre dernier. Il y a cependant une certaine logique dans ce qui se passe, en continuité avec ce que nous avions exposé en mars 2012 dans le rapport présenté avec Henri Plagnol, « Le Sahel pris en otage », avec toute la complexité des problématiques : les problèmes du nord Mali, avec la question touareg, celle des pays voisins, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Burkina Faso ; la question de l'occupation de l'immense territoire sahélo-saharien, de la Mauritanie à la Somalie, par les groupes terroristes et djihadistes liés en très grand nombre aux narcotrafiquants, le désordre dû à la guerre en Libye, les pillages des armes par les bandes terroristes, les déplacements de populations en très grand nombre, le retour des mercenaires touareg de Kadhafi désoeuvrés vers leurs territoires d'autrefois, au Sahel, autant d'éléments qui traduisent une certaine continuité entre ce que nous avions alors constaté et ce qui se passe aujourd'hui.
Nous avons constaté que Bamako était sécurisée. L'ambassade de France a fait ce qu'il fallait, le centre culturel aussi, les bâtiments publics et les hôtels également. Il n'y a guère qu'Air France qui ait pris la décision, peu glorieuse pour la compagnie nationale, de ne pas faire coucher ses équipages à Bamako, mais c'est secondaire.
Nous avons surtout constaté la complexité de la question sahélienne et malienne, avec la coupure en deux du pays, avec ces trois immenses régions du nord que sont Kidal, Gao et Tombouctou aux mains d'AQMI et de ses affidés, mouvances qui parfois s'allient, parfois s'opposent. Le Mali a perdu son intégrité territoriale. Nous avons constaté la grande fragilité de la gouvernance du Mali, due au coup d'Etat du 22 mars qui a déposé le président ATT, fomenté par le capitaine Sanogo, à la tête d'une junte militaire, lequel est toujours en fonction aujourd'hui au plan militaire à Kati. Depuis lors, le Mali est gouverné par un pouvoir de transition, intérimaire, mais fragile : avec un Président de la République, qui au demeurant nous a fait bonne impression, qui n'a réchappé de l'agression dont il a été victime quelques mois plus tard que parce que ses agresseurs l'ont cru mort ; un Premier ministre, Cheikh Modibo Diarra, débarqué par le capitaine Sanogo quelques jours avant notre arrivée à Bamako et remplacé par le médiateur de la république, M. Cissoko. Le gouvernement d'union nationale inclut des proches de Sanogo. L'assemblée, pour sa part, fonctionne.
Nous avons rencontré les principaux acteurs politiques du Mali : le Président de la République, le nouveau Premier ministre, le ministre de l'administration territoriale qui nous a dit expressément « le patron du Mali, c'est le Président de la République », un ancien Premier ministre aussi, sage de la vie politique malienne, Ibrahim Boubakar Keita, ou encore le Président de l'Assemblée nationale, en compagnie de plusieurs députés.
L'état des lieux, par conséquent n'était pas très positif. L'Etat est faible, la situation économique et sociale est inquiétante mais elle n'était cependant pas grave sur le plan humanitaire, y compris dans les régions du nord où les ONG intervenaient, parfois dans des conditions difficiles car les terroristes utilisent parfois les fournitures du PAM pour se faire passer pour des bienfaiteurs. Une situation économique et sociale inquiétante, donc, mais sans extrême danger.
Un jeu diplomatique, enfin, dans lequel on distinguait le rôle de la Cédéao, celui de la médiation burkinabè sous l'égide du président Blaise Compaoré qui avait semble-t-il jusqu'ici rencontré plus d'échecs que de succès. Les différentes factions, sauf AQMI, se rencontraient néanmoins à Ouagadougou avec les représentants du gouvernement malien, jusqu'à ce que la décision d'Ansar Eddine de relancer son offensive sur Mopti ne vienne mettre un terme à ce processus.
On nous a expliqué que l'on préparait une intervention militaire pour septembre, car il fallait préparer l'armée malienne, organiser et mettre en place les forces de la Cédéao, préparer l'accompagnement par la France et que cela devait tenir compte des conditions climatiques à venir, etc. Par rapport à l'attente des populations et à la réalité du terrain, cela nous semblait surréaliste. Quoi qu'il en soit, il convient de préparer les élections pour légitimer le pouvoir dès que possible et sortir de cette situation de transition. Sur ce sujet les Etats-Unis ont tort. Tous nos interlocuteurs nous ont dit qu'il était impensable d'organiser les élections si on ne les faisait pas aussi dans les trois régions du nord occupées par AQMI, notamment les trois grandes villes, Tombouctou, Kidal et Gao. L'ambassadrice américaine convenait d'ailleurs à Bamako que l'idéal serait de les organiser dans l'ensemble du pays.
Quant aux forces maliennes, leur état est déplorable, en termes de capacités, d'organisation et de volonté de combattre. Elles ont reculé et capitulé dans le nord sans combattre. Il y a eu des épisodes terribles, comme la tuerie d'Aguelhok où plus d'une centaine de militaires ont été égorgés dans des conditions atroces. L'armée malienne compte 20 000 soldats en tout, mais qui doivent être formés dans l'urgence pour qu'ils soient opérationnels. Cet état de faiblesse de l'armée a eu des conséquences sur les terroristes qui ont pu récupérer des armes abandonnées, qui se sont ajoutées à ce qui avait été obtenu en Libye et des pillages, de sorte que les djihadistes sont aujourd'hui bien mieux armés que les forces maliennes. En d'autres termes, les combats qui s'annoncent ne seront pas des opérations faciles, ne serait-ce que parce que l'ennemi dispose entre autres de capacités sol-air.
Quant aux trois principales mouvances, je rappellerais qu'AQMI serait passé de 300 en mars 2012 à 3-4000 hommes aujourd'hui, qu'Ansar Eddine s'est de plus en plus radicalisé, même si des opportunités de ralliements ou de détachements existent, que le MNLA n'existe aujourd'hui quasiment plus après la folie de son ralliement à AQMI et Ansar Eddine qui sont totalement différents de lui. Au nom du djihad, il y a surtout une bande de narcotrafiquants depuis des années ; c'est la réalité à combattre.