Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 15 janvier 2013 à 16h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche, président du groupe de travail :

Ce groupe a une utilité immédiate et notre voyage prend une coloration particulière après la décision du Président de la République d'engager nos forces.

En posant la question brutalement, on pourrait tout d'abord se demander si l'Etat malien existe vraiment. Aujourd'hui, il suffit que le capitaine Sanogo le demande pour qu'on change de Premier ministre et de toute façon les autorités actuelles ont un mandat transitoire qui s'achève le 4 avril.

De la même façon, on peut s'interroger sur l'armée malienne, dont chacun s'accorde à reconnaître l'extrême faiblesse, l'ensemble des interlocuteurs maliens que nous avons rencontrés à Bamako en premier lieu. C'est une armée « top heavy » avec un très grand nombre de généraux et de colonels, beaucoup promus par copinage. Cette armée manque de formation, d'équipement et de professionnalisme, et on a vu, qu'elle se délitait souvent sans combattre. Suite aux événements d'avril dernier un bataillon s'est même réfugié au Niger, dont on nous dit qu'il pourrait apporter son aide à une éventuelle reconquête de Gao. Il faut d'ailleurs rappeler le déroulement des événements du début de l'année 2012. C'est la mort d'une centaine de soldats maliens engagés contre les islamistes qui a été à l'origine du repli de l'armée, de la crise du commandement, du coup d'Etat à Bamako et finalement de l'occupation du nord du pays par ces groupes islamistes.

Tout cela s'inscrit dans une histoire plus longue. Je crois que c'est la porte-parole du groupe Ecologiste que j'ai entendu qualifier le Mali de « démocratie modèle ». Elle ne me paraît pas très bien informée, car ce pays a été gouverné par trois dictateurs d'origine militaire qui sont restés chacun une dizaine d'années au pouvoir et la transition vers la démocratie ne s'est pas faite si aisément, contrairement à ce qu'on a bien voulu croire.

La faillite de l'Etat malien est la véritable cause du problème ; en particulier, l'absence de présence étatique dans le nord du pays, qui ne constituait pas le « Mali utile », a créé ce vide dans lequel les islamistes se sont engouffrés. C'est un problème politique que nous aurons à gérer : il faudra entreprendre un véritable state building.

Autre problème, la complexité du nord malien. Nous en sommes à la troisième insurrection des Touaregs depuis l'indépendance du Mali. Les habitants du sud, pour la plupart, détestent les Touaregs. Il sera compliqué de mettre en oeuvre un dialogue politique.

A cela se sont ajoutés les groupes islamistes d'origine arabe, notamment AQMI, qui n'est autre qu'un nouvel avatar du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).

C'est dans ce contexte que se place l'intervention française. Elle risque d'être encore plus difficile qu'en Afghanistan où il existait vaguement un Etat et où les forces françaises n'étaient qu'une petite composante d'une coalition massive de 150 000 hommes. Au Mali, nous sommes seuls et nous allons être confrontés à des problèmes militaires compliqués : les grandes distances ; la mobilité de nos adversaires qui utilisent des véhicules légers ; la nécessité de tenir les grandes villes du nord si elles sont reconquises. Si l'on ajoute à cela, comme je l'ai dit, la nécessité de construire l'Etat malien, cela donne ce que le général de Gaulle aurait appelé un « vaste programme ».

On sentait bien qu'il était difficile d'attendre jusqu'en septembre prochain pour engager une opération militaire et qu'a fortiori les positions, comme celle des Etats-Unis, qui privilégiaient l'organisation d'élections et le dialogue politique n'étaient pas très crédibles. Les choses se sont accélérées et l'urgence est avérée. Toujours est-il que le résultat est que nous nous trouvons engagés seuls dans une affaire politiquement et militairement très lourde, sur laquelle le maintien du consensus national pourrait devenir un exercice difficile.

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