Je vais, sur chacun des sujets sur lesquels vous m'interrogez, tâcher de répondre le plus précisément possible.
En ce qui concerne, tout d'abord, la lutte contre le terrorisme, et notamment l'agenda européen, je dirai ce que nous avons obtenu et ce que nous devons obtenir encore, et ce d'urgence, si nous voulons éviter que Schengen ne s'effondre, dans un contexte où les menaces sur la libre circulation, compte de la situation migratoire et du danger terroriste, sont sérieuses.
Nous avons défendu en 2015 un agenda que nous avions présenté dès le mois d'août 2014, avant même que la crise migratoire ne prenne la dimension que nous connaissons et que les attentats ne frappent notre pays.
Premier élément de cet agenda, la mise en place de contrôles aux frontières extérieures de l'Union européenne nous apparaissait d'autant plus nécessaire que ces contrôles sont la condition du maintien de la libre circulation, et que nous constations que les flux arrivant vers l'Italie ou la Grèce, en leur absence, pouvait conduire à des tensions au sein de l'Union susceptibles de remettre en cause l'accueil de ceux qui relèvent du statut de réfugiés.
Le deuxième élément de cet agenda est la mise en place de dispositifs de rétention en vue de l'identification des migrants et de la distinction de ceux qui relèvent du statut de réfugiés et de ceux qui relèvent de l'immigration économique irrégulière, de manière à procéder à la reconduite dans leurs pays de ces derniers.
Le troisième élément est la négociation par la haute commissaire, Mme Mogherini, qui a reçu mandat pour ce faire, d'une convention de retour des migrants économiques irréguliers dans les pays de la bande sahélienne, et de la mise en place de centres de maintien.
Nous avons également accepté le principe, dès lors que l'ensemble de ces conditions seraient réunies, d'un dispositif de relocalisation et de réinstallation de migrants relevant du statut de réfugiés arrivés sur le territoire européen.
Nous avions ajouté à cet agenda des éléments concernant la lutte antiterroriste. Nous avons ainsi proposé une modification de l'article 7-2 du code frontières Schengen destinée à mettre en place des contrôles systématiques et coordonnés de l'ensemble de nos ressortissants revenant sur le territoire de l'Union, certains d'entre eux s'étant engagés dans des opérations à caractère terroriste en Irak ou en Syrie. Cette modification a enfin été présentée l'Union européenne, en décembre ; il faut à présent qu'elle soit adoptée et mise en oeuvre.
Nous avons également obtenu que la Commission LIBE (Civil Liberties, Justice and Home Affairs) du Parlement européen – et ce n'était pas du tout évident quand je me suis rendu pour la première fois devant cette Commission – se déclare en faveur du PNR européen, qui permettra d'établir la traçabilité de ceux qui franchissent les frontières de l'Union européenne en utilisant des moyens aériens. Notre agenda concernant le PNR a lui aussi été entendu, en grande partie, puisque les vols charters intra-européens ont été pris en considération, la durée de conservation des données sera de cinq ans, et la durée de masquage de six mois, là où nous demandions un an.
Enfin, la demande que je formulais depuis dix-huit mois, à savoir la révision de la direction 91 relative aux armes à feu, que la Commission européenne a tardé à mettre sur le métier en raison du fait, m'a-t-on dit, que certains experts du marché intérieur affirmaient que les armes devaient être traitées comme des marchandises à part entière, a été, après un long bras de fer, entendue, et la Commission européenne a proposé un projet de directive révisée le 15 décembre.
Cet arsenal suffit-il à faire face à la situation ? Une grande partie du chemin a été accomplie, et il faut que les décisions prises soient à présent appliquées, mais elles doivent aussi être complétées.
Ces compléments feront l'objet d'une nouvelle expression de demandes françaises à l'occasion du Conseil Justice et affaires intérieures (JAI), la semaine prochaine à Amsterdam. Il n'est pas admissible, au moment où nous assurons le contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne, que l'ensemble des pays de l'Union qui disposent d'informations sur le caractère terroriste de l'activité de tel ou tel individu ne versent pas au SIS, comme nous le faisons nous-mêmes, l'ensemble des informations dont ils disposent. C'est un point sur lequel nous serons fermes. Lorsque nous interrogeons le SIS dans nos pays, au moment du franchissement des frontières extérieures de l'Union, par voie aérienne ou bien aux frontières de la Grèce ou de l'Italie, les fiches doivent sonner pour tous ceux qui présentent un risque.
Le deuxième point non négociable à nos yeux est la création d'une task force européenne mobilisant Europol et nos services de police spécialisés dans la lutte contre les faux documents, pour qu'un contrôle des documents soit assuré au moment du franchissement des frontières extérieures. Daech, c'est connu, a récupéré, en Irak, en Syrie, en Lybie, des passeports vierges et monté une véritable industrie du faux document. Les individus munis de faux papiers se font prendre les empreintes au moment du franchissement des frontières extérieures sous des identités fausses. Cette task force européenne pour l'identification des faux documents est donc centrale, sinon nous n'avons pas fini de disserter, après les drames, sur les trous dans la raquette et l'inefficacité des services de renseignement. Le problème n'est pas national, mais européen et global.
Troisième point : il faut obtenir l'interopérabilité du SIS avec d'autres fichiers criminels. Nous devons disposer, à travers le SIS, d'une banque de données européenne des empreintes digitales de ceux qui ont commis des infractions, à défaut de quoi la lutte contre le crime organisé restera parcellaire et insuffisante.
Cet agenda n'est pas négociable. Il n'est pas possible de mettre en oeuvre les dispositions que nous avons prises si ceux que nous avons raison d'accueillir parce qu'ils sont persécutés n'entrent pas dans le territoire de l'Union européenne avec toutes les garanties nécessaires. C'est notre responsabilité, si nous sommes attachés à ce que l'Europe demeure fidèle à l'esprit de ses pères fondateurs.
Il y a dix-huit mois, en août 2014, lorsque la France a fait la tournée des capitales européennes pour présenter ses propositions, tout le monde pensait que nous n'obtiendrions jamais le PNR, personne ne savait quoi mettre dans la réforme du code frontières Schengen – et chacun expliquait qu'il n'en voulait pas il y a encore six mois –, et je vous ai rappelé aussi ce qu'était la philosophie des experts du marché intérieur concernant la directive sur les armes. Sur tous ces sujets, notre agenda a finalement été retenu. Trop tard eu égard à ce qu'était l'urgence mais encore suffisamment tôt pour pouvoir être efficace.
L'« accord Prüm » transatlantique, à présent, représente une avancée particulièrement importante, dans un contexte marqué par une menace qui ne connaît pas de frontières ; les événements de ces derniers jours à Istanbul, Jakarta, Ouagadougou montrent l'intensité de la menace, qui peut frapper partout. Pour lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée, cet accord, déjà approuvé par le Sénat français le 4 juin dernier, prévoit de renforcer la coopération entre la France et les États-Unis en matière d'enquêtes judiciaires. Il n'existait jusqu'à présent aucun accord bilatéral entre la France et les États-Unis, alors qu'une vingtaine d'autres États membres de l'Union européenne ont signé un tel accord.
À l'heure actuelle, la coopération judiciaire opérationnelle est déjà excellente entre nos deux pays. À titre d'exemple, c'est un renseignement américain qui a permis la saisie en juin 2012 de quantités très importantes de cocaïne dans le port du Havre. Si utile qu'elle soit, cette coopération n'est pas suffisamment institutionnalisée, en raison de la multiplicité des acteurs fédéraux américains, qui relèvent de différents ministères. Une fois ratifié, cet accord permettra de renforcer considérablement les échanges opérationnels entre nos deux pays, en les intégrant dans un cadre plus clair et plus efficace.
Aujourd'hui, seules les données dactyloscopiques et génétiques permettent d'établir avec certitude l'identité des personnes recherchées et de procéder à des identifications précises lors de l'utilisation par un même individu d'états civils différents. Lorsque l'on se penche, par exemple, sur le parcours de l'assaillant du commissariat du dix-huitième arrondissement, on voit qu'il est passé par de nombreux pays de l'Union européenne avec des identités systématiquement différentes, et des documents falsifiés. Il faut que toutes les vérifications puissent être faites par la consultation des fichiers existants, dans le plein respect des libertés et droits fondamentaux.
L'accord soumis au Parlement vise à faciliter les échanges d'informations dans ces domaines avec les États-Unis. L'objectif est de permettre aux points de contact nationaux de consulter les bases de données dactyloscopiques et génétiques de manière automatisée et au cas par cas.
Le point de contact national de l'État requérant est informé par voie automatisée d'une concordance ou de son absence dans les données indexées. Les consultations de données dactyloscopiques s'opèrent dans le respect de la législation nationale de l'État à l'origine de l'interrogation. La consultation automatisée de données génétiques n'est permise, pour procéder à des comparaisons sur la base d'une interrogation, que lorsque chaque législation nationale l'autorise et selon le principe de réciprocité. Pour la France, les fichiers interrogés sont le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) et le fichier automatisé des empreintes digitales (FAED). À ce stade, cette information ne constitue pas une donnée à caractère personnel ; la seule information qui parvient à l'État est la confirmation que l'empreinte de l'individu figure dans la base des données interrogées, par la transmission des données indexées qui ne permet toutefois pas l'identification directe de la personne concernée. Cette identification n'est nullement automatique et n'intervient que lors d'une seconde étape.
Les dispositions de l'accord limitent les droits de consultation aux fins de prévention et de détection des infractions entrant dans son champ d'application ainsi qu'aux enquêtes exclusivement dans les domaines du terrorisme et de la grande criminalité.
Cet accord Prüm s'inscrit dans un contexte particulier. Le Gouvernement fédéral américain a mis en place, dès 1986, un programme d'exemption de visas pour les pays développés, dans le but de faciliter le tourisme et les voyages d'affaires sur son territoire pour des séjours n'excédant pas trois mois. Or, depuis les attentats du 11 septembre 2001, le maintien du programme implique que les pays bénéficiaires développent des échanges d'informations avec les États-Unis ; les États-Unis ont proposé la conclusion d'accords de coopération pour lutter contre le terrorisme et la grande criminalité.
En ce qui concerne la Turquie, la pression migratoire aux frontières de l'Union européenne est extrêmement importante : près de 870 000 entrées en 2015. La pression à la frontière méridionale de la France est toutefois la plus faible que nous ayons connue depuis de nombreuses années. Elle est un peu plus forte sur la façade septentrionale mais l'augmentation de la demande d'asiles reste, compte tenu du contexte, maîtrisée : nous sommes passés de 65 000 demandes en 2014 à 80 000 en 2015, à comparer aux 800 000 arrivées en Autriche et en Allemagne. Certains s'emploient à présenter les images de migrants traversant d'autres pays de l'Union européenne comme caractérisant la situation en France, mais cela ne correspond pas du tout à la réalité enregistrée par nos services ni aux statistiques de la direction générale des étrangers en France.
En contrepartie d'une aide financière de 3 milliards d'euros pour accompagner la maîtrise des flux migratoires, nous exigeons davantage d'actions de la part de la Turquie. Ce pays doit réaliser des réformes conséquentes en termes d'amélioration de sa législation sur les étrangers et la protection internationale, afin d'offrir un cadre de protection plus étoffé aux réfugiés syriens présents sur son territoire et d'éviter des départs. Il est par ailleurs essentiel de prévenir le transit par la Turquie de ressortissants d'États tiers, et nous attendons également des efforts substantiels en matière de réadmissions. Des engagements doivent être recherchés pour lutter contre le trafic de migrants en Turquie, pays où agissent des réseaux de passeurs. Il n'est pas non plus question de ne pas exiger un renforcement de la coopération en matière de lutte antiterroriste, même si cette coopération s'est déjà considérablement renforcée après les contacts que j'ai eus avec mon homologue turc en octobre 2014, contacts qui ont permis de régler un grand nombre de sujets, concernant par exemple la mise en rétention de nos ressortissants passant par la Turquie.
Je me rendrai en Grèce les 3 et 4 février pour évoquer ces sujets, et je serai également en Turquie, où j'aurai à m'exprimer sur les exigences que je viens de vous présenter.