Intervention de Florence Mangin

Réunion du 2 février 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Florence Mangin, directrice de l'Europe continentale au ministère des affaires étrangères et du développement international :

C'est un honneur pour moi de m'exprimer devant votre commission.

Le 12 février prochain marquera le premier anniversaire de la signature du « paquet de mesures pour la mise en oeuvre des accords de Minsk ». D'après ce que l'on entend et lit ici ou là, l'Ukraine serait oubliée de la communauté internationale, d'autres sujets, notamment la Syrie, étant désormais prioritaires. D'autre part, les mesures prévues par les accords de Minsk n'ayant pas été mises en oeuvre avant la date butoir du 31 décembre 2015, il faudrait changer le format « Normandie », jugé inefficace.

Le 30 décembre, le Président de la République a eu une conversation téléphonique avec ses homologues ukrainien, russe et allemand. Tous les quatre sont convenus qu'ils s'efforceraient de mettre en oeuvre les accords de Minsk au cours de l'année 2016. La détermination franco-allemande sur ce dossier est forte, sachant que nos deux pays ne sont que médiateurs et que la décision appartient aux deux parties. À l'issue de son entretien avec Mme Merkel hier à Berlin, M. Porochenko a réitéré publiquement qu'il n'y avait pas d'option alternative au format « Normandie » et que les engagements pris devaient être honorés.

Lors du sommet en format « Normandie » qui s'est tenu au palais de l'Élysée le 2 octobre dernier, il a été reconnu très clairement que les choses progressaient plus lentement que prévu. Cependant, certains résultats ont été atteints depuis la signature des accords de Minsk. Concernant les aspects relatifs à la sécurité, le cessez-le-feu est plus tardif que ce qu'avaient prévu les accords de Minsk, mais il est effectif depuis le 1er septembre : le nombre de personnes tuées sur le terrain est passé de 212 entre février et septembre à 23 entre septembre et aujourd'hui. Certes, il y a encore des violations du cessez-le-feu et la situation sur le terrain demeure fragile, mais elle est tout de même beaucoup moins tendue qu'avant le 1er septembre et, a fortiori, qu'avant le 12 février 2015.

De plus, à la fin du mois de septembre, un accord sur le retrait des armes légères a été conclu dans le cadre d'un des groupes de travail du format « Normandie ». Or, depuis février, une bonne partie des violations avait été commise avec des armes légères. Même si on en voit parfois réapparaître, la majorité de ces armes ont été retirées de part et d'autre de la ligne de contact.

Enfin, un autre accord a été trouvé sur le déminage. Il s'agit d'une question essentielle : la moitié des civils décédés ont péri du fait des mines. Le déminage est en cours dans deux des douze zones identifiés comme les plus périlleuses.

S'agissant des aspects socio-économiques, la zone du Donbass était très sinistrée après le conflit. Dans le cadre du groupe de travail chargé de ces questions, les parties ont eu à coeur de décider la réhabilitation de lignes électriques et de lignes de transport pour rendre la vie quotidienne des habitants un peu moins difficile.

C'est sur le volet politique que le bât blesse, de manière évidente. Le groupe de travail chargé des questions politiques présidé par l'ambassadeur Pierre Morel a travaillé d'arrache-pied – il s'est réuni plus de trente fois depuis le mois de mai 2015 – pour, notamment, mettre au point la loi électorale qui doit régir les élections dans le Donbass. Toutes les parties sont représentées dans ce groupe : les Ukrainiens, les séparatistes et les Russes. Ce travail n'a pas été inutile : on connaît désormais les positions des uns et des autres sur tous les sujets, et les points de blocage sont très clairement établis. En revanche, les positions sont encore maximalistes de part et d'autre. En franco-allemand, on voit à peu près quel compromis pourrait se dessiner, mais les parties restent pour l'instant enfermées dans une rhétorique d'opposition et ne parviennent pas à franchir le cap des décisions.

L'autre grand sujet politique est la réforme constitutionnelle. Elle a été adoptée en première lecture le 31 août dans des conditions difficiles. M. Porochenko estime qu'il ne dispose pas des 300 voix nécessaires à son adoption définitive et qu'il prendrait un risque énorme en la mettant à nouveau aux voix. La Rada vient de décider de se donner six mois supplémentaires pour pouvoir faire passer la loi au moment où les conditions politiques seront réunies, sans reprendre le processus législatif depuis le début ainsi que l'exige en principe la constitution ukrainienne.

Il y a dix jours, les conseillers diplomatiques du Président de la République et de la chancelière allemande se sont rendus d'abord à Moscou, puis à Kiev pour essayer de trouver les voies d'un compromis. Cette mission nous a permis de tirer un certain nombre d'enseignements. D'abord, il faut conserver la séquence prévue par les accords de Minsk. Ensuite, lors de la réunion ministérielle au format « Normandie » qui aura lieu à Paris dans les semaines qui viennent, il faut mettre l'accent sur les questions de sécurité, car il existe à l'évidence un lien très étroit entre la fragilité de la situation sur le terrain et l'incapacité des Ukrainiens à faire des pas en avant sur les sujets politiques qui sont de leur ressort. La persistance des tirs, la présence des armes lourdes et le fait que la mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ne puisse pas se déployer sur l'ensemble du Donbass jusqu'à la frontière russo-ukrainienne sont autant d'éléments qui paralysent – c'est le mot – l'exécutif ukrainien. Ainsi que vous l'avez très justement relevé, madame la présidente, le pouvoir est confronté à de nombreuses difficultés internes, qui se sont encore aggravées lors des élections locales, à l'occasion desquelles se sont distingués des partis très opposés aux accords de Minsk.

M. Poutine et l'establishment russe disent à l'envi que la Russie fait sa part du travail alors que les Ukrainiens ne prennent pas les décisions qu'ils devraient prendre et sont donc responsables de la non-mise en oeuvre des accords de Minsk. C'est en partie vrai, mais il faut faire pièce à cette rhétorique, car les premiers responsables de la situation sécuritaire sur le terrain sont les Russes. Selon la mission de l'OSCE, la majorité des violations du cessez-le-feu est le fait des séparatistes. Or les Russes contrôlent non pas la totalité des séparatistes, mais tout de même 80 % d'entre eux. Si le cessez-le-feu est devenu effectif le 1er septembre, c'est parce que les Russes ont signifié aux séparatistes qu'il fallait calmer le jeu.

Il nous semble donc important, lors de la réunion ministérielle à venir, de proposer des mesures très précises et concrètes pour parvenir à un cessez-le-feu pérenne, en fixant une date butoir, et de faire en sorte que toutes les parties, notamment les Russes, s'engagent à stabiliser la situation sécuritaire.

En parallèle, il convient de poursuivre le travail sur le volet politique, essentiellement sur la loi électorale. Les points de compromis sont atteignables, mais il faut maintenant que les deux parties décident, au lieu de seulement se reprocher des comportements inamicaux ou irresponsables, ainsi qu'ils le font très souvent au sein du groupe de travail présidé par l'ambassadeur Morel.

Lors de la prochaine réunion ministérielle, nous aimerions faire adopter un paquet « sécurité et éléments clés de la loi électorale » au niveau politique, afin que le processus prévu par les accords de Minsk se poursuive, notamment avec la réforme constitutionnelle. Telle est la dynamique que nous voudrions créer.

Néanmoins, je relève avec intérêt qu'il y a, à Kiev, une volonté de décentraliser le pays. La décentralisation n'est pas imposée par les accords de Minsk : il s'agit d'un des points de l'accord de gouvernement passé entre M. Porochenko et M. Iatseniouk en 2014. Dans un pays post-soviétique tel que l'Ukraine, la décentralisation constituerait un changement structurel important, car elle favoriserait une répartition différente des pouvoirs entre présidence, élus et administration, l'émergence de nouvelles générations d'élus et un rééquilibrage économique.

La décentralisation ne pose pas, en soi, de difficultés politiques en interne. En revanche, la phrase du projet de réforme constitutionnelle qui donne l'autorisation de reconnaître les spécificités de certains arrondissements des régions de Lougansk et Donetsk pose problème et prend en otage, d'une certaine manière, l'ensemble de la réforme. Il faut bien distinguer ces deux aspects. D'ailleurs, la réforme de la décentralisation économique et financière a déjà été validée l'an dernier, puis retranscrite dans la loi budgétaire qui a été votée à la toute fin de l'année.

Les Ukrainiens nous disent, selon moi à juste titre, que les Occidentaux ne leur rendent pas service en parlant d' « autonomie » du Donbass – je crois qu'ils vous l'ont également dit lors de votre déplacement à Kiev en novembre dernier, madame la présidente. En réalité, la réforme constitutionnelle prévoira une décentralisation qui vaudra pour toutes les régions d'Ukraine, et c'est sur la base de cette décentralisation que la « loi relative au statut spécial de certains arrondissements des régions de Donetsk et Lougansk » reconnaîtra à ces territoires des « spécificités » – le terme figure dans les accords de Minsk –, par exemple en matière de langue ou de nomination des juges.

Notre détermination à avancer est totale. Nous voudrions ancrer les décisions à venir dans un calendrier relativement précis. Notre échéance, ce sont les mois de juin et juillet, lorsque l'Union européenne devra débattre à nouveau des sanctions économiques à l'égard de la Russie. Cette discussion ne sera pas facile.

Malgré l'annexion de la Crimée et la crise russo-ukrainienne, notre relation bilatérale avec la Russie reste bonne. Notre politique repose sur l'idée qu'isoler la Russie n'est pas opportunl. Certes, la Russie est un problème dans de nombreuses crises internationales, mais elle peut être aussi une solution. Et, si l'on veut qu'elle soit une solution, il faut maintenir ouverts les canaux de dialogue et de communication. C'est ce que nous avons décidé de faire au niveau français, servis en cela par l'initiative « Normandie » prise en juin 2014, mais pas uniquement.

Depuis cet été, nous avons concrétisé cette volonté de dialogue, en organisant des visites ministérielles en Russie, portant chaque fois sur un sujet précis correspondant à nos intérêts. En octobre, M. Le Foll a évoqué avec son homologue l'embargo sur les produits agroalimentaires, en liaison avec la Commission européenne. Malheureusement, cette offre de dialogue n'a pas eu de suite à ce stade. À la fin de ce même mois, Mme Royal s'est rendue à Moscou dans le cadre de la préparation de la COP21. En décembre, M. Le Drian a rencontré son homologue pour voir dans quelle mesure il était possible de coordonner nos informations et nos approches sur la question syrienne. La semaine dernière, M. Macron a dirigé la délégation française au Conseil économique, financier, industriel et commercial franco-russe (CEFIC), qui a permis des échanges entre entreprises et donné lieu à des discussions très utiles sur les investissements réciproques. La décision de reprendre les réunions dans ce format, suspendues depuis deux ans, avait été prise en septembre. En revanche, nous n'organiserons pas pour l'instant de session du Séminaire intergouvernemental franco-russe, car les sanctions européennes interdisent les réunions périodiques au sommet.

Ces visites ministérielles sont considérées avec intérêt par beaucoup de nos partenaires de l'Union européenne – notamment par les Allemands, qui se sont pour l'instant interdit de faire la même chose, mais trouvent que notre approche pragmatique présente certaines vertus –, mais vues avec scepticisme par quelques autres, en particulier par certains États baltes, par la Pologne et par la Slovaquie.

Par ailleurs, nous souhaitons avoir une relation nourrie avec la Russie en matière d'échanges humains, de mobilité étudiante et de relations culturelles. De nombreuses manifestations sont prévues cette année dans ces domaines. L'année dernière, la France et la Russie ont signé un accord sur la reconnaissance mutuelle des diplômes. Nous espérons que davantage d'étudiants russes et français auront l'idée d'aller étudier dans les universités de l'autre pays.

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