Audition de Mme Florence Mangin, Directrice de l'Europe continentale au ministère des Affaires étrangères et du développement international, sur la situation en Ukraine et les relations bilatérales entre la France et la Russie
La séance est ouverte à dix-sept heures.
Nous sommes très heureux de vous recevoir, madame Mangin. Vous êtes, depuis quelques mois, directrice de l'Europe continentale au ministère des affaires étrangères et du développement international. Nous allons consacrer cette audition, fermée à la presse, à deux sujets principaux : la situation en Ukraine et nos relations avec la Russie.
En Ukraine, la situation politique est très compliquée. Le président Porochenko ne dispose pas de la majorité requise à la Rada – 300 voix – pour faire voter la révision constitutionnelle qui doit donner un statut d'autonomie au Donbass. Il a de nouveau proposé d'organiser les élections locales avant que le statut d'autonomie soit accordé, mais les Russes ne sont, bien évidemment, pas d'accord. Par conséquent, le processus de Minsk apparaît bloqué. Les responsabilités en la matière sont sans doute partagées. Quelle est votre analyse à cet égard ? Où en sommes-nous réellement de la mise en oeuvre du processus de Minsk ? Comment le débloquer ?
D'autre part, la situation intérieure est très préoccupante. En 2015, le pays a subi une nouvelle année de récession – la croissance aurait chuté de 9 à 12 % selon les estimations – et la population souffre beaucoup. Les réformes patinent. En matière de lutte contre la corruption, point crucial pour l'avenir du pays, la Rada vote des textes, mais nous n'en voyons guère l'application concrète.
À cela s'ajoute la guerre économique avec la Russie. Kiev a coupé l'électricité à la Crimée et mis en place un embargo sur un certain nombre de biens à destination de la péninsule. En représailles, la Russie a suspendu certaines livraisons de gaz à l'Ukraine, et le système de préférences commerciales mutuelles a pris fin. Jusqu'où cela peut-il aller ? Les deux pays peuvent-ils trouver un terrain d'entente sur ces questions ?
En Russie aussi, la situation économique est très difficile, avec, dit-on, une récession de près de 4 % en 2015. Cependant, le consensus national sur la politique étrangère demeure apparemment assez solide. Cela va-t-il durer ?
Le débat au sein de l'Union européenne sur l'opportunité de lever ou non les sanctions à l'égard de la Russie s'amplifie. En décembre dernier, les vingt-huit ont décidé de les reconduire jusqu'au 31 juillet prochain, mais la discussion a été difficile. À votre avis, ces sanctions ont-elles un effet ? Sont-elles de nature à infléchir les décisions prises à Moscou ?
Dans ce contexte, la France conserve une relation bilatérale de bonne qualité avec la Russie. La question des bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral a été résolue de manière très convenable. Plusieurs accords ont été signés. Les visites ministérielles reprennent. Le ministre de l'économie, notamment, s'est récemment rendu à Moscou. Selon vous, comment la relation bilatérale va-t-elle évoluer ? Mes collègues vous poseront probablement d'autres questions à ce sujet, ainsi que sur le rôle international de la Russie, notamment au Moyen-Orient.
C'est un honneur pour moi de m'exprimer devant votre commission.
Le 12 février prochain marquera le premier anniversaire de la signature du « paquet de mesures pour la mise en oeuvre des accords de Minsk ». D'après ce que l'on entend et lit ici ou là, l'Ukraine serait oubliée de la communauté internationale, d'autres sujets, notamment la Syrie, étant désormais prioritaires. D'autre part, les mesures prévues par les accords de Minsk n'ayant pas été mises en oeuvre avant la date butoir du 31 décembre 2015, il faudrait changer le format « Normandie », jugé inefficace.
Le 30 décembre, le Président de la République a eu une conversation téléphonique avec ses homologues ukrainien, russe et allemand. Tous les quatre sont convenus qu'ils s'efforceraient de mettre en oeuvre les accords de Minsk au cours de l'année 2016. La détermination franco-allemande sur ce dossier est forte, sachant que nos deux pays ne sont que médiateurs et que la décision appartient aux deux parties. À l'issue de son entretien avec Mme Merkel hier à Berlin, M. Porochenko a réitéré publiquement qu'il n'y avait pas d'option alternative au format « Normandie » et que les engagements pris devaient être honorés.
Lors du sommet en format « Normandie » qui s'est tenu au palais de l'Élysée le 2 octobre dernier, il a été reconnu très clairement que les choses progressaient plus lentement que prévu. Cependant, certains résultats ont été atteints depuis la signature des accords de Minsk. Concernant les aspects relatifs à la sécurité, le cessez-le-feu est plus tardif que ce qu'avaient prévu les accords de Minsk, mais il est effectif depuis le 1er septembre : le nombre de personnes tuées sur le terrain est passé de 212 entre février et septembre à 23 entre septembre et aujourd'hui. Certes, il y a encore des violations du cessez-le-feu et la situation sur le terrain demeure fragile, mais elle est tout de même beaucoup moins tendue qu'avant le 1er septembre et, a fortiori, qu'avant le 12 février 2015.
De plus, à la fin du mois de septembre, un accord sur le retrait des armes légères a été conclu dans le cadre d'un des groupes de travail du format « Normandie ». Or, depuis février, une bonne partie des violations avait été commise avec des armes légères. Même si on en voit parfois réapparaître, la majorité de ces armes ont été retirées de part et d'autre de la ligne de contact.
Enfin, un autre accord a été trouvé sur le déminage. Il s'agit d'une question essentielle : la moitié des civils décédés ont péri du fait des mines. Le déminage est en cours dans deux des douze zones identifiés comme les plus périlleuses.
S'agissant des aspects socio-économiques, la zone du Donbass était très sinistrée après le conflit. Dans le cadre du groupe de travail chargé de ces questions, les parties ont eu à coeur de décider la réhabilitation de lignes électriques et de lignes de transport pour rendre la vie quotidienne des habitants un peu moins difficile.
C'est sur le volet politique que le bât blesse, de manière évidente. Le groupe de travail chargé des questions politiques présidé par l'ambassadeur Pierre Morel a travaillé d'arrache-pied – il s'est réuni plus de trente fois depuis le mois de mai 2015 – pour, notamment, mettre au point la loi électorale qui doit régir les élections dans le Donbass. Toutes les parties sont représentées dans ce groupe : les Ukrainiens, les séparatistes et les Russes. Ce travail n'a pas été inutile : on connaît désormais les positions des uns et des autres sur tous les sujets, et les points de blocage sont très clairement établis. En revanche, les positions sont encore maximalistes de part et d'autre. En franco-allemand, on voit à peu près quel compromis pourrait se dessiner, mais les parties restent pour l'instant enfermées dans une rhétorique d'opposition et ne parviennent pas à franchir le cap des décisions.
L'autre grand sujet politique est la réforme constitutionnelle. Elle a été adoptée en première lecture le 31 août dans des conditions difficiles. M. Porochenko estime qu'il ne dispose pas des 300 voix nécessaires à son adoption définitive et qu'il prendrait un risque énorme en la mettant à nouveau aux voix. La Rada vient de décider de se donner six mois supplémentaires pour pouvoir faire passer la loi au moment où les conditions politiques seront réunies, sans reprendre le processus législatif depuis le début ainsi que l'exige en principe la constitution ukrainienne.
Il y a dix jours, les conseillers diplomatiques du Président de la République et de la chancelière allemande se sont rendus d'abord à Moscou, puis à Kiev pour essayer de trouver les voies d'un compromis. Cette mission nous a permis de tirer un certain nombre d'enseignements. D'abord, il faut conserver la séquence prévue par les accords de Minsk. Ensuite, lors de la réunion ministérielle au format « Normandie » qui aura lieu à Paris dans les semaines qui viennent, il faut mettre l'accent sur les questions de sécurité, car il existe à l'évidence un lien très étroit entre la fragilité de la situation sur le terrain et l'incapacité des Ukrainiens à faire des pas en avant sur les sujets politiques qui sont de leur ressort. La persistance des tirs, la présence des armes lourdes et le fait que la mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ne puisse pas se déployer sur l'ensemble du Donbass jusqu'à la frontière russo-ukrainienne sont autant d'éléments qui paralysent – c'est le mot – l'exécutif ukrainien. Ainsi que vous l'avez très justement relevé, madame la présidente, le pouvoir est confronté à de nombreuses difficultés internes, qui se sont encore aggravées lors des élections locales, à l'occasion desquelles se sont distingués des partis très opposés aux accords de Minsk.
M. Poutine et l'establishment russe disent à l'envi que la Russie fait sa part du travail alors que les Ukrainiens ne prennent pas les décisions qu'ils devraient prendre et sont donc responsables de la non-mise en oeuvre des accords de Minsk. C'est en partie vrai, mais il faut faire pièce à cette rhétorique, car les premiers responsables de la situation sécuritaire sur le terrain sont les Russes. Selon la mission de l'OSCE, la majorité des violations du cessez-le-feu est le fait des séparatistes. Or les Russes contrôlent non pas la totalité des séparatistes, mais tout de même 80 % d'entre eux. Si le cessez-le-feu est devenu effectif le 1er septembre, c'est parce que les Russes ont signifié aux séparatistes qu'il fallait calmer le jeu.
Il nous semble donc important, lors de la réunion ministérielle à venir, de proposer des mesures très précises et concrètes pour parvenir à un cessez-le-feu pérenne, en fixant une date butoir, et de faire en sorte que toutes les parties, notamment les Russes, s'engagent à stabiliser la situation sécuritaire.
En parallèle, il convient de poursuivre le travail sur le volet politique, essentiellement sur la loi électorale. Les points de compromis sont atteignables, mais il faut maintenant que les deux parties décident, au lieu de seulement se reprocher des comportements inamicaux ou irresponsables, ainsi qu'ils le font très souvent au sein du groupe de travail présidé par l'ambassadeur Morel.
Lors de la prochaine réunion ministérielle, nous aimerions faire adopter un paquet « sécurité et éléments clés de la loi électorale » au niveau politique, afin que le processus prévu par les accords de Minsk se poursuive, notamment avec la réforme constitutionnelle. Telle est la dynamique que nous voudrions créer.
Néanmoins, je relève avec intérêt qu'il y a, à Kiev, une volonté de décentraliser le pays. La décentralisation n'est pas imposée par les accords de Minsk : il s'agit d'un des points de l'accord de gouvernement passé entre M. Porochenko et M. Iatseniouk en 2014. Dans un pays post-soviétique tel que l'Ukraine, la décentralisation constituerait un changement structurel important, car elle favoriserait une répartition différente des pouvoirs entre présidence, élus et administration, l'émergence de nouvelles générations d'élus et un rééquilibrage économique.
La décentralisation ne pose pas, en soi, de difficultés politiques en interne. En revanche, la phrase du projet de réforme constitutionnelle qui donne l'autorisation de reconnaître les spécificités de certains arrondissements des régions de Lougansk et Donetsk pose problème et prend en otage, d'une certaine manière, l'ensemble de la réforme. Il faut bien distinguer ces deux aspects. D'ailleurs, la réforme de la décentralisation économique et financière a déjà été validée l'an dernier, puis retranscrite dans la loi budgétaire qui a été votée à la toute fin de l'année.
Les Ukrainiens nous disent, selon moi à juste titre, que les Occidentaux ne leur rendent pas service en parlant d' « autonomie » du Donbass – je crois qu'ils vous l'ont également dit lors de votre déplacement à Kiev en novembre dernier, madame la présidente. En réalité, la réforme constitutionnelle prévoira une décentralisation qui vaudra pour toutes les régions d'Ukraine, et c'est sur la base de cette décentralisation que la « loi relative au statut spécial de certains arrondissements des régions de Donetsk et Lougansk » reconnaîtra à ces territoires des « spécificités » – le terme figure dans les accords de Minsk –, par exemple en matière de langue ou de nomination des juges.
Notre détermination à avancer est totale. Nous voudrions ancrer les décisions à venir dans un calendrier relativement précis. Notre échéance, ce sont les mois de juin et juillet, lorsque l'Union européenne devra débattre à nouveau des sanctions économiques à l'égard de la Russie. Cette discussion ne sera pas facile.
Malgré l'annexion de la Crimée et la crise russo-ukrainienne, notre relation bilatérale avec la Russie reste bonne. Notre politique repose sur l'idée qu'isoler la Russie n'est pas opportunl. Certes, la Russie est un problème dans de nombreuses crises internationales, mais elle peut être aussi une solution. Et, si l'on veut qu'elle soit une solution, il faut maintenir ouverts les canaux de dialogue et de communication. C'est ce que nous avons décidé de faire au niveau français, servis en cela par l'initiative « Normandie » prise en juin 2014, mais pas uniquement.
Depuis cet été, nous avons concrétisé cette volonté de dialogue, en organisant des visites ministérielles en Russie, portant chaque fois sur un sujet précis correspondant à nos intérêts. En octobre, M. Le Foll a évoqué avec son homologue l'embargo sur les produits agroalimentaires, en liaison avec la Commission européenne. Malheureusement, cette offre de dialogue n'a pas eu de suite à ce stade. À la fin de ce même mois, Mme Royal s'est rendue à Moscou dans le cadre de la préparation de la COP21. En décembre, M. Le Drian a rencontré son homologue pour voir dans quelle mesure il était possible de coordonner nos informations et nos approches sur la question syrienne. La semaine dernière, M. Macron a dirigé la délégation française au Conseil économique, financier, industriel et commercial franco-russe (CEFIC), qui a permis des échanges entre entreprises et donné lieu à des discussions très utiles sur les investissements réciproques. La décision de reprendre les réunions dans ce format, suspendues depuis deux ans, avait été prise en septembre. En revanche, nous n'organiserons pas pour l'instant de session du Séminaire intergouvernemental franco-russe, car les sanctions européennes interdisent les réunions périodiques au sommet.
Ces visites ministérielles sont considérées avec intérêt par beaucoup de nos partenaires de l'Union européenne – notamment par les Allemands, qui se sont pour l'instant interdit de faire la même chose, mais trouvent que notre approche pragmatique présente certaines vertus –, mais vues avec scepticisme par quelques autres, en particulier par certains États baltes, par la Pologne et par la Slovaquie.
Par ailleurs, nous souhaitons avoir une relation nourrie avec la Russie en matière d'échanges humains, de mobilité étudiante et de relations culturelles. De nombreuses manifestations sont prévues cette année dans ces domaines. L'année dernière, la France et la Russie ont signé un accord sur la reconnaissance mutuelle des diplômes. Nous espérons que davantage d'étudiants russes et français auront l'idée d'aller étudier dans les universités de l'autre pays.
Vous avez bien cadré, madame la directrice, la problématique de nos rapports avec la Russie et celle de la situation en Ukraine.
Je partage votre point de vue : isoler la Russie n'est pas, n'a jamais été et ne sera jamais une bonne solution. Il faut considérer la Russie comme un grand pays. Mieux on la connaîtra, mieux on pourra travailler avec elle, en prenant en compte les intérêts des uns et des autres. Tout ce qui va dans le sens d'une normalisation des relations avec elle est positif. Vous avez cité quelques exemples à cet égard.
Par ailleurs, la situation au Moyen-Orient est très difficile et a évolué de telle manière que, fatalement, il nous faut créer d'autres rapports entre les grandes puissances responsables.
Compte tenu de leur calendrier électoral, les États-Unis entrent dans une phase où ils vont se préoccuper avant tout de leur propre situation et vont mener une politique extérieure moins active. Pour autant, chacun a son rythme, et il ne faut pas perdre de temps ni laisser les choses se figer.
S'agissant de la situation en Ukraine, vous avez parlé d'un « verre à moitié vide ou à moitié plein ». Nous avions fait le même constat lors de notre visite en Ukraine, il y a quelque mois, avant l'engagement marqué en Syrie et la signature de l'accord nucléaire avec l'Iran. Vous avez souligné le chemin qu'il reste à parcourir. Plusieurs échéances se présentent à nous : celle d'une éventuelle levée des sanctions à l'égard de la Russie en juillet prochain, celles du processus de Minsk. Comment faire prendre conscience à chacun que ces deux calendriers sont liés, qu'une éventuelle levée des sanctions est conditionnée à des progrès tangibles sur le terrain ? N'avons-nous pas là une occasion de peser sur les deux parties, tant sur les séparatistes que sur les Ukrainiens ? En tant que facilitateurs, nous pouvons faire valoir que nous sommes de bonne volonté, que nous sommes prêts à aider, mais qu'il nous faut des éléments positifs pour défendre le dossier à Bruxelles.
Merci, madame la directrice. Loin d'être une crise oubliée, la situation en Ukraine reste un point très sensible dans de nombreuses instances internationales, au point que nous sommes obligés d'expliquer à tous nos alliés, notamment européens, que la sécurité est « à 360 degrés » et qu'il ne faut pas avoir l'Ukraine pour seul tropisme.
Vous avez raison : nous devons tout faire pour obtenir un calendrier. Mais serons-nous en mesure d'exercer une pression suffisante pour le faire respecter ? En tout cas, la France doit garder la position ferme et équilibrée qui a été la sienne jusqu'à présent. Cependant, une partie de l'Europe demeure opposée à la Russie, et les États-Unis jouent un jeu qui n'est pas très clair sur ce point.
La reprise d'un dialogue de haut niveau entre l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et la Russie serait, selon moi, un pas considérable. En est-il question dans la perspective du sommet de l'OTAN à Varsovie ? Allons-nous pouvoir imposer cette idée dans un avenir proche ?
Merci, madame la directrice. Je suis sincèrement admiratif de l'art du Quai d'Orsay : on nous a d'abord expliqué que l'attitude russe n'était pas acceptable pour la France et qu'il fallait remettre la Russie dans le droit chemin au regard de nos critères politiques, moraux et internationaux ; désormais, on se rend compte que la Russie est un partenaire indispensable à l'équilibre européen. Compte tenu de l'histoire de la Russie en Europe et de ses relations avec la France, du fait que la Russie s'est retirée récemment d'une partie de l'Europe, du fait que l'équilibre européen a toujours reposé sur un pilier français et un pilier russe, comment le Quai d'Orsay peut-il maintenir une ligne en défendant une chose et le lendemain son contraire ?
En ma qualité d'ancien président de région, j'aimerais revenir sur le terme « décentralisation », que vous avez employé. La décentralisation, cela peut être une décentralisation administrative, une déconcentration ou une forme de démocratie participative, mais cela peut aussi aller jusqu'au fédéralisme, voire à la dislocation. En Europe de l'Ouest, il y a la République fédérale d'Allemagne, mais il y a aussi la Belgique qui ne se satisfait pas du fédéralisme et semble aller vers la dislocation, la Catalogne qui donne de l'inquiétude à l'Espagne et à l'Europe tout entière, l'Écosse qui a failli conquérir son indépendance…
Ne touchons pas à la France pour le moment, s'il vous plaît ! C'est une République une et indivisible.
En favorisant la décentralisation de l'Ukraine, ne risquons-nous pas d'ouvrir la porte à une dislocation du pays ? Une fois que la décentralisation aura été menée à bien en application d'accords apparemment bien ficelés, cela ne créera-t-il pas la possibilité d'une nouvelle Crimée ? Dans un premier temps, nous avons poussé des hurlements à propos de la Crimée, mais nous en sommes finalement venus à considérer qu'elle est, en somme, annexée. Demain, cela ne sera-t-il pas le cas des territoires situés à l'est de l'Ukraine ? La décentralisation du pays ne va-t-elle pas faciliter leur passage sous influence, voire sous souveraineté russe ?
Je complète la question de Michel Vauzelle : l'Ukraine veut-elle vraiment garder le Donbass ? La Russie veut-elle le récupérer ?
J'ai eu grand plaisir à vous écouter, madame l'ambassadrice, car j'ai retrouvé le style inimitable du Quai d'Orsay, que vient d'évoquer mon collègue de la majorité. Malgré toutes les précisions que vous avez apportées, je n'ai toujours pas compris pourquoi nous devons attendre avant de lever les sanctions : quel est l'argument ?
À un moment donné, la France était en effet très énervée. Dans l'opposition, nous avons dit qu'il aurait peut-être été utile de parler plus tôt à M. Poutine.
Ensuite, on s'est effectivement mis à parler à M. Poutine, et il y a désormais un consensus sur l'idée qu'il faut avancer, d'autant que tout cela a un coût économique, dont M. Le Foll est bien conscient.
Or les Ukrainiens nous disent qu'ils réuniront peut-être la majorité de 300 voix dans six mois, et se sont donc donné six mois supplémentaires. Pour connaître l'Ukraine depuis une quinzaine d'années, je ne suis pas sûr que l'on puisse accorder beaucoup de crédit à ces promesses. Vous savez comment les députés ukrainiens sont élus. Qui paiera dans six mois ? Quel sera le vote ?
À vous écouter, j'ai l'impression que l'on fait traîner le processus en longueur. Pendant ce temps, les relations politiques et économiques avec la Russie sont paralysées, alors que les enjeux sont très importants, notamment en matière de coopération spatiale ou dans le secteur agricole, sans parler des navires de guerre. Je ne comprends pas très bien où nous en sommes : la dernière fois que le Président de la République s'est exprimé sur la question, cet été, il a indiqué que les nouvelles étaient bonnes, que les choses semblaient aller dans la bonne direction, que nous allions sortir de cette situation. Ensuite, la question des Mistral a été réglée – les relations étant bonnes, elle aurait d'ailleurs pu l'être autrement. Puis l'on est retombé dans une phase où rien n'avance : la fameuse « grande coalition » en Syrie, annoncée à l'ONU en septembre, n'a jamais vu le jour ; les initiatives françaises qui devaient amener à la formation d'une coalition après les événements du 13 novembre n'ont pas été suivies d'effet. Tout est au point mort, et je ne vois pas quel est le cap.
Certes, les décisions de cette nature ne se prennent pas au niveau du directeur de l'Europe continentale, mais, compte tenu de votre spécialité, que conseilleriez-vous à votre ministre du point de vue opérationnel ? Qu'est-ce qui vous garantit qu'il y aura un accord dans six mois et que, par conséquent, il est raisonnable de ne rien faire avec les Russes pendant cette période ? Compte tenu de ce que vous savez de la situation sur le terrain, plutôt que d'être otages des petits jeux politiciens internes à la Rada – dont je sais d'expérience qu'ils sont inextricables – et de perdre ainsi du temps, la solution raisonnable ne serait-elle pas d'engager un processus politique pour sortir de la crise avec la Russie, tout en poursuivant les discussions au niveau des experts, notamment au sein du groupe de travail présidé par l'ambassadeur Morel, et d'attendre que les Ukrainiens se mettent d'accord entre eux – ce qui, à mon avis, peut prendre un certain temps – tout en demandant aux Russes de ne pas trop s'en mêler, dans la mesure du possible ?
Bref, continuons-nous à nous faire balader de six mois en six mois ou bien changeons-nous de braquet et faisons-nous autre chose ? Telle est la question qui se pose.
En tant que rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Moldavie, je souhaite alerter la commission sur la situation dans ce pays, qui fait partie de la zone de compétence de la directrice de l'Europe continentale. Un quasi-coup d'État est en train de s'y produire, et le silence de l'Europe est, à mon avis, totalement scandaleux. M. Vladimir Filat, ancien premier ministre, avec lequel l'Union européenne a signé cet accord, a été emprisonné sous des prétextes assez bizarres, et ses conditions de détention sont hallucinantes : il n'a pas l'électricité, n'est autorisé à prendre qu'une seule douche par semaine… L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'en est émue la semaine dernière. L'honnêteté de M. Filat est sans doute comparable à celles des autres acteurs politiques locaux, mais nous devrions au moins intervenir à propos de ses conditions de détention, qui sont d'un niveau rarement atteint, même dans les pays les moins recommandables.
Certes, la France ne cautionne rien de ce qui se passe actuellement en Moldavie, mais, sur place, c'est l'ambassadeur des États-Unis qui parle, et l'ambassadeur finlandais qui exerce la présidence locale de l'Union européenne. Nous donnons l'impression d'être totalement à la remorque. J'ai rencontré toutes les personnes qui comptent à Chisinau avec notre ambassadeur ce week-end, et je sais que vous êtes parfaitement informée de la situation, madame la directrice. Si nous ne faisons rien, nous allons avoir affaire à un cas unique : un pays ayant conclu un accord d'association avec l'Union européenne va être pris en main par un seul oligarque. Ou alors, deuxième hypothèse, il va y avoir une sorte de coup d'État dans les quinze jours, qui risque d'avoir des conséquences graves, y compris physiques, pour certaines personnes.
Je ne suis pas d'accord avec mes collèges : j'ai trouvé votre exposé équilibré, madame la directrice. J'aurais d'ailleurs aimé entendre plus souvent des propos aussi équilibrés de la part de nos ministres, car les propos publics sont largement défavorables à la Russie – ce n'est un secret pour personne. Pourtant, j'ai présidé plusieurs groupes d'amitié, dont celui avec l'Ukraine pendant cinq ans, notamment au moment de la révolution Orange, et je n'ai jamais vu plus voyous que les députés ukrainiens – même les députés moldaves n'atteignent pas ce niveau.
Je reprends vos propos, madame la directrice : incapacité des Ukrainiens à faire des pas en avant ; paralysie de l'exécutif ukrainien. Je partage l'avis de Pierre Lellouche : qu'est-ce qui nous garantit que les Ukrainiens seront moins paralysés dans six moins ? Vous connaissez le dossier mieux que moi, et vous savez très bien que ce sera pire ! Actuellement, les désaccords entre le président Porochenko et le premier ministre Iatseniouk sont légion, et on se demande qui va remplacer ce dernier : un Suédois ? M. Saakachvili ? La situation est hallucinante !
Pour résumer, les Ukrainiens sont responsables du blocage institutionnel, et la partie pro-russe de la majorité des violations du cessez-le-feu. Mais, là aussi, la situation est hallucinante : ceux qui bloquent le processus ne se voient appliquer aucune sanction, alors que ceux qui ne le bloquent pas en subissent.
Lors de sa visite à Moscou il y a dix jours, M. Macron s'est exprimé très clairement en faveur d'une levée des sanctions. Je vous interroge à mon tour, madame la directrice : qu'allons-nous faire au mois de juillet ? La France va-t-elle faire preuve d'indépendance ou bien va-t-elle suivre une fois de plus les Polonais, les Baltes, etc. ?
Oui, tout à fait : nous savons très bien que les Américains, en pleine campagne électorale, vont souhaiter le maintien des sanctions. On voit mal M. Obama demander le contraire à quelques mois de l'élection présidentielle.
Quel est notre engagement financier en faveur de l'Ukraine ? On me répond que cela ne nous coûte rien, mais Bercy m'a indiqué que la France garantissait des prêts. Or nous savons très bien qu'ils ne seront jamais remboursés. Certes, nous sommes loin de notre engagement en faveur de la Grèce, mais, si l'on garantit un prêt après l'autre… En réalité, l'Ukraine est un État en faillite, qui vit uniquement sous perfusion des financements occidentaux.
On ne parle plus de la Crimée, sans doute parce que cela nous arrange. Où en sommes-nous sur ce dossier ?
Compte tenu du calendrier politique, quels sont les éléments susceptibles de faire évoluer la situation ? En Russie, les élections à la Douma ont été avancées au 18 septembre. En Ukraine, je ne vois pas ce qui pourrait faire bouger les choses. Encore une fois, je souscris aux remarques de Pierre Lellouche : pourquoi donner six mois supplémentaires aux Ukrainiens, alors que nous savons très bien qu'il ne se passera rien de plus ?
Vous avez évoqué le travail de l'OSCE, en particulier sur les questions de sécurité. Or nous nous interrogeons sur la réalité de ce qu'affirment les observateurs de l'OSCE. Ils nous disent qu'ils ne peuvent pas accéder à certaines zones, les parties ne facilitant certes pas leur travail. Pourtant, nous savons qu'ils disposent de moyens d'observation. Nous ne comprenons pas vraiment : feraient-ils l'objet de pressions ? Par exemple, au moment où l'Union européenne redéfinit sa stratégie, peut-être les États baltes n'ont-ils pas intérêt à ce que la situation se règle tout de suite ?
Vos interventions font toucher du doigt la forme de piège dans lequel nous, Européens, y compris les médiateurs allemands et français que nous sommes, avons peut-être eu tendance à tomber du fait de la rhétorique russe. Ainsi que je l'indiquais tout à l'heure, M. Poutine et les Russes nous disent, lors de chaque conversation, qu'ils mettent en oeuvre le processus de Minsk et que ce sont les Ukrainiens qui ne font pas leurs devoirs.
La presse retient, à juste titre, que la réforme constitutionnelle est bloquée, sachant qu'il y a eu des morts devant la Rada lors de son adoption en première lecteur le 31 août dernier. Certes, on peut dire que nous cédons trop aux Ukrainiens, que ce sont des voyous et que, par conséquent, nous ne pouvons pas leur faire confiance. Mais, si la réforme constitutionnelle est entièrement du ressort de l'Ukraine, ce sont les Russes qui portent la responsabilité principale – je ne dis pas exclusive – des deux autres points de blocage dans la mise en oeuvre des accords de Minsk.
Ainsi, si l'on n'obtient pas une situation tout à fait sûre sur le terrain et si l'OSCE ne peut pas jouer pleinement son rôle en la matière, c'est en grande partie à cause des Russes et des séparatistes. D'autre part, si l'on ne parvient pas à un compromis sur la loi électorale au sein du groupe de travail présidé par l'ambassadeur Morel, c'est parce les séparatistes épaulés par la Russie défendent des positions maximalistes depuis des mois. La Russie reconnaît que le Donbass est en Ukraine et que les élections doivent se dérouler selon la loi ukrainienne – principe que nous avons tous repris –, mais elle n'accepte pas que les partis ukrainiens y présentent des candidats, que les médias ukrainiens les couvrent et que les déplacés de la région, qui sont plus d'un million, votent. Depuis le 2 octobre dernier, on a en effet le sentiment que le processus est en panne. Nous avons pris acte – nous ne pouvions guère faire autrement – que le calendrier prévu par les accords de Minsk n'a pas été respecté. Il est donc très important d'obtenir la fixation de nouveaux éléments de calendrier, afin de recréer une dynamique. Nous y croyons, tout en reconnaissant que tout calendrier présente, en soi, un élément de faiblesse : par exemple, si nous convenons – telle est notre intention – que la loi électorale doit être définie dans ses grandes lignes avant la fin du mois de février ou mars et que tel n'est pas le cas pour une raison ou une autre, la crédibilité même du processus sera remise en question.
Que veulent les Russes et les Ukrainiens pour le Donbass ? Notre analyse en la matière ne relève pas d'une science exacte.
S'agissant de la Russie, plusieurs éléments objectifs laissent penser qu'elle ne serait pas malheureuse si on lui trouvait une solution de sortie qui lui permette de sauver la face : premièrement, la priorité accordée à la Syrie, qui impliquera peut-être que des moyens militaires soient redéployés dans cette région ; deuxièmement, le fait que la Russie, dans la situation économique où elle se trouve actuellement, ne peut pas et ne veut pas payer pour la reconstruction du Donbass ; troisièmement, le fait que le rôle des Russes dans le Donbass ne les sert pas. Lorsqu'ils ont voulu établir leur contrôle sur la région, ils ne s'attendaient pas à ce que les Ukrainiens soient capables de réagir et leur posent de telles difficultés, ni à ce que la communauté internationale, notamment la France et l'Allemagne, relève le gant de cette manière.
Certains signes montent qu'ils seraient plus enclins à négocier qu'auparavant. En outre, ils viennent de désigner un nouveau négociateur, qui est proche du président et en mesure de décider, ce qui n'était pas le cas de son prédécesseur. Nous verrons ce qu'il en sera à l'usage.
En ce qui concerne les Ukrainiens, on entend souvent dire qu'ils ne seraient pas mécontents si le Donbass disparaissait de leur carte. Malgré ses nombreux problèmes, l'Ukraine est un pays doté d'un système démocratique, qui souhaite restaurer son unité et recouvrer sa souveraineté sur l'ensemble de son territoire et, donc, maintenir le Donbass dans cet ensemble. Douter de la réalité et de la sincérité de cette volonté serait faire injure aux Ukrainiens.
La question des sanctions est la plus difficile. Que nous le voulions ou nous, nous sommes liés par la décision que nous avons prise à l'unanimité au Conseil européen, en vertu de laquelle les sanctions seront levées lorsque les accords de Minsk seront mis en oeuvre. On ne peut changer les termes de ces conclusions que par une autre décision du Conseil européen sur le même sujet. On ne peut donc pas faire ce que l'on veut en la matière. D'autre part, en tant que médiateurs, la France et l'Allemagne ont souhaité se donner un rôle particulier dans la mise en oeuvre du processus de Minsk. Ces deux circonstances nous obligent, et je vois mal comment nous pourrions, à ce stade, modifier les règles.
Cependant, vous avez raison : l'attitude des Américains ne nous facilite pas la tâche. Ils défendent une position maximaliste, qui consiste à dire que l'on ne lèvera les sanctions que lorsque les accords de Minsk auront été appliqués jusqu'à la dernière virgule. Or, comme vous le savez, les Américains sont très présents et écoutés en Ukraine.
La position française a toujours été de dire que les sanctions sont non pas une punition, mais un instrument permettant de parvenir à une fin politique. Cela signifie qu'elles sont réversibles – si elles ne l'étaient pas, elles seraient une punition. Nous défendons donc une approche plus souple de la question. Toutefois, pour l'instant, cette position est inaudible pour la majorité de nos partenaires européens, qui s'en tiennent, pour faire simple, à l'approche américaine. Néanmoins, quelques États membres sont favorables à un assouplissement des sanctions, notamment les Italiens, essentiellement pour des raisons économiques. A ce stade, une levée des sanctions minerait la crédibilité de l'approche européenne et franco-allemande.
D'où l'importance, encore une fois, du calendrier : si, au printemps, nous obtenons des résultats tangibles tant en matière de sécurité que sur l'élaboration de la loi électorale, la question se posera dans d'autres termes et, en cohérence avec notre position politique sur les sanctions, on pourrait avoir une approche plus ouverte et tactique. Mais il faut être bien conscient que nous devrons faire bouger les vingt-huit.
Pour ce qui est de notre relation avec la Russie, j'ai bien entendu les appréciations que vous avez portées sur le langage diplomatique. Pour ma part, je suis assez à l'aise avec notre position actuelle, qui allie fermeté – nous disons aux Russes ce que nous devons leur dire – et ouverture, car, quoi qu'on en pense et quelles que soient les divergences que nous pouvons avoir avec elle sur un certain nombre de grands sujets internationaux, la Russie est un partenaire incontournable : si nous voulons régler les problèmes, il faut le faire avec elle. Je vous accorde que cette ligne combinant fermeté et dialogue n'est pas nécessairement facile à suivre au quotidien, mais elle me semble relativement équilibrée.
Lors de la réunion ministérielle de l'OTAN le 1er décembre dernier, il a été décidé de reprendre les travaux du Conseil OTAN-Russie au niveau des ambassadeurs – pas au niveau politique – précisément au nom de la logique selon laquelle, plutôt que de s'affronter, mieux vaut se parler, même sur des sujets d'une extrême sensibilité de part et d'autre. Nous avons fait cette proposition aux Russes, avec la crainte qu'ils chargent l'ordre du jour de sujets compliqués – pour notre part, nous avons décidé d'y inscrire l'Ukraine. Ils ont donné leur accord et le Conseil OTAN-Russie reprendra donc ses travaux au niveau des ambassadeurs à la fin du mois de février ou au début du mois de mars, avant le sommet de Varsovie.
Les sanctions individuelles visent des parlementaires russes, notamment le président de la Douma. Elles ont suscité une réaction des Russes en retour : un président de groupe politique a été interdit de séjour en Russie, ce qui a amené le président de l'Assemblée nationale à annuler la visite qui était prévue à Moscou pour la réunion de la Grande Commission parlementaire France-Russie. Si l'on devait s'acheminer vers une levée des sanctions individuelles, ne pourrions-nous pas le faire en priorité pour les parlementaires russes ?
Nous butons sur un problème de calendrier : les sanctions individuelles arrivent à échéance le 15 mars prochain. Cela signifie que la question de leur renouvellement sera examinée prochainement par le Comité des représentants permanents (COREPER). En vertu de la décision du Conseil européen, la levée tant des sanctions individuelles que des sanctions économiques est liée à la mise en oeuvre des accords de Minsk. Or, à l'heure où nous parlons, il ne nous semble pas cohérent, collectivement – cela a fait l'objet d'un premier échange au niveau du groupe compétent –, de mettre un terme à ces sanctions ou de les alléger. Le simple fait qu'il y ait un cessez-le-feu, dont chacun sait qu'il fait l'objet de violations, ne paraît pas suffisant pour que les Allemands et nous puissions raisonnablement plaider en ce sens. Néanmoins, nous pourrions éventuellement envisager de reconduire les sanctions pour une durée inférieure à un an. Et, si nous enregistrons des progrès sur les points que j'ai évoqués, il devrait être possible de bouger sur cette question d'ici à l'été.
Cela n'empêche pas d'avoir des relations avec les parlementaires russes à Moscou. Pour faciliter les choses, il faudrait que la Russie lève les sanctions qu'elle a prises à l'encontre de 89 personnalités européennes, dont le parlementaire français de premier plan que vous avez mentionné.
Faut-il l'unanimité pour maintenir les sanctions ou bien pour les lever ? On lit les deux informations dans la presse. Or ce n'est pas du tout la même chose.
Du point de vue juridique, l'unanimité est nécessaire pour reconduire les sanctions. Mais cette question est tellement politique, ainsi que nous l'avons constaté lors des discussions au sein de l'Union européenne en décembre et encore aujourd'hui, qu'un consensus est de facto nécessaire pour mettre fin aux sanctions, soit au niveau du COREPER, soit, à défaut, au Conseil des ministres, soit, en dernier recours, au Conseil européen, au nom de notre attachement à l'unité européenne
Nous sommes donc passés de la nécessité d'un consensus pour reconduire les sanctions à la nécessité d'un consensus pour les lever ! Soyons clairs : cela signifie que nous ne les lèverons jamais, car nous n'obtiendrons jamais un tel consensus. D'une part parce qu'au moins deux des trois États baltes s'y opposeront – quant à la Pologne, sa position est peut-être en train d'évoluer. D'autre part parce que les Ukrainiens n'ont aucun intérêt à ce que soient levées des sanctions dont la Russie paie le prix.
Tant qu'il y a des tensions et des sanctions, l'Ukraine sera maintenue sous perfusion économique par l'Europe et les États-Unis. Le jour où il n'y aura plus de tensions, on commencera à s'intéresser aux autres questions, et l'on s'apercevra que « le roi est nu », car il n'y a aura eu de progrès ni en matière de lutte contre la corruption, ni du point de vue économique pour la population ukrainienne. On peut même estimer que M. Porochenko et son gouvernement, qui n'ont pas la majorité à la Rada et dont la cote de popularité est en baisse, ne tiennent que parce qu'il y a des tensions.
Je vous donne donc rendez-vous dans un ou deux ans : nous en serons toujours au même point sur le dossier ukrainien et nous aurons la même conversation.
La séance est levée à dix-huit heures.