Cette proposition de loi de MM. Alain Tourret et Georges Fenech s’inscrit dans la ligne de leur rapport d’information de mai 2015 et, au nom de notre groupe, je veux d’abord les féliciter et les remercier pour l’importance et la qualité de leur travail. Nous souscrivons à la fois à leur constat et à la nécessité qu’ils affirment de refonder le régime de la prescription pénale pour une plus grande sécurité juridique et une meilleure lisibilité du droit. Nous partageons en particulier la volonté de modifier les règles sans supprimer le principe même de la prescription, qui constitue un dispositif utile d’apaisement social et répond à des considérations évidentes de bonne administration judiciaire.
En premier lieu, nous soutenons les modifications tendant à allonger les délais de droit commun. Les délais actuels apparaissent en effet trop courts et souvent inadaptés. Le doublement du délai de prescription de l’action publique nous semble justifié et cohérent avec les évolutions scientifiques et sociales. Les nouveaux moyens scientifiques, tels que le recours aux empreintes génétiques, permettent de rendre justice de plus en plus tard et remettent partiellement en cause l’un des fondements de la prescription, à savoir la théorie du dépérissement des preuves, même si, bien sûr, les témoignages humains restent pour leur part soumis à l’usure du temps.
Pour ce qui est du point de départ du délai de prescription, nous approuvons le fait que le texte donne un fondement légal à son report en cas d’infraction occulte ou dissimulée. Il consacre ainsi au plan législatif la règle jurisprudentielle selon laquelle la prescription est suspendue lorsqu’un obstacle de droit ou de fait insurmontable rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique.
Pour ce qui est de la prescription de la peine, nous souscrivons à l’harmonisation en matière criminelle, notamment des délais de prescription de l’action publique et des peines. De même, le délai de prescription des peines délictuelles passera de cinq à six ans, dans le même souci d’harmonisation.
Cela étant, nous aurions préféré, pour notre part, en rester à la volonté initiale des auteurs de la proposition de loi d’étendre aux crimes de guerre le champ de l’imprescriptibilité du crime de génocide et des autres crimes contre l’humanité. Cette extension nous paraît pleinement justifiée au regard de l’unité de régime applicable au niveau international à l’ensemble des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, ces derniers étant considérés par la communauté internationale comme des crimes particulièrement graves, qui heurtent la conscience humaine.
Comme le souligne le rapport, le droit international a développé une conception unitaire des crimes internationaux, en soumettant au même régime juridique le crime de génocide, les autres crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
À cet égard, tout comme vous, monsieur le rapporteur, je ferai référence à l’analyse de M. Bruno Cotte, président honoraire de la chambre criminelle de la Cour de cassation et ancien président de chambre de jugement à la Cour pénale internationale, qui a fait observer que nombre de faits sont susceptibles de recevoir la double qualification de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre et qu’une dualité de prescription est dès lors surprenante.
Ce constat a été corroboré par Mme Mireille Delmas-Marty, professeure honoraire au Collège de France. La Commission nationale consultative des droits de l’homme s’est prononcée dans le même sens en recommandant que, conformément à l’article 29 du Statut de Rome, le principe général d’imprescriptibilité soit intégré dans le code pénal et s’applique à tous les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. C’est pourquoi nous regrettons que, finalement, le texte ne se situe plus dans cette perspective.
Nous regrettons aussi que la question des délais de prescription spécifiques aux agressions sexuelles ne soit pas abordée. En 2011, Marie-Georges Buffet avait déposé une proposition de loi qui prévoyait de repousser le délai de prescription des agressions sexuelles de trois à dix ans. Elle relevait à juste titre que les agressions sexuelles pouvaient entraîner des traumatismes profonds et une prise de conscience tardive chez les victimes.
Nous le regrettons d’autant plus que, le 2 décembre 2014, nous avions voté en faveur d’une proposition de loi du groupe UDI modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles ; une proposition de loi que la majorité avait alors repoussée dans l’attente d’une réforme plus globale du régime de prescription. C’est à l’évidence aujourd’hui une occasion manquée.
Pour conclure, et malgré ces quelques réserves, les députés du Front de gauche considèrent que cette proposition de loi répond à un besoin de clarification globale de la prescription pénale. En précisant son régime, la proposition de loi redonne au droit de la prescription sa cohérence, sa stabilité et sa lisibilité. C’est la raison pour laquelle les députés du Front de gauche voteront en sa faveur.