Cette proposition de loi relative à la réforme de la prescription pénale proposée par le groupe RRDP est en fait soutenue, cela a été dit à cette tribune, par nos deux collègues Alain Tourret et Georges Fenech, dont tout le monde salue la persévérance et la ténacité dans l’effort accompli pour mener à bien ce travail.
Vous aviez publié au mois de mai dernier un rapport, chers collègues, comprenant 14 propositions, après un travail de quatre mois et l’audition de nombreux acteurs du monde judiciaire – des magistrats, des avocats, des sociologues – dans le cadre de la mission d’information sur la prescription en matière pénale. Compte tenu de la complexité de la matière, cette réflexion sur la modernisation et la clarification de l’ensemble des règles relatives à la prescription de l’action publique et des peines était plus que nécessaire.
Votre proposition de loi ne contient que trois articles, la principale proposition des rapporteurs étant le doublement des délais de prescription. Le texte vise ainsi notamment à porter de dix à vingt ans le délai de prescription de l’action publique en matière criminelle. Notre système juridique actuel, à travers l’article 7, alinéa 1er du code de procédure pénale, prévoit qu’un crime ne peut pas faire l’objet de poursuite plus de dix ans après qu’il a été commis. Le délai de prescription de droit commun est également porté de trois à six ans pour les délits. En revanche, le texte maintient à un an le délai de prescription des contraventions, ce qui est une bonne chose.
Cet allongement tient compte, en effet, de l’augmentation de l’espérance de vie, des avancées en matière de conservation des preuves et des progrès scientifiques, comme l’identification par l’ADN qui permet de confondre l’auteur d’un crime bien plus de dix ans après les faits, cela a été dit en commission.
Tout en comprenant le désarroi des associations de victimes, qui dénoncent régulièrement l’impunité qui découle du simple fait de l’écoulement du temps, je n’oublie pas totalement la fragilité des témoignages ni la question des dépérissements de preuves lorsqu’il s’agit de poursuivre une personne vingt ans après les faits.
Ce texte entend ouvertement prendre acte des jurisprudences audacieuses de la Cour de cassation. La Cour, réunie en assemblée plénière, avait en effet rendu le 7 novembre 2014 une décision de principe au terme de laquelle « si, selon l’article 7, alinéa 1er, du code de procédure pénale, l’action publique se prescrit à compter du jour où le crime a été commis, la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites ». Il s’agissait, rappelez-vous, d’une mère soupçonnée d’avoir tué huit de ses enfants à leur naissance : plus de dix ans avait été nécessaires pour que la mort des nouveaux-nés soit découverte.
On peut presque dire que la Cour de cassation avait fait en la matière ni plus ni moins qu’oeuvre législative avec la notion d’« obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites », notion qui demeure pourtant ouverte à beaucoup de débats et d’interprétations.
Le texte propose également de passer à six ans pour les délits financiers, tels que l’abus de biens sociaux, le blanchiment ou encore la fraude fiscale, aujourd’hui prescrits après trois ans. Le délai courrait non plus à partir de leur commission mais après la découverte des faits, certes souvent dissimulés par des manoeuvres ourdies par les auteurs présumés. Il s’agit de nouveau de consacrer dans le code de procédure pénale la jurisprudence permettant l’exercice de poursuites pour les infractions occultes ou dissimulées au jour où elles sont découvertes, et non plus au jour de leur commission.
Pour autant, il est légitime ici de s’interroger aussi sur les risques d’atteinte aux principes de proportionnalité, puisque ce cadre donne la possibilité au ministère public de poursuivre indéfiniment un dirigeant d’une entreprise. Or, comment considérer une loi comme proportionnelle dès lors qu’elle place sous le même régime juridique de prescription le dirigeant ayant pioché dans les caisses de l’entreprise et un homme poursuivi pour avoir torturé ou tué ? La question demeure légitime.
Autre point consacré par le texte : l’imprescriptibilité des crimes de guerre connexes aux crimes contre l’humanité. Initialement, M. le garde des sceaux l’a rappelé à la tribune, le texte prévoyait de rendre imprescriptible l’ensemble des crimes de guerre. Je rappelle que, du fait d’un amendement du rapporteur adopté en commission des lois, l’imprescriptibilité de l’action publique et des peines pour lesdits crimes de guerre connexes ne s’applique qu’aux faits commis après l’entrée en vigueur du présent texte. Je crois qu’il aurait été sans doute préférable de mettre en conformité la France avec la convention de Rome en rendant les crimes de guerre imprescriptibles, au même titre que le crime de génocide et les autres crimes contre l’humanité.
Par ailleurs, ce texte contient également des dispositions relatives à l’exécution des peines. Il est en effet important de clarifier les modalités de computation des délais.
L’article 2 modifie ainsi les règles applicables à la prescription de la peine. Il regroupe au sein de deux articles du code pénal les délais de prescription de droit commun et les délais dérogatoires, aujourd’hui disséminés ; il rend imprescriptibles les peines réprimant les crimes de guerre au même titre que celles réprimant les crimes contre l’humanité ; il porte de cinq à six ans le délai de prescription des peines délictuelles ; il conserve en l’état le délai de prescription des peines criminelles – vingt ans – et contraventionnelles – trois ans.
Le groupe écologiste, vous le savez sans doute, a déposé un amendement concernant la prescription du délit de non-dénonciation de crime visant à modifier les règles lorsqu’il s’agit de crimes ou de délits commis sur des personnes de moins de quinze ans au moment des faits. Actuellement, ces délits se prescrivent selon les règles de droit commun, étant considérés comme des infractions instantanées, soit trois ans, ou six si la proposition de loi était définitivement adoptée.
Une fois de plus, l’actualité a rattrapé le cours de nos travaux et de nos débats. Vous n’êtes pas sans savoir que le parquet de Lyon a ordonné, le 4 mars dernier, une enquête préliminaire pour non-dénonciation de crime et mise en danger de la vie d’autrui en marge de l’affaire du prêtre Bernard Preynat, mis en examen pour des agressions sexuelles sur de jeunes scouts.
Cette enquête fait suite à un signalement de victimes mettant en cause plusieurs responsables du diocèse, jusqu’au plus haut d’entre eux d’ailleurs, qu’elles accusent de ne pas avoir dénoncé à la justice les agissements passés de ce prêtre alors que Bernard Preynat, qui n’a quitté ses paroisses du Roannais qu’en août 2015, n’a été mis en examen que le 27 janvier après avoir reconnu les faits d’agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans et placé sous le statut de témoin assisté pour des viols qu’il a avoués en garde à vue.
Cette affaire illustre parfaitement que la non-dénonciation de crime concernant des enfants est régulièrement confrontée à la prescription alors même que cette non- dénonciation constitue une grave mise en danger de ces enfants, et que d’une certaine façon elle favorise l’augmentation du nombre de victimes. Dès lors, il semble nécessaire d’aménager ces règles de prescription en prévoyant que ces délits seront prescrits dix ans après la majorité de l’enfant concerné.
Chers collègues, l’entrée en vigueur du présent texte devrait bouleverser la procédure pénale. Comme l’a souligné le rapporteur en commission des lois, il s’agit d’une loi de procédure, et donc d’application immédiate. Comme Patrick Devedjian l’a fait, je crois, on peut s’interroger sur le problème de rétroactivité qui peut être pertinemment soulevé.
Pour que la justice soit crédible, il faut que nous soyons en mesure de donner une réponse dans un délai raisonnable et que cette décision soit exécutée. La prescription est commandée par les impératifs de délai raisonnable, de confiance dans la loi, de loyauté du procès et de sécurité juridique mais elle vient également sanctionner l’inaction des autorités publiques ou, parfois, des victimes.
En outre, le doublement des délais de prescription impose également une sérieuse réflexion sur la charge de travail des services d’enquête de police judiciaire ainsi que des tribunaux, dont l’engorgement est déjà criant. Je crois toutefois que le garde des Sceaux s’est engagé à maintenir son budget, à l’augmenter même et à réaliser des efforts en termes de personnels afin que la machine judiciaire fonctionne à nouveau normalement.
Il n’en reste pas moins, comme plusieurs collègues l’ont indiqué à cette tribune, que le travail accompli et l’équilibre trouvé font de ce texte une parfaite production législative. Alors, et selon la formule consacrée, chers collègues, merci pour ce moment !