Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du 1er mars 2016 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

Un dossier vous a été remis, contenant des documents relatifs aux coûts de CIGEO – notamment l'avis que l'ASN a rendu en février 2015 –, au concept de réversibilité du stockage des déchets à vie longue, et à la gestion, à l'autre bout du spectre, des déchets très faiblement radioactifs (TFA).

Formellement, l'ASN ne se prononce pas sur la question des coûts de CIGEO, mais sur les hypothèses techniques et de sûreté qui prévalent à l'élaboration des scénarios proposés par l'ANDRA. À la sollicitation de la ministre chargée de la sûreté nucléaire et de l'énergie, nous avons refait cet exercice en février dernier. Cet avis n'avait pas été publié immédiatement car il devait donner lieu à une décision gouvernementale ; nous avons cependant dû le rendre public il y a quelques semaines parce que l'association Sortir du nucléaire avait formé un recours devant la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) et obtenu satisfaction. Cette publication est donc intervenue une semaine avant que la ministre ne prenne la décision de retenir le chiffre de 25 milliards d'euros. Nous y soulignons essentiellement qu'il est urgent de mettre à jour le coût de CIGEO, la dernière évaluation – à quelque 15 milliards d'euros – datant de 2005. À l'époque, le projet en était à ses débuts ; depuis, il a beaucoup avancé techniquement. Tout n'est pas encore sûr, le projet se développera dans la longue durée et s'adaptera au fur et à mesure de son exploitation sur plus d'une centaine d'années ; mais sa maturation a franchi une étape et il fallait impérativement réactualiser les coûts, d'où la décision de la ministre. Le fait d'effectuer une mise à jour nous paraît salutaire ; je ne me prononcerai pas sur la divergence entre le chiffre proposé par la ministre et celui avancé par l'ANDRA, mais sur les hypothèses techniques. Le dossier constitué par l'ANDRA représente une très bonne analyse, étayée et documentée, comme le confirme l'avis du cabinet PwC. L'ANDRA balaie un grand nombre d'hypothèses ; son dossier permet donc véritablement de mettre les coûts à jour.

Certaines de ces hypothèses nous semblent en effet optimistes et peu cohérentes avec l'obligation de prudence qui s'impose à l'exercice de chiffrage des coûts. L'une d'entre elles renvoie au fait d'avoir retenu comme option moyenne la possibilité, à terme, d'allonger la longueur des alvéoles dans lesquelles on stocke les déchets. Actuellement, l'hypothèse de base est de l'ordre de 100 mètres, mais le dossier retient en analyse médiane une longueur d'alvéoles allant de 100 à 150 mètres. C'est évidemment plus efficace industriellement, mais à ce stade, il n'est pas garanti que l'on puisse le faire. Le gain associé à cette hypothèse – non irréaliste, mais à ce jour optimiste – représente plus d'un milliard d'euros. La deuxième hypothèse, de moindre portée, concerne l'optimisation de la forme des alvéoles. Si l'optimisation doit bien entendu être recherchée, l'hypothèse retenue ne nous semble actuellement pas acquise, alors que le gain espéré représente de l'ordre de 400 millions d'euros. Une série d'autres hypothèses nous semblent un peu trop optimistes. Au total, elles correspondent à un gain de deux milliards d'euros.

Par ailleurs, dans plusieurs hypothèses de l'ANDRA, certains paramètres sont systématiquement calés vers le bas. Ainsi, les industriels consultés chiffraient le coût du génie civil entre 1 700 et 3 000 euros par mètre cube. Or la valeur retenue in fine est de 1 600 euros, soit en deçà de la fourchette la plus basse. De même, les valeurs retenues pour le chiffrage du coût de la maîtrise d'oeuvre du stockage nous paraissent relativement faibles : dans le dossier, ce coût est estimé à quelque 6 %, alors que l'expérience de projets comparables montre qu'il s'élève à plus de 10 %. Globalement, le chiffrage de l'ANDRA nous paraît donc assez optimiste, tant en matière de coût unitaire que de certaines hypothèses. Malgré tout, nous voyons comme très positif le fait que le Gouvernement mette à jour le coût du projet.

Si cette réévaluation était nécessaire, il faudra, à l'avenir, en effectuer d'autres car le projet va évoluer avec le temps et s'affiner de plus en plus. À chaque étape clé, notamment technique, le Gouvernement devra en actualiser le coût, conformément au deuxième point de l'arrêté pris par la ministre. La prochaine grande étape technique, pour l'ASN comme pour l'ANDRA, sera la remise du dossier d'options de sûreté qui interviendra dans les prochains mois, légèrement en retard par rapport au calendrier prévu. Au terme de son analyse, ce dossier devrait donner lieu à une nouvelle mise à jour du coût du projet.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion