Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu M. Pierre Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Deux faits m'ont incité à proposer une série d'auditions portant sur le centre industriel de stockage géologique (CIGEO), projet de stockage à long terme des déchets radioactifs de haute et de moyenne activité à vie longue : le débat sur la notion de réversibilité et les différents chiffrages du coût du projet. EDF, Areva et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) évaluent ce coût à 20 milliards d'euros ; l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), à 34,5 milliards ; enfin la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, à 25 milliards d'euros. Le 3 février dernier, la Commission a auditionné MM. Christophe Bouillon et Pierre-Marie Abadie, respectivement président du conseil d'administration et directeur général de l'ANDRA. Monsieur Chevet, je vous demanderai de vous exprimer en particulier sur l'avis de février 2015 dans lequel l'ASN a estimé que certaines hypothèses retenues par l'ANDRA, ayant un fort impact sur le chiffrage global, apparaissaient trop optimistes.
Un dossier vous a été remis, contenant des documents relatifs aux coûts de CIGEO – notamment l'avis que l'ASN a rendu en février 2015 –, au concept de réversibilité du stockage des déchets à vie longue, et à la gestion, à l'autre bout du spectre, des déchets très faiblement radioactifs (TFA).
Formellement, l'ASN ne se prononce pas sur la question des coûts de CIGEO, mais sur les hypothèses techniques et de sûreté qui prévalent à l'élaboration des scénarios proposés par l'ANDRA. À la sollicitation de la ministre chargée de la sûreté nucléaire et de l'énergie, nous avons refait cet exercice en février dernier. Cet avis n'avait pas été publié immédiatement car il devait donner lieu à une décision gouvernementale ; nous avons cependant dû le rendre public il y a quelques semaines parce que l'association Sortir du nucléaire avait formé un recours devant la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) et obtenu satisfaction. Cette publication est donc intervenue une semaine avant que la ministre ne prenne la décision de retenir le chiffre de 25 milliards d'euros. Nous y soulignons essentiellement qu'il est urgent de mettre à jour le coût de CIGEO, la dernière évaluation – à quelque 15 milliards d'euros – datant de 2005. À l'époque, le projet en était à ses débuts ; depuis, il a beaucoup avancé techniquement. Tout n'est pas encore sûr, le projet se développera dans la longue durée et s'adaptera au fur et à mesure de son exploitation sur plus d'une centaine d'années ; mais sa maturation a franchi une étape et il fallait impérativement réactualiser les coûts, d'où la décision de la ministre. Le fait d'effectuer une mise à jour nous paraît salutaire ; je ne me prononcerai pas sur la divergence entre le chiffre proposé par la ministre et celui avancé par l'ANDRA, mais sur les hypothèses techniques. Le dossier constitué par l'ANDRA représente une très bonne analyse, étayée et documentée, comme le confirme l'avis du cabinet PwC. L'ANDRA balaie un grand nombre d'hypothèses ; son dossier permet donc véritablement de mettre les coûts à jour.
Certaines de ces hypothèses nous semblent en effet optimistes et peu cohérentes avec l'obligation de prudence qui s'impose à l'exercice de chiffrage des coûts. L'une d'entre elles renvoie au fait d'avoir retenu comme option moyenne la possibilité, à terme, d'allonger la longueur des alvéoles dans lesquelles on stocke les déchets. Actuellement, l'hypothèse de base est de l'ordre de 100 mètres, mais le dossier retient en analyse médiane une longueur d'alvéoles allant de 100 à 150 mètres. C'est évidemment plus efficace industriellement, mais à ce stade, il n'est pas garanti que l'on puisse le faire. Le gain associé à cette hypothèse – non irréaliste, mais à ce jour optimiste – représente plus d'un milliard d'euros. La deuxième hypothèse, de moindre portée, concerne l'optimisation de la forme des alvéoles. Si l'optimisation doit bien entendu être recherchée, l'hypothèse retenue ne nous semble actuellement pas acquise, alors que le gain espéré représente de l'ordre de 400 millions d'euros. Une série d'autres hypothèses nous semblent un peu trop optimistes. Au total, elles correspondent à un gain de deux milliards d'euros.
Par ailleurs, dans plusieurs hypothèses de l'ANDRA, certains paramètres sont systématiquement calés vers le bas. Ainsi, les industriels consultés chiffraient le coût du génie civil entre 1 700 et 3 000 euros par mètre cube. Or la valeur retenue in fine est de 1 600 euros, soit en deçà de la fourchette la plus basse. De même, les valeurs retenues pour le chiffrage du coût de la maîtrise d'oeuvre du stockage nous paraissent relativement faibles : dans le dossier, ce coût est estimé à quelque 6 %, alors que l'expérience de projets comparables montre qu'il s'élève à plus de 10 %. Globalement, le chiffrage de l'ANDRA nous paraît donc assez optimiste, tant en matière de coût unitaire que de certaines hypothèses. Malgré tout, nous voyons comme très positif le fait que le Gouvernement mette à jour le coût du projet.
Si cette réévaluation était nécessaire, il faudra, à l'avenir, en effectuer d'autres car le projet va évoluer avec le temps et s'affiner de plus en plus. À chaque étape clé, notamment technique, le Gouvernement devra en actualiser le coût, conformément au deuxième point de l'arrêté pris par la ministre. La prochaine grande étape technique, pour l'ASN comme pour l'ANDRA, sera la remise du dossier d'options de sûreté qui interviendra dans les prochains mois, légèrement en retard par rapport au calendrier prévu. Au terme de son analyse, ce dossier devrait donner lieu à une nouvelle mise à jour du coût du projet.
Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je vous remercie de nous avoir fait part de ces éléments concernant le coût et la sécurité du site CIGEO, à Bure. Votre rôle sera essentiel pour garantir l'adaptabilité et la réversibilité de ces installations. Pour ma part, je souhaite élargir le champ des sujets pour vous interpeller sur plusieurs points qui intéressent nos concitoyens.
Vous avez récemment auditionné les représentants de la direction d'Areva sur la corrosion des évaporateurs concentrateurs de produits de fission à la Hague. Êtes-vous rassuré par leurs propos ? Quelles garanties peut-on donner aujourd'hui aux riverains, encore inquiets ?
EDF est sur le point de démarrer le grand carénage et l'ASN devra émettre des préconisations. La Cour des comptes évalue le coût global des investissements et de l'exploitation à 100 milliards d'euros d'ici 2030 ; EDF évalue l'investissement hors coûts d'exploitation à 55 milliards d'euros à l'horizon 2025. Jugez-vous ces chiffrages crédibles ou risque-t-on encore une fois une augmentation des coûts en cours de route ?
Votre avis public précise que vous porterez en priorité vos investigations sur les projets existants, pouvant ainsi mettre plus de temps pour la régularisation des cuves de l'EPR de Flamanville. Pensez-vous tenable la livraison de l'EPR en 2017, comme initialement prévu ? La filière a-t-elle tous les moyens, notamment humains, pour procéder au démantèlement des vieilles centrales ?
Les détracteurs des centrales nucléaires prennent souvent pour exemple celle de Blaye, en Gironde, brandissant la menace d'un accident en raison d'une possible montée des eaux liée au changement climatique. Depuis 1999, EDF a fortement renforcé la protection du site, mais les inquiétudes persistent. Pouvez-vous rassurer les habitants de la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes sur la sécurité de cette installation ?
À l'écoute de votre exposé, nous avons conscience des chantiers qui vous attendent et de l'ampleur de vos nouvelles missions ; c'est certainement pour ces raisons que dans votre avis public, vous faites part de vos inquiétudes sur les moyens alloués à l'ASN. Vous évoquez la possibilité de nouvelles dépenses budgétaires ou le transfert des recettes d'une taxe affectée ; à quelle taxe pensez-vous ? L'État vous a-t-il donné des garanties pour les prochaines lois de finances ?
Monsieur le président, à l'occasion de vos voeux à la presse, vous avez dressé un état des lieux particulièrement alarmant, soulignant le manque de moyens de l'ASN et de son bras technique, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui regroupent 1 000 personnes. D'après vous, il faudrait embaucher 200 personnes de plus, alors que les fonds débloqués par le Gouvernement ne permettraient de créer que trente postes supplémentaires.
Vous notez, à juste titre, les difficultés économiques des deux grandes entreprises du secteur nucléaire, EDF et Areva. EDF doit, en effet, faire face à des investissements colossaux et Areva se retrouve dans une situation difficile due à beaucoup d'impéritie. Dans ce contexte, le groupe Les Républicains se demande comment on pourra faire face aux défis de la loi relative à la transition énergétique. Le récent débat sur la prolongation de la vie de nos centrales montre combien l'élément financier a été négligé au moment du vote. Alors que l'investissement dans les énergies renouvelables présente un coût énorme, leur efficacité technique reste discutable tant que nous ne saurons pas stocker l'électricité. Or la réduction considérable de la production nucléaire aura, elle aussi, un coût élevé ; vos services peuvent-ils estimer précisément le coût des fermetures de nos centrales et de la prolongation de leur durée de vie ?
Cinq ans après la catastrophe de Fukushima, l'opérateur de la centrale avoue avoir minimisé la gravité de l'état des réacteurs en ne reconnaissant pas immédiatement que le coeur de l'un d'entre eux était entré en fusion, afin d'éviter la panique. Ces informations ont été révélées il y a quelques jours. Quels commentaires vous inspire cette situation ?
Le 17 février dernier, le média belge La Dernière heure révélait que les allers et venues du directeur du programme de recherche et de développement nucléaire belge avaient été surveillés et filmés durant de nombreuses heures. Le jour même, le parquet belge confirmait qu'une vidéo avait été retrouvée chez l'épouse de Mohamed Bakkali, vingt-six ans, arrêté à Bruxelles après les attentats du 13 novembre dernier et soupçonné d'être l'un des logisticiens de la cellule de Molenbeek. Les médias – la radio et la télévision – se sont ensuite emparés de cette affaire, renforçant encore l'inquiétude de nos concitoyens face à la menace terroriste. Le 19 février, le journal La Libre Belgique alla même jusqu'à titrer « Un 747 pourrait-il provoquer une catastrophe nucléaire ? » Il semblerait, d'après les déclarations du ministre de l'intérieur belge, que nos centrales nucléaires pourraient résister au krach de certains avions ; il a cependant précisé : « Des dégâts importants de la structure externe en béton avec possibilité de projectiles pénétrant à l'intérieur de l'enceinte ne peuvent pas être complètement exclus pour tous les types d'avion ».
Nos concitoyens sont inquiets et ont besoin d'avoir des réponses à leurs questions légitimes. Ils n'ont pas besoin d'être rassurés, mais certains que nos centrales nucléaires font l'objet d'une sécurité maximum. Le passé – notamment le douloureux épisode du 11 septembre, entré dans la mémoire collective internationale – a montré que des avions pouvaient servir d'armes de destruction massive.
Permettez-moi en conséquence, au nom du groupe UDI, de vous poser solennellement cette question directe et dérangeante : un avion projeté sur l'une de nos centrales nucléaires pourrait-il provoquer une catastrophe nucléaire ?
Le groupe écologiste s'associe à la question de M. Stéphane Demilly. Je la compléterais ainsi : que se passerait-il si un avion s'écrasait sur la piscine d'un réacteur ?
L'évaluation du coût de CIGEO par l'ANDRA, à 34 milliards d'euros, vous apparaît trop optimiste ; selon vous, il faut la majorer de 2 milliards supplémentaires, ce qui porte le total à 36 milliards. Selon l'ASN, à combien faudrait-il le fixer ? Vous avez dit vous réjouir de voir la ministre arrêter le coût à 25 milliards car cette décision permettait d'avancer ; mais si vous estimez que le coût s'élève à 40 milliards, la marge est significative. Qui paiera la différence, si l'estimation retenue s'avère erronée ? La doctrine actuellement en vigueur fait peser le coût de CIGEO sur le consommateur d'électricité d'aujourd'hui.
L'IRSN estime, si phase pilote il y avait, comme le préconise aujourd'hui l'ANDRA, elle devrait durer une trentaine d'années. Est-ce également votre avis ?
Vous avez évoqué le fait que CIGEO devait être capable de s'adapter à l'évolution des politiques qui pourraient être menées à l'avenir, notamment à l'arrêt du retraitement. Le cas échéant, qu'estimez-vous possible de faire du plutonium ? Pourrait-on stocker dans CIGEO les centaines de tonnes qui se trouvent aujourd'hui à la Hague ? Comment le plutonium devrait-il être conditionné ?
Vous avez souligné que la situation en matière de nucléaire était préoccupante. La ministre de l'environnement a déclaré, que dans certaines conditions, elle pourrait donner son accord à la prolongation des réacteurs au-delà de quarante ans, après avis favorable de l'ASN. Quelle est aujourd'hui la doctrine de l'ASN s'agissant de la durée de vie des centrales ?
Le land du Bade-Wurtemberg a produit un rapport indiquant, que si la centrale de Fessenheim était située en Allemagne, elle n'aurait pas eu l'autorisation de fonctionner, notamment à cause des risques sismiques. Je vous ai adressé ce rapport et vous ai questionné par écrit ; quel est l'avis de l'ASN ? Le risque sismique initial ayant probablement été sous-évalué, ce sont les marges de précaution qui ont été consommées par la nouvelle évaluation. Si l'on présentait aujourd'hui le dossier de Fessenheim, l'ASN pourrait-elle autoriser le démarrage de la centrale ?
Les anomalies de fabrication de la cuve de l'EPR vous amènent à entreprendre une évaluation rétrospective approfondie d'une série de productions dans les usines d'Areva ; pouvez-vous en dire plus sur les craintes qui vous ont amené à prendre cette décision ? À ma connaissance, c'est la première fois qu'on décide de revoir l'ensemble des productions passées par ces usines ; vous craignez donc visiblement que ces productions ne soient pas conformes à la doctrine de sûreté. Que risque-t-on de découvrir au travers de cette inspection ?
Au nom du groupe RRDP, je remercie le président de la Commission d'avoir organisé cette audition.
Monsieur Chevet, lors de la présentation de vos voeux à la presse, vous avez déclaré que le contexte en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection était préoccupant. Dimanche, la ministre de l'énergie, Ségolène Royal, a indiqué être prête à donner son feu vert à la prolongation de dix ans de la durée de vie des centrales nucléaires, qui passerait ainsi de quarante à cinquante ans. Le 15 janvier 2016, vous avez auditionné les représentants d'EDF. Quelle sera votre méthode de travail, et avec quel calendrier, pour redéfinir les examens de sûreté des réacteurs de 200 mégawatts électriques ?
Dans un avis paru en mai 2014, la Cour des comptes estime que, pour mettre tout le parc actuel en capacité de maintenir sa production et éventuellement prolonger sa durée d'exploitation au-delà de quarante ans, une partie des investissements devra être réalisée au-delà de 2025. Même si un chiffrage à un tel horizon est un exercice par nature incertain, le total des investissements sur la période 2011-2033 atteindrait environ 110 milliards d'euros courants. Sans vous prononcer sur les coûts, que pensez-vous de cette estimation ?
Le même rapport pointe que les investissements ont plus que doublé entre 2010 et 2013, avec une incidence sur le coût de production de 5,10 euros par mégawattheure. Les investissements finançant les travaux qui visent à appliquer les prescriptions post-Fukushima représentent un montant total d'environ 11 milliards d'euros pour EDF, qui souhaite les réaliser d'ici 2033. Pensez-vous que l'entreprise doit réaliser ces travaux afin de garantir un niveau de sûreté suffisant ?
Je voudrais revenir sur la corrosion des évaporateurs assurant la concentration des produits de fission sur le site de la Hague. En février 2016, vous avez auditionné Philippe Varin, président du groupe Areva ; en effet, les analyses de l'ASN vous conduisent à craindre pour la sûreté de l'installation. Quelles actions préconisez-vous ? Comment comptez-vous travailler avec Areva ? Que se passerait-il si l'usine de la Hague devait être fermée ?
La situation économique difficile des opérateurs représente un autre point préoccupant. En effet, plus nos opérateurs connaissent des difficultés financières, moins la sûreté est assurée. Quel rôle l'ASN peut-elle jouer dans ce cadre ?
Enfin, vous avez évoqué l'épineux sujet des moyens mis à disposition de l'ASN. En tant que rapporteur budgétaire sur le programme 181 « Prévention des risques », je ne peux qu'y être sensible. Votre budget a été sanctuarisé et trente postes supplémentaires vous ont été accordés sur la période 2015-2017. Toutefois, vous avez souligné l'insuffisance de cet effort au regard des enjeux actuels en matière de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Comment, dans ces conditions, pensez-vous mener vos missions ? Comment allez-vous hiérarchiser vos priorités ?
J'aurais bien d'autres questions à vous poser, mais comme le disait Jean de La Fontaine dans la fable La Grenouille qui veut se faire plus grosse que le boeuf, il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre. (Rires)
En tant que député – et non président du conseil d'administration de l'ANDRA –, je voudrais vous interroger sur les seuils de libération. Cette question a fait l'objet d'une audition de l'IRSN par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de l'Assemblée nationale et d'un avis de l'ASN, publié le 18 février. Étant donné le volume des déchets TFA, l'enjeu est important. Dans le rapport que nous avons rédigé en 2013 avec mon collègue Julien Aubert, nous soulignons qu'à partir du moment où certains pays ne mettent pas en oeuvre le seuil de libération, des produits comportant des matériaux issus de déchets TFA peuvent être légalement importés dans notre pays. Quelle est la doctrine de l'ASN sur ce point ? Peut-elle évoluer ?
Un chapitre important de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte concerne la sûreté nucléaire. L'ordonnance est sortie. Que changent pour l'ASN ces nouvelles dispositions ?
La ministre de l'environnement, Ségolène Royal, est confrontée au principe de réalité. La loi relative à la transition énergétique fixait deux objectifs importants : la baisse des émissions de CO2 et celle de la part du nucléaire dans la production d'électricité. Les atteindre me semble une mission impossible : il faudra trancher pour tenir au moins un des deux engagements. La possibilité d'une prolongation de dix années supplémentaires des réacteurs nucléaires, annoncée par la ministre il y a quarante-huit heures, représente une piste. On envisage l'arrêt prochain du réacteur de Fessenheim ; cette centrale pourrait-elle voir sa durée de vie prolongée de dix ans ?
Laurent Furst soulignait tout à l'heure la nécessité d'organiser un référendum sur la question ; que pourrait-on dire, en matière de sécurité nucléaire, à ceux qui seront consultés sur le sujet ?
Fin janvier, une campagne de distribution préventive de comprimés d'iode a été lancée par l'ASN à l'intention des 600 000 personnes vivant à moins de dix kilomètres d'une centrale nucléaire. Ces populations habitant dans le périmètre du plan particulier d'intervention sont informées de manière régulière, notamment par le biais de brochures et d'un numéro vert détaillant la marche à suivre en cas d'accident. Toutefois, après l'accident de Fukushima, les retombées ont été mesurées à cent kilomètres autour de la centrale et l'évacuation des populations a été ordonnée dans un rayon de vingt kilomètres. En outre, les vents ne connaissent pas de frontières et des rejets radioactifs pourraient arriver en France en cas d'accident en Belgique, en Allemagne ou en Suisse, et inversement. Or les réglementations varient selon les pays. Prévoit-on des avancées dans l'harmonisation des réglementations ? Quelles sont vos préconisations pour améliorer la protection des populations en cas d'accident nucléaire ?
Ces derniers jours, la ministre Ségolène Royal a évoqué la possibilité de prolonger de dix ans la durée de vie des centrales nucléaires, qui passerait ainsi de quarante à cinquante ans, sous réserve de l'avis de l'ASN. Ce choix est présenté comme compatible avec l'objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d'énergie qui, selon la Cour des comptes, se traduirait par la fermeture de l'équivalent de dix à vingt réacteurs, dans la mesure où une partie du parc arrive à quarante ans d'exploitation avant la fin de la décennie. Dans ce contexte, EDF a déjà préparé un scénario comptable, avec une durée d'amortissement de cinquante ans pour son parc de réacteurs de 900 mégawatts, qui lui permettrait d'améliorer sensiblement son bilan financier.
Pourtant, vos récentes déclarations à la Société française d'énergie nucléaire montrent vos préoccupations en matière de sûreté et de radioprotection. Pouvez-vous nous assurer que cette décision, si elle n'est pas incompatible avec l'objectif de réduction de la production d'énergie nucléaire en France, n'est pas contradictoire avec les impératifs de sécurité qu'elle imposerait ? Les gains espérés par EDF tiennent-ils compte des investissements préalables nécessaires ? EDF a annoncé vouloir investir 55 milliards d'euros dans les prochaines années ; mais ne faut-il pas augmenter les investissements en matière de sécurité ?
Les substances radioactives sont fréquemment transportées, notamment pour être stockées, comme par exemple à Soulaines-Dhuys, dans l'Aube. De nombreux acteurs interviennent dans la chaîne de transport des matières radioactives, entre l'expéditeur et le récepteur. Ils doivent respecter un cahier des charges et bénéficier d'agréments officiels, afin de sécuriser ce transport au maximum. Comment l'ASN effectue-t-elle ses contrôles ? À quel moment sont-ils aléatoires ou généralisés : au départ, sur le chemin ou à l'arrivée ? Sont-ils effectués sur l'ensemble des colis transportés ?
La durée de vie des centrales est un sujet de débat. La ministre a annoncé être prête à donner son feu vert pour la prolonger de dix ans ; quelle est, selon vous, la durée de vie optimale pour une centrale nucléaire ? Notre modèle de production d'électricité étant largement basé sur le nucléaire, peut-on aller plus loin, et à quelles conditions ?
L'évaluation du coût de CIGEO a suscité des controverses ; mais compte tenu de la durée du stockage – cent ans –, ces chiffres apparaissent très relatifs et l'amortissement ne devrait pas poser de problèmes aux producteurs d'énergie nucléaire. Qu'en pensez-vous ?
En matière budgétaire, on a pris acte de l'effort consenti par le Gouvernement, qui vous a accordé trente postes supplémentaires sur trois ans. Cet effort demeure toutefois insuffisant eu égard aux enjeux actuels. Quels seraient les moyens nécessaires pour vous permettre de mener à bien vos actions ?
Depuis quelques semaines, on a lancé une nouvelle campagne de distribution préventive de comprimés d'iode stable pour les riverains vivant à moins de dix kilomètres des installations nucléaires. Le ministère de l'intérieur estime à environ 600 000 le nombre de personnes concernées. Jusqu'ici seule une moitié est pourtant venue récupérer les comprimés en pharmacie. Ces pastilles d'iode ont vocation à prévenir les cancers de la thyroïde en cas de rejet dans l'atmosphère d'iode 131. Comment expliquez-vous ce seuil important de non-recours chez des populations généralement bien suivies et informées des consignes de sécurité en matière de nucléaire ? Faut-il y voir une marque de défiance des riverains à l'égard du discours des autorités de sûreté nucléaire ?
Plus généralement, je m'interroge sur la place accordée aux citoyens concernant les décisions et les enjeux de l'atome. Davantage de transparence et de participation me semblent nécessaires pour les rassurer. Vous vous êtes plusieurs fois déclaré favorable à une plus grande inclusion et ouverture du débat citoyen sur le nucléaire. Pouvez-vous préciser les modalités de participation que vous estimez nécessaires, les publics visés et les effets attendus ?
Où en sont les négociations européennes sur la nécessaire harmonisation des réglementations en matière de sûreté nucléaire ?
La région rhénane voit des centrales allemandes – à l'arrêt –, françaises et suisses se côtoyer dans un périmètre extrêmement réduit. L'Ukraine est bien plus éloignée ; pourtant, le nuage de Tchernobyl est allé jusqu'au Rhin – où il a été courageusement arrêté par nos douaniers. (Murmures) La sécurité nucléaire ne peut pas être une préoccupation nationale ; elle doit se traiter au moins à l'échelle d'un continent. Êtes-vous d'accord avec cette idée ?
J'ai été très intéressé par l'avis que vous avez rendu sur les déchets TFA, souvent ignorés au profit des déchets très radioactifs. On fait face à des quantités énormes, dont on parle peu. Vous suggérez un nombre limité de solutions : la valorisation et le stockage – deux solutions liées –, la dilution – à condition qu'il y ait un seuil de libération – et l'augmentation de la densité des résidus. Mais vous soulignez que toutes ces solutions sont impossibles. Le volume du Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES) est limité et il nous faudra stocker environ 1 350 000 tonnes ailleurs. La dilution et le seuil de libération vous semblent dangereux ; cela dit, il est dans la tradition française de diluer ce qui apparaît embêtant… Je crains donc que cette solution soit choisie. Il semble difficile d'éviter d'utiliser un seuil de libération car il faut bien définir un niveau à partir duquel les déchets deviennent dangereux. En effet, peu de déchets totalement non radioactifs doivent sortir d'une centrale ! Quant à l'augmentation de la densité des résidus par l'incinération, vous l'estimez beaucoup trop chère ; mais on ne voit pas d'autres moyens d'augmenter cette densité, sauf les bonnes pratiques à l'intérieur des centrales. Votre avis me semble pertinent ; mais je m'inquiète de voir qu'il n'ouvre sur aucune solution.
Enfin, on parle beaucoup des risques nucléaires pendant les distributions de comprimés d'iode, puis on oublie le sujet pendant des années. Il n'est donc pas étonnant que les gens soient démobilisés.
Le Président de la République s'est engagé à fermer la centrale nucléaire de Fessenheim, la plus ancienne du parc français. EDF a-t-elle déposé auprès de l'ASN un dossier portant sur l'arrêt et le démantèlement de la centrale ? Si oui, depuis quand ? Le délai d'instruction de ce dossier sera relativement long ; combien de temps s'écoulera-t-il entre le dépôt du dossier par EDF et l'autorisation de l'ASN ? Dans mon esprit, la centrale doit fermer avant la fin de ce quinquennat, soit avant juin 2017. Les engagements pris seront-ils tenus ?
Sommes-nous capables aujourd'hui, en France – du point de vue technique, administratif et financier –, de démanteler une centrale nucléaire ? La centrale de Brennilis – la plus vieille centrale française, forte de 70 mégawatts – a été fermée en 1970, mais n'est toujours pas démantelée. EDF y a déjà consacré des moyens importants ; sera-t-elle démantelée un jour, et si oui, quand ?
Enfin, pour revenir à CIGEO, les causes de l'accident survenu à Bure peuvent-elles avoir des conséquences sur la réversibilité du stockage ?
À l'occasion de nos traditionnels voeux à la presse en début d'année, j'ai dit que, même si les indicateurs de sûreté – par exemple le nombre d'incidents et d'anomalies – restaient à peu près stables, le contexte général, à court et à moyen terme, apparaissait préoccupant. Ce propos résulte d'un triple constat. Tout d'abord, on entre dans une phase sans précédent pour ce qui est des enjeux en matière de sûreté et de radioprotection. Les dix ou quinze dernières années, assez calmes, ont été celles de l'exploitation d'une série d'installations encore relativement jeunes. Depuis un an et demi, on a abordé une nouvelle période. Le premier enjeu est celui de la prolongation ou non des réacteurs EDF ; construits et mis en service à haute dose – parfois à raison de sept ou huit par an – entre le début et la fin des années 1980, ils arriveront sous peu à leurs quarante ans. Ce seuil ne marque aucune rupture majeure ou brutale ; mais la loi prévoit une obligation de réexamen de sûreté approfondi.
En effet, quarante ans représentent un âge important pour une installation industrielle, qui oblige à poser des questions plus compliquées que lors des réexamens antérieurs. La première question, la plus simple au plan technique et bien balisée au plan international, est celle du vieillissement de l'installation par rapport aux standards initiaux. Mais on doit aussi se demander comment augmenter la sûreté de l'installation – question plus compliquée. Les normes européennes obligent de prendre pour modèle les meilleures technologies disponibles, en l'occurrence des réacteurs de troisième génération, tels que l'EPR, pour se demander quelles modifications il faut apporter aux anciennes installations pour les rapprocher, autant que possible, du niveau de sûreté équivalent.
L'exercice n'est pas simple. Ainsi, par exemple, l'EPR a, dès l'origine, a été construit avec un récupérateur de corium : si le coeur fond et qu'il traverse la cuve, ce dispositif empêchera la pollution de la nappe phréatique. Les centrales existantes ne sont pas équipées de cette technologie ; nous avons donc demandé à EDF quel système on pouvait mettre en place pour remplir la même mission. L'entreprise est complexe car il n'y a pas beaucoup de place sous les cuves des réacteurs existants ; les centrales étant en exploitation, l'endroit est difficile d'accès. Les questions de ce type, très complexes, sont au nombre de cinq ou six ; mais elles sont toutes d'une grande importance. C'est ce que nous devons examiner avec EDF ; l'instruction a commencé et devrait s'achever fin 2018 par un avis générique. En effet, comme nous disposons d'un parc très standardisé, les questions se posent pratiquement dans les mêmes termes pour l'ensemble des réacteurs. Le calendrier est extrêmement tendu : la première centrale à faire sa quatrième visite décennale – Tricastin 1 – le fera à peine six mois après notre avis générique, en 2019. EDF aura donc peu de temps pour mettre en oeuvre les modifications que nous aurons prescrites. Les autres réacteurs disposeront de délais plus confortables.
La loi relative à la transition énergétique prévoit qu'après cet exercice, nous devrons décider, réacteur par réacteur, et après enquête publique, s'ils peuvent continuer à fonctionner au-delà de la quatrième visite décennale. La loi assure une vraie transparence en matière de jugement porté sur chaque réacteur ; mais elle ne pouvait pas prévoir un processus de consultation sur la partie d'analyse générique, actuellement en cours. C'est nous qui avons décidé de forcer la participation du public aux instructions sur l'ensemble du parc. Ainsi, nous sommes en train de faire monter en puissance des groupes de travail pluralistes pour leur permettre de s'approprier ces sujets, très complexes, afin qu'ils nous accompagnent au fur et à mesure des décisions que nous prendrons dans les trois ans à venir.
À côté des réacteurs EDF, toutes les autres installations – installations du cycle du combustible ou réacteurs de recherche du CEA – sont confrontées au même problème. Mises en service pour accompagner le parc nucléaire, donc au même moment que ce parc, elles se trouvent aujourd'hui dans la même situation du point de vue technique, atteignant un âge assez avancé. La même question – réévaluation de sûreté et prolongation ou non de la durée de vie – se pose donc peu ou prou à leur propos. Nous avons déjà reçu une vingtaine de demandes pour ces installations autres que les réacteurs et d'ici la fin de l'année 2016, nous en aurons cinquante en stock. Nous devons donc faire face en même temps à ces deux enjeux sans précédent. Les suites de Fukushima représentent un autre sujet important, ainsi que les anomalies sur les chantiers nouveaux. La période est donc particulièrement chargée.
En même temps, les industriels font actuellement face à des difficultés économiques – mais aussi budgétaires, pour le CEA, et financières, pour Areva. Ils rencontrent également des difficultés techniques. Les réorganisations en cours vont a priori dans le bon sens, mais le temps est souvent long entre la conception d'un schéma industriel et sa mise en oeuvre complète. Ce temps de la transition industrielle présente des risques pour la sûreté parce que les compétences clés ne sont pas à tout moment au bon endroit, que le nombre de personnes affectées peut se révéler insuffisant et que les investissements de sûreté en période économiquement difficile peuvent être négligés. Nous suivons donc la situation avec attention ; les organisations, les compétences et les moyens affectés à la sûreté feront l'objet d'une forte vigilance de notre part dans les prochaines années, tant que durera cette nécessaire transition industrielle.
Les industriels sont le premier acteur de la sûreté, mais l'ASN a un rôle à jouer en matière de contrôle. Or, faute de disposer de moyens suffisants, elle traverse une période délicate. Conscients des difficultés budgétaires de la Nation, nous sommes reconnaissants au Gouvernement pour la trentaine de postes en plus pour le triennal en cours ; mais les enjeux que j'ai rappelés nécessitent des moyens supplémentaires. Si l'on veut suivre en gardant le même pourcentage de contrôles, il faut que nos moyens soient augmentés à la hauteur des investissements. EDF souhaite investir entre 50 et 100 milliards d'euros dans les dix ou quinze ans à venir et avance une estimation à 55 milliards ; je ne me prononcerai pas sur ces chiffres car nous n'avons pas fini d'analyser la réponse d'EDF à nos préconisations, mais le chiffrage final risque d'être plus élevé. Pour ma part, je demande 200 personnes en plus pour l'ASN et son appui technique, l'IRSN, qui regroupent actuellement 500 emplois chacun. Cela impliquerait d'augmenter notre budget annuel de 50 millions d'euros. Par rapport aux 55 milliards, il s'agit d'un montant tout à fait marginal ! Je suis ouvert sur la question des moyens ; mon seul but est d'obtenir des renforts. La réponse peut être budgétaire ; elle peut passer par des taxes affectées, comme dans certains autres pays ; on peut également songer au fléchage. Je rappelle à ce propos que l'ensemble des exploitants paient au budget de l'État de l'ordre de 600 millions d'euros par an, alors que le système de contrôle n'en coûte que 300 ou 350, en comptant toutes les dépenses, soit deux fois moins.
L'absence de ces moyens supplémentaires m'oblige à fixer des priorités. Ainsi, tout en essayant de faire le maximum pour les autres problèmes, l'ASN s'intéressera en premier lieu aux réacteurs existants : je suis attendu sur ce dossier et aurai à rendre des comptes en cas de dysfonctionnements. Je ne suis pas satisfait de cette situation et j'estime qu'on ne peut pas faire ce genre de choix durablement ; il faudra un jour trouver une solution pour renforcer le contrôle de la sûreté en proportion des enjeux industriels en face.
Je reviens maintenant sur les points particuliers. La mise en évidence de l'anomalie affectant les évaporateurs sur le site de la Hague nous a conduits à convoquer Areva devant le collège de l'ASN pour nous exposer ses plans. Conçus à l'origine pour une durée de vie de l'ordre de trente ans, ces évaporateurs ont été mis en service en 1990. Dès le départ on prévoyait donc, que quelque part autour de 2020, il faudrait faire quelque chose. Dans le cadre du réexamen de sûreté de la Hague, nous avons demandé à Areva de vérifier tous les équipements. Contrôler les évaporateurs est très compliqué car ils se trouvent dans des casemates et la dosimétrie autour est très élevée. C'est à l'occasion de ces examens que l'on a découvert que la corrosion – normale, puisque ces évaporateurs contiennent des matières chimiquement agressives – allait plus vite que prévu. Les contrôles ont donc révélé une mauvaise surprise. Dans certains scénarios, les évaporateurs peuvent atteindre leur limite d'âge dès 2018. Or le temps de fabrication d'un nouvel évaporateur est de six ans. Ces équipements sont centraux dans le fonctionnement de la centrale car, sans évaporateurs, il n'y pas de retraitement, donc le combustible saturera rapidement la piscine de la Hague, et ensuite les piscines d'EDF. L'enjeu industriel est donc important, tout comme les enjeux de sûreté. À ce stade, nous attendons plusieurs démonstrations de sûreté de la part d'Areva ; quelques cas méritent de l'attention. Nous demandons surtout de renforcer les contrôles sur les évaporateurs, le plus rapidement possible, et de les mener avec une fréquence élevée pour être en mesure d'apprécier précisément la vitesse de propagation de la corrosion.
À la suite de l'incident survenu en 1999, la centrale du Blayais a bénéficié de travaux spécifiques pour rehausser les digues et ne se distingue aujourd'hui en rien des autres. Les travaux ont fait l'objet d'une présentation en commission locale d'information. Le Blayais fait face à un risque de submersion, mais il en va de même pour le risque sismique : tous les dix ans, on fait une réévaluation de sûreté pour réexaminer, au vu des connaissances actuelles, où en sont les risques. Le site du Blayais ne fait l'objet d'aucune alerte particulière.
Pour ce qui est de Fukushima, Tepco a en effet récemment déclaré ne pas avoir tout dit au moment de l'accident. Par ailleurs, à la suite de la catastrophe, les Japonais ont mené des réformes de structure très fortes, mettant notamment en place une vraie autorité indépendante de sûreté. Nous avons des contacts étroits avec nos homologues japonais et nous trouvons leur réaction très positive. Le sujet est éminemment compliqué, au Japon comme en France, mais ils font du bon travail. Ils se sont notamment pliés à une inspection par les pairs, qui était présidée par un des commissaires de l'ASN, et dont les conclusions confirment que ces efforts ont clairement changé la donne en matière de contrôle de la sûreté nucléaire au Japon.
S'agissant du risque terroriste que représente un avion, certains éléments liés à la protection des intérêts de sécurité ne peuvent pas être révélés. Les centrales existantes peuvent résister à certains types d'avions, mais certainement pas à tous. Je précise néanmoins que je ne suis pas chargé du contrôle des enjeux de sécurité, contrairement à ce qui se passe dans 90 % des autres pays du monde où c'est l'autorité de sûreté qui s'intéresse à certains aspects de la sécurité. Cependant, jamais aucune autorité de sûreté ne s'occupe de déterminer la nature de la menace ; c'est l'affaire des services spécialisés. Ce n'est pas non plus elle qui déclenche l'intervention des forces publiques en cas de besoin. Mais dans l'ensemble, mes homologues internationaux sont chargés, une fois la menace définie, de regarder comment l'installation peut être conçue, construite et exploitée de manière à y résister, les actes de malveillance étant considérés comme des agressions externes parmi d'autres. La question est valable pour le krach d'avion sur le réacteur comme dans la piscine, et pas uniquement pour les agressions malveillantes. Dans le cadre de l'examen de l'éventuelle prolongation de la durée de vie des centrales, nous considérons ce sujet, en lien avec les autorités françaises chargées des questions de sécurité.
Que se passerait-il en cas d'arrêt du retraitement, et que ferait-on alors du plutonium ? La règle du jeu, liée aux enjeux de non-prolifération, est de minimiser le stock en retraitant le combustible. L'uranium et le plutonium récupérés ont donc vocation à être remis le plus rapidement possible dans des combustibles MOX pour être utilisés. Si on arrête le retraitement, il faut revoir tout le cycle d'ensemble. CIGEO est conçu sur la base d'un scénario énergétique dit de référence, fondé sur une durée de vie des centrales de cinquante ans, la poursuite du retraitement et l'arrivée de réacteurs de quatrième génération, à neutrons rapides, capables notamment de réutiliser la matière telle que MOX dans un cycle complètement fermé.
Au-delà de cet inventaire de référence, cohérent avec la politique énergétique du moment, nous souhaitons prévoir un inventaire d'adaptabilité tenant compte du changement éventuel des politiques énergétiques dans le long terme. L'arrêt du retraitement fait partie des décisions possibles ; dans ce cas, nous n'aurions plus à gérer des déchets très conditionnés issus du retraitement à la Hague, mais, comme d'autres pays, des combustibles usés en l'état. Par conséquent, même si la demande d'autorisation de création se fait sur la base de l'inventaire de référence, l'ANDRA doit nous démontrer que l'installation saura faire face aux changements éventuels d'inventaire dans la longue durée, liés aux choix politiques ou stratégiques de la Nation, et qu'elle pourra être reconditionnée pour accueillir d'autres types de déchets, par exemple des combustibles usés.
Non du plutonium en l'état, mais du combustible usé contenant du plutonium.
Mais peut-on stocker dans CIGEO les 400 tonnes de plutonium de l'usine de la Hague ? Est-ce pertinent techniquement ?
Il faut le reconditionner. Le mieux est de le brûler en MOX – tout le but de la Hague.
Vous nous avez saisis d'un rapport de l'Öko-Institut – organisme que nous connaissons bien puisqu'il avait déjà rendu un rapport sur Fessenheim, il y a trois ou quatre ans. Ce nouveau rapport actualise sa vision. Nous l'analysons et nous lui ferons une réponse, que nous rendrons publique et que nous présenterons à la commission locale d'information de Fessenheim, comme la fois précédente. Pour Fessenheim comme pour d'autres réacteurs, depuis l'origine, on met à jour les niveaux sismiques à chaque réévaluation de sûreté. Dans le cadre des réévaluations actuelles, nous revenons à nouveau sur cette question pour l'ensemble des centrales. Un groupe permanent d'experts a récemment travaillé sur le sujet, abordant notamment Fessenheim ; nous attendons leur avis formel. Ce groupe a une composition pluraliste, ouverte à l'ensemble des parties prenantes.
Par rapport aux déchets qui seront stockés dans CIGEO, les TFA se trouvent à l'autre extrémité du spectre. Actuellement, ils sont gérés dans le CIRES, où les enjeux de sûreté sont bien moindres, et les mesures, adaptées en proportion. Leur quantité à terme est très importante : plus de deux millions de mètres cubes. Ces quantités viendront notamment des démantèlements en masse des réacteurs actuels. Le CIRES a une capacité prévue jusqu'à environ 2025 ; en optimisant l'installation, on peut aller jusqu'à un peu moins d'un million de mètres cubes, mais on n'ira pas au-delà. Quand bien même on mettra en oeuvre le principe de seuil de libération, conformément au souhait de beaucoup de producteurs de déchets, cela ne résoudra pas tout. Il faudra construire au moins un deuxième centre de stockage, avec des mesures de sûreté équivalentes ; il faut d'ores et déjà s'y préparer.
Comme précisé dans son avis, l'ASN considère que les seuils de libération ne sont ni réellement utiles ni vraiment nécessaires. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, les portiques des décharges sonnaient régulièrement, détectant la radioactivité, sans que l'on puisse savoir d'où provenait le déchet. Ces incidents déclenchaient la polémique et nous avions du mal à prouver que des déchets davantage radioactifs n'étaient pas en circulation. D'où la doctrine française qui privilégie une approche par zones : dans certaines zones – telles qu'un bâtiment réacteur de centrale –, les objets peuvent devenir radioactifs ; dans d'autres – telles que la cantine du réacteur –, ce n'est pas le cas. C'est ainsi que nous définissons les déchets comme potentiellement radioactifs ou non. Depuis que nous avons adopté cette approche, il y a plus de vingt ans, nous n'avons plus d'incidents comparables.
Les seuils de libération posent plusieurs problèmes, attestés à l'étranger, y compris en Allemagne. Tout d'abord, si vous voulez libérer des déchets, il faut faire énormément de mesures car les matériaux peuvent ensuite se retrouver n'importe où, y compris dans des biens de consommation. Plus les déchets sont en vrac – imaginez un tas de gravats –, plus l'entreprise est délicate. En Allemagne, le coût estimé des mesures associées est de l'ordre de 1 000 euros le mètre cube, à comparer aux quelque 500 euros – soit deux fois moins – pour le CIRES. Deuxièmement, il y a un moyen de passer sous un seuil de libération, quel que soit le niveau fixé : la dilution, qui consiste à mélanger la matière radioactive avec de la manière non radioactive. Cette pratique est interdite par tous les principes environnementaux, mais aucun système de contrôle ne peut aujourd'hui garantir que les déchets ne sont pas traités de cette façon. Ces risques nous font penser qu'il ne s'agit pas d'une bonne voie, même si nous restons ouverts au débat. Nous avons constitué un groupe de travail pluraliste sur la valorisation des déchets TFA, qui a publié un rapport de très bonne tenue, consultable sur notre site internet. Sans prôner l'instauration de seuils de libération, ce rapport fixe les cadres et les conditions pour garder une forme de traçabilité des déchets.
Par ailleurs, le système actuel présente une série d'inconvénients. Le démantèlement des centrales, notamment des réacteurs, générera de grands volumes – 2 millions de mètres cubes – de matières radioactives dans toute la France ; est-il raisonnable, du point de vue environnemental, de leur faire traverser la moitié du pays pour rejoindre un centre national de gestion des déchets ? Nous sommes donc relativement ouverts à des solutions de stockage régionales ou locales, pourvu qu'elles respectent les mêmes conditions de sûreté. Mais cette option renvoie également aux enjeux d'aménagement du territoire et d'acceptabilité ; ce n'est donc pas à l'ASN seule de formuler un avis. Ce type de questions mériterait un débat public national auquel chacun pourrait contribuer. Il nous reste encore un peu de temps, mais il faut s'y préparer.
Je suis très satisfait des dispositions de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte qui concernent la sûreté nucléaire. Par rapport à la première grande loi de 2006, on a franchi une étape supplémentaire, et beaucoup de mesures vont dans le bon sens. Nos moyens de sanction ont été renforcés, en particulier en matière de sanctions intermédiaires, très utiles en cas de difficultés économiques généralisées où l'on peut avoir tendance à reporter des investissements de sûreté. Pour les cas qui, sans être trop graves, nécessitent une action ferme, la loi introduit ainsi la capacité d'imposer des astreintes journalières, une amende forfaitaire devant être payée tous les jours tant que la situation n'est pas rétablie. Ces recettes vont au budget de l'État, et non de l'ASN. La transparence est également confortée avec le renforcement des pouvoirs des commissions locales d'information. Vu les enjeux de sûreté, la participation du public apparaît extrêmement importante. En obligeant de mener une enquête publique sur la prolongation de la durée de vie des centrales, la loi semble aller dans le bon sens. Mon seul regret est qu'elle n'ait pas traité la question des moyens de l'ASN.
Pour ce qui est de la campagne de distribution d'iode, il était urgent d'agir car les comprimés arrivaient à péremption. Faute de temps, on a organisé une redistribution en tenant compte des plans d'urgence actuels, dans la limite de dix kilomètres, même si nous souhaitons par ailleurs mener une réflexion sur l'élargissement de ce périmètre. Alors que l'appel à se rendre en pharmacie a été lancé il y a un mois, on en est aujourd'hui à 30 % de personnes qui ont récupéré les comprimés. Lors de la campagne précédente, on avait fini à 50 %. Les enquêtes qu'on avait menées pour comprendre la faiblesse de ce taux en dépit des campagnes d'information ont montré que ceux qui ont choisi de ne pas retirer les comprimés suivaient l'une des deux logiques suivantes : « Cela ne sert à rien, si un accident survient, on sera mort » ou bien « Cela fait trente ans qu'il ne s'est rien passé, donc il n'y a pas de raison qu'il se passe quelque chose » – deux versions du fatalisme… Cela montre l'importance d'expliquer à la population ce qu'est et ce que n'est pas un accident nucléaire. Il faut mener une campagne autour de la culture du risque.
Cette distribution se fait actuellement dans une zone de dix kilomètres, mais l'autorité européenne a pris position, il y a un an et demi, en faveur d'un élargissement de ces périmètres d'urgence, notamment parce que quels que soient les efforts entrepris, on ne peut jamais entièrement exclure un accident tel que Fukushima. La mise à l'abri des populations et la prise de comprimés d'iode doivent se faire dans un rayon de cent kilomètres, et l'évacuation, dans un rayon de vingt kilomètres. Cela veut dire que ces mesures peuvent concerner plusieurs pays européens simultanément. Or les seuils de crise ne sont pas les mêmes selon les États, ce qui poserait problème en cas d'accident. Nous avons donc fait l'effort, il y a un an et demi, d'adopter une position commune, convenant de la nécessité de se coordonner. Cependant, ce type de décisions se prend en accord avec les ministères de l'intérieur de tous les pays. Même avec le périmètre actuel, organiser l'évacuation représente un défi : il faut avoir tout planifié, jusqu'à la compagnie de transport concernée. Mais les accidents peuvent aussi prendre des formes plus improbables ; on en arrive donc à l'idée d'une défense en profondeur progressive, de plans gigognes. Plus on va vers des choses improbables – par définition peu prédictibles –, plus il faut prévoir des moyens de réponse flexibles et adaptables. On considère désormais qu'il faut prévoir non un périmètre de danger unique – en effet, quand on distribue des comprimés dans un rayon de dix kilomètres, les gens qui habitent à onze kilomètres se posent des questions… –, mais des lignes de défense successives. C'est un concept nouveau et le traduire en actes exige un temps de discussion avec tous les ministères de l'intérieur européens.
Pourquoi ne pas créer une autorité de sûreté nucléaire européenne ? À titre personnel, j'y suis favorable, mais l'entreprise nécessite un effort politique de tous les pays. Je pense que nous en sommes loin, mais il ne tient qu'à vous de le faire. En revanche, la situation intermédiaire où, alors qu'il existe des gendarmes nationaux, l'on commence à créer une forme de gendarme européen, n'est pas concevable. En effet, il est dangereux de confier le contrôle de la sûreté à deux autorités distinctes, comme j'ai eu l'occasion de le souligner dans le débat à propos de la nouvelle directive européenne sur la sûreté, où commençaient à poindre des fonctions de sur-contrôleur. Il faut impérativement savoir qui prend la responsabilité des décisions ; aussi l'autorité doit-elle être unique.
L'ASN exerce son contrôle sur le transport de matières radioactives et procède comme pour ses autres investigations. Nous avons effectué 115 inspections l'année dernière ; la moitié d'entre elles ont lieu au moment de l'expédition, mais nous en faisons également chez les fabricants de containers et, de manière inopinée, pendant le transport.
L'anomalie affectant la cuve de l'EPR s'avère sérieuse et Areva a commencé un programme d'essais complexe. L'ensemble des résultats devraient être disponibles à l'été prochain. Le problème, c'est que cette anomalie n'a été mise en évidence que parce que nous avons demandé des contrôles supplémentaires. Le fait que ce soit le contrôle externe qui mette le doigt sur un dysfonctionnement signifie que le contrôle interne n'a pas totalement fait son travail ; et s'il ne l'a pas fait sur la cuve, il ne l'a peut-être pas fait non plus sur d'autres équipements. C'est pourquoi j'ai demandé à Areva de revérifier toutes les productions du site du Creusot sur l'ensemble de la période de reprise des fabrications liées à l'EPR, critique industriellement. L'audit est mené conjointement par Areva et EDF, et nous avons déjà réalisé une inspection assez lourde dont nous rendrons les conclusions publiques en janvier. Cette mission, menée sur trois ou quatre jours par une dizaine de personnes, consistait à vérifier que le travail d'audit était bien mené. En effet, dans ce genre de circonstances, le contrôle externe est indispensable.
S'agissant de Fessenheim, l'ASN n'a pas formellement reçu le dossier de demande de démantèlement de la part d'EDF. D'expérience, et même si la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a apporté quelques changements, le temps de préparation d'un dossier de démantèlement par l'exploitant est de l'ordre de trois ans. L'ASN a ensuite également besoin de deux ou de trois années pour instruire le dossier et autoriser le démarrage du démantèlement, qui se poursuivra ensuite pendant plusieurs dizaines d'années. En revanche, un réacteur peut être arrêté à tout moment. Il faut donc distinguer le moment où un réacteur s'arrête, quelle qu'en soit la raison, et le moment où commencent les opérations de démontage. Il n'y a pas nécessairement de lien entre l'arrêt d'un réacteur pour des raisons de politique énergétique et les procédures de sûreté liées au démantèlement.
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mardi 1er mars 2016 à 16 h 30
Présents. - M. Guy Bailliart, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jean-Pierre Blazy, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, M. Alain Gest, M. Michel Heinrich, M. Jacques Krabal, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Marie Le Vern, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard
Excusés. - Mme Chantal Berthelot, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville
Assistaient également à la réunion. - Mme Laurence Arribagé, Mme Delphine Batho, M. Denis Baupin, Mme Virginie Duby-Muller, M. Daniel Fasquelle, M. Lionel Tardy