Intervention de Christine Balagué

Réunion du 8 mars 2016 à 17h00
Commission des affaires économiques

Christine Balagué, vice-présidente du groupe de travail du Conseil national du numérique ayant remis le rapport Travail, emploi, numérique :

les nouvelles trajectoires. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir conviée à cette table ronde.

Cela fait des années que je travaille sur le sujet du numérique. J'ai cofondé et présidé pendant plusieurs années Renaissance numérique, un think tank citoyen sur la société numérique et l'économie numérique. J'ai été également vice-présidente du Conseil national du numérique pendant trois ans. Nous avons abordé le thème de l'ubérisation dans plusieurs rapports, notamment le rapport Ambition numérique qui avait été demandé par M. Manuel Valls. Ce rapport, que nous avons rendu le 18 juin 2015, comprend une partie sur l'économie collaborative. Nous avons travaillé sur ces questions dans un autre rapport intitulé Neutralité des plateformes. Je précise que toutes ces activités sont bénévoles.

Parallèlement à ces activités, je suis professeure à l'Institut Mines-Télécom et je dirige une chaire de recherche sur les réseaux sociaux. J'ai étendu le champ de cette chaire à ce que j'appelle les nouveaux réseaux d'humains et d'objets, c'est-à-dire le marché des objets connectés. Demain, il n'y aura plus seulement des échanges entre humains sur des plateformes collaboratives mais des échanges entre des humains et des objets. Les recherches que je mène sont soutenues par des partenariats d'entreprise. Enfin, je suis présidente de la commission thématique services de Cap Digital.

Le début du numérique date de 1990 en France, soit de plus d'un quart de siècle. On ne peut donc plus parler de révolution digitale : on doit réguler ce secteur qui devient un secteur économique comme un autre.

On peut regarder cette révolution digitale sous deux angles. La première vision est traditionnelle : c'est celle de la plupart des acteurs qui constatent que de nouvelles technologies sont apparues, des objets nouveaux, des smartphones que tout le monde utilise aujourd'hui, des ordinateurs et un certain nombre de plateformes. On explique cette évolution du numérique par une abondance et un usage massif des technologies. Ces technologies ont donné aux individus une capacité d'agir croissante, ce que les Anglo-saxons appellent l'empowerment.

Cette capacité d'agir peut être décomposée en quatre périodes principales.

Le début des années quatre-vingt-dix voit le démarrage de l'internet et l'apparition des premiers sites web. On a ce que l'on appelle une capacité basée sur la demande, demand-based. L'individu n'est capable que d'aller sur un site web, que de regarder une information, voire passer d'un site à un autre.

À la fin des années quatre-vingt-dix, deux acteurs majeurs apparaissent : Google et Amazon. Ils créent une capacité d'agir pour les individus beaucoup plus importante avec un accès massif à l'information et à une multitude de produits en ce qui concerne Amazon. Cette deuxième phase est appelée information-based. On est dans l'économie de la contribution : les individus sont capables de produire de la donnée, de noter des marques ou des entreprises. Ils sont capables de créer de la réputation, positive ou négative, sur les entreprises.

La fin des années 2000 voit l'arrivée des réseaux sociaux – Facebook est créé en 2004 et Twitter en 2006. Dans cette phase, les individus ont une capacité sur la demande des entreprises, ils sont capables de fournir une information et de se mettre en réseau avec des amis où ils échangent et produisent de l'information.

Aujourd'hui, nous sommes dans une nouvelle capacité d'agir basée sur la foule, crowd-based. En plus des trois capacités précédentes, on est capable de se mettre en réseau avec ses amis mais aussi avec des gens qui sont à l'autre bout du monde, que l'on ne connaît pas nécessairement et avec lesquels on va non seulement échanger mais aussi produire. Grâce à ces plateformes, les individus sont capables aujourd'hui de devenir des acteurs économiques. Ils passent du statut de consommateur à celui de producteur. Demain, nous serons reliés à des objets qui changeront notre capacité d'agir.

Les outils qui se sont développés modifient donc la capacité d'agir des individus. On oublie souvent que les citoyens sont capables de faire des choses avec ces technologies, et ils n'hésitent pas à le faire. Ils n'hésitent donc pas à dire qu'ils n'ont pas besoin d'une licence de taxi pour transporter des gens via Uber, ils n'ont pas besoin d'être un acteur du tourisme pour louer leur appartement via Airbnb, et ils n'ont pas besoin d'être un acteur économique pour devenir un acteur du transport via BlaBlaCar. Et si l'on est inscrit sur La Ruche qui dit Oui, on est capable de vendre sa production localement.

Si l'économie collaborative connaît une forte croissance, c'est notamment parce que nous sommes toujours dans une période de crise économique. Le succès de l'économie collaborative, en particulier en France, est lié au fait que les gens essaient de trouver un complément de revenus.

Cette économie collaborative peut être regardée sous l'angle d'une consommation collaborative. C'est ce que l'on appelle l'économie de la fonctionnalité, la vie quotidienne des gens : se loger, se nourrir, se déplacer.

Cette économie collaborative est liée à l'une des caractéristiques du monde numérique qui est un formidable univers d'innovation. La question n'est pas de supprimer ces formes nouvelles. En revanche, elle ne doit pas se faire aux dépens des droits et des libertés de chaque individu.

On s'aperçoit que, dans cette économie, les captations de valeurs sont essentiellement faites par ces plateformes. Airbnb et BlaBlaCar sont devenus des acteurs majeurs. On se retrouve donc avec les mêmes problèmes que l'on a avec Google, Apple, Facebook et Amazon, ces fameux GAFA. L'autre problème que pose l'économie collaborative est celui du statut des travailleurs. Quid du statut des chauffeurs Uber ? Le développement à outrance de l'économie collaborative ne remet-il pas en question notre système de protection sociale ? Ces questions peuvent conduire à de la régulation.

Enfin, on reproduit sur l'économie collaborative ce qui s'est passé avec les GAFA. Le projet de loi pour une République numérique en cours d'examen a déjà ouvert des pistes, puisqu'il prévoit que tout opérateur de plateforme est tenu de délivrer au consommateur une information loyale et transparente en ce qui concerne les conditions générales d'utilisation (CGU), les plateformes étant très peu transparentes vis-à-vis des utilisateurs. J'ajoute que le Conseil national du numérique a remis un rapport sur la neutralité des plateformes, dont une grande partie a trait à la loyauté des plateformes. La loyauté des plateformes d'économie collaborative se pose de la même manière.

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