Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 9 mars 2016 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

M. Assaf me demande pourquoi les migrants choisissent le Royaume-Uni plutôt que la France. Il y a essentiellement trois raisons à cela. Tout d'abord, les réseaux de passeurs – implantés en partie dans les pays de provenance, en partie en Grande-Bretagne et sur le territoire de Calais – leur « vendent » cette destination à grand renfort de menaces et de violences. Deuxièmement, la Grande-Bretagne a longtemps eu une législation, sur laquelle elle revient – ce qui devrait contribuer à changer la situation –, permettant aux étrangers présents sur son sol de travailler. Enfin, elle accueille de nombreuses diasporas issues des pays d'origine des migrants présents à Calais, migrants qui souhaitent se retrouver avec les leurs, qu'il s'agisse de membres de leur famille ou de compatriotes.

Notre position est très claire. Si nous décidions d'ouvrir notre frontière avec la Grande-Bretagne, celle-ci pourrait décider de fermer la sienne sur son territoire, de sorte que les migrants, à qui nous aurions laissé croire que le passage était possible, seraient immédiatement bloqués. Nous aurions ainsi reconstitué un flux et un stock. C'est pourquoi j'estime qu'en signant les accords du Touquet, Nicolas Sarkozy a fait ce qu'il fallait faire. Tous ceux qui tiennent des discours sur la renégociation des accords du Touquet, qui peuvent apparaître de bon sens mais qui sont parfaitement démagogiques, soit ne savent pas ce dont ils parlent, soit ne mesurent pas les conséquences de ce qu'ils disent. Au reste, nous avons renégocié ces accords en conditionnant leur application à une gestion commune de la frontière avec une contribution beaucoup plus importante des Britanniques. En effet, si l'inspiration de ces accords était bonne, ses conditions d'application étaient totalement léonines.

Vous m'avez également interrogé sur les difficultés qu'auraient les migrants à accepter de partir en CAO. Je viens pourtant d'expliquer assez longuement que 3 000 d'entre eux, sur une population de 8 000, avaient rejoint ces centres, bien que les passeurs et les No border – qui ont tout intérêt, pour de multiples raisons, à ce que la situation n'évolue pas – les en dissuadent. De fait, chaque départ en CAO est un combat contre la manipulation et la désinformation.

La fermeture de la route des Balkans risque-t-elle de conduire à la constitution de camps à la frontière franco-allemande ? Je ne vois pas très bien pourquoi de tels camps verraient le jour. En effet, les migrants qui sont en Allemagne s'y trouvent parce qu'ils avaient la volonté de s'y rendre. À ce propos, j'ai fait remarquer à mon homologue belge, lorsqu'il a décidé de faire procéder, dans des conditions juridiques qui me paraissaient sujettes à examen, au contrôle de notre frontière commune, que les flux migratoires n'étaient pas dirigés dans le sens qu'il indiquait.

Par ailleurs, j'ai eu l'occasion de m'exprimer sur les conséquences d'un « Brexit » sur la gestion des frontières. Ces questions relèvent de politiques au long cours, qui exigent cohérence, persévérance et vision. Nous n'allons pas, au prétexte qu'il faut faire la campagne des Britanniques, envoyer des signaux qui ruineraient l'action que nous menons en France avec les résultats que je viens d'indiquer. Ma position est connue, je l'ai exprimée clairement et je n'ai pas l'intention d'en changer car elle est, me semble-t-il, la seule crédible et susceptible de donner des résultats, même si je vous accorde que tout cela est extrêmement complexe.

J'en viens aux réserves et aux appréciations exprimées par M. Larrivé ; elles appellent de ma part des réponses extrêmement précises.

Tout d'abord, nous avons procédé à 1 689 éloignements concernant des Albanais et des Ukrainiens, qui sont retournés dans leur pays d'origine, ainsi que quelques Afghans, qui ont été réadmis en Italie. Nous nous efforçons de mener à bien les éloignements les plus difficiles, y compris – je le dis et je l'assume – ceux de Soudanais qui ne sont pas originaires du Darfour.

Vous m'avez également interrogé, monsieur Larrivé, sur la relocalisation des migrants dans les centres d'orientation. Certes, je suis là pour répondre à vos questions, mais la tentation est grande pour moi de vous en poser quelques-unes. En effet, je lis tous les communiqués émanant de votre parti, et je m'aperçois que la thèse défendue diffère selon ceux qui les produisent. Ceux de vos amis qui sont élus dans le Calaisis souhaitent, pour des raisons qui tiennent à la pression exercée par l'opinion publique, la renégociation des accords du Touquet. Ceux qui ont négocié ces accords – et qui n'ont pas envie d'apporter la démonstration qu'ils se sont trompés –, soit se taisent, soit affichent une moue dubitative. D'autres, enfin, réclament le démantèlement de la « jungle » de Calais, mais qui ne sont pas d'accord pour que l'on mette à l'abri les migrants qui s'y trouvent, bien qu'ils soient inexpulsables puisqu'ils relèvent du statut de réfugié en France. Je suis donc tenté de vous poser une question très simple : comment vous faire plaisir ?

Ma stratégie est pragmatique et fidèle à nos valeurs : la France a vocation à accueillir, conformément au principe de l'asile, ceux qui sont venus sur son sol pour échapper aux persécutions qu'ils subissent. Aucun gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, n'a d'ailleurs jamais remis en cause ce principe. Dès lors que le droit international s'oppose au renvoi de ces personnes victimes de la guerre, de la barbarie ou du terrorisme, deux solutions se présentent : soit nous les maintenons dans la boue à Calais, soit nous les plaçons sous protection ailleurs. Dans cette seconde hypothèse, que nous avons choisi, ceux d'entre eux qui ont demandé l'asile sont accueillis dans des centres et ceux qui s'apprêtent à le demander sont orientés vers des centres d'accueil et d'orientation, qui sont de petites structures à taille humaine.

Vous nous indiquez que ceux qui étaient hébergés dans votre circonscription ont quitté le centre. Je communiquerai à la mission d'information de la Commission des éléments détaillés sur tous ceux, à l'unité près, qui ont quitté Calais pour se rendre dans un CAO, de façon à ce que vous puissiez examiner le parcours de chacun. Mais je peux d'ores et déjà dire que 80 % des migrants accueillis dans un CAO ont demandé l'asile en France, et sont restés dans ces centres ou sont ensuite partis dans des centres d'accueil pour demandeurs d'asile. Néanmoins, un ou deux des 102 CAO – situés en effet en territoire rural – posent davantage de problèmes que d'autres. Peut-être est-ce votre présence qui a conduit les migrants accueillis dans votre circonscription à partir ? (Sourires.) Mais je ne crois pas à cette hypothèse, car je connais votre humanité et votre attachement à la tradition de l'asile, même si nous avons d'importants désaccords sur ce sujet.

Encore une fois, monsieur Larrivé, si vous souhaitez le démantèlement du campement de Calais sans envisager pour autant d'héberger dans des structures d'accueil les personnes qui y vivent et qui ne sont pas expulsables, je serai curieux que vous m'indiquiez quelle serait, selon vous, la solution à adopter.

Enfin, la Commission européenne, l'Allemagne et la Turquie ont engagé une discussion, à laquelle se sont joints ensuite les Pays-Bas, afin de tarir le flux des migrants. Lorsque je me suis rendu en Turquie, il y a quelques semaines, j'ai pu constater – et je précise que la situation m'a été présentée, non pas par le gouvernement turc, mais par les organisations onusiennes – que ce pays avait accueilli, depuis le début de la crise syrienne, 2,5 millions de réfugiés – et il en arrive de nouveaux chaque jour. Ils sont hébergés dans des camps dont le représentant du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) à Ankara m'a indiqué qu'ils obéissaient à des normes qui n'ont rien à voir avec celles des camps où le HCR lui-même s'investit le plus. J'ajoute que les Turcs ont scolarisé près de 350 000 enfants syriens, en agrandissant leurs écoles et en allant chercher des enseignants dans les camps.

Par conséquent, l'idée selon laquelle ils adopteraient une attitude purement cynique et laisseraient volontairement passer les migrants mérite un examen beaucoup plus fin. Nous devons renforcer notre coopération avec la Turquie dans la lutte contre les passeurs. Dès lors que la frontière macédonienne est fermée, il est évident que, à moins de placer la Grèce face à un désastre humanitaire considérable, beaucoup de ceux qui se rendent de Turquie en Grèce doivent être réadmis en Turquie. Tel est le sens de l'accord que vous avez évoqué, qui est assorti de conditions financières. La France estime que ces moyens financiers doivent être débloqués au fur et à mesure que la Turquie tient ses engagements et que, s'il doit y avoir un processus de réinstallation à partir de la Turquie, cette réinstallation ne peut se faire que dans le cadre déjà décidé de l'accueil en Europe de 160 000 personnes.

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