Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 15 mars 2016 à 15h00
Questions au gouvernement — Accord avec la turquie sur les migrants

Manuel Valls, Premier ministre :

Monsieur le député, la France, lors du Conseil européen de cette fin de semaine, reviendra une nouvelle fois sur la crise majeure que l’Europe connaît, cette crise des réfugiés qui peut tout simplement l’emporter. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler quels sont les défis de l’Union, et celui-ci est sans doute le plus important.

Le Président de la République transmettra trois messages fondamentaux. Premièrement, il faut renforcer le contrôle aux frontières extérieures. Pendant trop longtemps, nous avons oublié que, pour fonctionner, Schengen devait reposer sur deux principes, sur deux jambes. Schengen, c’est la libre circulation des personnes à l’intérieur de notre espace, c’est un acquis. Mais c’est aussi le mécanisme qui doit permettre de contrôler les frontières extérieures de l’Europe. Sans ce contrôle, Schengen n’est pas possible. C’est l’Europe même et sa construction qui seraient remises en cause. Or, trop longtemps, ce second point n’a pas été traité.

À notre demande, sur notre proposition, la Commission européenne a proposé à la fin de l’année 2015 la création de gardes-frontières européens, l’une des mesures pour garantir la sécurité. Un accord est prévu à la fin de semestre. Certes, cela prend du temps. La France y travaillera bien évidemment de toutes ses forces, car c’est la seule manière de retrouver la maîtrise de l’espace Schengen – et la seule façon de donner une chance à l’avenir de l’Europe face à cette crise, c’est d’appliquer Schengen dans toutes ses modalités. La France et l’Allemagne sont engagées ensemble sur ce point.

Le deuxième message important de ce Conseil doit être de mettre en place une coopération efficace avec la Turquie. Elle est nécessaire. La Turquie, comme le Liban et la Jordanie, est confrontée à l’afflux des réfugiés. Mais si cette coopération est indispensable, il ne peut pas y avoir le moindre chantage, comme je l’ai déjà dit dans cet hémicycle.

À la suite du sommet du 7 mars dernier entre l’Union européenne et la Turquie, la France fera valoir trois points. Je tiens à être précis, car votre question l’était. D’abord, la coopération doit pleinement respecter le droit international et le droit européen. La Turquie a pris un engagement majeur, qui est de reprendre sur son territoire tous les migrants irréguliers arrivés en Europe. Nous devons nous assurer que cela respecte en tout point les exigences de la convention de Genève, ainsi que le droit d’asile.

Par ailleurs, cette coopération ne doit entraîner aucun engagement supplémentaire pour la France. Nous avons pris la décision d’accueillir 30 000 personnes. Tel est notre objectif. Telle est notre promesse. C’est ainsi, monsieur le député, que je conçois, pour ce qui nous concerne, moi et le Gouvernement, un engagement politique et moral. Il est indispensable de respecter le droit d’asile et les engagements que nous avons pris : pas plus, pas moins.

Enfin, je veux tout particulièrement insister sur un point : cette coopération ne peut en aucun cas se substituer au cadre établi par la relation entre l’Union européenne et la Turquie. C’est vrai pour la libéralisation des visas – le Président de la République l’a rappelé samedi dernier – comme pour les négociations sur l’adhésion ou sur tout autre sujet. Nous sommes très à l’aise avec cela. Sous ce quinquennat, un seul chapitre a été ouvert, quand cinq l’ont été sous le quinquennat précédent.

Le troisième message majeur de la France lors du Conseil européen, ce sera la solidarité à l’égard de la Grèce. C’est essentiel, et la France y veille également. Il est donc essentiel que le Conseil européen, tous les pays doivent en être convaincus, apporte tout le soutien nécessaire à la Grèce. Il prend trois formes. Il faut aider au bon fonctionnement des centres d’accueil des migrants, ces hot spots qui sont indispensables, comme nous le disons, avec le Président de la République et Bernard Cazeneuve, depuis plusieurs mois. Il convient également d’apporter une aide humanitaire.

Mais aider la Grèce, c’est aussi honorer ses engagements en termes de relocalisation des réfugiés sur son territoire. Monsieur le député, la France fait son devoir. La semaine dernière, nous avons accueilli 148 nouvelles personnes qui ont besoin de protection. Nous allons continuer, dans le respect des engagements que nous venons de prendre, mais en contrôlant très précisément ceux que nous accueillons sur notre territoire. Voilà notre feuille de route.

Chacun doit mesurer que, dans cette crise, ce sont deux approches, deux conceptions de l’Europe qui sont en jeu. Soit on assume ses responsabilités, au nom de l’indispensable solidarité entre membres d’une même union, et on recherche ensemble des solutions efficaces et réalistes – il ne suffit pas de faire des proclamations, d’ouvrir nos frontières et de dire que nous allons accueillir tout le monde, car cela peut mettre en cause le projet européen lui-même. Soit on est partisan du chacun pour soi et les réfugiés pour les autres, ce qui signerait la fin du projet politique de l’Europe.

Ce n’est pas cela, l’Europe que nous voulons. La France se battra bien évidemment en faveur de la première approche qui permet de continuer de construire ce magnifique projet qu’est le projet européen.

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