La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Dimanche dernier, le terrorisme a frappé en Côte d’Ivoire et en Turquie.
Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent.
Plus de cinquante personnes ont trouvé la mort à Grand-Bassam et à Ankara, et de nombreuses autres sont grièvement blessées.
Parmi les disparus, nous comptons quatre de nos compatriotes qui ont été assassinés en Côte d’Ivoire. Face à l’atrocité de ces attentats, notre détermination à lutter contre le fléau du terrorisme, où qu’il sévisse, est encore plus forte.
En cet instant, nos pensées vont d’abord aux victimes : au nom de la représentation nationale, j’adresse à leurs familles ainsi qu’à leurs proches nos sincères condoléances.
En votre nom à tous, j’exprime au peuple ivoirien ainsi qu’au peuple turc la solidarité de notre assemblée. Je vous invite à observer une minute de silence.
Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.
Monsieur le Premier ministre, depuis un an, l’Italie a créé 300 000 emplois et l’Espagne 500 000, alors que la Grande-Bretagne en crée 100 000 par mois. En 2015, la quasi-totalité des pays européens ont fait baisser, fortement, leur taux de chômage.
À l’inverse, la France compte, depuis l’élection de François Hollande, 1,1 million de chômeurs de plus, toutes catégories confondues. La France est devenue le seul pays d’Europe où l’on a peur d’embaucher – dans les grandes entreprises, dans les PME, dans les TPE.
Avec l’avant-projet de loi travail, transmis au Conseil d’État, votre gouvernement prévoyait des mesures propres à lever quelques freins à l’embauche.
Mais après votre reculade, due à la pression de la gauche protestataire et de ses relais – syndicats et organisations étudiantes politisées – il ne reste plus rien de ces bonnes intentions.
Une fois de plus, vous aurez réussi le tour de force de transformer un texte pro-entreprises en un texte anti-emploi, anti-compétitivité, anti-attractivité, anti-PME, qui générera de surcroît 4 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires non financées.
Monsieur le Premier ministre, il y a un mois vous étiez prêt à aller « jusqu’au bout ». Après les renoncements d’hier, quels renoncements êtes-vous prêts à faire demain pour obtenir le soutien de votre majorité ?
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Monsieur le député, cher Bernard Accoyer…
« Oh ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il est essentiel pour nous de porter cette réforme, dont l’objet est précisément de parvenir à un équilibre et de renforcer la négociation collective au sein des entreprises, afin de permettre des adaptations et d’améliorer la compétitivité de notre économie.
L’enjeu de ce projet de loi est également de lever les réticences à l’embauche, notamment en contrat à durée indéterminée, car en effet, notre pays, au sein de l’Union européenne, est le deuxième utilisateur des contrats à durée déterminée d’une durée inférieure à un mois. Notre objectif est aussi d’offrir aux salariés de nouvelles garanties.
On ne peut pas parler de reculade.
Il s’agit d’un compromis. N’est-il pas important d’entendre les forces de notre pays afin de parvenir à un compromis ? Car l’absence de compromis conduirait au retrait du texte.
Or la situation que connaît notre pays impose d’avancer. Pouvez-vous donc me dire ce qui ne vous convient pas dans ce texte ? Est-ce parce que nous précisons la notion de licenciement économique ou parce que nous donnons, grâce à la négociation, une nouvelle souplesse aux entreprises ?
Il nous semble en effet impératif de trouver, dans notre pays, de nouvelles formes de régulation sociale. Oui, des divergences existent, notamment sur ce point précis, avec certains syndicats comme au sein de ma famille politique.
Mais je reste convaincue que la recherche d’un bon équilibre passe par des adaptations, sur le terrain et au plus près des réalités, avec les représentants des salariés et les syndicats et non, comme vous le souhaitez, par l’unilatéralisme des employeurs.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Reculer n’est absolument pas l’objectif de ce projet de loi : il vise, au contraire, à faire avancer notre pays qui, en effet, a créé moins d’emplois qu’ailleurs. Cependant, avec le pacte de responsabilité, nous avons réussi en 2015 à créer plus d’emplois qu’avant. Nous restons donc déterminés.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Projet de loi travail
La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, hier, vous avez présenté les modifications importantes du texte sur le travail, qui, je le rappelle, n’est encore qu’un avant-projet de loi qui n’a pas encore été présenté en conseil des ministres.
« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Cette méthode – la concertation préalable avant même le dépôt d’un texte – est la bonne : elle permet d’entendre tout le monde et de lever les craintes comme les
appréhensions.
Cette méthode permet au débat parlementaire de s’appuyer sur la négociation sociale. Elle permet également, comme nous l’avons fait depuis le début de ce quinquennat, de placer les corps intermédiaires, forts décriés sur les autres bancs de cette assemblée, au coeur du débat public.
La culture du compromis social est, malheureusement, souvent décriée dans notre pays. En tout domaine, les ultras des deux rives en veulent en général toujours plus, persuadés qu’en définitive, rien ne bougera. Or, le maximalisme mène toujours à l’immobilisme.
Mais il existe aussi une France de la réforme qui ne se résout pas au statu quo, une France de la réforme qui ne se résout pas à ce que le chômage de masse soit une fatalité française. Il existe une France de la réforme qui veut que le contrat à durée indéterminée redevienne la norme d’embauche dans l’entreprise parce qu’il est synonyme pour les salariés de sécurité et de perspectives.
Dans ce texte, monsieur le Premier ministre, un important volet a été introduit : il permet de tendre la main à cette part de la jeunesse qui se trouve sans perspective, sans ressources et sans soutien.
De même, grâce à ce texte, le compte personnel d’activité – le CPA, dont le sigle deviendra pour tous les salariés de ce pays, dans quelques années, synonyme de grande avancée sociale – sera enfin alimenté.
Ce projet de loi permet de montrer que la sécurité due aux salariés ne s’oppose en rien à la souplesse nécessaire aux entreprises. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous détailler les intentions du Gouvernement ?
Monsieur le député, comme nous l’avons déjà dit ici même au cours des dernières séances de questions au Gouvernement, nous avons souhaité, avec Myriam El Khomri et Emmanuel Macron, travailler directement avec l’ensemble des partenaires sociaux.
Incontestablement – il faut toujours être lucide et modeste – les intentions, les objectifs et le sens des propositions contenues dans le texte qui avait été adressé au Conseil d’État n’avaient pas été compris et suscitaient des incompréhensions et des oppositions.
Les dix jours que nous avons pris pour rencontrer l’ensemble des partenaires sociaux, organisations patronales, syndicales, étudiantes et lycéennes, ont permis d’avancer.
En effet, l’entêtement, le jusqu’au-boutisme auraient conduit, comme vient de le rappeler Myriam El Khomri, au retrait du texte, à l’échec.
Cet échec est peut-être souhaité par certains, mais pas par nous, et ce n’est pas non plus ce qu’attendent les Français.
En effet, ces rencontres ont été fructueuses. Hier, nous avons eu l’occasion de détailler – vous les connaissez – les changements, les modifications, les dispositions qui ont été approfondies comme celles qui ont été maintenues.
Le débat politique dans notre pays reste marqué, au fond, par ce choix qui nous est toujours imposé : soit aller jusqu’au bout, et donc jusqu’à l’échec, soit reculer.
C’est d’ailleurs ce que M. Accoyer a, au fond, bien illustré et ce qu’il attend, comme nombre de ses amis. D’autres souhaitent, tout simplement, que rien ne change, comme il l’a également rappelé. Cette volonté est, il est vrai, parfois partagée par certains syndicats, par une partie de la gauche et donc – Myriam El Khomri a eu le courage de le souligner – par une partie de notre famille politique.
Et pourtant je pense, comme vous, qu’il existe, sur tous les bancs de cette assemblée comme dans tout le pays, un espace important pour la voie de la réforme qui doit s’appuyer, comme nous le faisons depuis 2012, sur le dialogue social, avec les syndicats et le patronat souhaitant s’y engager et avancer.
En effet, le dialogue social est également synonyme de progrès économique et social : on ne change pas une société en la violentant, on la change par la réforme et le dialogue qui permettent d’avancer ensemble.
C’est le sens de notre méthode.
C’est le sens que nous avons, me semble-t-il, retrouvé. Ce débat va prochainement venir au Parlement. Il s’agit d’une réforme importante, parce qu’elle permet d’abord au dialogue social de se dérouler au sein de l’entreprise – et ça, oui, c’est un changement majeur de philosophie ; parce qu’elle s’adresse aussi à ceux qui sont exclus du marché du travail – parce que notre pays s’est habitué au chômage de masse, notamment de longue durée, et à la précarité, qui frappe trop de femmes et d’hommes, souvent dans nos quartiers populaires ; et parce que, oui, elle donne la priorité à ces droits, à ces protections offertes aux salariés, et notamment à la jeunesse. La garantie jeune universelle constitue en effet un changement majeur dans la relation que nous avons avec la jeunesse de notre pays.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le Roux, j’ai donc confiance en ce travail qui sera le nôtre. Je le dis sous les hurlements de ceux qui veulent tout casser et qui veulent que rien ne change : nous, avec la majorité, nous avançons.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Dominique Orliac, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, vous avez annoncé le 19 février dernier, dans un communiqué de presse sur les trains d’équilibre du territoire, le désengagement de l’État dans le financement des lignes de nuit des TET à compter du 1er juillet 2016.
Il est étonnant que cette décision ait été prise sans attendre le rapport de la mission que vous avez confiée à M. le préfet Philizot le 24 juillet 2015, visant à évaluer les propositions rendues par la commission Duron sur l’avenir des TET.
La suppression de la ligne Paris-Toulouse de nuit entraîne la fin de la desserte des gares de Souillac, Gourdon, Cahors et du sud de la ligne. Le train de nuit Paris-Rodez-Latour-de-Carol, lui, est sauvegardé. Il traverse actuellement ces gares sans les desservir. Dès lors, envisagez-vous la possibilité d’ajouter des arrêts, permettant ainsi de maintenir ces dessertes qui ont une réelle utilité sociale pour les habitants de ces territoires tout en s’inscrivant réellement dans la ligne d’économie budgétaire ?
La desserte ferroviaire étant indispensable à la survie et au développement des territoires ruraux, comme l’a souligné le Conseil économique, social et environnemental dans son avis du 28 octobre 2015, l’ajout de nouveaux arrêts aux lignes préservées permettrait d’apporter une solution à cette problématique locale.
Par ailleurs, j’appelle votre attention sur le risque du déclassement de la gare de Cahors, la faisant passer de gare grandes lignes à gare TER. Ce déclassement aurait de lourdes conséquences et porterait un coup supplémentaire à la qualité du service public ferroviaire et à la ligne POLT en général.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Pour la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, j’ai annoncé que le matériel serait entièrement rénové, avec 1,5 milliard de commandes, et un renouvellement d’ici à 2025.
Quant aux trains de nuit, ils sont très déficitaires, vous le savez. Ils représentent 3 % des TET et 25 % du déficit. Chaque fois qu’un voyageur prend un train de nuit, le contribuable doit payer 100 euros : c’est un chiffre révélateur. Ce modèle est très concurrencé par le développement du covoiturage et de l’aérien à bas coût. Certains pays, dont très récemment l’Allemagne, ont d’ailleurs décidé tout simplement de les arrêter.
Ce n’est pas la décision que nous avons annoncée. Nous avons gardé deux lignes – celle sur Briançon et celle sur Latour-de-Carol – et lancé un appel à manifestation d’intérêt pour les autres. Des collectivités locales ou des privés pourront faire des propositions pour reprendre une partie ou la totalité de ces lignes et nous les examinerons.
Votre suggestion est frappée au coin du bon sens. À partir du moment où il reste une ligne qui traverse de nuit notamment la gare de Cahors sans s’arrêter, nous allons évidemment prendre les dispositions nécessaires pour que la ville de Cahors ne soit pas impactée par cette suppression. Ainsi, la gare de Cahors conservera son statut.
Applaudissements sur divers bancs.
La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le Premier ministre, l’actuelle semaine nationale de l’industrie ne peut faire oublier qu’en quinze ans, l’emploi y a chuté de 15 %. En six ans, cette activité a perdu 166 000 emplois et 620 sites ont été rayés de la carte.
Les groupes du CAC 40, dont beaucoup s’enrichissent du travail industriel, ont vu leurs liquidités exploser de 60 %, mais une grande part d’entre elles est placée dans des instruments financiers de court terme, et le sous-investissement est chronique en dépit des largesses fiscales et du CICE. Ils réclament par ailleurs un code du travail à leur botte, mais n’investissent plus dans l’hexagone.
Ce bilan désastreux du capitalisme d’affaires devrait vous inciter à rompre avec les logiques à l’oeuvre depuis quarante ans. Sans industrie forte, il n’y a pas d’économie forte. On sait qu’à 20 % d’emplois industriels dans un pays, il n’y a pas de problème de chômage. Nous en sommes, nous, à 13 %. L’industrie, c’est 90 % de nos exportations et 80 % de la recherche des entreprises.
Ces atouts sont mis à mal par les choix d’austérité, avec lesquels il faudrait rompre sans attendre.
L’avenir de notre filière ferroviaire, par exemple, est menacé par une rupture des commandes. L’État va-t-il prendre les mesures nécessaires pour le renouvellement du matériel roulant ? Ne pensez-vous pas qu’au-delà d’une semaine de façade, notre industrie nationale a besoin d’une intervention stratégique forte et pérenne de l’État ?
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Monsieur le député, l’avenir de l’industrie ferroviaire est une question majeure dans notre pays, vous le savez. Cette filière représente plus de 21 000 emplois.
Les décisions annoncées par l’État – je viens d’en évoquer certaines – vont favoriser le maintien de cette filière. Il y aura un appel d’offres de 1,5 milliard, une commande de trente rames, trente rames attendues dans le cadre de l’appel à Regiolis, c’est-à-dire fabriquées par Alstom. Des discussions sont en cours avec Bombardier pour du matériel fabriqué en France, notamment pour l’éventuel équipement des lignes sur la Normandie. Et puis, il y aura des appels d’offres sur le Grand Paris car il y a de nombreux projets à la SNCF et à la RATP.
Il y a parfois des ruptures de charges dans telle ou telle entreprise. Cela peut être le cas aujourd’hui dans l’usine d’Alstom à Reichshoffen. Nous avons essayé de faire une commande sur étagères, directement à cette société, mais le matériel que l’on attendait ne faisait pas partie du marché d’origine et il y avait un vrai risque juridique. Voilà pourquoi l’État a décidé de faire un appel d’offres.
J’espère que les régions viendront abonder la commande par l’État de trente rames que j’ai annoncée la semaine dernière.
Vous le voyez, nous avons une stratégie importante de soutien à la filière industrielle. Je l’ai dit, celle-ci représente 21 000 emplois, il y a des perspectives positives et des marchés seront passés dans les semaines et les mois qui arrivent.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, l’Europe s’enfonce un peu plus chaque jour dans le chaos migratoire. Depuis le 1er janvier, ce sont déjà plus de 153 000 personnes qui sont entrées en Europe par la Méditerranée. C’est une hausse vertigineuse de 558 % par rapport à l’année dernière. Rien n’est maîtrisé. Rien n’est contrôlé. Les frontières extérieures européennes sont une fiction.
Pour tenter de contenir la vague, Berlin et Bruxelles regardent aujourd’hui vers Ankara. Puisque la Turquie détient l’une des clés du problème migratoire, mieux coopérer avec ce grand pays est sans doute nécessaire. Mais tout lui céder serait une faute historique.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le Premier ministre, ouvrez les yeux ! Ce projet d’accord n’est qu’un marché de dupes. Le Président de la République a tort de rester silencieux. Le Président de la République a tort d’accepter l’ouverture d’un chapitre de négociation monétaire qui relance le processus d’adhésion de la Turquie à l’Europe.
Mêmes mouvements.
Le Président de la République a tort, plus encore, d’accepter la perspective d’une libéralisation des visas, qui signifierait la libre circulation de 80 millions de Turcs en Europe. Ce serait une folie.
Monsieur le Premier ministre, au nom des députés Les Républicains, je vous appelle à faire entendre la voix de la France et à défendre l’intérêt des Français. Nous vous demandons solennellement de refuser le chantage de M. Erdogan.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Nous vous demandons de dire non à la libre circulation des Turcs en Europe. Nous vous demandons de dire non à l’adhésion de la Turquie à l’Europe.
Monsieur le Premier ministre, prenez vos responsabilités ! Votre responsabilité personnelle est engagée. Dites la vérité aux Français !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le député, la France, lors du Conseil européen de cette fin de semaine, reviendra une nouvelle fois sur la crise majeure que l’Europe connaît, cette crise des réfugiés qui peut tout simplement l’emporter. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler quels sont les défis de l’Union, et celui-ci est sans doute le plus important.
Le Président de la République transmettra trois messages fondamentaux. Premièrement, il faut renforcer le contrôle aux frontières extérieures. Pendant trop longtemps, nous avons oublié que, pour fonctionner, Schengen devait reposer sur deux principes, sur deux jambes. Schengen, c’est la libre circulation des personnes à l’intérieur de notre espace, c’est un acquis. Mais c’est aussi le mécanisme qui doit permettre de contrôler les frontières extérieures de l’Europe. Sans ce contrôle, Schengen n’est pas possible. C’est l’Europe même et sa construction qui seraient remises en cause. Or, trop longtemps, ce second point n’a pas été traité.
À notre demande, sur notre proposition, la Commission européenne a proposé à la fin de l’année 2015 la création de gardes-frontières européens, l’une des mesures pour garantir la sécurité. Un accord est prévu à la fin de semestre. Certes, cela prend du temps. La France y travaillera bien évidemment de toutes ses forces, car c’est la seule manière de retrouver la maîtrise de l’espace Schengen – et la seule façon de donner une chance à l’avenir de l’Europe face à cette crise, c’est d’appliquer Schengen dans toutes ses modalités. La France et l’Allemagne sont engagées ensemble sur ce point.
Le deuxième message important de ce Conseil doit être de mettre en place une coopération efficace avec la Turquie. Elle est nécessaire. La Turquie, comme le Liban et la Jordanie, est confrontée à l’afflux des réfugiés. Mais si cette coopération est indispensable, il ne peut pas y avoir le moindre chantage, comme je l’ai déjà dit dans cet hémicycle.
À la suite du sommet du 7 mars dernier entre l’Union européenne et la Turquie, la France fera valoir trois points. Je tiens à être précis, car votre question l’était. D’abord, la coopération doit pleinement respecter le droit international et le droit européen. La Turquie a pris un engagement majeur, qui est de reprendre sur son territoire tous les migrants irréguliers arrivés en Europe. Nous devons nous assurer que cela respecte en tout point les exigences de la convention de Genève, ainsi que le droit d’asile.
Par ailleurs, cette coopération ne doit entraîner aucun engagement supplémentaire pour la France. Nous avons pris la décision d’accueillir 30 000 personnes. Tel est notre objectif. Telle est notre promesse. C’est ainsi, monsieur le député, que je conçois, pour ce qui nous concerne, moi et le Gouvernement, un engagement politique et moral. Il est indispensable de respecter le droit d’asile et les engagements que nous avons pris : pas plus, pas moins.
Enfin, je veux tout particulièrement insister sur un point : cette coopération ne peut en aucun cas se substituer au cadre établi par la relation entre l’Union européenne et la Turquie. C’est vrai pour la libéralisation des visas – le Président de la République l’a rappelé samedi dernier – comme pour les négociations sur l’adhésion ou sur tout autre sujet. Nous sommes très à l’aise avec cela. Sous ce quinquennat, un seul chapitre a été ouvert, quand cinq l’ont été sous le quinquennat précédent.
Le troisième message majeur de la France lors du Conseil européen, ce sera la solidarité à l’égard de la Grèce. C’est essentiel, et la France y veille également. Il est donc essentiel que le Conseil européen, tous les pays doivent en être convaincus, apporte tout le soutien nécessaire à la Grèce. Il prend trois formes. Il faut aider au bon fonctionnement des centres d’accueil des migrants, ces hot spots qui sont indispensables, comme nous le disons, avec le Président de la République et Bernard Cazeneuve, depuis plusieurs mois. Il convient également d’apporter une aide humanitaire.
Mais aider la Grèce, c’est aussi honorer ses engagements en termes de relocalisation des réfugiés sur son territoire. Monsieur le député, la France fait son devoir. La semaine dernière, nous avons accueilli 148 nouvelles personnes qui ont besoin de protection. Nous allons continuer, dans le respect des engagements que nous venons de prendre, mais en contrôlant très précisément ceux que nous accueillons sur notre territoire. Voilà notre feuille de route.
Chacun doit mesurer que, dans cette crise, ce sont deux approches, deux conceptions de l’Europe qui sont en jeu. Soit on assume ses responsabilités, au nom de l’indispensable solidarité entre membres d’une même union, et on recherche ensemble des solutions efficaces et réalistes – il ne suffit pas de faire des proclamations, d’ouvrir nos frontières et de dire que nous allons accueillir tout le monde, car cela peut mettre en cause le projet européen lui-même. Soit on est partisan du chacun pour soi et les réfugiés pour les autres, ce qui signerait la fin du projet politique de l’Europe.
Ce n’est pas cela, l’Europe que nous voulons. La France se battra bien évidemment en faveur de la première approche qui permet de continuer de construire ce magnifique projet qu’est le projet européen.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. René Rouquet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, ce dimanche, la barbarie terroriste a encore frappé des victimes innocentes à Ankara, en Turquie, et à Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire. Comme l’a rappelé le président de l’Assemblée nationale avec la minute de silence qui a ouvert notre séance, ces deux attentats ont fait cinquante-cinq victimes, parmi lesquelles quatre de nos compatriotes.
Après que le Mali, la Tunisie, le Burkina Faso, la Somalie ou encore le Cameroun ont souffert de la terreur djihadiste ces dernières semaines, un commando d’Al-Qaïda au Maghreb islamique a lâchement attaqué une plage prisée des Abidjanais et des expatriés, au moyen de kalachnikovs et de grenades. Il convient de saluer l’engagement exemplaire des forces spéciales ivoiriennes, qui sont intervenues rapidement afin de sécuriser la zone et d’éviter que la liste des victimes ne s’allonge.
Le ministre des affaires étrangères et le ministre de l’intérieur sont en ce moment même à Abidjan pour exprimer la solidarité de la France à l’égard du peuple ivoirien, pour réaffirmer notre détermination infaillible à combattre cette barbarie mondialisée et pour renouveler notre soutien indéfectible aux 18 000 membres de la communauté française qui résident en Côte d’Ivoire.
Cette attaque terroriste sanglante dans un pays en pleine expansion économique qui avait jusqu’alors été préservé de la violence terroriste ne manque pas de susciter des questions. Quelles mesures seront adoptées afin de renforcer la sécurité de nos ressortissants et des intérêts français ? Quels sont les moyens que notre pays entend mettre en oeuvre pour intensifier sa coopération avec la Côte d’Ivoire ainsi qu’avec l’ensemble des pays visés par le terrorisme ?
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le député, comme vous l’avez dit et comme le président de l’Assemblée nationale l’a rappelé tout à l’heure, le terrorisme a frappé dimanche en Côte d’Ivoire, dans la station balnéaire de Grand-Bassam. Il a frappé une nouvelle fois une démocratie, la Côte d’Ivoire, comme il avait frappé à Bamako en novembre ou à Ouagadougou au mois de janvier. Mes premières pensées vont bien sûr aux victimes et à leurs proches.
Comme à Paris, comme dans d’autres villes du monde, les faits se répètent : des lieux publics fréquentés par des personnes de tous âges et de toutes origines, venues partager un moment en famille et se détendre ; des individus armés qui fauchent des vies par fanatisme. Dans cette tragédie, vous l’avez rappelé, dix-huit personnes ont perdu la vie, dont quatre de nos compatriotes. Le ministère des affaires étrangères, qui a ouvert une cellule de crise, est en contact avec les familles pour les soutenir dans ce terrible deuil.
Ces attentats contre des civils montrent que les barbares peuvent frapper aussi bien en Europe qu’en Tunisie ou en Afrique de l’Ouest. Ils s’attaquent à des pays amis de la France, à des pays qu’il est de notre devoir de soutenir, parce qu’ils font face à une menace terroriste sans précédent. Le Président de la République a condamné ces attentats et exprimé sa solidarité avec la Côte d’Ivoire.
Aujourd’hui même, Jean-Marc Ayrault et Bernard Cazeneuve se trouvent en Côte d’Ivoire pour être aux côtés de nos amis ivoiriens et des Français de Côte d’Ivoire et pour les assurer de notre solidarité. Ils examinent également la façon dont la France peut, mieux encore qu’aujourd’hui, soutenir les forces de sécurité ivoiriennes. Je veux d’ailleurs, à mon tour, leur rendre hommage, ainsi qu’au président Ouattara et au ministre de l’intérieur ivoirien, et souligner la rapidité de leur réaction lors de l’attaque.
Je le dis avec force, cette solidarité à l’égard des pays africains, ces pays amis de ce continent d’avenir qui représente pour nous et pour l’Europe une force, nous devons en faire preuve en permanence. J’étais moi-même, il y a quelques semaines, au Mali et au Burkina Faso. Nous savons que les groupes terroristes au nord du Mali veulent attaquer les pays démocratiques, où il y a des Français et où nous avons des intérêts.
C’est ensemble, grâce à cette coopération et à cette action, celle qui est engagée par exemple dans le cadre du G5 du Sahel ou celle que nous avons établie très directement avec la Côte d’Ivoire comme avec le Sénégal, que nous pourrons lutter contre le terrorisme.
Le terrorisme mène la guerre partout, en France, en Europe et dans le monde. Nous devons être capables de nous rassembler pour être les plus déterminés et les plus efficaces face à cette menace et à ces actions terroristes.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour le groupe Les Républicains.
Monsieur le Premier ministre, les TPE et les PME – six lettres magiques – représentent en France plus de neuf entreprises sur dix et 7 millions d’emplois. Vous en parlez tous les jours, mais visiblement vous ne les comprenez toujours pas. Dans votre loi travail, nous espérions voir des mesures fortes favorisant l’écosystème des PME. Nous rêvions de pragmatisme économique, pour un retour durable de l’emploi. Votre première mouture présentait d’ailleurs plusieurs avancées positives et je faisais partie des députés de l’opposition prêts à soutenir ce texte.
« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Dommage : la loi travail est aujourd’hui vidée de sa substance. Vous avez préféré user de manoeuvres politiciennes et d’artifices de communication plutôt que chercher à redonner de la confiance aux chefs d’entreprise, qui sont pourtant les vrais créateurs d’activité. Au final, loin de toute réforme, votre texte ne sera, ni plus ni moins, qu’une loi anti-TPE-PME, toutes les mesures pro-business ayant été supprimées.
Rendre le barème indicatif, vous le savez, revient à le supprimer. Or le coût d’un procès devant les prud’hommes, pour une petite entreprise, s’élève rapidement à 30 000 euros, ce qui peut mettre sa trésorerie en péril, voire la mener à la faillite.
Les mesures de flexibilité si nécessaires ? Vous les rayez du texte, et vous renvoyez le forfait jours et la modulation horaire à la négociation syndicale, ce qui exclut de fait les TPE. Pis, on nous annonce, semble-t-il, une augmentation du temps de décharge syndicale ! C’est une provocation car vous ajoutez de la lourdeur au système, les syndicats fonctionnant aujourd’hui avec un conservatisme assumé !
Outre ces rétropédalages, vous ajoutez également des contraintes et des dépenses nouvelles : c’est le cas avec la garantie jeunes qui, si elle est totalement appliquée, coûtera 4 à 5 milliards d’euros. Comment seront-ils financés ?
Monsieur le Premier ministre, cette loi est donc un nouvel acte manqué qui frappe de plein fouet les TPE et les PME françaises. C’est une réforme à l’envers, qui vient scléroser davantage encore notre tissu économique. La situation du chômage en France est aujourd’hui beaucoup trop grave pour ce recul. Alors que le Président de la République a expliqué que « ce n’est jamais simple de réformer », nous lui rétorquons qu’il est encore plus dangereux de ne rien faire.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Madame la députée, il ne s’agit absolument pas d’une reculade !
Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il s’agit de pouvoir développer un compromis pour faire avancer cette réforme. Qu’avez-vous fait pour les TPE et les PME ? Avez-vous mis en place un barème impératif ?
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Qui a mis en place une aide à l’embauche pour les PME ? Depuis à peine un mois et demi, près de 60 000 PME ont fait appel à cette aide. Qui a baissé le coût du travail, notamment avec le pacte de responsabilité et le CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ?
Vous dites, madame la députée, qu’il y a une semaine, certains d’entre vous étaient prêts à voter ce texte. Est-ce parce qu’il est désormais plus protecteur des salariés que vous ne l’êtes plus ? Ou uniquement parce que le barème des prud’hommes devient indicatif et non plus impératif ? Est-ce la seule raison ?
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Le texte introduit des souplesses, mais celles-ci seront négociées. Ainsi, les TPE et les PME pourront toujours moduler le temps de travail : c’est aujourd’hui permis jusqu’à vingt-huit jours, ce le sera désormais jusqu’à neuf semaines. La mesure a d’ailleurs été saluée par certaines organisations patronales.
Enfin, nous mettons en place les accords types de branche, qui permettent de négocier au niveau de la branche professionnelle. Il était essentiel d’entendre les critiques sur la réaffirmation du rôle des branches. Cela fait trente ans que nous parlons de les restructurer ; grâce à cette loi, ce sera chose faite.
« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Nous passerons à 200 branches professionnelles.
Voilà des mesures très concrètes en direction des TPE et des PME. Madame la députée, nous ne vous avons pas attendue pour envoyer un signal en direction de ces entreprises
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains
et ce projet de loi répond à cet objectif.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Projet de loi travail
Monsieur le Premier ministre, depuis hier soir, nous avons compris deux choses : vous avez renoncé à lutter contre le chômage et vous méconnaissez les besoins et les attentes des PME et des TPE qui, elles, créent des emplois. Car pour combattre le chômage, encore faut-il faire le bon diagnostic et s’attaquer à quatre obstacles : l’étau du temps de travail, la rigidité du contrat de travail, le poids exorbitant du coût du travail et l’inadaptation de la formation initiale et continue dans notre pays. Sur la base du texte initial, nous aurions pu partiellement vous suivre. Le monde change, les carrières évoluent, mais vous ne faites rien pour accompagner les actifs et les demandeurs d’emploi face à ces mutations.
Le compte personnel d’activité – CPA – était une bonne idée qui se transforme en une usine à gaz dont vous ne semblez même plus vous-même saisir les contours. La garantie jeunes – que vous décidez, hier, sous la pression, de rendre universelle – n’est ni évaluée ni financée et, vous le savez très bien, elle ne résoudra en rien le chômage des moins de vingt-cinq ans. D’ailleurs, les mouvements de jeunesse ne sont pas dupes de cet écran de fumée.
Pour embaucher, les entreprises ont besoin de visibilité et de confiance. Plutôt que de nous proposer une loi inutile, pis, nocive ou inapplicable, à seule fin d’y attacher le nom d’une ministre, retirez-la et mettons-nous au travail sérieusement !
Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Dépassons les clivages, assumons les réformes, responsabilisons les acteurs du modèle social français ! Monsieur le Premier ministre, choisissez la voie que vous propose Emmanuel Macron – puisqu’il n’est pas là, vous allez pouvoir en dire du bien ! Alors, peut-être, nous pourrions vous suivre.
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le député, quelle violence ! Vous voilà en train d’entonner exactement le même slogan que ceux qui veulent le retrait du texte, ceux-là même que vous fustigez. Vous voilà pratiquement dans la rue en train de manifester avec ceux qui veulent que rien ne bouge.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Cela me paraît très curieux de la part de quelqu’un qui se dit modéré – une qualité qui pourrait nous rapprocher car elle renvoie à une certaine conception du dialogue social. Lisez le texte ! La mise en oeuvre des nombreuses préconisations du rapport de Jean-Denis Combrexelle, qui a donné lieu à un dialogue social animé et organisé par la ministre du travail, représente un véritable changement de culture et de philosophie.
Regardez ceux qui s’y opposent ! C’est par le dialogue social au sein de l’entreprise, entre les entrepreneurs et les représentants des salariés, dans le respect du rôle des branches, que nous pourrons avancer.
Le deuxième objectif de ce texte est de lever les barrières. Par rapport à la version initiale, nous avons évidemment évolué sur la question du barème et du plafond. Nous avons considéré avec Myriam El Khomri et Emmanuel Macron qu’il fallait avancer sur ce sujet, qui était devenu un point de blocage.
Nous verrons bien, monsieur le député, quelle sera la teneur des amendements et des débats sur cette question au sein de l’Assemblée nationale. Soucieux du regard que l’on porte sur la France et des investissements possibles, et désireux de nous mettre en conformité avec le droit européen, nous n’avons pas changé la partie concernant les motifs du licenciement économique.
Enfin, monsieur le député, le CPA avait aussi donné lieu à une négociation et à un accord entre les partenaires sociaux.
Nous n’avons fait que renforcer le dispositif, et syndicats et patronat sont d’accord sur les heures supplémentaires que l’on peut accorder pour la formation.
Et puis, oui, nous avons annoncé un certain nombre de mesures importantes pour la jeunesse. Ne lisez pas les tracts de certains syndicats, faites-vous une idée par vous-mêmes !
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
C’est une belle idée, dont je suis convaincu, monsieur Arnaud Richard, qu’elle aurait pu être défendue par votre groupe et par votre parti : la volonté de donner une garantie universelle aux jeunes. Cette année, comme le rappelait la ministre, 100 000 d’entre eux seront concernés. Alors oublions les querelles, essayons de sortir des caricatures et avançons ensemble. C’est l’attitude du Gouvernement. Contrairement à ce que vous dites, ce texte est utile pour notre économie, efficace pour les entreprises et les salariés, et nécessaire car la bataille pour l’emploi reste notre priorité.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, en 2014, la Cour des comptes a dressé un bilan désastreux de la gestion d’Anne Lauvergeon à la tête du groupe Areva entre 2006 et 2012. Les magistrats ont pointé une série d’erreurs dans la stratégie de cette entreprise spécialisée dans l’industrie nucléaire : une gouvernance trop concentrée dans les mains de sa présidente, le fiasco financier de l’EPR en Finlande et le rachat à un coût exorbitant d’UraMin. La justice est d’ailleurs saisie de cette affaire, qui mettrait en cause la sincérité des comptes présentés à l’époque.
Avec une telle déroute, le groupe s’est retrouvé dans une situation alarmante ne permettant plus de financer son développement. Je note au passage que la dirigeante de l’époque continue de siéger dans des conseils d’administration, comme celui d’Airbus. Sans doute la prime à la performance !
Ceux qui ont fait le plus de mal à Areva, ce sont les écologistes ! Ce sont les étrangleurs du nucléaire !
Il y a quelques jours, Areva a publié ses comptes pour l’année 2015. Les conséquences de la gestion précédente se font encore sentir lourdement : la perte nette de l’entreprise s’élève à 2,4 milliards d’euros, malgré un chiffre d’affaires de 4,1 milliards d’euros. Cette différence s’explique par le coût exorbitant des mesures visant à sauver le groupe.
La nouvelle direction a de son côté engagé des mesures de réduction de dépenses, qui représentent environ 450 millions d’euros d’économies, chiffre qui devrait doubler d’ici l’année prochaine. Un plan social est en cours, avec le départ volontaire de 6 000 salariés.
Malgré des améliorations, l’année 2016 s’annonce difficile puisque Areva doit provisionner pas loin de 2 milliards d’euros de trésorerie pour poursuivre sa restructuration. Six banques, ont semble-t-il, accepté d’accompagner l’entreprise en lui accordant un prêt de 1,1 milliard d’euros.
Dans ce contexte très difficile, je souhaite savoir quelle est la stratégie de l’État pour accompagner la direction d’Areva dans la recapitalisation de l’entreprise.
Comment comptez-vous obtenir de la Commission européenne qu’elle accepte ce processus ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Monsieur le député, votre question est légitime. Elle concerne un fleuron de l’industrie française. Vous avez rappelé les chiffres : le déficit a été important en 2014, et encore conséquent en 2015.
Le pire, dans cette situation, aurait été que l’État ne réagisse pas. Vous avez donc eu raison de rappeler que l’État a su réagir, d’abord en analysant l’origine de ces difficultés – vous savez qu’une partie du déficit est due aux importantes difficultés industrielles rencontrées en Finlande. Il a ensuite répondu à la fois sur le plan social et sur le plan industriel.
Vous avez posé la question de la situation financière d’Areva. Le Président de la République a décidé, le 3 juin 2015, le rapprochement des entreprises EDF et Areva, afin d’améliorer les performances et de préparer l’avenir de la filière nucléaire française. Le Gouvernement soutient Areva et EDF dans le renforcement de leurs coopérations industrielles.
Depuis les décisions prises en juin 2015, plusieurs étapes ont été franchies. D’abord, EDF et Areva ont annoncé le 27 janvier 2016 avoir trouvé un accord sur le prix de cession d’Areva Nuclear Power. Une augmentation du capital d’Areva de 5 milliards d’euros, vous en avez parlé, a été annoncée le même jour. L’État a annoncé qu’il souscrira à cette augmentation de capital en tant qu’actionnaire de contrôle, aux côtés d’investisseurs tiers. Il en assurera le plein succès, dans le respect des procédures et règles européennes applicables à ce type d’opérations – cela répond à votre question.
Des discussions prometteuses sont en cours entre Areva, Siemens et TVO, afin de trouver une solution. Nous discutons avec la Commission européenne, et les perspectives sont bonnes pour un redressement financier, industriel et social.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, nourrir la planète, c’est la belle et noble mission qu’exercent les agriculteurs. Pourtant, étrange paradoxe, avec la baisse des cours, celles et ceux qui nourrissent nos concitoyens vivent difficilement de leur travail.
Depuis 2012 et son arrivée au pouvoir, la gauche lutte contre les dérives causées par la dérégulation, afin de rééquilibrer les choses et d’inventer de nouvelles solutions, respectueuses des producteurs et des consommateurs. C’est le sens de notre combat pour le maintien des crédits de la PAC comme de la loi d’avenir pour l’agriculture. C’est aussi le sens de l’ensemble des plans de soutien adoptés ces derniers mois pour venir en aide à nos agriculteurs.
Chers collègues, une importante réunion du conseil des ministres de l’agriculture de l’Union européenne s’est tenue hier. Les ministres étaient réunis pour déterminer les mesures à prendre afin de lutter contre les effets de la chute des cours qui touche tous les producteurs, sur notre continent et au-delà. Une fois de plus, la France a été à l’avant-garde pour dénoncer les dysfonctionnements, et surtout pour obtenir des avancées concrètes de nature à alléger le fardeau qui pèse sur les exploitations.
Une majorité d’États membres a approuvé nos propositions. Premier point : des dérogations au droit de la concurrence pourront être prises pour limiter temporairement la production. Deuxième point : un accord européen s’est dessiné pour autoriser l’étiquetage permettant d’identifier l’origine des viandes et du lait dans les produits transformés.
Monsieur le ministre, proposer, convaincre, réussir : c’est à la fois notre méthode et notre responsabilité, et vous y prenez toute votre part.
« Allô ! Allô ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Pouvez-vous nous dire quels sont les effets attendus des décisions prises hier ? Comment entraîneront-elles tous les acteurs professionnels agricoles et agroalimentaires à tenir, enfin, leurs engagements, et à prendre aussi leurs responsabilités ?
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le député, je vous remercie pour votre question. Je suis d’ordinaire soumis à un feu nourri de critiques, mais à présent que la France a obtenu des résultats à l’échelle européenne, leurs auteurs restent absolument silencieux ! Mais applaudissons tout de même ces résultats !
Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, et sur plusieurs bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Merci pour vos encouragements !
Venons-en au fond. (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Je savais que vous ne resteriez pas silencieux. Enfin, vous vous réveillez !
Nous avons réussi à convaincre, au niveau européen, une majorité de pays ainsi que la Commission européenne d’essayer de revenir…
Exclamations persistantes
…sur un principe adopté en 2008, sous la présidence française de Nicolas Sarkozy. Cela a nécessité beaucoup de mobilisation, de conviction et de détermination. Cela a été le cas jusqu’au plus haut niveau de l’État, chef de l’État et Premier ministre compris, sans compter le modeste serviteur que je suis.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Nous avons obtenu un certain nombre de décisions que vous avez rappelées, monsieur le député. Il s’agit en particulier de permettre de modérer une production qui a explosé. Je me permets de vous rappeler un chiffre : l’an dernier, 40 000 tonnes de poudre de lait ont été stockées. Depuis le début de l’année 2016, c’est-à-dire depuis deux mois et demi, l’Europe en a déjà stocké près de 52 000 tonnes ! À ce rythme, on ne pourra pas tenir.
Il fallait donc prendre des décisions : elles ont été prises grâce à l’action de la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le Premier ministre, à quelques heures du début de l’examen, en seconde lecture, du projet de loi sur la biodiversité, des voix divergentes en provenance de votre gouvernement se sont exprimées, suite au vote en commission de l’amendement d’interdiction des pesticides néonicotinoïdes. Ce vote a confirmé d’ailleurs celui exprimé en première lecture. La secrétaire d’État à la biodiversité, Barbara Pompili, semblait soutenir l’interdiction, alors que le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a adressé hier un courrier à tous les députés pour leur demander de ne pas soutenir cette interdiction.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Vous le savez : plus aucun doute n’existe sur le fait que ces pesticides systémiques utilisés massivement dans l’agriculture intensive sont l’une des causes principales de la surmortalité des abeilles et des phénomènes d’effondrement des colonies. Ils sont 5 000 à 10 000 fois plus toxiques que le DDT et représentent aujourd’hui un tiers des insecticides utilisés dans le monde. Ainsi, l’un tiers des ruches périt chaque année en France ; nous sommes un des pays européens les plus fortement touchés. La production nationale de miel est en chute libre : elle a été divisée par deux en vingt ans. Or, sur les 100 espèces végétales qui fournissent 90 % des ressources alimentaires mondiales, 70 % dépendent de la pollinisation des abeilles. De plus, rappelons-le une fois encore : l’effet du pesticide est permanent sur les écosystèmes.
Vous le savez : nous pouvons nous passer de ce produit mortel. Ainsi, en Italie, l’arrêt des néonicotinoïdes et du fipronil a fait massivement chuter les mortalités d’abeilles, et sans baisse des rendements. On peut donc produire sans ces pesticides et maintenir le rendement !
Monsieur le Premier ministre, les abeilles et donc la biodiversité sont en grand danger. La santé humaine n’est pas épargnée. Il est possible et urgent d’agir dès maintenant. Pouvez-vous m’indiquer si la position du Gouvernement sera bien de maintenir l’interdiction de ces pesticides ?
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste, sur de nombreux bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la députée, votre assemblée débutera dans quelques minutes l’examen en séance publique d’un projet de loi dense, ample et ambitieux visant à protéger la biodiversité. Au cours de ses travaux, elle tentera de trouver des réponses adaptées à l’utilisation des néonicotinoïdes qui jouent en effet, vous l’avez dit, un rôle dans la disparition des insectes pollinisateurs, notamment des abeilles.
Le Gouvernement aborde ce sujet avec une volonté et une méthode : la volonté, c’est celle d’assurer la protection de la biodiversité et de préserver la santé publique ; la méthode consiste à asseoir nos choix sur des données scientifiques, à y associer autant que possible utilisateurs et professionnels tout en leur donnant une visibilité sur l’avenir car c’est le gage de la bonne application de la loi. C’est dans ce cadre que Ségolène Royal a lancé en 2015 l’opération « France, terre de pollinisateurs ».
S’agissant des néonicotinoïdes, Ségolène Royal, Marisol Touraine et Stéphane Le Foll ont commandé il y a quelques mois un rapport à l’ANSES – l’Agence nationale de sécurité alimentaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail –, autorité scientifique compétente,…
… rapport dont les conclusions ont été publiées en janvier. Celles-ci confirment la pertinence du moratoire européen sur l’utilisation de trois types de néonicotinoïdes et soulèvent la question de l’usage intensif des néonicotinoïdes en général et de la pratique des semences de céréales d’hiver enrobées.
Suite à ce rapport, le Sénat a adopté lors de l’examen du projet de loi sur la biodiversité un amendement qui prévoit la publication d’un arrêté du ministère de l’agriculture pour préciser les conditions d’usage des néonicotinoïdes encore autorisés afin qu’ils ne causent pas de dommage à l’environnement ou à la santé des agriculteurs. Votre commission du développement durable a adopté, la semaine dernière, une position plus radicale ; vous et vos collègues allez en débattre dans les heures qui viennent en séance publique. Je souhaite que ce débat soit serein et constructif et que vos travaux permettent de concrétiser de la meilleure des manières les recommandations de l’ANSES.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.
Monsieur le Premier ministre, votre texte sur le travail se voulait au départ « révolutionnaire » et ambitieux, permettant enfin aux entreprises de s’organiser plus simplement. Aujourd’hui, après moult chamboulements pour faire plaisir aux uns et aux autres, il n’est plus qu’un simple projet rétrograde, vidé de toute substance ! Démonstration : Sarreguemines, ma ville, compte des filiales de deux grands groupes allemands, Continental – moins de 2 000 salariés – et Smart – plus de 2 000 salariés. Toutes deux, confrontées à des objectifs de compétitivité, ont formulé le voeu de sauver ces milliers d’emplois en contrepartie d’efforts à réaliser sur le coût et le temps de travail.
Mais dernièrement, la modification provisoire de la durée du travail chez Smart, approuvée par plus de 56 % des salariés interrogés par référendum, s’est heurtée à un refus catégorique de deux syndicats bien moins représentatifs. Venant d’un territoire voisin de l’Allemagne où, grâce à un syndicalisme fort et plus représentatif existe un véritable dialogue social, le message adressé par nos organisations syndicales aux responsables allemands est catastrophique. Heureusement, le droit d’opposition n’aura pas eu raison du choix sans appel d’une très large majorité de salariés qui, avec pas moins de 97 % d’avenants signés, ont évité la délocalisation en Slovénie. Je vous remercie d’ailleurs, monsieur le Premier ministre, de l’écoute que vous m’aviez à l’époque apportée.
Monsieur le Premier ministre, votre texte initial laissait entrevoir des avancées significatives. Aujourd’hui, vous reculez, et j’ai peur que demain, d’autres belles entreprises ne subissent les mauvaises orientations prises par une minorité non représentative. Donner la priorité à l’emploi et conforter la parole des salariés ne doit pas apparaître comme un contournement de la voie syndicale, bien au contraire : ce n’est ni plus ni moins qu’un bel exemple de démocratie participative responsable !
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Monsieur le député, il y a en effet un changement majeur dans ce projet de loi par rapport à la situation actuelle : une plus grande place laissée à la négociation collective. Nous pensons en effet que le système français est à bout de souffle.
Si le code du travail est devenu à juste titre de plus en plus épais, c’est bien parce qu’il a intégré de nombreuses dérogations, demandées d’ailleurs par les organisations patronales, visant à couvrir toutes les situations. Mais nous sommes passés d’une ère industrielle à une ère de services et nous ne pourrons pas continuer à couvrir tout le champ des adaptations.
C’est pourquoi ce projet de loi est un acte de confiance en direction des chefs d’entreprise comme en direction des syndicats. Tout l’enjeu est de laisser plus de capacité d’adaptation, au plus près du terrain. La philosophie du projet de loi n’a à cet égard absolument pas changé : nous confortons les organisations syndicales mais tout en élargissant les objets de la négociation. L’exemple de Smart que vous avez donné montre que le dialogue social n’y a pas été exemplaire, les salariés se retrouvant dans une relation déséquilibrée avec l’employeur, ce qui les a conduits à accepter une modification de leur contrat de travail. Voilà ce que nous ne souhaitons pas. Il faut apporter des solutions par des accords collectifs majoritaires, avec une équation simple : pas de souplesse sans négociation, et puisque les entreprises veulent davantage de souplesse, il y aura négociation.
Le projet de loi prévoit deux modalités de mise en oeuvre des accords collectifs : la première, c’est un accord majoritaire pour renforcer la légitimité des accords à venir sur l’objet des négociations : la seconde, c’est de permettre à des organisations syndicales représentant au moins 30 % des voix de demander une consultation des salariés. Il ne s’agit pas là de contourner les organisations syndicales.
Monsieur le député, ce projet de loi répond véritablement, croyez-moi, aux demandes formulées non seulement par les salariés, mais également par les chefs d’entreprise.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, vous avez récemment octroyé trois permis exclusifs de recherche minière en Bretagne à la société Variscan, dont l’un sur ma circonscription, le permis dit de Silfiac. Ces permis d’exploration engendrent des inquiétudes légitimes.
Légitimes parce que le réseau hydrographique breton est un circuit fermé : le centre Bretagne est le château d’eau de la région, donc une zone particulièrement fragile d’un point de vue environnemental et sanitaire.
Légitimes aussi parce que l’historique ne plaide vraiment pas en faveur d’un tel projet. En Bretagne, actuellement, Areva récupère des terres polluées par les anciennes mines d’uranium, pour les stocker à Persquen, une petite commune de ma circonscription, dans des conditions pour le moins préoccupantes. Dans le Gard, sur le site d’une ancienne mine où l’on extrayait du plomb et du zinc – métaux recherchés aujourd’hui à Silfiac – une étude de l’Agence régionale de santé vient de démontrer des dizaines de contamination au cadmium et à l’arsenic.
Monsieur le ministre, la notion de « mine responsable » que vous mettez en avant, nous apparaît comme un mirage. L’impact d’une mine ne peut pas être neutre pour l’environnement.
Ce n’est pas la méthode employée par les services de l’État qui atténuera les réticences. En novembre dernier, j’avais pourtant conduit une délégation d’élus lors d’une réunion à votre ministère, de laquelle nous étions sortis avec la sensation d’avoir été écoutés. Le message semblait clair : ce projet était conditionné par l’acceptation des habitants. Nous sommes aujourd’hui d’autant plus déçus de ce qui s’est passé depuis. La concertation promise s’est réduite en une simple explication de texte pour les élus par l’entreprise Variscan.
Monsieur le ministre, je suis inquiet. Inquiet car il prédomine, chez les élus locaux comme chez les habitants, le sentiment que les décisions qui engagent leurs territoires de vie pour des décennies sont prises dans des sphères opaques et inatteignables où l’entreprise Variscan, par contre, semble savoir particulièrement bien naviguer.
Monsieur le ministre, nous demandons simplement que la parole donnée soit respectée. Pouvez-vous réitérer aujourd’hui la promesse faite par vos services ?
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Monsieur le député, comme vous le savez, la France a un passé minier : elle est productrice de fer, de charbon, de tungstène, d’or, d’argent et de nombreux autres métaux. Ces activités posent souvent une question d’indépendance nationale.
Trois leviers sont aujourd’hui à notre disposition. Le premier réside dans la récupération des métaux, donc dans l’économie circulaire, dont les principes figurent dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. C’est une option importante. Le deuxième consiste en la diversification de nos approvisionnements, afin que la France ne se retrouve pas dans une situation de dépendance, notamment envers des pays placés en situation de monopole pour certains produits. Le troisième levier vise à rechercher en France l’ensemble des matériaux et minéraux qui sont à notre disposition.
J’en viens, par anticipation, à la réforme du code minier. Des permis de recherche ont été délivrés. La seule démarche engagée consiste à déterminer si nous disposons des minerais dont nous avons besoin : ces permis de recherche ne donnent absolument pas droit à créer automatiquement une mine. En effet, une enquête publique et une décision sont ensuite nécessaires.
Nous en sommes donc au stade des permis de recherche. La question des travaux ne se posera qu’ultérieurement. Telle est, je le répète, la nature de la démarche actuelle.
Vous avez raison de dire, monsieur le député, que la décision qui doit être prise ensuite, devra prendre en compte l’objectif, ce que l’on a trouvé, et l’acceptabilité sociale et locale. Notre politique ne consiste pas à ignorer ce qui se passe sur le territoire. Non ! D’abord nous recherchons, ensuite nous décidons. C’est la procédure que nous menons aujourd’hui.
Chacun doit aussi mesurer qu’à partir de ces critères, nous sommes confrontés non seulement à un enjeu économique, mais aussi à une question majeure, celle de l’indépendance nationale. C’est dans ce contexte et avec comme critère la transparence et le respect des opinions exprimées localement, que le Gouvernement et Emmanuel Macron mènent leur politique.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, ma question porte sur le projet de création d’un centre d’hébergement d’urgence pour sans-abris en lisière du Bois de Boulogne. Cette question a une dimension locale mais il me semble que les réactions d’hostilité à ce projet nous interrogent sur la manière dont doit s’exercer la solidarité vis-à-vis des sans-abris mais aussi des réfugiés, puisque la France prend sa part dans ce domaine.
Hier soir se tenait dans le XVIème arrondissement de Paris une réunion d’information à l’initiative de l’État. Les réactions qu’elle a suscitées ont choqué par leur violence, mais aussi par ce qu’elles révèlent d’égoïsme borné. Insultes, vociférations, huées, mises en cause personnelle des représentants de l’État et des élus ont émaillé une réunion qui a finalement dû être interrompue.
Certains y verront la confirmation que la vulgarité et la grossièreté se jouent des barrières de classe et, dans tous les cas, qu’elles ne s’arrêtent pas aux portes du XVIème arrondissement.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mais ce refus de participer à un effort de solidarité équilibré et nécessaire inquiète. À Paris, sur les 9 700 places d’accueil en centre d’hébergement d’urgence, 18 seulement se situent dans le XVIème arrondissement. Quand plusieurs arrondissements comptent plus de 1 000 places d’hébergement, 200 places supplémentaires et temporaires ne devraient pas constituer un effort insurmontable pour les élus et les habitants du XVIème arrondissement. C’est d’ailleurs pourquoi la maire de Paris soutient fortement ce projet.
Partout, dans notre pays, les Français font preuve de solidarité, notamment dans l’accueil des réfugiés. Des communes, je pense à Pessat-Villeneuve dans le Puy-de-Dôme, acceptent d’héberger des migrants venus de Calais. Ce n’est pas facile. Cela peut provoquer des tensions. Mais personne ne peut se dispenser d’exercer cette solidarité.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, nous vous demandons de tenir bon sur la création de ce centre d’hébergement dans le XVIème arrondissement, parce que reculer non seulement donnerait raison aux égoïsmes les plus médiocres, mais aussi menacerait la politique courageuse qui est la vôtre en matière de solidarité.
Applaudissements sur de les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le député, il est toujours difficile à un maire d’être confronté à ce type de dossier. J’ai naturellement pris connaissance, comme vous, des conditions dans lesquelles s’est déroulée la réunion d’information publique, organisée hier par la mairie de Paris, à la demande de M. le maire du XVIème arrondissement.
J’en suis profondément choqué. Je souhaite dire, à mon tour, la détermination de l’État pour mener à bien ce projet. Le débat public est indispensable, parce qu’il faut convaincre.
Mais on ne peut pas tolérer que le débat public soit ainsi manipulé.
Rien ne peut justifier les insultes et les menaces dont la représentante de l’État a été l’objet. Je vois que cela suscite beaucoup d’émotion dans l’opposition, au premier rang de cette assemblée. Nous pouvons du moins être d’accord, monsieur Furst, sur le fait que rien ne peut justifier les mensonges sur ce projet.
Je veux donc le dire avec clarté : le Gouvernement soutient pleinement le projet de création du centre d’hébergement…
…sur l’allée des fortifications, en lisière du bois de Boulogne.
Ce projet me semble nécessaire et exemplaire. Nécessaire car, faut-il le rappeler ici, l’accueil des personnes en détresse est une obligation légale que le représentant de l’État doit assumer dans chaque département. Faut-il rappeler que ce centre accueillera 200 personnes, pour moitié des familles avec enfants, et qu’à Paris, plus de 30 000 personnes sont mises à l’abri chaque jour ? Aujourd’hui, 78 centres les accueillent. Mais aucun centre n’existe dans le XVIème arrondissement !
« Hou ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Son ouverture, en juin, est un élément indispensable pour partager l’effort et pour ne pas concentrer l’accueil des populations en difficulté dans les quartiers les plus populaires.
Je voudrais aussi souligner le grand sérieux du travail accompli pour la construction de ce centre par la préfecture de Paris, en lien avec la mairie de Paris, ainsi que l’engagement de l’association Aurore. Reconnue pour sa gestion, elle réalise un travail exceptionnel, dont le sérieux est reconnu depuis des décennies.
Pour mon gouvernement, monsieur le député, je vous réponds de manière plus large. Faire vivre la solidarité, c’est aussi garantir que tout le monde mais aussi tous les territoires prennent leur part à l’effort. C’est ce que nous accomplissons ici en direction des familles en détresse. C’est aussi ce que nous accomplissons pour les migrants. L’Île-de-France, la ministre du logement et de l’habitat durable aurait pu le dire aussi bien, accueille plus de 3 000 migrants, répartis sur tout son territoire. C’est enfin ce que nous faisons à Calais, où le regroupement des migrants dans les abris solides, installés dans la partie nord de la lande, s’opère dans l’intérêt, le respect et la dignité des personnes.
Le Gouvernement agit. Nous sommes conscients qu’il y a des égoïsmes et aussi de la démagogie : j’en ai notamment entendu ce matin sur une radio. Mais il n’est pas possible, il n’est pas juste que certains souhaitent se dérober à l’effort. En matière de solidarité et de lutte contre la pauvreté, chacun doit assumer ses responsabilités. Le Gouvernement assume les siennes. Les collectivités – toutes les collectivités – doivent faire de même.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur de nombreux bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Francis Hillmeyer, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, l’école, la base de la nation de demain, est en péril. Une fois de plus, vous voulez appliquer à la hussarde, dès la rentrée prochaine, une réforme pour tous les niveaux. Jamais cela ne s’était produit : de la sixième à la troisième, sans concertation, sans préparation, avec des journées de formation pour les enseignants qui n’ont pas eu lieu, ou si peu, dans une ambiance catastrophique, tant le rejet est grand !
Démotivation et colère devant tant d’indifférence à un terrible sentiment d’abandon, voilà le ressenti de celles et ceux qui sont chargés de former la jeunesse française. J’ai entendu employer le terme de « mépris » à propos de la hiérarchie et, plus particulièrement, des services du ministère.
Mal pensée, mal conçue, mal préparée, mal expliquée, cette réforme paraît impossible à mettre en oeuvre au plan pratique comme pédagogique.
Avec la compression des moyens horaires, on va vers la suppression de la plupart des options pédagogiques, tels les dispositifs bilangues.
Avant de simplifier l’orthographe pour en faciliter l’apprentissage, il eût été plus sage de maintenir des heures de français au collège, plutôt que de faire perdre de deux à six heures de cours par semaine – ce qui, contrairement à vos dires, sera le cas – pour des ateliers censés distraire les enfants qui s’ennuient en classe.
Cette réforme est une catastrophe annoncée. Enseignants et élèves ne méritent pas cela !
Quand allez-vous, madame la ministre, écouter ces professeurs, acteurs de terrain, véritables « sachants » du milieu éducatif, et revoir une réforme destructrice de la qualité de l’enseignement ? Il faut absolument agir en revenant sur une mise en oeuvre précipitée.
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Merci, monsieur le député, pour cette intervention très constructive,…
Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants
…qui me donne l’occasion de vous informer que, comme nous l’avions prévu, les formations des enseignants du collège pour que s’applique dans les meilleures conditions possibles la réforme du collège à la rentrée 2016 sont en cours, et qu’elles se passent bien. Ces formations permettront aux enseignants de s’adapter aux nouvelles organisations pédagogiques au collège.
Car la réforme du collège, c’est quoi ?
La réforme du collège, c’est un collège qui sera demain doté de 4 000 enseignants supplémentaires ; les élèves seront mieux accompagnés et mieux soutenus, avec notamment des heures d’accompagnement personnalisé désormais gravées dans le marbre de l’agenda scolaire. En sixième, par exemple, il y aura trois heures d’accompagnement personnalisé, afin de s’assurer que l’on ne perdra personne en route à cause d’une mauvaise compréhension des enseignements.
La réforme du collège, ce sont des équipes qui gagneront en autonomie : 20 % du temps scolaire sera entre les mains des équipes pédagogiques, qui, en fonction du niveau des élèves, décideront si elles leur feront faire plus de français, plus de mathématiques, si elles engageront tel projet pédagogique, artistique ou culturel, ou si elles les feront travailler davantage avec le monde professionnel.
La réforme du collège, ce sont de nouvelles modalités de travail pour les enseignants, qui amèneront ceux-ci à travailler davantage en équipe. C’est ce que l’on appelle l’interdisciplinarité. C’est en équipe que l’on suit le mieux les élèves.
Donc la réforme du collège, ce sont des changements. Et les enseignants y sont préparés, ce qui est inédit. Je rappelle en effet que quand la réforme du lycée fut adoptée, en 2010, il n’y eut aucune formation des enseignants en vue de la nouvelle organisation.
Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Cette fois-ci, ils auront eu un an pour se former.
Si cela peut vous rassurer, monsieur le député, je puis vous assurer que nos élèves auront tout à gagner avec ce nouveau collège, qui sera un collège unique, dans lequel toute une génération passera, mais qui accompagnera les élèves individuellement de manière à les faire tous réussir.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, la vallée de l’Ondaine, dans la Loire, a subi ces dernières semaines une recrudescence de violence stupéfiante. L’uniforme et le drapeau national ne sont plus respectés dans notre pays !
La semaine dernière, un individu a volontairement encastré sa voiture dans le sas d’entrée du commissariat de Firminy. Les policiers que j’ai rencontrés étaient en état de choc après cet acte de violence, qui aurait pu provoquer un terrible drame. Leur professionnalisme et leur sang-froid ont été admirables.
Au-delà du choc, les policiers sont exaspérés par l’absence de réponse pénale, souvent au prétexte que ces actes relèveraient de déséquilibres mentaux, alors que la justice devrait être encore plus sévère lorsque l’on s’attaque aux forces de l’ordre.
Début février, à La Ricamarie – toujours dans ma circonscription –, deux policiers ont été pris dans un véritable guet-apens par une dizaine de voyous et roués de coups. Leurs blessures ont été sévères et leur ont valu respectivement quinze jours et dix jours d’incapacité totale de travail. Malheureusement, la réponse pénale n’a, encore une fois, pas été à la hauteur de la gravité des actes, puisque de nombreuses relaxes ont été prononcées et que l’auteur principal des coups n’a écopé que d’une petite peine de six mois de prison avec sursis, alors qu’il était déjà bien connu des services de police et n’en était pas à son premier délit.
Monsieur le Premier ministre, quel signal envoyons-nous à nos concitoyens quand notre justice abandonne ceux qui interviennent au quotidien pour assurer leur sécurité, et ne sanctionne pas comme il se doit les individus qui s’en prennent à eux et ne respectent pas l’autorité qu’ils représentent ?
En 2015, d’après les chiffres du ministère de l’intérieur, 33 000 faits de violences envers des dépositaires de l’autorité ont été signalés : cela représente 90 agressions par jour à l’encontre des gendarmes et des policiers !
Face à cette situation préoccupante, que prévoyez-vous dans le cadre de la réforme pénale pour que la justice fasse preuve de plus de fermeté lorsque des agressions ont été commises à l’encontre des forces de l’ordre et de sécurité ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le député, je vous répondrai ce que j’ai répondu hier aux élus de Calais, qui m’ont posé la même question.
Il n’y a qu’une seule réponse : zéro impunité pour ceux qui commettent des actes de délinquance.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
On ne condamne pas, on ne sanctionne pas sur la base d’une simple opinion ; mais quand les procédures sont construites, quand les faits sont avérés, quand les charges sont démontrées, les magistrats sanctionnent, comme la loi leur en fait l’obligation. Je ne connais pas, monsieur le député, de juge qui soit laxiste ; je connais des magistrats qui appliquent la loi. Il faut pour cela de la sérénité, et la sérénité implique d’éviter les pressions ou les commentaires.
Merci de votre question, monsieur le député.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.
J’informe l’Assemblée nationale que le Président a pris acte de la cessation, le 11 mars 2016 à minuit, du mandat de député de M. Jean-Marc Ayrault et de Mmes Ericka Bareigts, Barbara Pompili, Estelle Grelier et Hélène Geoffroy, nommés membres du Gouvernement par décret du 11 février 2016.
Par une communication en date du 3 mars 2016 du ministre de l’intérieur, faite en application des articles L.O. 176 et L.O. 179 du code électoral, le Président a été informé du remplacement de Mmes Ericka Bareigts, Barbara Pompili, Estelle Grelier et Hélène Geoffroy par M. Philippe Naillet, M. Romain Joron, M. Jacques Dellerie et M. Renaud Gauquelin.
Le siège de M. Jean-Marc Ayrault, dont le suppléant est décédé, restera vacant jusqu’à l’organisation d’une élection partielle.
J’informe également l’Assemblée nationale que le Président a pris acte, en application de l’article L.O. 176 du code électoral, de la cessation, le 11 mars 2016 à minuit, du mandat de député de MM. Gwenegan Bui et Jacques Moignard, et de la reprise de l’exercice du mandat de Mmes Marylise Lebranchu et Sylvia Pinel, dont les fonctions gouvernementales ont pris fin le 11 février 2016.
J’informe enfin l’Assemblée nationale que M. Laurent Fabius, dont les fonctions gouvernementales ont cessé le 11 février 2016 et qui a pris ses fonctions au Conseil constitutionnel le 8 mars 2016, demeure remplacé par M. Guillaume Bachelay.
La conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour la semaine de contrôle du 29 mars :
Débat sur les violences faites aux femmes ;
Questions sur le financement des infrastructures de transport ;
Questions sur la politique agricole du Gouvernement ;
Débat sur le coût de la filière nucléaire et la durée d’exploitation des réacteurs ;
Questions sur le bilan du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ;
Débat sur le développement d’Areva et l’avenir du nucléaire ;
Débat sur l’accueil des réfugiés en Europe.
Il n’y a pas d’opposition ?
Il en est ainsi décidé.
L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (nos 3442, 3564 rectifié).
Madame la présidente, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi tout d’abord d’excuser Ségolène Royal, qui, dans le cadre de la présidence de la COP21, effectue actuellement un déplacement en Afrique pour y développer les énergies renouvelables. Elle était hier en République démocratique du Congo, pour traiter de la protection des forêts et de l’énergie hydraulique, ce matin au Gabon et cet après-midi au Nigeria.
Il est peu de textes de loi dont la deuxième lecture s’apparente presque à une première ; or c’est assurément le cas de celui-ci, dont votre assemblée entame aujourd’hui, pour la deuxième fois, l’examen en séance publique. C’est là un signe de la qualité du travail législatif effectué par le Parlement, le texte étant sorti, à chaque étape de son examen parlementaire, enrichi, complété et précisé. Ce fut notamment le cas, ces deux dernières semaines, lors des travaux de votre commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Je veux remercier ici, au début de mon propos, le président Chanteguet et votre rapporteure, Geneviève Gaillard, ainsi que tous les députés qui ont, avec beaucoup de conviction et un grand sens de l’écoute, contribué à dégager les grands équilibres de l’édifice législatif sur lequel nous allons passer les trois prochains jours.
Cet engagement des uns et des autres est à mon sens le meilleur gage de la qualité finale d’un texte qui porte de belles ambitions : protéger et valoriser nos richesses naturelles ; faire de la préservation de la biodiversité un objectif porteur d’opportunités pour vivre en meilleure harmonie avec la nature, tout en permettant de nouvelles conquêtes scientifiques et technologiques ; développer, enfin, de nouvelles activités économiques pour notre pays.
Face aux défis de ce texte préparé par Philippe Martin, puis élaboré et défendu par Ségolène Royal et présenté par mes soins aujourd’hui, trois mots me semblent devoir guider nos débats, inspirer notre coopération et qualifier l’état d’esprit qui permettra de concrétiser une belle avancée de notre droit : humilité, ambition et confiance.
L’humilité, l’ampleur des objectifs qui sont les nôtres nous y contraint : il s’agit de contribuer à arrêter une course absurde de l’homme contre lui-même, une course qui lui impose de tenter de préserver la biodiversité tout en continuant, par ses activités, à la détruire dans des proportions incompatibles avec sa régénération. Cette logique absurde n’est pas seulement assimilable à la peine de Sisyphe : elle est surtout suicidaire, parce que chaque parcelle de biodiversité perdue demande, pour être rétablie par compensation, des efforts autrement plus difficiles à engager que la prévention des atteintes à la biodiversité dans le cahier des charges de chacun de nos projets et dans chacun de nos actes.
On conçoit bien qu’un texte de loi, aussi complet soit-il, ne suffira pas pour atteindre un tel objectif. Mais chacune des mesures que vous vous apprêtez à débattre, chacun des articles que vous vous apprêtez à adopter – après les avoir éventuellement amendés –, doivent converger dans ce sens : tout faire pour éviter les atteintes à la biodiversité, pour les réduire au maximum, et mettre en oeuvre des logiques de compensation crédibles et efficaces en toute dernière instance, à défaut d’autre solution ; c’est là un principe fondamental que vous vous apprêtez à inscrire dans notre droit.
Chacun conçoit la responsabilité majeure qui est la nôtre dans cette lutte pour la conservation de la biodiversité. La France, notamment grâce à ses territoires d’outre-mer, abrite un patrimoine considérable. Sur le territoire national se jouent des enjeux essentiels parce que nous sommes comptables de la préservation d’un espace maritime majeur – le deuxième du monde après celui des États-Unis – et de zones naturelles uniques, et parce que les paysages, la faune, la flore constituent, pour un pays qui tire du tourisme tant d’activités et d’emplois, et de la qualité de vie la force de ses habitants, un enjeu à proprement parler existentiel.
Ces enjeux, dont votre assemblée est comptable dans les jours à venir, dépassent nos personnes, nos titres et nos positionnements politiques : c’est pourquoi ils doivent nous inciter à un dialogue et à un respect permanents. Ce sera en tout cas l’attitude à laquelle je m’astreindrai au nom du Gouvernement.
À l’humilité face aux enjeux s’en ajoute en effet une autre : l’humilité face à la réalité de notre droit. Ce projet de loi s’inscrit dans une histoire législative : la loi de 1976 sur la protection de la nature et celle de 1993 sur les paysages, présentée – déjà – par Ségolène Royal, notamment, ont doté notre pays d’un arsenal législatif qu’il convient aujourd’hui de compléter. Il faut le faire pour répondre à l’urgence de défis mieux identifiés et de risques mieux établis, pour intégrer totalement les grands principes développés par la communauté internationale et pour adopter les obligations juridiques internationales auxquelles notre pays a souscrit, en particulier la convention sur la diversité biologique.
Cette loi sera une étape, que nous espérons tous décisive. Ce ne sera pas non plus la dernière : nous devrons tous avoir cette idée en tête, je le crois, dès lors que nous serons amenés à des compromis qui permettent d’agir et d’avancer, quitte à ne pas voir nos convictions respectives intégralement gravées dans la loi : c’est la définition même du réformisme, lequel est, après tout, la manière la plus démocratique et la plus pacifique d’avancer vers un idéal.
Le Gouvernement souhaite que le présent texte, une fois adopté, traduise un équilibre large ; je souhaite qu’il permette à notre pays d’aller le plus loin possible dans les réponses à la perte de biodiversité et dans le soutien à une économie verte et bleue créatrice d’emplois. En même temps, je sais qu’il ne clora pas tous les débats et qu’il ne tranchera pas tout. Sans doute sortirons-nous de ces débats avec la satisfaction de mesures adoptées, mais aussi une frustration sur des questions laissées en suspens : c’est le propre de toute oeuvre législative.
Ce réalisme n’est pas seulement un signe d’humilité, c’est aussi une forme d’ambition. Je le dis en tant qu’écologiste, mais je sais que cette conviction est partagée sur beaucoup de bancs de votre assemblée : deux des enjeux principaux auxquels le monde est confronté sont la lutte pour le climat et la réponse aux menaces qui pèsent sur la biodiversité. Et sur ces deux questions, par ailleurs intimement liées, du climat et de la biodiversité, le monde a accompli un chemin déterminant dans la prise de conscience collective, et des avancées ont été obtenues, qu’il s’agit désormais de concrétiser.
2015 a été l’année des grandes avancées sur la question du climat. Je pense bien entendu à l’accord enregistré lors de la Conférence de Paris, en décembre dernier, ainsi qu’à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, que Ségolène Royal a présentée et défendue et que votre assemblée a adoptée.
Ainsi que je l’ai dit en commission, de la même manière que 2015 fut l’année des grandes décisions sur le climat, 2016 doit être celle des avancées majeures sur la biodiversité. Il y aura, au plan international, la Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique, dite COP13, au Mexique, à la fin de cette année. Et, au plan national, nous avons, vous avez l’opportunité de concrétiser rapidement ce projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Ce projet de loi est à la fois réaliste et ambitieux. Il apporte des réponses concrètes aux cinq principaux facteurs de perte de biodiversité : l’artificialisation des terres et le risque de disparition d’habitats indispensables à la préservation de certaines espèces ; la surexploitation des ressources, qui ne permet plus la régénération naturelle ; les pollutions ; l’apparition d’espèces exotiques invasives ; les dérèglements climatiques. Chacun de ces facteurs est traité dans le texte qui vous est proposé, de manière pragmatique, avec une posture qui n’est pas uniquement défensive, si j’ose dire, et qui se veut aussi volontariste.
Cette loi est en effet avant tout une loi de mobilisation : elle vise à fournir à tous les acteurs un cadre clair et des règles simplifiées. C’est aussi une loi d’urgence : si son élaboration a été marquée par un processus indispensable de consultation d’ONG, de travail parlementaire, de réflexions qui en font la richesse, il faut désormais concrétiser ses ambitions et agir avec efficacité et rapidité.
La première traduction opérationnelle essentielle de ce projet de loi sera la création d’un outil d’expertise et de pilotage unique, l’Agence française pour la biodiversité ; l’AFB. Celle-ci fera converger des compétences majeures jusqu’ici incarnées par des organismes complémentaires ; elles s’enrichiront mutuellement pour répondre mieux encore aux besoins d’aujourd’hui.
J’évoquais voilà quelques instants le pragmatisme. Pour faciliter la naissance de l’AFB, Ségolène Royal a décidé d’anticiper le vote de la loi et d’entamer une démarche de préfiguration afin de permettre à chaque partie prenante de mieux identifier les enjeux et de mieux exprimer ses attentes. J’ai participé voilà quelques jours avec la ministre à la réunion des conseils d’administration des organismes qui composeront la future agence. Je me rendrai dans les prochaines semaines à la rencontre des personnels de chacun d’entre eux. Sans préjuger des arbitrages que vous serez amenés à faire par vos votes, nous devons en effet dès à présent assurer à l’AFB l’adhésion de celles et ceux qui en constitueront le principal capital, c’est-à-dire les femmes et les hommes qui y travailleront.
Cette agence sera au centre de nombreux partenariats. Certains organismes ont vocation à la rejoindre. Elle sera également au service des territoires. Ce sera d’ailleurs une des missions centrales de mon action que de faciliter le dialogue, que de favoriser le contact entre les collectivités et l’agence pour que ces synergies voient le jour. Préservation de la biodiversité et décentralisation doivent aller de pair, et c’est une condition de la réussite de notre ambition commune.
Nous n’allons pas seulement doter notre pays de nouveaux outils pour préserver la biodiversité. Nous allons, au travers de ce texte, réformer profondément la gouvernance de la biodiversité en France, en permettant l’évolution des comités régionaux « trames verte et bleue » vers des comités régionaux de la biodiversité, en simplifiant les instances administratives nationales pour les rendre plus lisibles et plus efficaces, notamment au travers d’une instance sociétale, le Comité national de la biodiversité, et d’une instance unique d’expertise, le Comité national de la protection de la nature, dont l’existence sera, grâce à ce texte, consacrée au niveau législatif.
Comme nous y a incités un amendement adopté au Sénat, vous aurez également l’occasion d’inscrire dans la loi le préjudice écologique, qui n’était défini jusqu’à présent que par la jurisprudence. Je ne reviendrai pas ici sur les interrogations nées d’un amendement malheureux, car sujet à interprétations, que le Gouvernement a retiré afin de lever toute ambiguïté. Je veux juste me féliciter du sens des responsabilités dont ont fait preuve les responsables d’ONG environnementales que j’ai pu rencontrer, et saluer le travail constructif réalisé avec la majorité, sous la responsabilité de votre rapporteure. Je ne doute pas que vous parviendrez à préciser et à affiner les conditions de ce principe fondamental qu’est le préjudice écologique.
Vous vous apprêtez, mesdames, messieurs les députés, à autoriser la ratification du protocole de Nagoya à l’issue de l’adoption du projet de loi : cela concrétisera un engagement international pris en 2010 par notre pays. Grâce à vous, la France se donnera ainsi les moyens d’innover sans piller. Si une société exploite une molécule issue de la recherche sur des plantes, des animaux, des bactéries et que son exploitation lui permet de développer un marché commercial, elle devra partager avec ceux qui ont contribué à préserver les ressources génétiques une partie des avantages qu’elle en tirera. C’est un retour juste et plus équitable qui permettra d’éviter la biopiraterie. C’est aussi la condition d’une recherche scientifique vivifiée et d’une compétitivité de nos opérateurs économiques, qui bénéficieront d’un cadre d’action clair, d’une sécurité juridique pour leur développement dans des conditions assurant une valorisation partagée de notre biodiversité. Les communautés d’habitants et les filières locales, notamment, pourront bénéficier du partage des avantages.
Comme je vous le disais au début de ce propos, la séquence qui consiste à éviter les atteintes à l’environnement, à défaut à en réduire la portée, et, dans le pire des cas, à compenser les atteintes qui n’auront pu être évitées et réduites, sera inscrite dans le code de l’environnement. Vous reviendrez au cours de vos débats sur le système de compensation. Chacun mesure à quel point il est essentiel que le texte que vous adopterez le conforte. C’est une condition à la fois de notre capacité à atteindre les objectifs que nous nous fixons en matière de biodiversité et à établir une relation de confiance avec les populations, qui bien souvent doutent de l’efficacité de ces compensations.
Vous vous apprêtez à interdire le brevetage des gènes natifs. Cela lèvera le frein à l’innovation provoqué par la multiplication des dépôts de brevets sur le vivant et la concentration croissante des détenteurs de ces brevets. Je sais que des inquiétudes se font jour au sein de certaines associations qui agissent pour des échanges de semences facilités et souhaitent que l’esprit de certaines mesures adoptées au Sénat à la suite d’un exercice de démocratie participative de grande ampleur soit conservé dans le texte qui sortira de vos travaux. Là encore, je sais pouvoir compter sur votre détermination pour répondre à ces interpellations tout en garantissant un dispositif sécurisé juridiquement et du point de vue sanitaire.
Afin de limiter les effets négatifs des pesticides de la famille des néonicotinoïdes sur les abeilles et autres pollinisateurs, et à la suite des conclusions de l’étude de l’ANSES – l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail –, saisie sur ce sujet par Ségolène Royal, Stéphane Le Foll et Marisol Touraine, le Sénat avait introduit un encadrement de l’utilisation de ces pesticides, en le renvoyant à un arrêté ministériel. En commission, votre assemblée a souhaité aller plus loin. Je veux rappeler que, pour sa part, le Gouvernement a lancé en 2015 un plan national d’actions, « France, terre de pollinisateurs ». Ma détermination ainsi que celle de Ségolène Royal sont absolues pour mener à bien les changements qui permettront de lutter contre la surmortalité des abeilles et pour préserver la santé des personnes exposées aux substances mises en cause.
Je ne doute pas, encore une fois, que nous saurons collectivement trouver les voies les plus adaptées et les plus efficaces pour y parvenir, en veillant à conserver en permanence le dialogue indispensable avec le monde agricole, car le changement le plus efficace viendra des initiatives et de la volonté des agriculteurs,…
… dont je tiens à rappeler qu’ils constituent à mes yeux des partenaires indispensables à toute action en faveur de la biodiversité. Et ils ont besoin notamment d’une visibilité sur l’avenir.
En votant ce texte, vous contribuerez également à renforcer la protection de la biodiversité marine, car il vise à introduire dans notre corpus législatif des dispositions permettant la création de la cinquième plus grande réserve marine du monde dans les eaux des Terres australes et antarctiques françaises, la création des « zones de conservation halieutiques » pour une gestion durable de la faune et de la flore marines, l’obligation d’une autorisation pour les activités de recherche ou d’extraction en haute mer en zone économique exclusive et sur le plateau continental.
De nouvelles mesures sur les paysages viendront compléter les dispositifs actuels avec la généralisation des plans de paysage, les atlas et le soutien à la reconnaissance des paysagistes.
J’ajoute enfin que vos travaux sont très suivis par les entreprises de la croissance verte et bleue ainsi que par les chercheurs qui innovent et permettent les créations d’emplois dans le domaine du vivant, des technologies vertes et de la nature. Ces acteurs attendent du vote de ce projet de loi un signal clair de soutien à leur développement.
Mesdames, messieurs les députées, on parle couramment de « marathon législatif » pour qualifier l’examen d’un projet de loi. Je comprends le concept, même si le mode de fonctionnement de nos institutions ne correspond pas toujours à la notion de concentration de l’effort sur une courte période temporelle qui caractérise un marathon. Et pour qui connaît et pratique la randonnée, je crois que l’on pourrait aussi parler de « randonnée législative » sans que cela soit en quelque manière dégradant. Car la randonnée, c’est exigeant : cela nécessite de bien connaître le chemin, de ne pas se perdre dans l’exploration de sentiers de traverse, ce qui génère des frustrations, certes, mais évite de se détourner du but. Et une randonnée, surtout, vaut si un objectif, un but lui ont été fixés. Le but que nous nous sommes fixé, c’est le vote de ce projet de loi, afin d’en concrétiser au plus vite les avancées.
Mesdames, messieurs les députées, je m’en aperçois depuis quelques semaines, la notion de biodiversité apparaît souvent complexe ou obscure à beaucoup de nos concitoyens. Il est donc essentiel qu’en menant nos débats, vos débats, nous fassions preuve de pédagogie. Je suis d’ailleurs également frappée de constater que, dès qu’on aborde concrètement les questions de biodiversité, chacun réalise sans difficulté ce dont il s’agit. Je souhaite que ces débats nous offrent l’opportunité non seulement de préciser des points juridiques ou des éléments techniques, mais également de parler à la société, et d’incarner une ambition.
En examinant ce projet de loi, vous concrétisez une nécessité autant qu’une opportunité : celle d’accompagner une transformation de notre modèle de développement. J’oserais parler de « révolution tranquille », si l’expression n’avait pas été utilisée à cette tribune même par Michel d’Ornano au sujet de l’adoption de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature.
En examinant ce projet de loi, vous déterminez des dispositifs qui bénéficieront à tous les territoires de la République : les espaces naturels les plus protégés, les campagnes, les villes, qui se soucient de plus en plus de la place de la nature en leur sein, mais aussi, et surtout, ces outre-mer qui font la richesse de notre pays, et qui se trouveront les premières concernées par ce texte, tant les enjeux de biodiversité y sont nombreux et concentrés.
En examinant ce projet de loi, enfin, mesdames, messieurs les députées, vous protégez un héritage, vous garantissez un cadre de vie et vous transmettrez une richesse préservée, voire régénérée. C’est aux citoyens d’hier, à celles et ceux qui nous ont légué un territoire que vous serez fidèles. C’est à celles et ceux d’aujourd’hui, qui aspirent à une meilleure harmonie avec la nature, que vous assurerez une meilleure qualité de vie. C’est également et peut-être même surtout à ceux de demain que bénéficiera votre choix, un choix qui leur garantira la jouissance de paysages, d’une faune et d’une flore préservés, et qui leur offrira des perspectives d’activités économiques compatibles avec la protection de l’environnement.
Enfin, vous mettrez notre pays au niveau de l’ambition qui est la sienne au plan international sur les questions environnementales. Au moment où ces débats débutent, Ségolène Royal est donc à l’étranger pour assurer la signature effective de chaque pays de l’accord historique de Paris sur le climat, pour le concrétiser.
C’est ici même, comme vous l’avez fait l’an passé sur le climat avec la loi de transition énergétique, que vous avez l’occasion de faire encore une fois de la France un pays d’excellence environnementale, cette fois-ci pour sa politique en faveur de la biodiversité. Là encore, je ne doute pas de votre détermination.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste.
La parole est à Mme Geneviève Gaillard, rapporteure de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, monsieur le président de la commission du développement durable, mes chers collègues, nous examinons enfin, après plus de dix-huit mois d’attente, en deuxième lecture, un projet de loi pourtant fléché comme majeur et important par le Gouvernement : le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Cet étalement des travaux parlementaires, qui bat sûrement des records, me fait quelquefois douter de la sincérité des engagements des uns et des autres pour mettre fin à l’hémorragie permanente, à l’érosion dramatique de la biodiversité sur notre biosphère, à l’échelle du monde et dans notre pays.
Enfin nous y sommes, et je remarque, ce qui compense un peu la durée d’examen de ce texte, que nous disposons désormais d’une secrétaire d’État dédiée à la biodiversité, ce qui ne peut que nous réjouir et nous faire espérer des avancées notables, ainsi qu’un nouvel élan.
La biodiversité, le vivant, est une toile tissée de façon très complexe, au sein de laquelle l’homme tient une place importante, car il participe de la construction d’écosystèmes spécifiques, car il maintient parfois l’existence de certains d’entre eux en figeant leur évolution naturelle parce qu’ils nous sont utiles ; on parle alors de services écosystémiques.
N’oublions pas cependant que la biodiversité a avant tout une valeur intrinsèque, en ce qu’elle est le résultat de millions d’années d’évolution, du perfectionnement des adaptations au milieu, aux caprices du climat, aux techniques et stratagèmes de prédation, à la complexité des moyens de défense et de protection des espèces proies, à la complexité des interactions et relations interspécifiques allant du parasitisme à l’osmose. Bref, toute cette richesse peut aujourd’hui être ruinée par notre impact inconséquent.
Notre responsabilité est lourde vis-à-vis du vivant avec qui nous partageons la biosphère.
Quelle est donc la valeur ajoutée de notre dynamique et de notre oeuvre de civilisation si, au fur et mesure du progrès de nos technologies, dans un contexte de croissance démographique qui amplifie notre impact écologique, nous nous écartons du bon sens et de l’éthique de développement que possédaient déjà les premières communautés dont découle la règle selon laquelle on ne doit s’autoriser à ne prélever que les fruits sans jamais entamer le capital du vivant ? Le pillage des océans et des mers est emblématique de la façon dont nous épuisons les ressources naturelles à notre seul profit à court terme. Nous pillons les ressources halieutiques à notre profit au détriment de toutes les espèces qui vivent des chaînes trophiques complexes de l’océan. Les mers, par nos actions irresponsables, deviennent des déserts !
Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. Il s’agit d’un constat général que tout le monde déplore à chaudes larmes – de crocodile bien sûr. Nous avons ruiné les stocks de cabillaud et de quantité d’espèces, tant et si bien que nous nous reportons toujours plus sur des espèces jadis jugées sans intérêt pour la consommation humaine en pêchant toujours plus profond, en méconnaissant totalement les grandes lois régissant les hauts-fonds, au plus grand mépris du métabolisme si particulier de leurs habitants. Néanmoins, lorsque nous aurons à voter dans quelques heures l’interdiction du chalutage en eau profonde, combien d’entre vous, chers collègues, auront séché leurs larmes et verseront dans un vote oublieux et coupable ?
Notre définition et notre conception de la biodiversité, dont découlent sa valorisation et sa protection, doivent bien prendre en compte deux dimensions. Le premier volet consiste en une approche anthropocentrée ou anthropocentrique de la biodiversité, car l’homme a besoin des services rendus par la nature pour survivre et pour bien vivre. Ces services écosystémiques sont des services de prélèvement de nourriture, d’eau, de bois et de fibres, des services de régulation tels que le climat, les inondations et les maladies ou encore des services culturels d’ordre récréatif ou spirituel. Ce sont les bénéfices retirés par l’homme de processus biologiques. Ils s’inscrivent dans une vision anthropocentrée, directe ou indirecte, des écosystèmes et de leur fonctionnement. Le second volet accorde à la biodiversité une valeur intrinsèque selon laquelle elle vaut qu’on la protège pour elle-même, sans rapport d’utilité à l’homme, afin que la biodiversité qui nous préexistait nous survive. On parle alors de fonctions écologiques qui sont des processus biologiques de fonctionnement et de maintien des écosystèmes s’inscrivant dans une vision écocentrée de la nature.
La définition retenue à l’article 1er du projet de loi relève bien de ces deux conceptions de la biodiversité. On voit bien ici, chers collègues, la difficulté de notre exercice de législateur chargés du projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. La biodiversité nous intéresse tous mais chacun d’entre nous portera dessus un regard différent selon qu’il privilégie plus ou moins le rapport d’utilité que nous lui conférons. Ainsi, certains accepteront la protection d’une espèce seulement si elle leur semble utile, contrairement aux espèces dites nuisibles.
Seulement voilà, la démonstration de l’utilité n’est pas si évidente que cela ! Il se peut fort qu’une espèce, en dépit de son inutilité apparente, s’avère être au contraire un maillon indispensable par le truchement d’interactions complexes et que sa disparition déséquilibre un milieu, un écosystème complexe ou une fonction écologique, altère des services écosystémiques et donc nous pénalise ! Les exemples d’une telle situation, régulièrement livrés par la recherche scientifique, sont pléthoriques.
Par ailleurs, même si l’on admet l’hypothèse selon laquelle une espèce en voie de disparition peut être dépourvue d’utilité, nous devons comprendre qu’elle mérite d’être protégée en vertu de sa seule valeur intrinsèque. Nous savons que l’homme est directement ou indirectement lié à la plupart des disparitions d’espèces. Cette équation est encore plus vraie en raison du changement climatique. Or la disparition d’une espèce est un drame et toujours une perte pour le vivant et sa capacité à évoluer.
Lors de l’examen du texte, nous devrons par exemple nous prononcer sur la vénerie sous terre du blaireau, pratique traditionnelle consistant à déterrer les blaireaux n’importe quand, qu’il neige, qu’il vente ou qu’il pleuve et même en période de reproduction et d’allaitement, ce qui est plus grave, pratique qui est selon moi tout le contraire de la chasse. Celle-ci, et c’est tout à son honneur, constitue un premier niveau de protection des espèces de gibier susceptibles d’être chassées en organisant des modes de chasse qui en excluent certains et en préconisant une éthique et des périodes où le prélèvement est autorisé. Quelle est la justification de ces pratiques ? L’inutilité de l’espèce pour l’homme ? Sur ce sujet, j’ai tout entendu. Il me semble important de rappeler que qui veut tuer son blaireau l’accuse d’avoir la tuberculose !
Chacun de nos jours aime à s’autoproclamer protecteur de la biodiversité. C’est une mode, sûrement ! Il faut néanmoins constater qu’entre le simple citoyen, l’entrepreneur, l’agriculteur, le chasseur, le pêcheur, le randonneur et les associations de protection de la nature, les intérêts sont divergents et souvent contradictoires. Il ne faut donc pas construire les politiques publiques à l’aune de la somme de ces intérêts particuliers. Sans une conservation intégrée …
… et globale de la biodiversité aquatique, marine et terrestre permettant le maintien et le développement des activités économiques, de l’agriculture et des pratiques de loisirs telles que la chasse, les générations futures seront les grandes perdantes et les victimes de notre incurie. Pour ma part, je me suis attachée, au cours de nos débats, à dépasser l’approche utilitariste de la biodiversité vers laquelle certains groupes de pression essaient de nous conduire sans nier pour autant la fonction de conservation de ces activités et la nécessité de parvenir à une certaine complémentarité. Dans le droit fil de la COP 21 qui a démontré l’existence d’un élan et d’une dynamique capables de primer sur les intérêts particuliers, j’ai défendu l’idée consistant à fixer des objectifs ambitieux, seul moyen d’en finir avec la politique des petits pas qui nous mène droit dans le mur.
Le projet que nous examinons en deuxième lecture comporte quelque 160 articles, dont une centaine adoptés en première lecture et modifiés par le Sénat et soixante ajoutés par la Haute assemblée. C’est dire si le chemin est encore long à parcourir ! Le débat en commission, où plus de 1 000 amendements ont été examinés, a duré vingt-sept heures. Les discussions ont été sérieuses et parfois difficiles car toutes les modifications apportées par le Sénat ne sont pas pertinentes et à retenir. Certaines ne s’inscrivent pas dans une logique d’innovation et de grands défis, telles les obligations réelles environnementales, tandis que d’autres ont pour conséquence, sans mauvais jeu de mot, de dénaturer le texte.
Ce projet de loi comporte des grands rendez-vous parmi lesquels la solidarité écologique, qui comporte elle aussi une double dimension, la clarification du phasage du triptyque ERC – éviter-réduire-compenser –hérité de la loi du 10 juillet 1976, l’introduction d’un préjudice écologique fonctionnel dans notre droit, la création d’une Agence française pour la biodiversité qui ne soit pas une usine à gaz et apporte une vraie valeur ajoutée aux politiques de conservation de la biodiversité dont les missions d’expertise, de conseil et d’accompagnement des opérateurs et des collectivités soient affirmées et adaptées à nos outre-mer qui concentrent plus de 80 % de notre biodiversité nationale, la protection du milieu marin et du littoral, l’affirmation des continuités écologiques, la reconnaissance et la protection des paysages et de leurs professionnels, et enfin la transposition et la mise en oeuvre du protocole de Nagoya relatif à l’accès aux ressources génétiques et au partage des avantages.
« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire " Ceci est à moi "et trouva des gens assez simples pour le croire fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : " Gardez-vous d’écouter cet imposteur ! Vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne " », écrit Jean-Jacques Rousseau dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Voilà que le protocole de Nagoya donne une force nouvelle et une illustration idoine aux propos inspirés du philosophe naturaliste, ne trouvez-vous pas, chers collègues ?
Le texte comporte d’autres mesures non moins importantes comme l’interdiction des néonicotinoïdes et du brevetage des gènes natifs. Ces dispositions très techniques nous ont demandé beaucoup de travail, dans l’intérêt de tous et, en l’espèce, des agriculteurs en particulier.
Bien sûr, je regrette que certaines dispositions n’aient pas été retenues et adoptées en commission, en particulier l’intégration de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage dans l’Agence française pour la biodiversité. Il s’agit sûrement d’une occasion manquée. L’avenir confirmera qu’il y a là une nécessité, j’en suis convaincue, et nous laisserons les choses se faire naturellement.
Par ailleurs, certains thèmes appelleront d’autres débats car je suis certaine que nous n’avons pas encore épuisé nos capacités de réflexion et d’amélioration des dispositifs. Nous pourrons néanmoins être fiers du travail accompli qui répond aux attentes législatives et sociétales nées depuis le vote de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. Enfin, je remercie les administrateurs de la commission du développement durable qui ont oeuvré avec beaucoup de pugnacité et ont beaucoup travaillé afin que nous puissions présenter un texte dans de bonnes conditions malgré le temps relativement limité dont nous disposions.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, je me réjouis que le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, près de deux ans après son dépôt par le Gouvernement et après avoir été modifié par le Sénat en janvier dernier, revienne en deuxième lecture devant notre assemblée. Je souhaite évidemment que la navette s’achève dans les meilleurs délais. Si le projet initial ne comportait que soixante-quatorze articles, le texte adopté par le Sénat que nous examinons aujourd’hui comporte plus de 160 articles dont quarante nouveaux introduits par le Sénat, ce qui a obligé la commission du développement durable à des travaux assimilables à ceux d’une première lecture. La commission s’est réunie pendant près de vingt-sept heures et a examiné 1 075 amendements, ce qui montre que les débats n’ont pas été bâclés.
Il est vrai, cependant, que la deuxième lecture d’un tel texte amène par principe à reprendre souvent les mêmes discussions, dans certains cas pour la quatrième fois, sans parvenir à un accord. Les travaux de la commission n’ont pas abouti à la solution de problèmes complexes tels que le préjudice écologique, l’ancrage territorial de l’Agence française pour la biodiversité, la gouvernance de la politique de l’eau ou l’accès aux ressources génétiques. J’évoquerai d’abord le premier de ces sujets, le préjudice écologique. En France, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique a relevé en 2012 près de 70 000 infractions au droit de l’environnement. Boues rouges, algues vertes et marées noires font de plus en plus partie de notre quotidien. Les dégradations empirent sans que les moyens de les sanctionner ne soient adaptés.
On touche dorénavant aux limites de notre modèle de domination de la nature par l’homme. En effet, l’être humain lui-même devient la victime des écocrimes et écocides qu’il commet. La Cour de cassation, saisie en 1978 de l’affaire des boues rouges de Montedison, a posé les fondations du préjudice écologique et l’a consacré en 2012 dans sa jurisprudence relative à l’affaire du pétrolier Erika, responsable de la pollution de plus de 400 kilomètres de nos côtes. Le projet de loi que nous allons voter franchira un cap supplémentaire en créant dans le code civil un régime de réparation du préjudice écologique défini comme une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement.
Le deuxième sujet que je veux aborder en est un exemple caractéristique. Il s’agit de l’emploi massif de pesticides dans notre pays, notamment de la famille des insecticides la plus employée, celle des néonicotinoïdes qui décime les colonies d’abeilles et contribue aussi à la disparition des invertébrés, des oiseaux et des poissons et contamine pour de longues années les sols, les sédiments et les eaux douces, menaçant finalement la santé humaine, le tout pour un objectif difficilement compréhensible car de nombreuses études ainsi que les pratiques actuelles en Allemagne et en Italie prouvent que l’utilisation des néonicotinoïdes n’a pas d’effets notables sur le rendement des cultures. Devenu massif, l’usage des pesticides induit par ailleurs des résistances chez les insectes, lesquels s’adaptent, ce qui oblige à traiter les cultures toujours davantage comme le confirment les derniers chiffres du ministère de l’écologie. Près de 70 000 tonnes de pesticides ont été utilisées en France en 2013, soit une hausse de près de 6 % par rapport aux deux années précédentes. La consommation a encore augmenté de 9,4 % en 2014.
Nous sommes loin des objectifs du plan Écophyto, lancé en 2008 lors du Grenelle de l’environnement, qui avait pour ambition de réduire de 50 % l’usage de ces produits d’ici à 2018. Cette fuite en avant particulièrement délétère démontre que notre système agricole est en échec et que seul un changement de modèle est à même d’ouvrir une voie redonnant aux agriculteurs et aux éleveurs la possibilité de nourrir la population en restaurant la fertilité des terres, en utilisant la résistance naturelle des plantes au sein d’écosystèmes variés et en s’appuyant sur la complexité de mieux en mieux connue de la nature plutôt que sur son exploitation à coups de béquilles chimiques.
À ce titre, le développement de l’agriculture biologique doit être encouragé. En la matière, nous sommes également loin des objectifs de la loi Grenelle 1 qui prévoyait 6 % de surface agricole biologique en 2012 et 20 % en 2020. Actuellement, alors même que nous avons à peine dépassé 4 %, les aides à la conversion allouées par les régions se révèlent insuffisantes pour répondre à la demande et les aides au maintien pour la récolte de 2014 ont diminué de 25 %. L’interdiction des néonicotinoïdes constituera un signal fort de notre volonté de nous engager dans de nouvelles formes d’agriculture qui seront autant de gisements de nouveaux emplois en raison de la moindre mécanisation du travail du sol et de la diversité des cultures. Nous avons la responsabilité de donner aux agriculteurs et aux citoyens la possibilité d’amorcer une transition agricole qui ne s’opérera pas sans des mesures volontaristes.
Sur certains sujets conflictuels, je me félicite que, malgré des délais restreints, la rapporteure, que je remercie ici, et quelques membres de la commission aient réussi à nous proposer des compromis permettant de déboucher sur une rédaction satisfaisante, qui améliore la cohérence d’ensemble du texte.
Il ne faut pas se tromper : sur des sujets comme la reconquête de la biodiversité, sur lequel nous devrions tous nous retrouver, la deuxième lecture doit nous conduire à un accord final avec le Sénat. Cela suppose d’adopter conformes certains articles, d’accepter des modifications, de ne pas revenir sur des acquis par plaisir de la controverse, sans pour autant accepter de manière systématique tous les ajouts du Sénat, ainsi que l’a indiqué la rapporteure.
Cette logique m’a également incité à maintenir des accords obtenus en première lecture avec le soutien du Gouvernement sur, par exemple, la place des collectivités et des départements ultramarins dans la gestion de la biodiversité, les délégations territoriales de l’AFB ou la place de l’ONCFS et ses relations avec la future agence.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean-Marie Sermier.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, si nous respectons à la lettre le règlement de l’Assemblée nationale, une motion de rejet doit démontrer qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur le texte sur lequel elle porte. C’est ce à quoi je vais m’employer.
Après plusieurs mois de construction et de navette parlementaire, après les longs travaux de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, des zones de flou demeurent sur plusieurs volets importants de ce texte. Le président de la commission, il faut le souligner, a joué un rôle exemplaire pendant le débat…
… mais les oppositions sont indéniables entre le Gouvernement et sa majorité, au sein même de la majorité et beaucoup d’amendements de la rapporteure ont été repoussés.
La cacophonie sur la délicate question des néonicotinoïdes nous inquiète et les volte-face permanentes sur ce sujet ne sont pas à la hauteur du débat. Tout cela nous a confortés dans l’idée qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur un texte mal ficelé, qui n’a jamais pu susciter le consensus nécessaire à l’élaboration d’une loi, alors qu’il aurait dû, dans la lignée du Grenelle de l’environnement, associer et non diviser.
Bien sûr, ce projet de loi aurait pu comporter des éléments intéressants. L’idée de rassembler plusieurs acteurs de la biodiversité dans une agence unique chargée de développer les connaissances scientifiques, d’apporter son concours technique et administratif aux acteurs locaux, de soutenir financièrement leurs projets, de mener des actions de formation et de sensibilisation auprès du grand public va dans le bon sens. La future agence rendra plus lisible l’action de l’État et permettra probablement une meilleure efficacité, pour peu que chaque acteur s’y sente respecté.
Il ne s’agit donc pas de tout critiquer, ni de négliger les enjeux liés à la préservation et à la valorisation de la biodiversité. La France est l’un des pays du monde les plus riches en biodiversité. Elle possède le deuxième domaine maritime le plus vaste du monde. Elle compte parmi les dix pays abritant le plus grand nombre d’espèces animales. Nous pouvons en être fiers ! Cela, d’ailleurs, ne nous donne aucun droit, seulement des devoirs.
La France est traditionnellement en avance dans la recherche sur le potentiel infini de la biodiversité. Dans mon département, le Jura, on connaît bien les travaux de Louis Pasteur, natif de Dole, dont les découvertes sur la fermentation, la sélection des levures et la stérilisation partielle – la pasteurisation – ont éclairé la communauté scientifique qui travaille sur la biodiversité depuis le XIXe siècle.
La biodiversité contribue à la recherche scientifique et au progrès technique. Elle est source d’innovations, dans les domaines de la médecine, de la cosmétique ou encore de la technologie. Ainsi, c’est après avoir étudié les rapaces qu’Airbus, le grand constructeur aéronautique européen, a, par biomimétisme, déterminé l’inclinaison des ailes de certains de ses avions !
La biodiversité est une source inimitable de richesses. Il est vrai qu’elle est en danger dans notre pays, comme dans le reste du monde, notamment en raison de la répartition inéquitable des espaces, de la pollution et des changements climatiques.
Le groupe Les Républicains partage pleinement ce constat. Ce que nous critiquons, c’est l’approche qui a guidé l’élaboration de ce texte. Trop souvent, le projet de loi oppose les acteurs de la biodiversité les uns aux autres. Le Gouvernement a préparé son texte avec une vision manichéenne de la biodiversité. Il accuse, il montre du doigt ! Il y aurait d’un côté les gentils – ceux qui préservent l’environnement, se revendiquent de l’écologie – et de l’autre, les ennemis de la nature.
C’est vous qui le dites ! Nous, nous n’avons jamais rien dit de tel.
Quelle simplification ! Les Républicains auraient préféré un texte qui rassemble plutôt que d’opposer, qui incite plutôt que de contraindre, qui concilie plutôt que d’exclure. Agriculteurs, chasseurs, forestiers, associations environnementales, voilà autant d’amis de la nature qui en connaissent parfaitement les lois, les cycles et les fragilités.
Aidons-les, madame la rapporteure, à mieux se comprendre et à travailler ensemble !
Malheureusement, votre projet de loi, madame la secrétaire d’État, fait tout l’inverse. Il oppose les agriculteurs aux apiculteurs sur la difficile et préoccupante question du dépérissement des abeilles, lequel ne serait dû, selon certains, qu’au seul usage des néonicotinoïdes. Or l’on sait bien que le phénomène est plurifactoriel.
Il faut notamment prendre en compte les maladies parasitaires et l’insuffisance de la ressource florale pour expliquer totalement les menaces pesant sur les pollinisateurs.
Il convient aussi de souligner les efforts déjà accomplis pour restreindre l’usage des néonicotinoïdes. L’arrêté du 28 novembre 2003, pris par Roselyne Bachelot, interdit les insecticides à usage agricole en période de floraison sur toutes les cultures visitées par les abeilles. L’actuel gouvernement a par ailleurs annulé l’autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR, lequel contient l’une des molécules les plus dangereuses pour les abeilles. Le problème est réel, mais plus complexe qu’on veut bien le dire. Il est donc inutile de créer aujourd’hui des tensions supplémentaires entre les acteurs.
Les chasseurs, dont on sait pourtant le rôle fondamental dans la régulation de la faune sauvage, constituent une autre cible, comme le montre cette proposition purement provocatrice d’extension aux animaux sauvages de la répression pénale des sévices graves.
Le texte oppose également les collectivités locales entre elles, en prévoyant de transférer la gestion des espaces naturels sensibles aux régions, alors que les départements, forts de leur parfaite connaissance du territoire, mènent de vraies politiques de préservation de ces espaces, avec 200 000 hectares de nature et 4 000 sites protégés.
Jusque dans le détail du texte, on trouve des oppositions. Ainsi, l’article 17 quater, relatif à la composition des conseils d’administration des agences de l’eau, oppose inutilement les représentants des usagers non professionnels à ceux des secteurs de l’agriculture et de l’industrie.
Même les petites communes sont clouées au pilori ! Alors qu’elles souffrent déjà d’une baisse sans précédent des dotations de l’État et peinent à boucler leurs budgets, voilà qu’on les menace de moduler leur dotation de solidarité rurale – DSR – en fonction de leur éclairage public nocturne. Avouez qu’il fallait le faire ! Cette proposition, probablement imaginée dans un bureau à Paris, ignore simplement que les communes bénéficiaires de la DSR – par définition les plus fragiles – n’ont pas nécessairement les moyens d’investir dans des dispositifs de modulation de l’éclairage, sans parler des questions de sécurité que pose une pareille mesure.
Ces quelques exemples le montrent bien, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité n’est pas un texte qui rassemble. Au contraire, il dresse les uns contre les autres. Il va à l’encontre de l’esprit de rassemblement qui doit prévaloir, a fortiori sur des sujets comme l’écologie, l’environnement et la biodiversité, lesquels dépassent nos personnes et engagent les générations futures.
La deuxième raison de voter cette motion de rejet, c’est que le projet de loi ne respecte pas l’engagement du Président de la République de ne pas créer de nouvel impôt.
Lors de l’émission « Face aux Français », fin 2014, le Président de la République avait déclaré : « À partir de l’année prochaine, il n’y aura pas d’impôt supplémentaire pour qui que ce soit ». Or le présent texte institue bel et bien une nouvelle taxe : la taxe additionnelle sur les huiles de palme.
Plutôt que d’utiliser comme véhicule le projet de loi de finances, le Gouvernement choisit un projet de loi ordinaire. D’ailleurs, il n’y va pas avec le dos de la cuillère, puisque les montants envisagés dans l’article 27 A feront plus que doubler la charge pesant sur les entreprises agroalimentaires utilisant cette matière première.
Le Gouvernement fait ainsi le choix irresponsable de mettre en difficulté 6 000 entreprises et 110 000 emplois en France. Il crée une taxe franco-française, qui affectera la compétitivité de notre filière agroalimentaire, laquelle doit déjà se battre sans relâche pour affronter la concurrence européenne et mondiale.
C’est d’autant plus dommageable qu’il se trompe de cible ! Il faut en effet souligner les efforts considérables engagés par les industriels pour bâtir une filière durable, dont la production sera bientôt tracée de la plantation à la consommation. Les responsables indonésiens en France, très inquiets de la disposition, nous l’ont confirmé.
J’imagine qu’ils ont rencontré de nombreuses personnes. Simplement il y a ceux qui parlent d’eux – j’en fais partie – et ceux qui n’en parlent pas. Mais le Gouvernement ne s’arrête pas là ! L’article 18 relatif à l’accès aux ressources génétiques prévoit des contributions financières très importantes – trop importantes ! – pour les entreprises souhaitant utiliser ces ressources issues de la nature : elles devront payer jusqu’à 5 % de leur chiffre d’affaires mondial sur la commercialisation d’un produit utilisant l’une de ces ressources.
Les conséquences de cette mesure pourraient être désastreuses. D’une part, on risque de freiner les travaux de recherche et développement en France. D’autre part, dans la mesure où nous sommes le seul pays, avec l’Espagne, à nous imposer de pareilles contraintes, nous encouragerons immanquablement certaines entreprises à s’approvisionner ailleurs.
Ne faisons rien, cela avancera tout seul ! Tout va bien, la biodiversité est bien protégée !
Si les opérateurs peuvent accéder plus facilement ailleurs à la même ressource – qu’il s’agisse d’algues, de ferments ou de végétaux –, ne doutez pas qu’ils se tourneront rapidement vers d’autres fournisseurs et développeront l’emploi dans d’autres pays.
La création de nouvelles charges pesant sur les entreprises françaises affaiblira leur compétitivité. Nous sommes les seuls en Europe à le faire ! En période de crise économique, cela relève de l’irresponsabilité politique.
Enfin, nous devons rejeter le projet de loi car il va bien au-delà des engagements que nous avons pris au niveau européen. La surtransposition des directives européennes nuira encore une fois à notre économie, donc à l’emploi des Français.
Restons sur l’exemple de l’article 18, relatif à l’accès aux ressources génétiques. Il se veut la transposition en droit français du protocole de Nagoya. D’abord, il n’est pas inutile de rappeler que la France a signé cet accord en 2011, sous l’impulsion du président Sarkozy, pour lutter contre la biopiraterie.
Ensuite, le règlement européen laisse les États membres de l’Union libres de fixer les modalités d’accès et de partage des ressources génétiques. La France se tire une balle dans le pied, en allant bien au-delà de ce que demande la Commission.
Mais non !
Si ! Ne vous en déplaise, madame la secrétaire d’État !
Elle s’impose par exemple une règle de rétroactivité qui n’existe nulle part ailleurs. Un opérateur qui détient déjà une ressource génétique dans sa collection mais voudrait l’utiliser pour un autre domaine d’activité devra, en France seulement, faire une nouvelle demande d’autorisation.
Ce surcroît de coûts, ces formalités supplémentaires, ce temps perdu ne sont envisageables, à nos yeux, que dans l’hypothèse d’une harmonisation des règles à l’échelle européenne.
Sur la question sensible des néonicotinoïdes, si notre assemblée adoptait le projet de loi tel que proposé par la commission, la France irait à l’encontre du droit européen, vous le savez bien. Les règles européennes prévoient précisément que les produits bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché ne peuvent pas être interdits par les États membres. Les restrictions ou interdictions d’usage de ces substances relèvent de la seule compétence de la Commission européenne.
La France, comme tous les États de l’Union, peut néanmoins demander un réexamen anticipé de l’autorisation d’une substance si elle a de nouvelles connaissances scientifiques à apporter à la Commission. Or, à ma connaissance, aucune démarche en ce sens n’a été entreprise, aucune demande précise et clairement identifiée n’a été formulée.
Il est clair que si nous adoptions l’article 51 quaterdecies dans sa rédaction actuelle, nous exposerions notre pays à une sanction de la Cour de justice de l’Union européenne.
Pour conclure, ce texte ignore nombre d’études et de travaux dont il aurait été plus sage de suivre les conclusions. Je rappelle ainsi l’excellente étude récemment publiée par l’ANSES.
Je rappelle également toute l’importance qui s’attache à la prise en compte d’une réflexion avec les agriculteurs sur leur mode de travail. Ils sont en effet particulièrement intéressés par ce type de procédure.
Nos producteurs de fruits voient leurs productions atteintes de maladies, nos viticulteurs voient leurs vignes ravagées par la flavescence dorée. Comment pourrons-nous lutter contre ces maladies endémiques sans disposer des moyens de les contrôler ?
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains vous invite à adopter cette motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Je n’interviendrai pas très longtemps. Ainsi que vous l’avez dit, monsieur Sermier, une motion de rejet préalable signifie qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur le texte.
Or, et vous l’avez souligné vous-même dans votre intervention, il y a au contraire urgence à répondre aux atteintes portées à la biodiversité ; il y a urgence à mettre en place l’Agence française pour la biodiversité ; il y a urgence à envoyer des signaux aux entreprises pour les protéger, pour leur donner un cadre juridique clair. Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre.
Vous avez également prononcé une phrase qui me paraît pleine de bon sens : notre patrimoine naturel ne nous donne aucun droit, que des devoirs. Notre devoir est de cesser de perdre du temps. Notre devoir est également de cesser de tomber dans les caricatures. Ce que vous avez dit sur le manichéisme, ce que vous avez dit sur la volonté qu’auraient certains de monter certaines catégories contre les autres,…
…ne reflète évidemment pas la volonté du Gouvernement. Cela n’a jamais été fait par le Gouvernement, qui a toujours pris soin de rencontrer tous les acteurs, de les coordonner et de travailler pour que nous arrivions à un accord tous ensemble, parce que cette loi nous engage tous ensemble ; c’est pourquoi il ne faut plus traîner.
Vous avez abordé un certain nombre de points, vous avez dit un certain nombre d’inexactitudes, mais nous aurons l’occasion, je l’espère, d’y revenir pendant les débats.
Je suis saisie de plusieurs demandes d’explication de vote.
La parole est à M. Jean-Yves Caullet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Devant la complexité d’une question, nous pouvons toujours regretter le simplisme de certaines propositions, la complexité d’autres, l’excès de prudence ou l’excès d’enthousiasme.
Devant l’ampleur du changement de paradigme que nous demande cette réflexion, nous pouvons nous interroger sur notre capacité collective à dépasser nos passions, à assumer nos passés ou à concevoir l’avenir des autres, lequel est tout de même plus important que le nôtre.
Nous pouvons aussi, comme vient de le faire notre collègue Sermier, égrener des critiques venues de divers horizons ; nous pourrions également, et cela ne manquera d’ailleurs pas d’être fait, égrener les progrès et les satisfactions.
Nous donnerions ainsi l’impression de nous livrer à une sorte de segmentation de marché, tentant de répondre à différentes catégories alors que nous posons une problématique globale.
Nous pouvons faire tout cela, mes chers collègues, mais il y a une chose que nous ne pouvons pas et que nous ne devons pas faire : c’est cacher la question ! Nous devons débattre, nous devons trancher, décider : telle est notre responsabilité, au nom du peuple.
Bien sûr, j’ai conscience, comme vous tous, de l’imperfection de notre travail sur une question aussi vaste. Mais cette imperfection est préférable à la politique de l’autruche que l’on nous propose avec cette motion de rejet – l’autruche étant un animal domestique et d’élevage, qui certes mérite tous les égards mais n’a pas à être comparé aux espèces sauvages.
Engageons donc le débat, modestement, mais également avec résolution, en repoussant cette motion de rejet qui ferait tourner le dos au problème, sans tenter de le résoudre. Faisons-le sans passion, laquelle est, pour un débat de ce niveau, l’ennemie de notre lucidité.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La biodiversité, son maintien, sa reconquête constituent un enjeu essentiel que chacun partage ici. Mais le projet de loi proposé n’a pas de colonne vertébrale : il veut tout traiter, de la chasse à l’agriculture.
Le résultat est un manque de lisibilité, quand ce n’est pas de la confusion qui est apportée aux éléments en discussion.
Toutes les raisons exposées par notre collègue Jean-Marie Sermier justifient le rejet d’un texte qui, au lieu de répondre aux enjeux essentiels pour l’avenir, pose plus de problèmes qu’il n’en résout.
Ce n’est pas, par exemple, en taxant l’huile de palme, qui répond aux exigences du développement durable, que l’on traite les enjeux de la biodiversité.
Sous couvert de bonnes intentions, ce projet de loi ne donne que de mauvaises réponses. Ainsi, l’interdiction des néonicotinoïdes, sans aucune étude d’impact, met en péril de nombreuses exploitations. Si des règles doivent être mises en place, voire des restrictions, l’interdiction pure et simple, de façon brutale, est pour le moins inadaptée.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que nous rallier à la position de notre collègue Jean-Marie Sermier. Le groupe Les Républicains votera cette motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Rejet préalable, refus de discuter, « texte mal ficelé », « texte qui divise au lieu de rassembler »…, vient-on d’entendre. Il y a pourtant eu une première lecture ; il y a eu un vote au Sénat, dont l’excellent rapporteur, M. Jérôme Bignon, n’appartient pas à la majorité.
Vous avez vous-même, cher collègue, reconnu l’intérêt du projet, notamment la création de l’Agence française pour la biodiversité. Vous avez justement rappelé l’importance du domaine maritime français – 11 millions de kilomètres carrés qui s’ajoutent au domaine terrestre, beaucoup plus petit. Nous avons donc une responsabilité évidente sur le plan mondial.
Absence de rassemblement ? Le Sénat a voté par 263 voix pour et 32 voix contre.
Il me semble donc que, dans sa sagesse, le Sénat a manifesté une certaine capacité à reconnaître qu’il y avait dans ce texte matière à rassemblement bien plus qu’à division !
Qu’il faille encore débattre, c’est possible ; c’est même certain. Qu’il faille amender, c’est une évidence. Mais voter ainsi une motion de rejet, ce serait vraiment nier le débat par construction…
…et faire une obstruction inutile ; c’est la raison pour laquelle le groupe RRDP rejettera cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Comme vient de le dire Paul Giacobbi pour le groupe radical de gauche, vous prétendez qu’il vaut mieux arrêter la discussion maintenant en adoptant cette motion de rejet. Que vous utilisiez, chers collègues de droite, les ressources de la procédure parlementaire, parfois en les détournant, c’est de bonne guerre quand on est dans l’opposition, pour exposer des arguments,…
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
…pour avoir un temps de parole plus long que celui imparti dans la discussion générale !
Néanmoins, ce texte a été déposé – on n’ose même plus dire quand ! – par le Gouvernement sur le bureau de nos assemblées ; plusieurs ministres se sont succédé pour le défendre.
J’ai entendu tout à l’heure Mme la secrétaire d’État – je la salue tout particulièrement puisqu’un mois après sa nomination, elle défend déjà un texte au nom du Gouvernement – parler de « randonnée législative », tandis que Mme la rapporteure a évoqué un « marathon législatif ». Pour ma part, je ne voudrais pas que la procédure parlementaire devienne un labyrinthe dans lequel on se perd, mes chers collègues, à force de retarder les débats ou de faire semblant de croire qu’on pourrait arrêter les débats maintenant,…
…car nous donnons à nos concitoyens une image d’impuissance parlementaire et politique en général.
Je souhaite évidemment que l’on entame maintenant l’examen du texte. Il ne s’agit même pas d’une procédure accélérée : il y a donc deux lectures à l’Assemblée et deux lectures au Sénat, avant même que l’on envisage une commission mixte paritaire !
Comme l’a très bien dit Paul Giacobbi, nos collègues sénateurs ont voté ce projet de loi à une très large majorité, gauche et droite confondues, seules quelques dizaines de voix de l’opposition se prononçant contre !
Alors allons-y ! Votons ce texte : il est très riche, très intéressant, il permettra des avancées concrètes pour la défense de la biodiversité, qui est une belle cause pour laquelle nous pourrions nous unir, tous ensemble, au niveau français comme au niveau international.
Naturellement, le groupe écologiste rejettera cette motion de rejet préalable.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.
J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, madame la rapporteure, mes chers collègues, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, qui nous réunit ce jour, poursuit son long et laborieux cheminement. Dois-je rappeler que cela fait presque deux ans qu’il a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale ? Curieuse conception de l’urgence dont vous avez parlé, madame la secrétaire d’État !
De soixante-douze articles au départ, on pourrait croire que ce projet de loi n’en contient désormais que soixante-quatorze, mais c’est sans compter les nombreux articles qui se sont intercalés puisque nombreux sont les articles bis, ter et jusqu’à octies ! Pour prendre deux exemples, les articles 32 ou 36 ont donné lieu chacun à quinze articles dérivés.
Ce projet de loi nous revient donc aujourd’hui considérablement enrichi, sur la forme, tout du moins. Sur le fond, le résultat est plus mitigé. En effet, le texte voté à l’issue de la première lecture de l’Assemblée nationale comportait des mesures allant jusqu’à l’ubuesque. Il faut aussi noter que certaines dispositions n’avaient qu’un rapport lointain avec la biodiversité.
Heureusement, la sagesse légendaire de la Haute assemblée a permis de profondément modifier et d’améliorer cette première version, prenant en compte les inquiétudes légitimes de deux catégories de nos concitoyens que sont les agriculteurs et les chasseurs.
Ces deux catégories se sont en effet senties, à juste titre, vilipendées et stigmatisées sur certains bancs de cette assemblée, alors qu’elles défendent véritablement la biodiversité et sont des acteurs de sa préservation.
L’examen de ce texte en commission a donné lieu à un débat nourri et riche, mais il a abouti à un texte que nous ne pouvons pas voter en l’état. Vous vous doutez bien, mes chers collègues, que si je viens défendre devant vous une motion de renvoi en commission, c’est que certaines dispositions de ce texte ne nous conviennent pas.
Mais avant d’étudier ces dispositions sur le fond, je voudrais vous présenter des arguments sur la forme qui suffisent à légitimer cette motion.
En effet, alors que ce texte traîne depuis deux ans, il est inconcevable que nous ayons disposé de si peu de temps entre la fin de l’examen en commission, intervenu mercredi soir, et son examen en séance, que nous commençons aujourd’hui, mardi : nous n’avons eu que deux jours pour déposer des amendements, l’exercice étant rendu encore plus compliqué par le fait que nous n’avons disposé du texte définitif que dans l’après-midi de jeudi. C’est là une manière bien discutable de considérer le travail parlementaire !
Quant à l’examen en commission, il a été lui-même bousculé car son temps a été mal estimé. C’est ainsi que nous avons appris avec quelques jours d’avance seulement l’ajout d’une réunion de commission lundi soir dernier, alors que nos agendas étaient calés depuis longtemps et que nous avions pris des engagements dans nos circonscriptions.
« Inacceptable ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Que dire enfin de l’impréparation du Gouvernement ? Nous avons assisté, à plusieurs reprises, à un manège navrant. Le Gouvernement a en effet déposé de nouveaux amendements alors que, faut-il le rappeler, nous sommes en deuxième lecture et que ce texte est vieux de deux ans. Ces amendements, dont certains faisaient plusieurs pages, n’ont bien sûr pas pu être examinés auparavant. De plus, ils étaient pour la plupart mal rédigés. Le résultat est qu’ils ont donné lieu à polémique et que certains ont dû, in fine, être retirés car ils desservaient le but escompté – ainsi l’amendement gouvernemental qui mettait à mal le principe pollueur-payeur, ce que la presse n’a pas manqué de souligner d’ailleurs.
Ces faits sont très dommageables et ils illustrent une fois de plus combien le travail parlementaire n’est pas facilité.
À eux seul, ces arguments de forme suffiraient à justifier cette motion de renvoi en commission. Malheureusement, ils sont assortis d’arguments tout aussi importants sur le fond.
Bien entendu, nous sommes tous conscients de la nécessité de préserver la biodiversité et de l’importance de l’enjeu pour notre planète. Comme l’a rappelé Jean-Marie Sermier, la France a un rôle essentiel à jouer dans la mesure où elle dispose d’une réserve considérable et exceptionnellement riche, compte tenu notamment de ses territoires d’outre-mer. Ce besoin de préserver la biodiversité fait pratiquement l’unanimité, et ce, on peut s’en féliciter, au sein de toutes les générations. J’en veux pour preuve la proposition de loi favorisant la préservation et le développement de la biodiversité, notamment dans les écoles, qui a été élaborée par les élèves de la classe de CM2 de l’école Saint-Julien de Laigné, dans ma circonscription de la Mayenne, et qui vaut à cette classe d’être sélectionnée pour le Parlement des enfants.
Très bien !
Mais le projet de loi qui nous est proposé aujourd’hui comporte, lui, bien des défauts.
Madame la secrétaire d’État, ne peut-on préserver la biodiversité sans pour autant imposer des contraintes, des interdictions et des complications ?
Ne peut-on préserver la biodiversité sans pour autant créer des obstacles au développement économique ?
Nous ne créons pas d’obstacles. Au contraire !
Comme je l’ai indiqué, deux catégories de personnes sont directement impactées par ce texte.
Je commencerai par évoquer les chasseurs. La première lecture dans cet hémicycle a vu l’adoption de dispositions qui étaient à la limite de la provocation à leur endroit.
Je me félicite que le Sénat les ait abrogées et ait oeuvré à la reconnaissance du rôle des chasseurs. Ces derniers sont en effet des acteurs incontournables de la biodiversité, dont ils contribuent à réguler les équilibres.
Ces amendements ont refait surface lors de l’examen en commission mais ont été fort heureusement repoussés, notamment grâce à la mobilisation des députés du groupe Les Républicains.
Il reste néanmoins des correctifs à apporter. Il convient notamment de se prémunir contre la volonté de certains de contraindre l’Office national de la chasse et de la faune sauvage à rejoindre l’Agence française pour la biodiversité. Il apparaît inutile et contre-productif de remettre en question le fonctionnement de l’Office, qui fait du bon travail et qui, faut-il le rappeler, est financé à près de 70 % par les chasseurs.
Il serait également malvenu d’inscrire le principe de non-régression dans le code de l’environnement. Ce principe relève en effet d’une appréciation statique de la biodiversité. Il nie le caractère intrinsèquement évolutif et difficilement prévisible d’une biodiversité qui n’a rien d’immuable.
Il convient aussi de rétablir l’article 53 ter A introduit par le Sénat, qui donne la possibilité aux garde-chasses particuliers et aux agents de développement des fédérations de chasseurs de procéder à la saisie d’objets ayant servi à la commission d’une infraction. L’amendement a pour but de limiter les actes de braconnage, but que tout le monde sur les bancs de cette assemblée devrait soutenir.
Ces dispositions sont importantes et nécessaires pour permettre aux chasseurs de continuer à administrer la biodiversité dans la confiance et la responsabilité.
« Très bien ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
La deuxième catégorie fortement concernée par le texte est bien sûr celle des agriculteurs. Leur mécontentement, leur inquiétude, leur situation préoccupante n’ont pu échapper à personne ces derniers mois. Étant moi-même député d’un département agricole, je sais de quoi je parle !
Certes des avancées ont été apportées au Sénat en matière de préservation des espèces protégées et d’obligations environnementales réelles, mais il reste des pas à faire. Les problématiques de compensation inquiètent légitimement : la compensation doit être repensée pour en corriger les effets secondaires, notamment sur la consommation des terres agricoles. Or un texte comme celui-ci contribue grandement à nourrir cette inquiétude. Nous l’entendons chaque semaine dans nos circonscriptions – je l’entends dans mon département de la Mayenne.
Parmi les autres sources d’inquiétude des agriculteurs, on peut citer l’obligation environnementale, dont la portée doit être encadrée et qui doit faire l’objet d’un vrai contrat entre les parties, avec des engagements réciproques,…
Il s’agit d’un engagement unilatéral et volontaire. Il n’y a pas de contrainte !
…mais aussi les chemins ruraux, dont le recensement ne doit pas avoir des conséquences préjudiciables pour les agriculteurs, les associations environnementales, dont le rôle doit être bien défini, sans oublier les produits phytosanitaires, dont l’utilisation doit être encadrée et non fustigée. La place qui est faite au préjudice écologique est inconséquente. Elle doit aussi être retravaillée.
La commission a repoussé les amendements relatifs au recensement des chemins ruraux alors que ce dispositif, je le répète, inquiète à juste titre les agriculteurs, qui y voient de nouvelles contraintes menaçant leurs lieux de vie et de travail. Nous considérons que seuls les chemins ruraux de randonnée doivent être pris en compte dans l’inventaire.
Sur la question sensible des néonicotinoïdes, j’ai eu la surprise de recevoir il y a quelques jours, comme vous tous, mes chers collègues, un courrier du ministre de l’agriculture nous appelant à la raison. Et la raison conduit à revenir au compromis trouvé au Sénat, compromis malheureusement démoli en commission.
Il nous faut tenir compte de l’avis de l’ANSES, publié le 7 janvier dernier,…
… alors que certains d’entre nous se fondent sur des études non scientifiques ou erronées. Comme l’écrit pertinemment le ministre, il faut savoir que l’interdiction de ces produits aurait des conséquences préjudiciables, dont l’utilisation, je le cite, « de voies alternatives qui ne présentent aucune garantie supplémentaire pour les pollinisateurs, bien au contraire ». De plus, le ministre rappelle très justement que « cette action ne peut pas se faire en créant des distorsions entre les agriculteurs français et le reste des agriculteurs européens ». Je suis heureux de voir qu’il semble prendre enfin conscience que la grave situation économique de nos agriculteurs est en grande partie due à ces distorsions de concurrence qui mettent en péril la compétitivité de la ferme France.
Approbations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Plusieurs dispositions de ce texte sont également source d’inquiétude ou d’incompréhension. La taxe sur l’huile de palme, notamment, est une disposition dogmatique qui stigmatise d’un produit.
Sourires.
Elle aurait un effet désastreux pour cette filière qui fait vivre directement ou indirectement plusieurs millions de familles en Asie et en Afrique. C’est, de plus, méconnaître les efforts réalisés depuis dix ans pour changer les pratiques culturales et éviter la déforestation, et cela aboutit à renier les engagements que notre pays a pris en signant de la déclaration d’Amsterdam.
Autre sujet d’inquiétude : l’extension des possibilités d’action des associations environnementales. Celles-ci bénéficient déjà de beaucoup de moyens de recours possibles. Leur autoriser l’action de groupe est donc malvenu. Vous exposez les acteurs économiques à une insécurité juridique permanente.
Ainsi, le texte va trop loin dans l’interdiction de la brevetabilité. Tel qu’il ressort de la commission, l’article 4 bis pourrait remettre en cause beaucoup d’innovations. Il est impératif de l’amender afin de prévoir que seuls les produits obtenus par des procédés essentiellement biologiques sont exclus de la brevetabilité.
Les missions de l’Agence française pour la biodiversité sont également une source de mécontentement. Pourquoi lui confier des compétences comme la police de l’eau, qui sont déjà exercées par les agences de l’eau ? A contrario, pourquoi lui refuser l’évaluation des dommages agricoles causés par des espèces animales protégées ? Contrairement à ce qui est allégué, cette mission n’est nullement dévolue à l’ONCFS. Il revient donc à l’Agence de l’exercer.
Oui, protégeons la diversité, mais pas aux dépens de ceux qui font vivre nos territoires ruraux et qui sont déjà dans une situation de détresse que le Gouvernement ne mesure pas assez.
Approbations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Ce texte aurait des effets dommageables sur notre pays déjà si sclérosé. La France étouffe ! Cessons de produire des textes trop interventionnistes, bavards, bourrés de contraintes et d’interdits !
Pour toutes ces raisons, ce texte doit revenir en commission afin d’y retrouver un équilibre perdu.
Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Je n’ai pas signalé dans mon intervention liminaire la présence dans l’hémicycle de Serge Grouard et de Bertrand Pancher, qui furent co-rapporteurs du texte dit « Grenelle 2 », mais je veux le faire ici car je suis de ceux qui attachent une importance toute particulière aux lois « Grenelle ».
Je voudrais également dire quelques mots à Guillaume Chevrollier en réponse à sa motion de renvoi en commission. Mon intention n’est pas de polémiquer mais de rappeler qu’en tant que président de la commission – et Serge Grouard, qui me précéda dans ces fonctions, n’agissait pas autrement –, je ne fais qu’appliquer le règlement de l’Assemblée nationale et que je ne peux pas le contourner, qu’il s’agisse du délai de dépôt des amendements ou du délai de convocation de la commission. Je veux bien entendre votre reproche lorsque vous regrettez l’insuffisance de ces délais, mais les groupes politiques de l’Assemblée ont eux aussi une responsabilité importante. Il serait bien, et je le dis souvent, que leurs présidents se mettent autour d’une table pour réfléchir à une modification du règlement qui permettrait que les travaux législatifs que nous menons se déroulent dans de meilleures conditions.
Je suis le premier à regretter que ce ne soit pas le cas,…
…mais, dans cette maison, c’est comme à Bruxelles : on ne peut modifier le règlement que s’il y a unanimité. Je m’adresse donc indirectement aux responsables et aux présidents des différents groupes pour leur demander de faire bouger ce règlement. Ils doivent savoir qu’ils me trouveront à leurs côtés.
J’en viens aux travaux de la commission. Nous avons siégé vingt-sept heures, ce qui n’est pas négligeable, au cours de neuf séances réparties sur cinq jours. Sur les 925 amendements mis en discussion, 342 ont été adoptés, soit plus d’un tiers, 181 ont été rejetés et, je le dis sans en faire le reproche à personne, 204 n’ont pas été soutenus parce que leurs auteurs n’étaient pas là. Nous pouvons aussi, les uns et les autres, dénoncer cette situation où des parlementaires déposent des amendements et ne viennent pas les défendre.
Le groupe Les Républicains, cher Guillaume Chevrollier, a déposé 397 amendements, dont 73 ont été adoptés, 24 sont tombés dans la procédure et 122 n’ont pas été soutenus. Sur les 251 amendements du groupe Les Républicains mis aux voix, 30 % ont fait l’objet d’un vote favorable. C’est, je crois, un assez bon score et cela prouve que les débats en commission ont été nourris, fructueux et, dans certains cas, conclusifs. Je ne peux que m’en féliciter.
Bref, il ne me semble pas nécessaire que nous recommencions nos travaux en commission. C’est pourquoi je suis plutôt défavorable – je dis « plutôt » car tel est mon caractère, mais vous m’avez compris ! – à cette motion de renvoi.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je suis saisie de plusieurs demandes d’explication de vote.
La parole est à Mme Viviane Le Dissez, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les propos de notre collègue Guillaume Chevrollier. Une question me taraude néanmoins : un renvoi en commission, pour quelle raison et pour quoi faire ?
Le texte que nous allons examiner a déjà fait l’objet d’une lecture dans cet hémicycle et d’une autre au Sénat. Nous avons, au cours des deux dernières semaines, passé plus de vingt-sept heures à étudier plus de neuf cents amendements – je ne reprends pas les chiffres que vient de citer le président de la commission.
Chacun a pu faire entendre sa voix et enrichir ce texte. La deuxième lecture en commission a mis en lumière plusieurs points d’importance, sur lesquels il va nous falloir trancher. Il nous faut prendre position et nous mettre sans plus attendre au travail, étant donné les nombreux amendements déposés pour la séance publique – d’ailleurs souvent identiques à ceux présentés en commission.
En matière de biodiversité, nous ne devons plus attendre. Au contraire, les mesures phares de ce texte doivent pouvoir entrer en application au plus vite.
Sur la forme tout d’abord, bien qu’il ait été considérablement enrichi, vous nous avez dit, monsieur Chevrollier, ne pas avoir eu suffisamment de temps pour étudier ce texte. Nous y avons pourtant consacré énormément de temps !
Sur le fond, vous voudriez bien préserver la biodiversité et la nature, mais sans contraintes. Je pense que c’est difficile.
Pour autant, sur le terrain, grâce à de nombreux conservatoires et parcs naturels, on réussit cette préservation, moyennant quelques contraintes, mais en cogestion avec les différents acteurs.
Je le dis, il est nécessaire et urgent de faire aboutir ce projet de loi qui est attendu par nos concitoyens et par tous les acteurs de la biodiversité, qu’ils viennent du public, du privé ou du secteur associatif, qu’ils soient chasseurs, agriculteurs, pêcheurs – et il ne faut là stigmatiser personne. Je veux ici rappeler que la précédente législature n’a vu aucune proposition ambitieuse et complète sur les questions sensibles de préservation et de valorisation de la biodiversité.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Aucun texte relatif à la biodiversité n’a été examiné depuis quarante ans.
Depuis 2014, le chemin parcouru, fait de travail, d’auditions et de débats menés au sein de notre assemblée, a donné naissance à un texte juste et équilibré. C’est ce texte responsable et mobilisateur pour les générations futures que nous allons examiner aujourd’hui.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste, républicain et citoyen rejettera cette motion de renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Le groupe Les Républicains soutient cette motion de renvoi en commission, brillamment défendue par notre collègue Guillaume Chevrollier.
Plusieurs arguments nous conduisent à vous demander le réexamen de ce texte en commission. Ce projet de loi a commencé d’être examiné en première lecture à l’Assemblée nationale le 16 mars 2015, il y a tout juste un an. Mme Royal était alors la ministre chargée du dossier, mais, une fois encore, le responsable ministériel a entre temps changé – je vous en félicite néanmoins, madame la secrétaire d’État. Le Sénat, quant à lui, dans sa grande sagesse, avait, fort heureusement d’ailleurs, modifié le texte. Et alors que ce texte issu du Sénat a lui-même été largement remodelé en commission la semaine dernière, il est vrai que nous n’avons disposé que de deux jours pour déposer nos amendements en vue de la séance publique, ce qui est un délai très court.
Je vous rejoins sur un point, monsieur le président de la commission : oui, le règlement de l’Assemblée n’est pas approprié à ce type de travaux, mais c’est précisément pour cette raison qu’il nous faut renvoyer ce texte en commission
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Vous l’avez dit vous-même, le peu de temps dont nous disposons ne nous permet pas de travailler aussi sereinement que nous le souhaiterions.
Pourtant, ce texte est lourd de conséquences. Il clive au sein même du Gouvernement et de la majorité.
J’en veux pour preuve la question d’actualité posée cet après-midi sur les néonicotinoïdes par notre collègue du groupe écologiste.
J’en veux aussi pour preuve les amendements de dernière minute déposés par le Gouvernement, amendements lourds de conséquences qui auraient mérité d’être rédigés et étudiés de façon plus approfondie.
Ce projet de loi est aussi lourd de conséquences pour toute une série de professions. Je pense bien sûr aux agriculteurs qui souffrent déjà beaucoup. Comme l’a fort bien expliqué Guillaume Chevrollier, nous n’imaginons pas la quantité de normes supplémentaires que nous allons leur imposer ! Je pense également sûr aux pêcheurs : l’amendement relatif à la pêche en eaux profondes est désastreux pour la profession, contrairement à ce qui nous a été dit en commission.
Il n’est pas totalement infondé mais c’est au niveau européen, et non pas national, que le problème doit trouver une solution. Je vous assure que cet amendement sera source de problèmes très importants.
Je pense enfin à tous ceux qui travaillent de notre environnement et pour qui nous avons largement sous-estimé les conséquences de ce projet de loi.
Pour toutes ces raisons, nous voterons cette motion de renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que le temps de parole pour les explications de vote sur les motions est de deux minutes.
La parole est à M. Paul Giacobbi, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Je serai très bref, madame la présidente. Tout ceci n’est qu’un jeu et nous pourrions nous contenter de dire « Même motif, même punition ».
Chers collègues, certaines dispositions ne vous satisfont pas, j’en conviens. Pour autant, vous pourriez convenir, vous, qu’il faut en débattre, et en séance publique plutôt qu’en commission où les travaux ont duré vingt-sept heures – dont je me suis d’ailleurs dispensé
Sourires.
Pour être bref, comme nous y a invités Mme la présidente, je dirai qu’à moins d’ériger la procrastination en vertu législative, il faut débattre. Nous allons donc débattre et c’est la raison pour laquelle mon groupe s’oppose au renvoi en commission de ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Le groupe écologiste souhaite naturellement que le débat ait lieu en séance. Je profite de mon intervention pour remercier le président Chanteguet pour ses explications.
Nous avons effectivement passé de nombreuses heures en commission sur ce texte. Le groupe écologiste a assisté à l’intégralité des travaux sur ce sujet de la préservation de la biodiversité, qui nous intéresse particulièrement. Nous avons eu l’occasion de débattre longuement de sujets que vous ne voulez pas aborder, cher collègue. Vous ne parlez que de contraintes alors que nous parlons de protection de l’environnement, de pollution, bref de sujets qui concernent nos concitoyens et sur lesquels on ne peut laisser faire.
Dans votre motion de renvoi en commission, cher collègue, vous réfutez systématiquement tous les arguments qui sous-tendent ce projet de loi. Il n’est pas possible de laisser faire. Il faut organiser, réguler et, le cas échéant, interdire quand les pratiques sont contraires à la préservation de la biodiversité.
Pourquoi préserver la biodiversité ? Parce que nous ne pouvons pas laisser aux générations futures des terres polluées, des océans raclés par le chalutage en eaux profondes.
Nous ne pouvons pas continuer à laisser perdurer toutes les formes de chasse sachant qu’un certain nombre d’entre elles portent atteinte à la biodiversité. Nous faisons face au niveau mondial à une perte de biodiversité. La France, qui a d’importantes responsabilités en la matière, en particulier dans le domaine maritime, ne peut pas continuer à laisser faire. Nous avons des responsabilités et il est essentiel que le débat se poursuive. C’est pourquoi les députés du groupe écologiste ne voteront pas cette motion de renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, les enjeux du climat et de la biodiversité sont intimement liés et ils interagissent : ils doivent donc être traités sur un même plan.
Aussi, après la COP21, la reconquête de la biodiversité est un nouveau pas pour le futur.
L’érosion de la biodiversité est un phénomène qui nous préoccupe depuis longtemps et si l’on peut regretter le long laps de temps qui s’est écoulé entre les premiers travaux de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire en juin 2014 et cette deuxième lecture, nous pouvons nous réjouir maintenant de voir le processus parlementaire proche de son aboutissement.
La disparition d’espèces végétales et animales, mais aussi l’accélération de cette disparition, sont bien le fait de l’homme et de sa responsabilité. Aussi y a-t-il urgence à agir. Ce projet de loi poursuit des objectifs ambitieux et positifs afin de mieux prendre en compte l’impact de l’activité humaine sur la biodiversité et, plus largement, sur l’environnement, à l’échelle de l’ensemble de notre planète. L’homme a un rôle à jouer dans la résistance des écosystèmes humains et naturels aux changements climatiques à venir.
Les sénateurs ont adopté à une très large majorité ce texte important. Pour autant nous reviendrons sur certains points. La Chambre haute a souscrit à la création de l’Agence française pour la biodiversité qui sera la première agence au monde en matière d’expertise, d’accompagnement et de suivi des politiques de biodiversité.
Le conseil d’administration de l’Agence intègre des représentants des collectivités territoriales, des territoires d’outre-mer, du monde scientifique et des organismes publics qui sont le plus justement représentés et reflètent dans les choix de gouvernance une volonté forte de mutualisation des pratiques et des connaissances.
En autorisant dans le projet de loi la ratification future du protocole de Nagoya, le Sénat concrétise des engagements ambitieux envers les populations, mais également envers les pays du monde ayant déjà ratifié le protocole. Celui-ci protège les communautés mais aussi le monde de la recherche avec la mise en oeuvre de procédures encadrées relevant, selon le cas, du régime de la déclaration ou de l’autorisation.
En première lecture, les sénateurs ont également introduit la notion de préjudice écologique et nous sommes en passe d’inscrire cette notion dans notre corpus législatif.
Autour de Mme la rapporteure, dont je salue l’implication, l’engagement et les convictions…
… et avec l’ensemble des députés préoccupés par cette question – je pense en particulier à Mme Batho, M. Leroy et M. Caullet, et je suis sûre que j’en oublie de nombreux autres –, nous avons mené une réflexion de fond pour aboutir à une proposition de rédaction équilibrée.
Seize ans après la catastrophe de l’Erika, la reconnaissance du préjudice écologique est une véritable avancée pour la réparation des dommages causés et plus largement pour la préservation de notre environnement. Cette rédaction va bien au-delà de la jurisprudence « Erika » en garantissant que les dommages et intérêts versés au titre du préjudice écologique soient prioritairement affectés à la réparation en nature, pour la nature, sur le site pollué ou, le cas échéant, sur un autre site.
En commission, je n’y reviens pas, nous avons examiné plus de neuf cents amendements. Ces nombreuses heures de débat ont fait apparaître des points de désaccord, mais aussi des convergences.
L’unanimité des membres de la commission du développement durable attestera sans doute que le texte reconnaît le rôle et la place de chacun dans le champ de la biodiversité, et cela en évitant toute stigmatisation. Il nous appartient d’être mobilisés et responsables dans nos choix.
Je veux aussi entendre les jeunes, qui, forts de leur conviction et de leurs propositions novatrices, sont à l’origine d’amendements citoyens visant à la préservation des semences traditionnelles en redonnant de l’autonomie aux agriculteurs face aux semenciers. Ces jeunes attendent aussi que nous prenions des décisions qui préparent une société durable.
À cet égard, je veux saluer la présence au sein du Gouvernement d’une nouvelle secrétaire d’État, Mme Barbara Pompili, dont le secrétariat d’État est exclusivement dédié à la biodiversité.
Pour conclure, je citerai Nicolas Hulot : « Je ne connais pas, disait-il, de plus bel éloge de la différence que la biodiversité : toutes les espèces vivantes y sont égales et nécessaires, parce que complémentaires ».
Notre responsabilité est grande, vis-à-vis de nos concitoyens mais surtout des générations futures : laissons maintenant sa place au travail parlementaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes tous d’accord sur ces bancs pour dire que la préservation de la biodiversité est un enjeu capital pour la survie de l’homme et celle de notre planète. Au-delà de son apport fondamental à l’environnement, la biodiversité contribue à l’économie, à l’attractivité du territoire, et elle offre une matière première essentielle pour l’innovation, notamment dans le domaine agricole.
Néanmoins, ce texte que nous travaillons depuis deux ans ne doit pas opposer nos concitoyens, car l’ensemble des acteurs économiques – les agriculteurs, les pêcheurs, les forestiers, les chasseurs – sont des acteurs majeurs de la biodiversité. Le monde agricole exaspéré, fragilisé par les crises, découragé par les contraintes toujours plus nombreuses ne doit pas non plus être la cible de ce projet de loi car les agriculteurs, notamment les éleveurs, sont indispensables pour administrer, dans la confiance et la responsabilité, la biodiversité.
Ce que nous souhaitons, c’est que ce projet de loi aboutisse à une véritable démarche partenariale et non à une écologie punitive. La préservation de la biodiversité peut ne pas être un obstacle au développement économique. C’est cet équilibre qu’il nous faut trouver.
En commission, pour cette deuxième lecture, nous avons examiné 999 amendements et 341 ont été adoptés, dont quatorze que j’ai présentés.
Ce texte tend à compléter les lois « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 », mais il risque de perdre sa force en s’éparpillant. Je pense notamment à la taxe « Nutella » créée à l’article 27 A.
Plusieurs inquiétudes persistent après l’examen en commission. J’en évoquerai quelques-unes, avant d’y revenir tout au long des débats lorsque je défendrai mes amendements.
La principale inquiétude des maires concerne l’article 51 terdecies, qui prévoit la modulation de la dotation de solidarité rurale en fonction de l’éclairage nocturne du domaine public des communes. Cette mesure, outre qu’elle n’est pas pertinente, revient à sanctionner soit les communes les plus modestes, qui ont encore des installations anciennes, soit les plus vertueuses, car la modulation s’appuie sur une diminution en pourcentage de l’éclairage, sans prendre en compte la performance initiale. J’espère donc que vous aurez la sagesse, chers collègues, d’accepter les amendements tendant à supprimer l’article.
Par ailleurs, nos agriculteurs espèrent que les obligations réelles environnementales prévues à l’article 33 constitueront un vrai contrat entre deux parties, avec des engagements réciproques. Ils soulignent également que l’interdiction du broyage des jachères et des bordures de champs est superflue, puisqu’un arrêté préfectoral dans chaque département prévoit d’ores et déjà des dates d’interdiction de broyage pour ces espaces.
Nous avons reçu ces derniers jours des centaines de mails émanant d’associations et lobbies écolos – et même un pot de miel hier ! – pour nous inciter à voter l’interdiction des néonicotinoïdes à l’article 51 quaterdecies. Pour une fois, je suis d’accord avec le ministre Stéphane Le Foll, qui s’y oppose. C’est pourquoi je défendrai un amendement prévoyant l’encadrement de leur utilisation par un arrêté ministériel, prenant en compte l’avis de l’ANSES.
La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a rendu obligatoire une compensation forestière pour les demandes d’autorisation de défrichement. Cette disposition s’applique aujourd’hui lorsqu’un agriculteur souhaite défricher pour mettre en culture. Pour remplir l’obligation de compensation forestière, le porteur de projet doit reboiser des parcelles selon un coefficient multiplicateur.
À titre d’exemple, dans mon département de la Loire, régulièrement concerné par des défrichages en vue d’implanter de la vigne, l’obligation de compensation peut aller jusqu’à cinq fois la surface défrichée, et s’y ajoute une taxe qui varie entre 2 000 et 10 000 euros par hectare. Pour un viticulteur, une telle charge est insupportable : elle le conduit à abandonner son projet.
La mesure s’applique également lorsque la terre, qui avait une vocation agricole, a été abandonnée et, de ce fait, est aujourd’hui boisée. Or, depuis plus de trente ans, en France la forêt gagne plus de 90 000 hectares par an sur l’agriculture. C’est pourquoi je défendrai à l’article 68 sexies un amendement tendant à exclure les projets agricoles du coefficient multiplicateur de reboisement comme de la taxe additionnelle.
Les agriculteurs s’inquiètent également de la disposition introduite par le Sénat à l’article 51 decies A visant à élaborer un arrêté ministériel pour encadrer la tenue des registres sur les produits phytosanitaires et à définir les données qui peuvent être exigées par l’administration, ainsi que celles qui seront rendues publiques.
Alors que le Gouvernement prône la simplification administrative et que les agriculteurs doivent déjà tenir un registre qui peut être contrôlé à tout moment par l’administration, cette mesure paraît inutilement vexatoire. Les produits phytosanitaires coûtent très cher et aucun agriculteur n’y recourt à la légère.
Rendre publiques les données serait stigmatisant et très préjudiciable pour le climat dans nos campagnes. Le sujet des produits phytosanitaires est suffisamment anxiogène. Il n’est pas nécessaire d’en rajouter. C’est pourquoi je défendrai la suppression de l’article.
N’ayant que cinq minutes, je ne peux évoquer tous les points qui posent problème.
Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles.
Si je salue la bonne intention générale qui a présidé à l’élaboration du texte, je ne peux que déplorer les contraintes nouvelles imposées aux acteurs socio-professionnels et aux porteurs de projet, alors que notre pays traverse une crise économique durable et qu’il aurait davantage besoin d’une simplification des procédures administratives et réglementaires, ainsi que d’un allégement de la fiscalité.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux d’abord souligner le bon état d’esprit qui a présidé à nos travaux en commission, ainsi que l’engagement des députés de gauche comme de droite. Même si je porte un regard plutôt critique sur le texte, il n’en demeure pas moins que nous sommes tous liés par la volonté de faire avancer cette belle cause que constitue la protection de la biodiversité.
Le projet de loi devait être, selon les mots du Président de la République, « le premier grand texte de protection de la nature depuis la loi de 1976 ». Le chemin parcouru a été si long que l’on peine à se souvenir de cette déclaration, tant elle date.
Le projet de loi a suivi un chemin semé d’embûches, puisqu’il a été présenté en conseil des ministres début 2014 et qu’il a fallu pas moins de deux années pour que nous en arrivions seulement à son examen en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Après ce qui devait être une première grande loi, celle sur la transition énergétique, dont chacun raille maintenant les graves incohérences, ce second prétendu grand texte environnemental du Gouvernement nous a définitivement convaincus que, s’il y avait une priorité du quinquennat, ce n’était, hélas, pas dans ce domaine qu’il fallait la chercher.
Le projet de loi a d’ailleurs été soutenu par trois ministres différents. Présenté par Philippe Martin, qui nous rejoindra certainement au cours de nos débats, il a été porté en première lecture par Ségolène Royal, pour être finalement défendu en deuxième lecture par Barbara Pompili, que nous avons plaisir à retrouver au banc du Gouvernement. En termes de suivi et de cohérence, on a certainement fait mieux !
Je passe sur la cacophonie permanente qui a présidé aux débats depuis la première lecture. J’ai rarement vu une rapporteure, dont je tiens à souligner la constance dans l’engagement,…
… se faire battre aussi souvent par le Gouvernement et sa majorité. Le sort de ses amendements a été pour le moins inhabituel. Il est également inquiétant qu’en deuxième lecture, le Gouvernement soit obligé de retirer ses amendements, faute d’un arbitrage ferme et définitif.
Ce texte nous laisse finalement un désagréable sentiment d’inachevé, car même s’il traite d’innombrables sujets, il reste la plupart du temps idéologique, sinon purement incantatoire.
Dès 2007, le Grenelle de l’environnement avait permis de placer la biodiversité au coeur de ses travaux, en créant l’Observatoire national de la biodiversité. La France devenait alors un pays précurseur en matière de reconquête de la biodiversité – avance précieuse car, comme aimait le rappeler Antoine de Saint-Exupéry, « nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ».
Cette avance, mes chers collègues, je crains que, dans un certain nombre de domaines, nous ne l’ayons perdue, d’une part parce que le Gouvernement a tardé à prendre ses décisions, d’autre part parce que nous nous sommes éparpillés, en légiférant sur des sujets qui n’avaient pas leur place dans le texte.
De manière générale, en élaborant ce projet de loi, le Gouvernement a manqué de méthode, notamment en opposant, souvent frontalement, tous les acteurs de la biodiversité, au lieu de les mettre autour d’une table pour discuter et réfléchir ensemble à une stratégie.
Comment ne pas être frappé par les oppositions vives, voire très vives, suscitées chez les organisations agricoles et celles qui interviennent dans le domaine de la chasse ? Les unes et les autres se sont senties régulièrement visées par certaines mesures, alors que les pratiques des agriculteurs s’améliorent régulièrement et que celles des chasseurs s’attachent à l’équilibre de notre biodiversité.
Le sujet n’est pas simple. Je n’ignore aucune des controverses – vous les connaissez tous –, mais nous n’avancerons pas sans mettre tous les acteurs de la biodiversité autour d’une même table. Nous avons le sentiment qu’à force d’avoir laissé traîner le texte en longueur, mais aussi d’avoir tenté par tous les moyens de contraindre la mise en place d’une grande agence de la nature, sans y être parvenu, on a réussi la prouesse de casser le dialogue méticuleusement construit lors du Grenelle de l’environnement. Même les milieux patronaux, pourtant aux avant-gardes de la COP21, ont haussé le ton.
Ces acteurs doivent être considérés comme un ensemble à part entière dans la protection de notre environnement. L’éternelle opposition entre le développement économique d’un pays et la préservation notamment de la biodiversité doit se résoudre par la participation de tous au nouveau modèle que nous voulons mettre en place. Il va de soi qu’il faut davantage inclure les acteurs économiques dans l’élaboration de nos politiques environnementales.
Malheureusement, ce n’est pas l’esprit qui a été choisi par le Gouvernement et sa majorité, qui ont souvent préféré tenter de passer en force, au risque de se voir reprocher d’ajouter des contraintes à des agriculteurs déjà asphyxiés par une crise sans précédent.
Vous auriez dû faire plus attention : les réformes qui ne sont pas comprises ne sont pas acceptées et, le plus souvent, elles ne peuvent pas être mises en oeuvre. Tout le monde va y perdre : les agriculteurs, les chasseurs, les entreprises, accusées à tort de s’opposer à la protection de la nature, et les organisations environnementales accusées, elles aussi à tort, de jusqu’au-boutisme.
L’examen du texte par la commission du développement durable a heureusement permis de revenir sur certains points en supprimant, par exemple, la publication des données, évidemment intéressante mais trop complexe, relatives à l’utilisation des produits phytosanitaires ou encore la nouvelle mission de l’Agence française pour la biodiversité sur ces mêmes produits.
Cependant, certains points de tension demeurent, tels que l’interdiction hâtive des néonicotinoïdes. S’il était utile, même très utile, d’ouvrir le débat à leur sujet, comme nous l’avons fait, chacun sait que leur interdiction au 1erjanvier 2017 n’est pas possible. J’ajoute que le dernier rapport de notre agence sanitaire a montré la complexité du sujet.
Le passage vers une agriculture raisonnée est plus que nécessaire, mais il ne peut se faire que progressivement et grâce à la découverte d’alternatives fiables.
Sur le sujet des néonicotinoïdes, j’ai toujours défendu l’idée d’un moratoire au niveau européen, solution retenue dans l’excellente proposition de résolution de notre collègue Germinal Peiro.
La Commission européenne ayant interdit l’utilisation de trois substances actives de la famille des néonicotinoïdes, il me semble que c’est à Bruxelles que doit revenir la décision d’une interdiction plus large, notamment si nous voulons éviter toute distorsion de concurrence. Le rôle de la France doit être non de rester dans l’ambiguïté, ce qu’on lui a souvent reproché, mais de pousser une démarche de ce type.
Cependant, en pleine crise agricole, une interdiction brutale serait un signal inacceptable pour nos agriculteurs. Elle aurait également, ce qui est un comble, des conséquences sanitaires encore plus graves si l’on traite les maladies des plantes par pulvérisation – à moins qu’on ne préfère tout interdire.
Comme preuve de la précipitation de la ministre, je citerai le courrier du ministre de l’agriculture que nous avons reçu ce matin et qui a fait la une d’un journal du soir. Dans une très longue lettre, il tient à rappeler qu’une interdiction des néonicotinoïdes serait totalement précipitée.
Sans nous focaliser sur cette question, nous ne pouvons que déplorer le manque général de préparation du texte. En deuxième lecture, nous avons souvent entendu le Gouvernement avancer que certains points n’étaient pas encore arrêtés ou encore que l’on travaillerait sur ce sujet avant la séance.
François Hollande avait annoncé ce texte lors de la Conférence environnementale de septembre 2012. À quoi servent les conférences environnementales ? Comment expliquer que le Gouvernement n’ait pas eu suffisamment de temps pour se forger un avis sur les thèmes majeurs du projet de loi ?
Nous avons ainsi eu droit à des débats particulièrement ubuesques entre le Gouvernement et sa majorité sur le préjudice écologique. Ce sujet, pour le moins délicat, aurait mérité une véritable réflexion que le Gouvernement ne semble pas avoir jugé bon de mener sur le moment, allant même jusqu’à remettre en cause le principe du pollueur-payeur. Une belle performance, pour un gouvernement qui compte maintenant trois ministres écologistes !
Pour ma part, la rédaction du Sénat, qui est bien sûr perfectible, me paraissait plutôt équilibrée. C’est pour cette raison que nous avons fait le choix, par prudence, de ne déposer aucun amendement sur ce sujet. En l’absence de certaines données, je préfère attendre l’issue des débats pour me positionner sur cette question.
Outre le préjudice écologique, l’Agence française pour la biodiversité a été le théâtre d’arbitrages de dernière minute, notamment pour l’outre-mer. Mme Royal avait posé les premiers jalons d’une stratégie de déploiement de l’AFB sur les territoires ultramarins. Le principe de la délégation territoriale avait été acté. Or, au Sénat, le Gouvernement a préféré parler d’« organismes de collaboration », niant la réalité des différents bassins ultramarins.
Ces différents exemples, loin d’être exhaustifs, montrent bien l’impréparation du Gouvernement sur un texte pourtant très attendu.
Par ailleurs, s’agissant du principe de solidarité écologique, qui devra s’appliquer aux territoires, ne risque-t-on pas de compliquer, encore et toujours, les prises de décision ? Pire, nous n’avons plus de visibilité sur le financement de cette grande agence pour la biodiversité qui va se limiter à une très petite agence pour la biodiversité liée aux milieux aquatiques.
Notre groupe se félicite tout de même de l’adoption de certaines mesures. Il en est ainsi de l’interdiction du chalutage en eaux profondes.
Je tiens à en remercier l’ensemble de mes collègues. J’espère que nous pourrons continuer à maintenir cette rédaction de bon sens. Merci, madame la rapporteure, pour votre action en ce domaine.
Le groupe UDI, dans sa grande majorité, risque de se diriger vers un vote défavorable…
…à moins, évidemment, que nous ayons d’excellentes surprises dans le cadre des débats qui vont nous occuper durant plusieurs jours et plusieurs nuits.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, je vais concentrer mon bref propos sur la création de l’Agence française pour la biodiversité. Ce projet de loi se justifie par le fait que la France est riche d’une immense biodiversité et qu’elle a besoin, dans ce domaine, d’un outil global, adapté et disposant des moyens nécessaires. Si votre projet ne peut qu’être approuvé dans son principe, la simple phrase que je viens d’énoncer souligne tout ce qu’il faudrait tout de même corriger, ou affirmer, pour que l’AFB soit à la hauteur de l’enjeu.
Notre diversité est essentiellement maritime et ultramarine. La France terrestre représente moins de 600 000 kilomètres carrés tandis que la France maritime, c’est-à-dire les espaces sous juridiction française, englobe pour sa part plus de 11 millions de kilomètres carrés. De surcroît, l’essentiel du maritime français, donc de sa biodiversité, se situe outre-mer, dans le Pacifique et l’Atlantique.
La Nouvelle-Calédonie a créé le parc naturel de la mer de Corail sur un 1 300 000 kilomètres carrés, ce qui en fait la plus grande aire maritime protégée du monde, et la Polynésie a un projet de grande ampleur de protection de la zone économique exclusive des îles Marquises. Les Antilles ne sont pas en reste quant aux initiatives et aux besoins dans ce domaine, à l’aune de la richesse de leur biodiversité. J’y insiste, car si la compétence pour établir ces protections et veiller à cette biodiversité, dans ces exemples, appartient aux gouvernements de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie, il n’en demeure pas moins que la nouvelle agence devra inscrire dans ses priorités ces grandes aires marines protégées, qui représentent à elles seules une partie prédominante de la biodiversité française.
Vous avez, dans la préfiguration du projet d’agence menée sous la direction d’Olivier Laroussinie, qui était, jusqu’à une date récente, à la tête de l’équipe de préfiguration, pris en compte les dimensions maritime et ultramarine, en proposant des comités d’orientation pour la mer et pour l’outre-mer. Il faudra évidemment que, dans le cadre de la politique menée, la dimension maritime et ultramarine de la biodiversité française – c’est-à-dire 95 % du sujet – soit prise en compte à sa juste mesure sur le plan budgétaire, sur le plan des moyens.
Par ailleurs, et on peut le regretter, l’Agence française pour la biodiversité n’est pas globale puisqu’elle n’inclut pas l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, qui dispose pourtant de moyens de surveillance qui seraient bien utiles pour garantir le respect des règles édictées. Mais surtout, cette agence ne disposera pas des moyens nécessaires. Aujourd’hui, nous constatons que l’on crée des parcs marins de plus en plus théoriques. De fait, la première génération des parcs marins, sur le modèle de celui de la mer d’Iroise, dispose de moyens d’études et d’ingénierie mais aussi de moyens d’action et de surveillance sur le terrain. La deuxième génération détient des moyens réduits d’études et d’ingénierie mais aucun moyen d’action sur le terrain ; elle se trouve généralement dépourvue de bateau, ce qui est tout de même une lacune rédhibitoire pour un parc marin. Et les parcs marins de troisième génération, qui sont en cours de création, ne disposent à ce jour ni de moyens d’ingénierie et d’études, ni de moyens de terrain, et peuvent à peine mettre en place des organes de gouvernance.
Il a été annoncé par le Gouvernement des moyens supplémentaires : 250 millions d’euros viendraient de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques – ONEMA – ou des agences de l’eau, dont on apprend soudain les richesses insoupçonnées – après toute une série de prélèvements qui les laissent tout de même, si j’ose dire, à sec – et plus de 60 millions viendraient des programmes d’avenir, dont je redoute qu’ils ne soient une version contemporaine et administrative des plans sur la comète.
Sourires.
Dans l’attente de ces moyens mirifiques, les parcs sans bateau, sans possibilité d’études et réduits à la gouvernance de comités de gestion qui n’ont pas les moyens de gérer restent pour l’heure sceptiques. Les personnels de l’Agence des aires marines protégées sont souvent dans une situation précaire et souhaitent que des perspectives soient ouvertes pour eux à l’occasion de la création de la nouvelle agence. Vous avez lancé un chantier statutaire qui, de fait, doit permettre des avancées : c’est un point tout à fait positif.
En tant que président du conseil d’administration de l’Agence des aires marines protégées, j’ai soutenu et continue à soutenir très fortement un avis favorable de ce conseil à l’égard de la nouvelle agence pour la biodiversité. Une partie des conditions posées par le conseil d’administration sont remplies, ou à tout le moins peut-on trouver dans le projet de loi des éléments qui vont dans le bon sens. En revanche, l’inquiétude est encore grande sur les moyens. Il faudra bien, au-delà des affirmations et des incantations, que des preuves tangibles soient données le plus vite possible de votre volonté, dont je ne doute pas, de faire de la biodiversité un véritable enjeu national.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Quel parcours long et tortueux pour arriver à cette deuxième lecture ! Et ce n’est pas fini, car on peut en effet douter d’une adoption conforme au Sénat. Mais une loi sur la nature est un événement important : de tels textes sont bien trop rares, le dernier remontant en effet à 1976. Dans son parcours chaotique, ce projet de loi au départ très technique s’est enrichi, grâce à l’apport des amendements parlementaires, et porte à présent des propositions fortes pour la préservation et la reconquête de la biodiversité. Il dépendra de nos votes que ces propositions, en particulier l’interdiction des pesticides ou du chalutage en eaux profondes, deviennent enfin réalité, et que cette loi puisse réellement incarner un projet ambitieux pour l’environnement.
J’ai envie de rêver à ce changement tant attendu, mais je connais la réalité des rapports de force politiques et le poids des lobbies. Dès lors, je doute fort que cette loi devienne « la » grande loi de préservation de la biodiversité. Pourtant, nos concitoyens, qui subissent tous, sans exception, les effets des pollutions diverses et variées, liées au mépris de notre modèle de développement pour la nature et les écosystèmes, attendent de nous des mesures fortes et du courage politique. De fait, la dégradation de notre environnement, l’érosion de la biodiversité s’opèrent à un rythme soutenu. Si une politique ambitieuse n’est pas menée rapidement, c’est près d’un tiers des espèces vivant sur terre qui pourraient avoir disparu d’ici la fin du siècle, et cela entièrement de la faute de l’homme.
Rien, ou quasiment rien, ne va dans le mauvais sens dans ce texte. C’est plutôt un sentiment d’inachevé qui en émane. On aurait dû, on devrait faire plus, aller plus loin. Intégrer l’Office national de la chasse et de la faune sauvage aurait par exemple utilement complété le projet de l’Agence française pour la biodiversité. Mais le lobby de la chasse, bien représenté dans cette assemblée, en a malheureusement décidé autrement.
Dans nos débats, nous avons adopté des dispositifs importants, comme l’interdiction du chalutage en eaux profondes, que j’ai déjà évoquée et qui est essentielle pour la préservation des fonds marins. Nous devons confirmer en séance cette interdiction, comme nous devons confirmer l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes. Si cette interdiction est maintenue, ce sera la mesure forte de cette loi, celle dont on se souviendra.
Il est temps d’être courageux et de ne plus laisser se répandre dans notre environnement des substances que nous savons extrêmement toxiques, qui détruisent les pollinisateurs et dont l’agriculture peut se passer.
Je reviendrai dans les débats sur d’autres sujets, comme la question des animaux sauvages dans les cirques, qui est, à mon sens, un point essentiel. On veut, avec ce projet de loi, changer la façon de concevoir notre biodiversité ; il faut donc changer notre regard sur la biodiversité et sur les animaux. La place d’un tigre n’est pas dans une cage minuscule à l’arrière d’un camion.
Je reviendrai évidemment sur l’interdiction de la chasse en période de reproduction et de la chasse à la glu. Il est tout bonnement incroyable que, par calcul politicien, certains en soient à nier l’impact de la chasse à la glu sur la biodiversité !
Il faudra parvenir à mieux border les limites de cette compensation, même si je me félicite des avancées obtenues en commission.
Concernant le préjudice écologique, les dispositions prises doivent être à la hauteur des enjeux. L’affaire de l’Erika avait permis d’élaborer une jurisprudence solide en la matière. Il est impératif que la loi garantisse un niveau d’ambition au moins équivalent à cette jurisprudence.
Une autre mesure forte de ce projet de loi doit être maintenue, à savoir la taxe sur l’huile de palme, dont nous connaissons les ravages sur la biodiversité. C’est de l’écologie concrète : il est de bon sens de taxer ou d’interdire un produit nocif pour les écosystèmes et la santé.
En conclusion, nous pourrions, avec ce projet de loi à l’origine trop technique, aboutir à un texte politique, utile et concret pour préserver et reconquérir la biodiversité, un texte qui parle à nos concitoyens, soucieux de la dégradation de leur environnement de plus en plus pollué, soucieux de leur santé, soucieux de l’état dans lequel nous allons laisser la planète aux générations futures.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture atteste qu’après des siècles d’exploitation aveugle et intensive du monde vivant, notre conscience collective nous interpelle sur l’impérieuse nécessité de nous réconcilier avec la diversité naturelle, jadis conquise avec une appétence et une barbarie outrancières. Aujourd’hui, je veux croire que nous partageons la volonté de ne plus considérer la biodiversité sous le seul angle des bénéfices qu’elle procure aux communautés humaines. Je veux croire, compte tenu de notre impuissance face à nos propres oeuvres dévastatrices sur le vivant, que ce texte répond à l’invitation à plus d’humilité que nous adresse la nature. Je veux enfin croire que ce projet de loi n’illustre pas un énième trompe-l’oeil, se bornant à polir l’image de la France au regard des objectifs d’Aichi, qui doivent être atteints à l’horizon 2020.
En outre-mer, notre priorité n’est pas que l’État remplisse ses obligations vis-à-vis des instances internationales. Cependant, l’outre-mer représentant 80 % de la biodiversité française, nous sommes les premiers impactés par l’extinction de cette biodiversité. C’est donc à notre niveau qu’il importe que ces responsabilités soient pleinement assumées.
Nos traditions ancestrales et extra-occidentales ont enraciné en nous un principe : si la terre n’appartient pas à l’homme, en revanche l’homme appartient à la terre. Nos peuples ont coutume de s’appuyer sur les savoir-faire séculaires pour préserver la matrice qui les accueille et les nourrit : il s’agit donc, pour nous, de replacer le curseur à sa place originelle.
Partant de ce postulat, nous avons régulièrement interpellé les gouvernements successifs au sujet des activités humaines prédatrices, ou relevant de la piraterie écologique, mais aussi au sujet des phénomènes naturels ou climatiques qui menacent quotidiennement la diversité terrestre et marine en outre-mer.
Sans jamais prétendre incarner des parangons de l’écologie, nous avons très tôt, peut-être trop, dénoncé les monocultures intensives, l’utilisation massive de certains produits phytosanitaires ou de pesticides par épandage aérien, les déversements industriels dans les rivières, l’urbanisation et la privatisation incontrôlées des mangroves et du littoral, la déforestation, l’exploitation sauvage des carrières ou des mines ou le non-respect des continuités écologiques.
Nous avons constamment alerté les autorités au sujet de l’introduction d’espèces menaçant nos espèces endémiques, de l’invasion de nos écosystèmes par des spécimens exogènes, du dérèglement de la chaîne alimentaire et du pillage de nos ressources végétales et animales rares.
Nous nous sommes élevés contre l’immersion de vieux navires dans nos mers, contre les essais nucléaires dans nos lagons, contre la raréfaction de nos ressources halieutiques ainsi que contre la fragilisation de nos habitats et de nos écosystèmes par le truchement de multiples vecteurs mortifères.
Nous n’avons cessé de dénoncer les dérogations illégitimes qui ont été accordées. Manifestement, en dépit du scandale du chlordécone, l’État ne donne pas le sentiment d’avoir tiré les enseignements du passé puisqu’il se met à promouvoir aujourd’hui, en Martinique, une usine à combustion bagasse-bois torréfié, alors que la France a tourné le dos à ces technologies trop polluantes.
Par le passé, nous n’avons été ni consultés, ni écoutés. Selon l’influence des contrevenants à la loi, cette dernière a été tantôt trop bavarde pour être audible, tantôt permissive à l’excès, tantôt sourde et silencieusement méprisante, et tantôt carrément aphone.
Aujourd’hui, puisque, même si ce n’est que tardivement et furtivement, on nous prête oreille, et puisque que le Premier ministre lui-même prône l’exigence, face à l’urgence écologique, nous exigeons d’être entendus. Nous revendiquons une place prépondérante dans la prise de décisions, notamment celles qui ont trait à l’accès aux ressources et au partage des avantages tirés de la biodiversité.
Nous prétendons, par le biais de notre présence au sein des agences et délégations dédiées à la préservation de la biodiversité, sécuriser, aujourd’hui et demain, les activités de ceux qui, dans nos territoires, vivent quotidiennement de l’exploitation traditionnelle, raisonnée et respectueuse de la biodiversité.
Nous exigeons notre inscription légitime, pleine et entière, au coeur des instances qui régiront notre biodiversité afin de mieux la protéger selon des schémas cohérents avec nos intérêts territoriaux.
À ces conditions, et à ces conditions seulement, vous pourrez prendre acte de notre adhésion à ce texte. Car c’est à ces conditions seulement que nous pourrons espérer peut-être démentir la prophétie du philosophe Emil Cioran : « en permettant l’homme, la nature a commis beaucoup plus qu’une erreur de calcul : un attentat contre elle-même ».
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Nous examinons, en deuxième lecture, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Lors de la première lecture, nous avions pu l’enrichir et le préciser, mais également trouver des points d’équilibre. Les travaux réalisés par nos collègues sénateurs, et ceux menés par la commission du développement durable au cours des deux dernières semaines, nous ont permis, une fois encore, de gagner en efficacité pour nous rapprocher de la réalité de notre biodiversité et des territoires qui l’abritent.
Avec l’article 18, consacré à l’accès aux ressources génétiques et au partage juste et équitable des avantages – APA – nous avons su, non sans difficultés, nous réconcilier – encore un peu plus – avec la lettre et avec l’esprit du protocole de Nagoya.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il ne suffit pas de proclamer que notre nation est immensément riche de la biodiversité de ses territoires ultramarins, ni de reconnaître, à la tribune, que la France, grâce à ses outre-mer, abrite sur plusieurs continents et dans plusieurs zones bioclimatiques un patrimoine biologique exceptionnel. Il faut que ces affirmations, ces vérités incontestables et d’ailleurs incontestées trouvent leur traduction législative et soient suivies d’effets concrets. S’agissant d’un sujet aussi vital, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité nous a offert et nous offre encore l’occasion de répondre à cet impératif.
À cet égard, je tiens à saluer ici la cohérence dont nous, parlementaires ultramarins, avons su faire preuve dans les travaux au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Grâce au soutien du Gouvernement et de Mme la rapporteure, nous sommes parvenus à améliorer ce texte afin de permettre aux territoires ultramarins de bénéficier d’une représentation plus pertinente et plus juste au sein des différentes instances de gouvernance de la biodiversité.
Ces améliorations, qui étaient indispensables à la justesse de ce projet loi, doivent à présent être préservées et consolidées et je sais, mes chers collègues, pouvoir compter sur votre soutien et votre clairvoyance pour qu’il en soit ainsi.
Nous aurons également à consolider et préciser les corrections apportées à l’article 18. Je pense notamment à la prise en compte par l’AFB, lors de la redistribution des avantages pouvant découler de l’utilisation des ressources génétiques, de la part importante de la biodiversité de nos territoires ultramarins. Nos populations et nos territoires aspirent à une croissance verte et au développement de filières locales de pointe et d’avenir en matière de recherche, d’innovation et d’utilisation durable de notre biodiversité.
Je pense également aux procédures d’information et de consultation des communautés d’habitants autochtones et locales pour l’accès aux ressources génétiques et l’utilisation des connaissances traditionnelles associées. La personne morale de droit public qui sera chargée d’organiser cette consultation, de recueillir leur consentement et d’assurer leur représentation aux différentes étapes de ces procédures se doit de détenir la légitimité indispensable à l’exercice de cette responsabilité. C’est pourquoi, avec le soutien de mes collègues Gabrielle Louis-Carabin et Éric Jalton, de Mme la rapporteure et du Gouvernement, j’ai défendu un amendement, qui a été adopté, qui vise, en Guyane – une fois le changement statutaire réalisé – à faire du Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenge cette personne morale de droit public.
Je pense, enfin, aux avantages découlant de l’utilisation des connaissances traditionnelles associées à des ressources génétiques : ils devront être affectés à des projets réalisés en concertation et avec la participation des communautés autochtones et locales concernées.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, puisque la pédagogie – et, permettez-moi de le dire, la persuasion – est l’art de la répétition, permettez-moi de redire quelques mots prononcés il y a un an dans cet hémicycle. Préserver la biodiversité, c’est préserver l’environnement dans lequel elle s’invente et se réinvente chaque jour.
Préserver la biodiversité, c’est aussi, et surtout, reconnaître les droits de ceux qui oeuvrent depuis des siècles pour sa préservation et sa valorisation. Kali’nia, Lokono, Palikur, Teko, Wayampi, Wayana : nous sommes tous unanimes à saluer l’action que ces communautés mènent pour conserver, développer et transmettre aux générations futures leurs terroirs et leurs savoirs ancestraux, qui constituent leur identité et, plus encore, l’histoire de notre humanité – notre histoire.
Ce n’est donc pas seulement la nature en soit que nous devons protéger : cela ne suffit pas. Il nous faut protéger la possibilité pour toutes les différences d’exister, là où du nouveau peut apparaître, nous surprendre, nous inspirer et nous permettre de nous améliorer.
Il s’agit d’une écologie culturelle, que nous devons considérer comme une garantie pour l’avenir et comme un capital pour nos générations futures. Madame la secrétaire d’État, votre conclusion a fait écho à cette préoccupation, et vous allez sans doute la traduire, dans ce projet de loi, en actes.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Madame la présidente, mes chers collègues, et chers collègues ultramarins qui êtes proportionnellement très nombreux dans cet hémicycle et que je salue tout particulièrement, ma remarque liminaire sur ce projet de loi a déjà été faite : c’est qu’il a été déposé exactement le 26 mars 2014 et que nous sommes, deux ans plus tard, au début de la deuxième lecture. Quelque chose, mes chers collègues, ne va plus dans nos procédures institutionnelles et administratives ! Je veux néanmoins saluer l’implication, pour ne pas dire l’abnégation, de notre rapporteure, Geneviève Gaillard, particulièrement engagée sur ce sujet essentiel, tout comme celle, bien entendu, du président Jean-Paul Chanteguet.
Je répète le constat que j’avais dressé en première lecture : nous sommes dans l’urgence et il nous faut sortir de notre aveuglement collectif pour mettre fin à ce qu’il faut bien appeler le massacre de la biodiversité sur terre. Les rapports alarmistes se succèdent, dans l’indifférence quasi-générale. Seuls s’émeuvent quelques acteurs associatifs, quelques éminents spécialistes et quelques collectivités comme la ville d’Orléans, que je me permets de citer car elle est pionnière en la matière.
Parmi beaucoup d’autres, une récente étude du WWF a révélé que la moitié de la vie marine avait disparu au cours des cinquante dernières années. La moitié !
Pour ce qui est du projet de loi lui-même, je ferai six remarques, puisque nous sommes en deuxième lecture. Premièrement, la création de l’Agence française pour la biodiversité, préfigurée lors du Grenelle de l’environnement, ne doit pas se réduire à un simple changement d’enseigne de l’ONEMA. Elle doit pouvoir disposer de ressources affectées, bénéficier d’une gouvernance efficace, engager et poursuivre un travail de fond sur l’état de notre biodiversité, faire converger les inventaires existants et créer les conditions d’un rapprochement avec l’office national de la chasse.
Elle doit avoir pour mission essentielle d’informer et de travailler en partenariat avec les acteurs de terrain, parmi lesquels bien sûr les agriculteurs et les chasseurs, mais aussi les collectivités territoriales.
Deuxièmement se pose la question du préjudice écologique. Il a déjà été consacré par la Cour de cassation. La proposition faite par Bruno Retailleau au Sénat semblait convenir. Pourquoi, dans ces conditions, qualifier ce préjudice de grave et de durable ? Que signifient ces termes sur le plan juridique ?
Une fois de plus, nous courons le risque de créer un flou qui fera l’objet de multiples recours, bref de donner naissance à une de ces usines à gaz juridico-administratives dont nous avons le secret. Ce ne serait pas la première en France. Je vois derrière ces termes se profiler des procès à répétition, pouvant durer des années, encombrant une justice déjà saturée et retardant d’autant la concrétisation de projets. Je souhaite, par conséquent, que cette qualification de grave et durable soit enterrée.
Troisièmement, il y a la question des néonicotinoïdes. Sur le fond, à la différence des fongicides, les insecticides neurotoxiques sont d’abord dangereux pour les abeilles, et ensuite porteurs d’un risque pour l’homme. Je le dis ici, et j’assume mes propos : il convient de les interdire. Et s’agissant de la méthode, qui doit porter cette interdiction ? L’ANSES a reçu cette compétence il y a deux ans. Dès lors, c’est sans doute à elle de prendre cette décision, plutôt qu’au Parlement.
Si l’on souhaite confier cette responsabilité au Parlement, il faut revoir les compétences de l’ANSES.
Dans ce domaine précis, je souhaite que soit traitée, pour aller également dans le sens de leur interdiction, une question qui l’est rarement : celle de la vente en jardinerie de ces insecticides. J’aime beaucoup les jardineries, madame la rapporteure, mais je vois encore beaucoup de ces produits dans leurs rayons.
On les qualifie d’ailleurs d’un nom charmant : phytopharmaceutiques. Mais les mots ont leur importance ! Ces produits donnent la mort et je ne vois pas ce qu’il y a de pharmaceutique là-dedans. J’en avais d’ailleurs déjà fait la remarque au moment du Grenelle de l’environnement.
Quatrièmement, l’interdiction du chalutage en eaux profondes serait un signe positif donné à l’ensemble de l’Europe au moment où un règlement européen est en gestation.
Cinquièmement, s’agissant de la question de l’alignement des arbres, il faut bien entendu protéger nos paysages. Nos alignements d’arbres ont trop souvent été massacrés par le passé, et pour de mauvaises raisons la plupart du temps. Mais la loi doit-elle s’emparer de tout ? Je pose la question. Faudra-t-il un jour demander de multiples autorisations pour couper une haie de thuyas moribonds afin de planter autre chose ? Prenons garde, l’enfer administratif est souvent pavé de bonnes intentions législatives.
Je ne fais donc qu’évoquer le sixième point : la question, évoquée au Sénat, de la publicité sur les bâches des monuments historiques. Je ne sais pas trop ce que cela a à voir avec la biodiversité.
Pour conclure, il y a dans ce texte des éléments intéressants, mais il y a des risques. Comme l’a amicalement et aimablement rappelé le président Chanteguet, j’ai eu à connaître précisément du Grenelle de l’environnement. Faisons vraiment attention à ne pas créer de nouvelles usines à gaz. Il y en a beaucoup dans ce pays.
Il y a aussi un manque : si l’on veut vraiment protéger nos paysages, si l’on veut lutter contre l’artificialisation des sols, arrêter le mitage de ce pays, il faudra réviser le code de l’urbanisme.
C’est un enjeu lourd, mais personne jusqu’à présent ne veut évoquer cette question pourtant essentielle.
Un dernier mot : nous parlons tous de biodiversité. Je préférerais que l’on parle plus simplement de respect de la vie sur terre.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Après le changement climatique, la perte de biodiversité constitue un risque environnemental, avec des conséquences sur le bien-être social, la qualité de vie, la santé, l’alimentation, les paysages et les performances économiques.
Thierry Gauquelin, expert en biodiversité, écrivait : « il ne suffit pas de dire qu’il faut protéger la nature parce que c’est beau. Il faut expliquer qu’une perte de la biodiversité est une menace pour l’humanité ».
Pour nous, la problématique est aussi de concilier développement économique et respect des écosystèmes, de concilier le soutien indispensable aux acteurs de la ruralité, agriculteurs, éleveurs et chasseurs, avec les exigences environnementales. Ils sont convaincus de la nécessité de préserver la biodiversité et y contribuent en valorisant 13 millions d’hectares de prairies. Nous devons donc reconnaître leur rôle en la matière et les ériger au rang d’acteurs, de partenaires de la biodiversité, du développement durable et de l’économie. Comment améliorer sur le long terme la concertation entre ces acteurs ?
Pour ce projet de loi, j’ai eu des échanges suivis, nombreux et fructueux avec les chasseurs de l’Aisne, les agriculteurs, les associations visant à la protection de l’environnement. C’est cet état d’esprit constructif et serein, auquel est attaché le groupe RRDP, que j’appelle de mes voeux pour nos débats. Vous avez eu raison de rappeler tout à l’heure, madame la secrétaire d’État, que ces acteurs essentiels de la biodiversité ont un droit de lisibilité s’agissant de leur avenir. Oui, il s’agit non pas de diviser mais bien de rassembler pour agir avec efficacité.
Pour cette deuxième lecture, nos amendements portent sur la reconnaissance de la biodiversité spécifique des terrains agricoles, des labours, des surfaces en herbe ou des chemins ruraux, au même niveau que pour les milieux boisés et les surfaces incultes. Ils permettent aussi de favoriser les continuités écologiques, trames vertes et bleues, en considérant non seulement que l’agriculture n’y fait pas obstacle mais aussi qu’elle en constitue l’un des rouages essentiels.
Des propositions ont été formulées par exemple sur la prise en compte des valeurs d’usage de la biodiversité et de sa valeur patrimoniale, sur les champs de compétence de l’AFB et de ses composantes régionales délocalisées, sur les parcs naturels nationaux et régionaux, sur les associations de chasse et l’intercommunalité, sur la pollution lumineuse, chère à Joël Giraud, ou encore sur la meilleure traçabilité des produits phytosanitaires.
Aujourd’hui, des questions restent posées. Par exemple, quelle association, quelle collaboration y aura-t-il entre l’ONCFS et l’AFB ? Par ailleurs, les acteurs publics locaux jouent un rôle essentiel dans la préservation de la biodiversité : le projet de loi doit donc encore préciser les déclinaisons locales de l’AFB, les stratégies régionales pour atteindre localement les objectifs. La compensation écologique est aussi un outil puissant pour réduire la perte de biodiversité : il reste à donner une consistance plus solide au concept.
Sur le préjudice écologique, les débats ont été un peu chaotiques. Nous voulons croire à cette idée. Nous avons déposé l’amendement, écrit et transmis par nos collègues, et cosigné par le président de notre commission et Mme la rapporteure. Cela dit, cet amendement pose aussi des questions juridiques qu’il faudra résoudre, notamment sur les différentes prescriptions prévues. Sa complexité pourrait générer des difficultés, comme la définition de l’atteinte « non négligeable » ou encore l’encadrement de la compensation. Peut-être pouvons-nous aboutir à une rédaction plus simple et plus efficace. En attendant, la reconnaissance dans le code civil constitue une belle avancée symbolique.
Sur les néonicotinoïdes, nous ne sommes pas tous d’accord. Pour nous, ce n’est pas les abeilles contre les céréales ou les arbres fruitiers – ce n’est pas l’un ou l’autre : c’est les deux ! C’est pourquoi notre groupe est majoritairement en phase avec les éléments contenus dans la lettre du ministre de l’agriculture.
Nous vous proposerons aussi des amendements spécifiques aux outre-mer, qui seront défendus en particulier par Ary Chalus.
L’écologie ne doit pas être punitive, il nous reste encore du travail pour déjouer le risque.
Dans tous les cas, je pense que, sur ce sujet comme sur de nombreux autres, nous pouvons trouver des compromis habiles qui transcendent les clivages partisans, et que nous avons tout à gagner à un débat serein et constructif sur ces sujets parfois un peu passionnels. C’est d’ailleurs ce qu’attendent tous nos concitoyens.
Comme l’écrivait Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry, dans l’épilogue du livre VI,« Loin d’épuiser une matière, On n’en doit prendre que la fleur ». Je souhaite que nos travaux puissent être guidés par cette morale afin de nous amener vers ces changements progressifs de paradigme, pour plus de respect pour notre planète.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chère Barbara, mes chers collègues, je dois tout d’abord vous dire que le texte que nous examinons aujourd’hui est une source de satisfaction pour les écologistes que je représente.
L’écologiste que je suis est bien évidemment sensible à la lutte contre l’érosion de la biodiversité et à la protection de nos écosystèmes. C’est le premier texte depuis près de quarante ans qui s’attaque à la protection de la nature. C’est le premier texte qui intègre réellement la question de la biodiversité, devrais-je même dire.
Je me réjouis que nous ayons la chance de réactualiser les principes qui structurent la politique française de conservation de la nature. Je me réjouis également que le Président de la République, sur recommandation du chef du Gouvernement, ait décidé de faire de la protection de la biodiversité une priorité politique en nommant une secrétaire d’État chargé de la question. Votre approche consensuelle et constructive, quelques semaines après votre nomination, madame la secrétaire d’État, est déjà une chance pour ce texte.
Je souhaiterais en premier lieu évoquer la question du préjudice écologique, qui a déchaîné les passions au-delà de nos murs et qui tend à prouver que nous mettons le doigt là où il faut avancer pour obtenir des impacts significatifs.
L’inscription dans le code civil d’un véritable régime de réparation écologique est une avancée que nous n’hésiterons pas à qualifier d’historique. Les députés écologistes réformistes, que je représente, proposent de façon conjointe, par un amendement de Mme la rapporteure, une procédure civile de réparation dont l’action est ouverte de façon étendue, la réparation se faisant prioritairement en nature, avec un délai de prescription de trente ans à compter du jour où le titulaire de l’action a pris connaissance de la manifestation du dommage environnemental.
La rédaction qui est proposée nous paraît équilibrée. Elle reflète les besoins exprimés par la pratique du droit. À l’occasion de la concertation instaurée pour décider du sort de cet article, toutes les forces vives ont été écoutées, il est important de le rappeler. Je remercie Mme la rapporteure, le président Chanteguet et madame la secrétaire d’État pour la qualité d’écoute dont ils ont fait preuve. Ils ont démontré que, par une démarche constructive, nous pouvions aller de l’avant. À nous de le traduire lors du vote dans cet hémicycle.
Je voudrais m’arrêter sur une disposition qui me paraît fondamentale, qui a été introduite par ma collègue sénatrice Aline Archimbaud et a nourri de longs débats en commission : nous allons étudier dans l’article 27 A comment étendre la fiscalité sur l’huile de palme présente dans les produits.
L’huile de palme bénéficie actuellement d’un avantage fiscal inexplicable. C’est, alors même que cette production n’est pas présente sur le territoire français, une véritable niche fiscale, ce dont ne bénéficie pas l’huile d’olive par exemple. Aucun modèle sérieux de production durable de cette huile ne semble voir le jour. Je vous exhorte donc tous à voter la disposition établissant cette fiscalité sur l’huile de palme.
Néanmoins, le taux de taxation qui avait été décidé au Sénat nous semble idéaliste, idéologique. Il aurait mis la France en contradiction avec certains engagements internationaux. Il convient d’adopter une approche réaliste, telle que celle qui a émergé lors des travaux en commission, et de voter un taux fixe de 90 euros la tonne. Je vous exhorte également à prolonger la réflexion sur l’extension d’un tel dispositif pour l’huile de palme présente dans les biocarburants.
Ce texte a été l’occasion pour les écologistes du Sénat et de l’Assemblée de réaffirmer qu’un désastre écologique et sanitaire se joue en ce moment même dans les champs en France et dans le monde, dont les responsables sont les néonicotinoïdes.
Ces pesticides engendrent un déclin extrêmement préoccupant des populations d’abeilles et, plus largement, des pollinisateurs. Ils contaminent les eaux de nos rivières et s’inscrivent dans la spirale infernale par laquelle l’industrie agrochimique se rend indispensable. On utilise des produits de plus en plus toxiques qui engendrent des parasites eux-mêmes de plus en plus résistants aux pesticides, ce qui nécessite des produits encore plus toxiques et toujours plus destructeurs pour les écosystèmes.
J’entends des arguments contre l’interdiction que nous pouvons décider aujourd’hui. Pour le groupe écologiste réformiste que je représente, pour la sauvegarde de la biodiversité sur notre territoire et pour le signal que nous devons envoyer, il n’y a aucun autre équilibre souhaitable que l’interdiction pure et simple des néonicotinoïdes. Cette interdiction pourrait être un signal extrêmement fort.
Si notre ambition est bien de reconquérir la biodiversité, alors nous devons reconquérir nos eaux, nos sols, et notre indépendance. Le groupe écologiste appelle au maintien de l’interdiction totale de ces pesticides.
La biodiversité, c’est cet équilibre qui s’est noué depuis des millénaires, un équilibre entre tous les êtres vivants, y compris l’homme. Ainsi, les collines de Provence sont équilibrées grâce à la présence modérée de l’homme. Cette présence – l’action des cultivateurs, des forestiers, des bergers mais aussi des chasseurs, pour ceux qui respectent les équilibres – assure une biodiversité unique, ancrée depuis des millénaires. Il ne s’agit donc pas de nier ce qui est scientifique pour entrer dans l’idéologie. Sachons aussi raison garder.
En l’état le groupe écologiste réformiste perçoit le texte très positivement. Nous le voterons sur la base des progrès que j’ai exprimés.
Nous étudions aujourd’hui en deuxième lecture ce qui restera comme l’un des textes les plus ambitieux de la législature 2012-2017.
Réorganiser l’action publique en matière de protection et de reconquête de notre environnement n’est pas mince affaire, et ce en dépit de l’existence d’un consensus au sein de la classe politique et de la société civile. Notre développement ne pourra en effet se réaliser sans intégrer de façon volontariste les préoccupations environnementales.
Malheureusement, comme souvent, les velléités de croissance verte se heurtent à la préservation d’intérêts privés contradictoires. Permettez donc que je regrette amèrement le travail de sabotage savamment orchestré par nos collègues sénateurs de droite. Nous avons une fois de plus manqué l’occasion de montrer aux Français que nous sommes capables de travailler en bonne intelligence et de faire ainsi primer l’intérêt général.
A contrario, je souhaite féliciter vivement mes collègues députés des outre-mer de tous bords. Leurs amendements ont permis que nos territoires soient enfin considérés par ce projet de loi, eux qui recèlent 80 % de la biodiversité française. Il faut bien avouer que nous partions de loin. À titre d’exemple, aucune représentation – aucune ! – n’était prévue pour nos territoires au sein de la nouvelle gouvernance de la biodiversité. Nous sommes parvenus, en première lecture puis en commission, à obtenir une représentation a minima de chacun de nos bassins écosystémiques.
J’espère que cette deuxième lecture nous permettra d’aller encore plus loin et de faire en sorte que les outre-mer soient présents dans chacun des collèges de l’Agence française pour la biodiversité, voire dans toutes les instances consultatives entrant dans le champ de la biodiversité. Il s’agit là d’une exigence impérieuse à l’heure où nous parlons d’équité et où le terme d’égalité réelle est sur toutes les lèvres au point de se retrouver dans l’intitulé d’un secrétariat d’État.
Il n’est pas tolérable que nos régions, qui concentrent la majorité de la biodiversité nationale sur 15 % seulement du territoire, soient les parents pauvres d’un texte d’une telle envergure. Cet affront fait aux outre-mer est d’ailleurs le témoin du mal qui a touché ces vingt dernières années l’ensemble de nos politiques publiques en matière de protection de l’environnement, à savoir l’oubli pur et simple des populations riveraines dans la gouvernance de la biodiversité.
Je tiens d’ailleurs à saluer ici l’entrée dans ce texte du terme « autochtone », jusqu’alors tabou en droit français. Nous entendons déjà des voix s’élever quant à sa constitutionnalité, mais il était temps que notre pays soit mis face à ses contradictions et que la représentation nationale débatte franchement et à visage découvert de ces peuples qui souffrent depuis trop longtemps du défaut de reconnaissance de leurs réalités et de leurs difficultés spécifiques.
Il ne suffit plus de consacrer des rapports parlementaires au drame qui se joue au coeur de la forêt amazonienne : je ne remets pas en cause leur intérêt, mais il faut aller plus loin. J’attends donc d’aborder, lorsque le moment sera venu, la question de la place des communautés d’habitants dans le régime de partage des avantages. Le Gouvernement nous donne enfin une définition claire, et je l’espère constructive, de la reconnaissance des droits des populations autochtones, en particulier des peuples premiers de Guyane. Le régime APA entériné par ce texte est particulièrement bienvenu en Guyane, où les populations locales voyaient jusqu’à présent leurs ressources génétiques et leurs savoir-faire traditionnels exploités sans aucune contrepartie, alors que les contestations en la matière se font de plus en plus fortes.
Nous devons aller jusqu’au bout du protocole de Nagoya et nous atteler à un vrai travail de pédagogie, afin que chercheurs et populations locales puissent travailler ensemble à la mise en valeur des savoirs ancestraux. En somme, nous devons mettre en place des solutions afin de ne plus nous retrouver face à des polémiques contre-productives comme celle à laquelle se trouve confronté aujourd’hui l’Institut de recherche pour le développement en Guyane. Je défendrai ainsi un amendement permettant d’envisager le cas de figure où les connaissances traditionnelles feraient l’objet de contestations du fait d’une appropriation abusive. J’espère qu’il trouvera une issue favorable.
Madame la secrétaire d’État, avec ce texte, vous avez l’occasion de faire des ultramarins non seulement de véritables acteurs de leur propre destin, mais également des constructeurs d’un pan du destin national. Si vous souhaitez réellement enclencher une nouvelle dynamique verte, il est indispensable que nous mettions en place les outils idoines afin que les populations s’en emparent. Il est impératif que nous comprenions que toute politique publique de protection environnementale est vouée à l’échec si l’on oublie qu’il est question avant tout de bassins de vie autour de la nature.
La protection de notre environnement ne peut se réduire à un enjeu de style. C’est un élément fondamental de cohésion sociale qui nécessite une véritable appropriation de la biodiversité par les populations. Cela est valable en France hexagonale comme en outre-mer. Les peuples d’outre-mer sont résolument prêts à relever le grand défi du XXIe siècle qu’est la croissance verte. Ils veulent montrer au reste de la France l’exemple du possible. Encore faut-il pour cela qu’ils soient traités avec équité, mais surtout avec respect.
Le Gouvernement a toujours pu compter sur mon soutien, en dépit parfois de tout principe de réciprocité.
Sourires.
Il l’aura une fois de plus sur ce texte, le plus important sûrement pour la Guyane, département recouvert à 97 % par la forêt amazonienne et abritant sur un sixième de son territoire près de 50 % de la biodiversité nationale. Toutefois, ce soutien sera évidemment subordonné à l’assurance que les outre-mer soient représentés de façon juste et équitable dans toute instance amenée à connaître de leur patrimoine naturel et, in fine, de leur destin.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Le charme des discussions générales réside peut-être dans l’absence relative des échanges que suppose pourtant le terme de discussion, dans la liturgie des interventions et dans un caractère général un peu trop marqué parfois. Je me concentrerai donc sur quelques éléments.
Tout d’abord, je défendrai des amendements relatifs à l’articulation de législations multiples mais intéressant toutes l’espace forestier : le code forestier, le code de l’environnement bien sûr, au titre de la biodiversité notamment, mais également le code général de la propriété des personnes publiques, le code général des impôts ou encore le code de l’urbanisme… Il faut veiller à ce que notre objectif de biodiversité s’intègre de façon cohérente à cette multitude de textes sans perturber les acteurs de terrain. En commission, sur ces sujets, nous avons été écoutés. Aussi je ne doute pas que nous parvenions à un résultat tout à fait opérationnel.
Suite à l’intervention de M. Serville, et compte tenu de l’importance des enjeux, je voudrais également insister sur la nécessité de légitimer au maximum l’Agence française pour la biodiversité. La mer, l’outre-mer, les espaces forestiers ou agricoles doivent apparaître dans les formes les plus symboliques de la gouvernance aux côtés des ministères centraux de l’environnement et de la biodiversité.
S’agissant des néonicotinoïdes qui nous occupent énormément, j’ai pu constater une large uniformité de vues sur la nécessité de parvenir à l’interdiction, ou tout au moins à l’abstention d’usage de ces produits toxiques et coûteux pour l’agriculture. Nous divergeons sur le chemin à emprunter. Je ne doute pas que nous trouvions une solution claire, mais également dynamique et réaliste, afin d’aboutir à une abstention d’usage effective, comme me le laissent penser certains échanges en cours qui rejoignent les propos de la ministre sur la recherche de la bonne solution. J’aurai l’occasion je l’espère, lors du débat, de montrer que plusieurs chemins existent et, pourquoi pas, de participer au choix qui sera celui de notre assemblée, et partant le meilleur.
Je voudrais également partager avec vous la fierté d’avoir contribué, modestement comme tout un chacun, au débat sur le préjudice écologique. C’est une vraie novation juridique. Elle aurait pu n’être qu’une complication, elle est un vrai complément. Cela n’a pas été facile. Je voudrais rendre hommage au travail de notre rapporteure et de tous les collègues qui, comme Arnaud Leroy, se sont investis sur ce sujet. Il est difficile aujourd’hui d’innover dans le droit sans donner dans la complication, dans la surabondance ou la contradiction. Pourtant, nous y parviendrons.
Pour finir, j’ai entendu beaucoup de choses sur le régime fiscal de certains produits agricoles d’origine étrangère, comme l’huile de palme. Nous avons chaque année, en projet de loi de finances, un débat fort intéressant. Au-delà de ce produit emblématique, nous devrions nous poser la question du régime fiscal des différentes matières premières d’origine agricole, supposées renouvelables mais venant de très loin, pour être sûrs qu’il est adapté au meilleur choix s’agissant de l’économie circulaire.
Il ne faudrait pas que nous exportions ailleurs des inconvénients que nous refusons chez nous, au risque de ne pas pouvoir valoriser chez nous nos propres productions parce que nous trouvons moins cher ailleurs. Si la commission du développement durable est à nouveau saisie pour avis du projet de loi de finances, monsieur le président, ce sujet serait à approfondir : quelle fiscalité de ces matières premières, chez nous et ailleurs, permettrait d’atteindre des objectifs convergents ?
Tels étaient, mes chers collègues, les quelques points sur lesquels je souhaitais appeler votre attention, en me félicitant de l’ouverture de ce débat qui, partant d’une discussion générale, va devenir un échange extrêmement nourri et particulier.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe écologiste.
Dans quelques instants nous commencerons l’examen des amendements déposés dans le cadre de la deuxième lecture du projet de loi sur la biodiversité, deux ans après son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale. Le texte qui nous est revenu, profondément modifié et enrichi au Sénat, a été de nouveau malmené en commission du développement durable et je le regrette vivement.
Je juge pour ma part extrêmement dommageable que la majorité socialiste ait jugé utile de ranimer les polémiques…
…en revenant sur l’équilibre qui avait été trouvé par le Sénat s’agissant de la reconnaissance des usages de la biodiversité, de la chasse et de l’agriculture notamment. Après deux années de navette parlementaire, il est regrettable que nous soyons incapables de nous accorder sur la définition de la biodiversité et sur la nécessité de consacrer législativement ses valeurs d’usage.
Au même titre que l’ensemble des acteurs qui participent à la protection de la biodiversité, les chasseurs demandent une reconnaissance de leur rôle et refusent d’être stigmatisés par l’adoption d’amendements anti-chasse qui n’ont clairement rien à faire dans ce texte.
Je souhaite malgré tout saluer la position du Gouvernement sur ce point. Mme Royal a ainsi affirmé en première lecture au Sénat : « Je crois qu’il faut mettre un terme aux oppositions et tensions entre les défenseurs des chasseurs et ceux de la biodiversité. Il est nécessaire de trouver un équilibre, dans le respect qui est dû à chacun. »
Aujourd’hui, je ne connais pas de meilleurs protecteurs de la nature que ceux qui la connaissent et la pratiquent, les chasseurs eux-mêmes. Je compte sur vous, madame la secrétaire d’État, pour continuer de faire respecter cet équilibre précieux, comme vous l’avez fait en commission.
Dans ce même esprit, je regrette la suppression de l’article relatif aux parcs zoologiques qui concourent à une mission de conservation de la biodiversité et d’éducation du public et à la culture de la biodiversité. Ce texte doit être l’occasion de permettre à tous les acteurs qui concourent activement à la préservation de la biodiversité d’être reconnus dans leurs missions.
Les parcs zoologiques participent à la reproduction d’animaux rares pour pouvoir les réintroduire dans leur milieu naturel et collaborent aux programmes de conservation des espèces menacées de disparition. Ils ont bien entendu toute leur place dans ce projet de loi – et je ne dis pas cela parce que j’ai la chance d’accueillir dans ma circonscription des Yvelines le parc zoologique de Thoiry !
« Ah ! » sur plusieurs bancs de l’hémicycle.
Mais il est vrai, mes chers collègues, que l’on protège mieux ce que l’on connaît. Nous ne pourrons atteindre les objectifs poursuivis dans ce texte sans le soutien actif de tous les acteurs qui concourent déjà à la préservation de la biodiversité. C’est leur intérêt autant que le nôtre. Trop longtemps, par ignorance, nous avons délaissé ces sujets. Il faut aujourd’hui faire confiance à ceux qui, chaque jour, sont confrontés aux enjeux de la biodiversité sur le terrain.
« Si seulement nous avions mis la tête sous l’eau plus tôt, pour apprécier la catastrophe écologique qui touche nos fonds marins en Méditerranée ! » Tels sont les propos que m’a tenus le regretté Albert Falco, l’ancien bras droit du commandant Cousteau. L’ignorance est la cause des plus grands maux.
Pour conclure sur l’Agence française pour la biodiversité, je dois avouer que je n’ai toujours pas perçu l’intérêt de créer une énième agence qui viendra se superposer aux institutions existantes, sans ancrage véritable dans des territoires dont nous connaissons la diversité. Où est l’effort de rationalisation de la dépense publique ? Quelles seront ses ressources nouvelles ? Aujourd’hui, ces questions demeurent sans réponse.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Je suis ravi de m’exprimer devant vous ce soir sur cette fameuse loi pour la reconquête de la biodiversité. Le mot « reconquête » est d’ailleurs important, car nous sommes dans une situation alarmante. Nous avons tous accès aux informations concernant les vagues d’extinction de la faune et de la flore. Ni notre continent ni notre pays ne sont épargnés : depuis quarante ans, nous avons perdu beaucoup d’espèces, et les députés de tous les bancs peuvent témoigner, dans les campagnes ou ailleurs, en métropole ou en outre-mer, d’un recul inquiétant de la biodiversité. Ce terme m’apparaît donc essentiel.
Deuxièmement, il ne faut pas craindre d’aborder la question de la valorisation. Organiser une valorisation économique ne revient pas à organiser une privatisation de la nature. Il s’agit d’un élément important de protection de la biodiversité.
Je fais le lien avec la crise climatique : la COP21 fut un grand succès diplomatique et médiatique, mais ce succès ne doit pas occulter le problème de la biodiversité. La crise de la biodiversité est tout aussi importante, et peut-être beaucoup plus urgente. En effet, nous avons un siècle devant nous pour essayer de changer de route et parvenir à une société décarbonée ; mais nous n’avons pas un siècle pour agir en faveur de la préservation de la biodiversité. Notre pays est le cinquième au monde en nombre d’espèces animales et végétales : nous avons donc un rôle prépondérant à jouer dans ce domaine à l’échelle internationale.
À la différence de David Douillet, je salue la création de l’Agence française pour la biodiversité. Pour une fois, on n’est pas face à un énième « machin » ! Avec cet organisme, on rationalise les outils existants, on prend en considération l’enjeu que représentent la reconquête et la protection de la biodiversité. Il faudrait dorénavant davantage articuler son action avec les grandes régions et chercher d’autres partenaires pour agir par exemple dans les parcs marins et autres zones Natura 2000, où l’application des mesures de protection doit être particulièrement suivie.
Je termine avec la question du préjudice écologique. L’amendement déposé par le groupe socialiste fait consensus auprès de l’ensemble des parties prenantes dans la société. Plutôt qu’un régime administratif, il faut opter pour un régime qui s’installe dans le code civil, venant compléter un dispositif qui date de 1804. Bouclons la boucle : après les personnes et la propriété, nous nous occupons de la nature en instaurant un régime de responsabilité environnementale. Il s’agit d’une évolution importante et je suis ravi qu’elle intervienne dans le cadre de ce texte. Nous nous sommes longuement demandé si cela devait ou non faire l’objet d’un texte autonome. Nous avons aujourd’hui la possibilité de créer ce régime rapidement dans le cadre du présent projet de loi, il ne faut pas la négliger. Il faudra faire de la pédagogie pour bien expliquer l’utilité de la disposition et son articulation avec les régimes existants, mais le droit français se dote là d’un outil très important.
Madame la secrétaire d’État, bon courage pour faire vivre cette loi, notamment à travers ses décrets d’application. Vous pourrez compter sur tout mon soutien et sur ma vigilance parfois critique pour arriver, d’ici la fin de ce quinquennat, à une entrée en vigueur active et progressive de ce beau texte.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La quasi-totalité des écosystèmes terrestres ont été transformés de façon considérable par les activités humaines. Si la disparition d’espèces fait partie du cours naturel de l’histoire de la terre, le rythme de ces extinctions est aujourd’hui cent fois supérieur au rythme naturel. Or les services fournis par les écosystèmes aujourd’hui menacés doivent impérativement être conservés, voire restaurés.
Pour être préservée et exploitée durablement, la biodiversité doit faire partie intégrante de la gestion des systèmes de production tels que l’agriculture, la pêche, la sylviculture et l’urbanisation. La clé du succès d’une politique de restauration et de maintien de la biodiversité réside certainement dans cette inclusion, cette synergie entre toutes les parties prenantes.
Elle réside aussi dans le respect des pratiques ancestrales locales, fondées sur l’observation de la nature qui dans bien des cas fournit elle-même les solutions d’adaptation. En somme, une politique ambitieuse de protection et de restauration de la biodiversité doit avoir une base scientifique forte, s’appuyer sur l’expérience locale et être totalement inclusive.
« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il n’est pas inclusif, ne prend pas en compte les préconisations des scientifiques et souffre d’un manque d’ambition.
Si votre ambition avait été à la mesure des enjeux du sujet, vous auriez provoqué un grand débat public – Dieu sait qu’on en aurait eu largement le temps ! – suscitant une véritable mobilisation nationale. Mieux, vous auriez pu choisir une voie encore plus ambitieuse, qui consiste à intégrer à l’ensemble des politiques publiques des chapitres liés à la biodiversité : par exemple, dans la loi sur la transition énergétique, dans les différents textes concernant le logement, dans les lois qui ont eu un impact sur l’aménagement du territoire comme la loi NOTRe… Nous aurions pu ainsi déterminer la valeur que nous acceptons d’accorder à la préservation de la biodiversité, et l’usage que nous souhaitons en faire.
Loin de cette démarche, votre ambition a été principalement, dans un texte réellement fourre-tout, de créer une agence aux compétences floues, aux moyens quasi inexistants…
…et qui consacre surtout une vision pyramidale, au mépris de l’intelligence locale, loin des préconisations du Grenelle. En outre, cette future agence, si elle prévoit la fusion d’acteurs existants, ne voit pas son périmètre d’intervention suffisamment précisé, suscitant déjà des inquiétudes au sein d’organismes tels que les agences de l’eau, dont l’expertise risque d’être remise en cause.
Par ailleurs, votre texte ne tire pas de leçons des différentes préconisations des scientifiques ; bien plus, il les ignore. À titre d’exemple, les avis pertinents du Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité – CSPNB –, que vous avez pourtant relancé, ont été ignorés, notamment ceux qui proposent de ne pas opposer l’homme et la nature
« Très bien ! » sur les bancs du groupe Les Républicains
mais de prendre exemple sur cette dernière pour exploiter les solutions d’adaptation qu’elle nous propose, et d’associer les scientifiques à chacune des prises de décision publiques ayant un impact sur un écosystème.
Avec une telle approche, chacun aurait mieux compris que la biodiversité n’est pas un problème, mais au contraire une solution. En effet, les réponses inspirées de phénomènes naturels représentent aujourd’hui autant d’opportunités d’innovation, par exemple lorsqu’on prend exemple sur l’adaptation naturelle au changement climatique ou sur la gestion écosystémique aussi bien en agriculture qu’en halieutique.
Ignorer les avis du CSPNB est d’ailleurs une habitude dans votre ministère. Vous l’avez déjà fait en autorisant l’abattage de loups, en dépit des propositions différentes du Conseil et au mépris de la convention de Berne. Un animal pourtant emblématique, en matière de biodiversité !
Un autre exemple de préconisation sage du Conseil qui n’a pas été retenue par le texte est celui de la compensation par l’offre, que vous sacralisez alors qu’elle n’a, à ce jour, fait l’objet d’aucune évaluation et qu’aucun suivi formel n’est accessible au public en France. En somme, en ne s’appuyant pas suffisamment sur l’expertise scientifique et en ne raisonnant ni globalement ni scientifiquement, vous continuez à courir le risque d’opposer biodiversité et développement économique.
L’expérience locale n’est pas davantage prise en considération. On peut citer l’exemple de la solution choisie pour préserver le grand hamster en Alsace : dans cette expérimentation locale, la participation des agriculteurs dès le début de la prise de décision a permis de restaurer la population de cet animal, et cela uniquement grâce à la collaboration des acteurs locaux.
En 2014, le CSPNB préconisait déjà de ne jamais séparer des sujets aussi imbriqués que ceux qui concernent la transition énergétique, écologique et économique. Votre texte fourre-tout ne fait confiance à personne, pas plus à la nature qu’à l’homme !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Madame la secrétaire d’État, votre texte n’est pas fourre-tout : il doit seulement combler un vide de quarante ans, la dernière loi-cadre de protection de la nature datant de 1976. C’est un texte très important, par lequel la France donne un exemple exceptionnel puisqu’elle légifère sur la biodiversité tout en consacrant un secrétariat d’État à la biodiversité. C’est à saluer.
Je ne sais pas si c’est le hasard ou la nécessité – référence à la pensée de Jacques Monod – qui a conduit à un délai de deux ans pour l’examen de ce texte. Ce qui est sûr, c’est qu’à chaque fois qu’un texte est présenté à l’Assemblée nationale, c’est toujours avec perplexité qu’on constate que l’outre-mer est relégué à l’arrière-garde de la réflexion, et que pendant ces deux années, nous avons pu ensemble corriger une injustice. En effet, alors qu’on se complaît à préciser que 80 % de la biodiversité française se trouve dans l’outre-mer, la première mouture du projet de loi ne contenait absolument aucune disposition concernant ces territoires. Je voudrais remercier Mme Ségolène Royal, la rapporteure et le président Chanteguet pour avoir su, petit à petit, trouver le rythme et proposer des avancées importantes pour l’outre-mer.
Je veux saluer sept initiatives. La première concerne la composition du Comité national de la biodiversité, avec la présence appréciée des pays d’outre-mer. Deuxième avancée : la mise en place de comités régionaux de la biodiversité pour chaque département et région d’outre-mer. La troisième est l’appui à la préservation de la continuité écologique transfrontalière et aux actions de coopération régionale entre la France et les États voisins des pays d’outre-mer.
Ensuite, il faut mentionner le dispositif d’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. Un débat important a porté sur la notion de communauté d’habitants, et plus particulièrement sur les retombées liées aux pratiques traditionnelles. Je salue le consensus autour de l’idée que les dispositions relatives aux retombées de l’utilisation des ressources génétiques doivent aussi être applicables dans l’outre-mer. Au-delà de la notion de communauté autochtone – celle-ci n’existe pas en Martinique ou en Guadeloupe, mais existe en Guyane – les savoir-faire locaux restent très importants pour la production et l’usage de médicaments.
Très important aussi : la création d’une délégation de l’Agence pour la biodiversité, sa composition et ses retombées. C’était un élément capital dans chaque bassin maritime transfrontalier au départ, et nous sommes allés plus loin puisque vous avez accepté le principe d’une installation dans chaque département d’outre-mer. Nous aurons un débat sur cette question car si ce principe a été contesté sur le plan juridique, nous considérons qu’il faut absolument le maintenir.
Nous sommes conscients que la portée de ce texte excède l’outre-mer, mais le travail de fond réalisé en commission, bien loin des déclamations de la séance publique, a permis d’approuver une trentaine d’amendements au profit de ces territoires, déposés par l’ensemble des parlementaires d’outre-mer. Nous venons d’un pays qui a été traumatisé par les pollutions de toute nature, à commencer par le chlordécone. Mais aujourd’hui, les prises de conscience collectives locales nous permettent d’aller très loin dans tous les domaines, y compris dans celui de la banane durable. Elles nous donnent surtout la possibilité de travailler sur la transition énergétique. J’espère qu’on ne confondra plus charbon et biomasse, comme tout à l’heure : une usine de biomasse produit quatre fois moins de CO2 qu’une usine de charbon ! L’usine de Trinité, qui fonctionnait au charbon et a été transformée en usine de biomasse, suit la logique développée par l’État, contrairement à ce que j’ai entendu. Ce dernier a en effet lancé un appel à projets pour la construction d’usines de biomasse en France et dans l’outre-mer, afin d’améliorer notre mix énergétique.
Je terminerai en saluant deux initiatives. La première concerne la question de l’entente à trouver sur la réparation du préjudice écologique. C’est une question importante. Je voterai, pour ma part, les dispositions qui y sont liées, car je considère que le principe du pollueur-payeur, qui permet la création d’un vrai régime de responsabilité civile, est essentiel.
Deuxièmement, je considère que la pêche en eaux profondes est un problème mondial : il faut donc absolument que ce texte l’interdise. Un amendement allant dans ce sens a déjà été reconnu au Sénat. Il faut que nous l’adoptions.
Pour conclure, madame la secrétaire d’État, je considère que ce projet de loi nous permet d’ouvrir de nouvelles perspectives. Il est tout de même incroyable que des peuples, des pays qui étaient attachés à leurs traditions, à leurs richesses biologiques, à leur biodiversité, soient devenus progressivement distants et même étrangers à leurs propres richesses. Or cette ouverture, cet ancrage local – dans mon pays, la Martinique, mais aussi dans l’ensemble de l’outre-mer – pourrait nous permettre d’ouvrir un nouvel espace de réactivité, de savoir, de connaissance, mais surtout de valorisation de nos richesses.
Le poète Aimé Césaire me disait : « Cherche dans la nature, tu trouveras. » C’est peut-être là que nous trouverons de nouveaux moyens pour la croissance économique de nos pays.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.
La parole est à M. Jean Lassalle, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, je suis désolé d’arriver en retard : c’est l’avion... Je n’ai pas pu écouter les autres orateurs, et je ne sais donc pas qui est pour ou contre ce texte. Mon avis à moi est assez particulier, fondé sur des années de souffrances liées à cette problématique.
Tout d’abord, je me réjouis du rétablissement en commission de l’interdiction des insecticides de la famille des néonicotinoïdes, ce qui permettra certainement – si vous arrivez à aller jusqu’au bout, ce qui n’est pas gagné – de sauver nos abeilles. J’espère que cette mesure sera définitivement adoptée.
Avant de donner mon avis sur le texte pris dans sa globalité, je dois vous assurer, madame la secrétaire d’État, que je n’ai rien contre vous, ni contre personne : j’ai déjà soutenu sous d’autres gouvernements les arguments que je vais présenter maintenant. Mais s’il existait encore un doute sur le caractère mercantile que l’on a conféré, depuis une trentaine d’années, à la nature, ce texte a le mérite de le lever : la nature figure désormais clairement au rang des marchandises.
Il est encore plus regrettable que ce soient des ONG censées défendre la nature, le WWF et la Fondation Nicolas Hulot, qui assurent la promotion de ce texte, et ainsi la financiarisation de l’environnement. Il est vrai que le WWF est certainement le plus grand racketteur de la nature de tous les temps, fondé par ce personnage si sympathique, ce Sud-Africain d’origine hollandaise qui s’est rendu propriétaire du plus puissant consortium de cigarettes du monde – y ajoutant quelques adjuvants, comme si le goudron et la nicotine ne suffisaient pas, pour créer l’accoutumance nécessaire – en même temps qu’il était un des fondateurs de l’apartheid. Peut-être vous souvenez-vous de l’échange que j’ai eu avec le directeur général du WWF France à ce sujet. Cet échange a été enregistré. J’ai même vu que la vidéo figure dans le fonds de l’Institut national de l’audiovisuel.
Quant à Nicolas Hulot… Lui, alors, il nous aura tout fait ! Je le connais, nous avons le même âge et nous avons roulé ensemble à bord de la caravane de France Inter pour aller à Saint-Jacques-de-Compostelle. J’ai compris, une fois pour toutes, qu’il est lui, que je suis moi…
…et que nous ne nous ressemblerons jamais, car il est prêt à faire de l’argent sur n’importe quoi tandis que je suis prêt à en dépenser pour n’importe quoi, à condition que cela protège ce que j’ai de plus précieux : ma terre, celle de mes aïeux et de mes enfants.
Il n’est pas très étonnant au fond que ces deux organisations aient donné leur blanc-seing. Une fois de plus, elles auront tout trahi.
Ce projet de loi instaure, sans ambages, un permis de détruire la nature, avec la généralisation d’un système de compensation financière, et le développement de banques d’actifs naturels, tout ceci sous l’égide d’un mastodonte : l’Agence française pour la biodiversité, qui aura le monopole de l’environnement. Avec tout le respect que je porte à cette institution à venir, le nom d’Agence financière de la biodiversité lui conviendrait mieux.
En outre, ce texte est l’occasion de ratifier sans débat le protocole de Nagoya, qui légalise la biopiraterie.
À ce sujet, j’ai une pensée émue pour nos compatriotes d’outre-mer, et ressens un certain malaise, car en ratifiant le protocole de Nagoya, le projet de loi bafoue les droits des populations autochtones qui vivent dans ces territoires. Ces communautés, bien que reconnues juridiquement, sont désormais considérées comme des incapables, au sens juridique du terme. J’ai du reste été outré par les propos néocolonialistes tenus par le directeur de l’Institut de recherche pour le développement, et j’espère pouvoir le lui dire en face.
Enfin, ce texte n’hésite pas à transgresser le partage des compétences entre l’État, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, pour assurer la cohérence des nouvelles catégories juridiques que sont les « communautés d’habitants » et les « savoirs traditionnels ». Ce dispositif métropolitain ne prend surtout pas en compte les réalités territoriales, environnementales, géographiques et surtout culturelles des territoires ultramarins.
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Tout d’abord, je remercie tous les orateurs et toutes les oratrices qui se sont succédé : ils ont montré leur intérêt pour ce projet de loi. Ils ont montré qu’au-delà des divergences d’appréciations, tout le monde cherche à apporter sa pierre à l’édifice. Cet édifice, il me paraît très important de le construire ensemble.
En effet, et contrairement à ce que j’ai pu entendre, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes s’agissant de la biodiversité. Toutes les mesures possibles n’ont pas été prises pour améliorer la situation de la biodiversité. Les chiffres en témoignent : je tiens à les rappeler ici, dans cet hémicycle. Un millier d’espèces menacées au niveau mondial sont présentes en France. En métropole, 9 % des mammifères, 19 % des reptiles, 21 % des amphibiens, 27 % des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition ; en outre-mer, à la Réunion, un tiers des oiseaux, 14 % des papillons de jour, 33 % des poissons d’eau douce ; en Guadeloupe, un tiers des oiseaux nicheurs ; à Mayotte, une espèce sur deux de la flore. Je pourrais continuer longtemps, malheureusement, d’égrener ces chiffres.
Nous ne pouvons donc pas rester dans la situation actuelle, nous devons agir. Pour cela, nous avons besoin de ce projet de loi. Certains l’ont déjà dit : il a été déjà été considérablement enrichi, ne serait-ce que d’un strict point de vue numérique – de soixante-douze articles, il est passé à plus de cent soixante-dix. Il a aussi été enrichi par les apports de tous ceux qui entendent améliorer la situation actuelle.
Vous êtes nombreux à avoir évoqué un certain nombre de débats dans lesquels je n’entrerai pas maintenant, car ils auront lieu en leur temps : les néonicotinoïdes, la pêche en eaux profondes, divers aspects relatifs à la chasse…
Je rappelle que ce projet de loi n’est pas un projet de loi sur la chasse, ni sur l’agriculture, ni sur la pêche.
Ce projet de loi n’est anti-personne ! On ne peut pas le réduire à une juxtaposition de mesures et d’acteurs. Nous devons tous y participer. Toutes les personnes qui sont des « utilisateurs de la nature » sont concernées, et doivent apporter leur contribution.
Je ne monterai pas, pour ma part, les professions les unes contre les autres, ni certaines organisations contre certaines associations. Je crois que tout le monde a sa place, et que tout le monde doit jouer son rôle. Cela doit aussi avoir lieu sur le terrain, ce qui n’est pas toujours le cas : nous devons donc être vigilants pour que cela se passe bien sur le terrain.
Les députés de circonscriptions d’outre-mer sont ici très nombreux : c’est bien naturel, puisque l’outre-mer représente 80 % de la biodiversité française. C’est très important. Je me reconnais tout à fait dans le travail accompli au fil des lectures de ce texte pour améliorer la représentation des outre-mer dans les différents organismes de protection de la biodiversité, et pour leur ménager une marge de manoeuvre dans le travail qu’ils accompliront avec l’Agence française pour la biodiversité.
Il est important de préserver ce qui a été fait en outre-mer, d’autant que ces territoires ont été confrontés à un certain nombre de problèmes écologiques bien avant la métropole. La prise de conscience y a ainsi été plus précoce, il faut le souligner. Nous pourrions donc prendre modèle, ici, sur certaines décisions prises outre-mer. Je serai très attentive à préserver le travail qui a été accompli dans le cadre de ce projet de loi pour associer les outre-mer – je m’en ferai même la gardienne.
Je serai attentive également à éviter que certaines dispositions introduites dans le texte ne mettent en péril l’édifice que nous avons élevé ensemble. Je défendrai peut-être certains amendements en ce sens, nous en discuterons plus tard.
J’ai entendu opposer l’agriculture, la chasse, les entreprises à l’environnement. Je n’y reviens pas, l’erreur est évidente : nous avons montré à plusieurs reprises, et nous allons le dire à nouveau, que la protection de la biodiversité est l’opportunité d’un développement économique fort pour notre pays. Elle permettra de créer des emplois, de créer de la richesse et de l’intelligence. Ce qu’attendent les entreprises, c’est un cadre juridique clair, pour savoir où elles peuvent aller et où elles ne peuvent pas aller, afin d’avancer. Ce qui est vrai de l’agriculture est vrai des entreprises et de l’activité économique en général : il faut de la visibilité. Les acteurs doivent savoir où l’on va afin de pouvoir se projeter, afin de pouvoir investir. C’est ce que nous entendons faire par ce projet de loi.
Vous avez évoqué aussi la question du préjudice écologique. Les entreprises ne doivent pas s’en inquiéter, au contraire. Il existe aujourd’hui un cadre juridique, mais il est jurisprudentiel. Par ce texte, il sera fixé dans la loi. En effet, la jurisprudence évolue : avec ce texte, il y aura un cadre législatif clair. Nous sommes arrivés à un compromis, et j’en remercie Mme la rapporteure et M. le président de la commission du développement durable, qui ont accompli un immense travail. C’est toujours le compromis qui permet d’avancer. Celui-ci me semble être une très bonne base de travail, sur laquelle vous serez très rapidement amenés à vous prononcer.
Plusieurs députés ont souligné l’importance – ou non… – de l’Agence française pour la biodiversité. On ne peut pas dire que cette agence ne sera qu’un nouveau machin, ni qu’elle ne fera que se superposer à d’autres établissements existants ! Au contraire, l’AFB regroupera l’ONEMA, l’agence des aires marines protégées, les parcs nationaux de France et l’atelier technique des espaces naturels. Nous voulons vraiment améliorer la coordination entre tous les acteurs de la biodiversité, et faire oeuvre de rationalisation. Il faut que ces acteurs, notamment les collectivités, aient un interlocuteur à qui s’adresser.
Tout cela demande du temps, car il faudra concilier des cultures qui n’avaient pas complètement l’habitude de travailler ensemble : cela demandera beaucoup d’écoute, beaucoup de discussions. Je suis là pour cela, et je rencontrerai très bientôt les représentants de ces différents organismes – je les ai déjà vus, mais pas assez longuement – pour construire ensemble cette nouvelle organisation, qui ne doit pas s’imposer par le haut, je suis complètement d’accord avec vous sur ce point.
Je n’irai pas plus loin. De très belles phrases ont été citées à propos de la préservation de la biodiversité : elles doivent nous guider. La phrase d’Aimé Césaire qu’a citée Serge Letchimy est magnifique. J’ai également beaucoup aimé la citation selon laquelle, en protégeant la biodiversité, nous protégeons la vie sur terre. C’est ce bel objectif que nous devons suivre. J’ai hâte de vous retrouver tout à l’heure pour entrer dans le vif du sujet.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly