Intervention de Barbara Pompili

Séance en hémicycle du 15 mars 2016 à 15h00
Biodiversité — Présentation

Barbara Pompili, secrétaire d’état chargée de la biodiversité :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi tout d’abord d’excuser Ségolène Royal, qui, dans le cadre de la présidence de la COP21, effectue actuellement un déplacement en Afrique pour y développer les énergies renouvelables. Elle était hier en République démocratique du Congo, pour traiter de la protection des forêts et de l’énergie hydraulique, ce matin au Gabon et cet après-midi au Nigeria.

Il est peu de textes de loi dont la deuxième lecture s’apparente presque à une première ; or c’est assurément le cas de celui-ci, dont votre assemblée entame aujourd’hui, pour la deuxième fois, l’examen en séance publique. C’est là un signe de la qualité du travail législatif effectué par le Parlement, le texte étant sorti, à chaque étape de son examen parlementaire, enrichi, complété et précisé. Ce fut notamment le cas, ces deux dernières semaines, lors des travaux de votre commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Je veux remercier ici, au début de mon propos, le président Chanteguet et votre rapporteure, Geneviève Gaillard, ainsi que tous les députés qui ont, avec beaucoup de conviction et un grand sens de l’écoute, contribué à dégager les grands équilibres de l’édifice législatif sur lequel nous allons passer les trois prochains jours.

Cet engagement des uns et des autres est à mon sens le meilleur gage de la qualité finale d’un texte qui porte de belles ambitions : protéger et valoriser nos richesses naturelles ; faire de la préservation de la biodiversité un objectif porteur d’opportunités pour vivre en meilleure harmonie avec la nature, tout en permettant de nouvelles conquêtes scientifiques et technologiques ; développer, enfin, de nouvelles activités économiques pour notre pays.

Face aux défis de ce texte préparé par Philippe Martin, puis élaboré et défendu par Ségolène Royal et présenté par mes soins aujourd’hui, trois mots me semblent devoir guider nos débats, inspirer notre coopération et qualifier l’état d’esprit qui permettra de concrétiser une belle avancée de notre droit : humilité, ambition et confiance.

L’humilité, l’ampleur des objectifs qui sont les nôtres nous y contraint : il s’agit de contribuer à arrêter une course absurde de l’homme contre lui-même, une course qui lui impose de tenter de préserver la biodiversité tout en continuant, par ses activités, à la détruire dans des proportions incompatibles avec sa régénération. Cette logique absurde n’est pas seulement assimilable à la peine de Sisyphe : elle est surtout suicidaire, parce que chaque parcelle de biodiversité perdue demande, pour être rétablie par compensation, des efforts autrement plus difficiles à engager que la prévention des atteintes à la biodiversité dans le cahier des charges de chacun de nos projets et dans chacun de nos actes.

On conçoit bien qu’un texte de loi, aussi complet soit-il, ne suffira pas pour atteindre un tel objectif. Mais chacune des mesures que vous vous apprêtez à débattre, chacun des articles que vous vous apprêtez à adopter – après les avoir éventuellement amendés –, doivent converger dans ce sens : tout faire pour éviter les atteintes à la biodiversité, pour les réduire au maximum, et mettre en oeuvre des logiques de compensation crédibles et efficaces en toute dernière instance, à défaut d’autre solution ; c’est là un principe fondamental que vous vous apprêtez à inscrire dans notre droit.

Chacun conçoit la responsabilité majeure qui est la nôtre dans cette lutte pour la conservation de la biodiversité. La France, notamment grâce à ses territoires d’outre-mer, abrite un patrimoine considérable. Sur le territoire national se jouent des enjeux essentiels parce que nous sommes comptables de la préservation d’un espace maritime majeur – le deuxième du monde après celui des États-Unis – et de zones naturelles uniques, et parce que les paysages, la faune, la flore constituent, pour un pays qui tire du tourisme tant d’activités et d’emplois, et de la qualité de vie la force de ses habitants, un enjeu à proprement parler existentiel.

Ces enjeux, dont votre assemblée est comptable dans les jours à venir, dépassent nos personnes, nos titres et nos positionnements politiques : c’est pourquoi ils doivent nous inciter à un dialogue et à un respect permanents. Ce sera en tout cas l’attitude à laquelle je m’astreindrai au nom du Gouvernement.

À l’humilité face aux enjeux s’en ajoute en effet une autre : l’humilité face à la réalité de notre droit. Ce projet de loi s’inscrit dans une histoire législative : la loi de 1976 sur la protection de la nature et celle de 1993 sur les paysages, présentée – déjà – par Ségolène Royal, notamment, ont doté notre pays d’un arsenal législatif qu’il convient aujourd’hui de compléter. Il faut le faire pour répondre à l’urgence de défis mieux identifiés et de risques mieux établis, pour intégrer totalement les grands principes développés par la communauté internationale et pour adopter les obligations juridiques internationales auxquelles notre pays a souscrit, en particulier la convention sur la diversité biologique.

Cette loi sera une étape, que nous espérons tous décisive. Ce ne sera pas non plus la dernière : nous devrons tous avoir cette idée en tête, je le crois, dès lors que nous serons amenés à des compromis qui permettent d’agir et d’avancer, quitte à ne pas voir nos convictions respectives intégralement gravées dans la loi : c’est la définition même du réformisme, lequel est, après tout, la manière la plus démocratique et la plus pacifique d’avancer vers un idéal.

Le Gouvernement souhaite que le présent texte, une fois adopté, traduise un équilibre large ; je souhaite qu’il permette à notre pays d’aller le plus loin possible dans les réponses à la perte de biodiversité et dans le soutien à une économie verte et bleue créatrice d’emplois. En même temps, je sais qu’il ne clora pas tous les débats et qu’il ne tranchera pas tout. Sans doute sortirons-nous de ces débats avec la satisfaction de mesures adoptées, mais aussi une frustration sur des questions laissées en suspens : c’est le propre de toute oeuvre législative.

Ce réalisme n’est pas seulement un signe d’humilité, c’est aussi une forme d’ambition. Je le dis en tant qu’écologiste, mais je sais que cette conviction est partagée sur beaucoup de bancs de votre assemblée : deux des enjeux principaux auxquels le monde est confronté sont la lutte pour le climat et la réponse aux menaces qui pèsent sur la biodiversité. Et sur ces deux questions, par ailleurs intimement liées, du climat et de la biodiversité, le monde a accompli un chemin déterminant dans la prise de conscience collective, et des avancées ont été obtenues, qu’il s’agit désormais de concrétiser.

2015 a été l’année des grandes avancées sur la question du climat. Je pense bien entendu à l’accord enregistré lors de la Conférence de Paris, en décembre dernier, ainsi qu’à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, que Ségolène Royal a présentée et défendue et que votre assemblée a adoptée.

Ainsi que je l’ai dit en commission, de la même manière que 2015 fut l’année des grandes décisions sur le climat, 2016 doit être celle des avancées majeures sur la biodiversité. Il y aura, au plan international, la Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique, dite COP13, au Mexique, à la fin de cette année. Et, au plan national, nous avons, vous avez l’opportunité de concrétiser rapidement ce projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Ce projet de loi est à la fois réaliste et ambitieux. Il apporte des réponses concrètes aux cinq principaux facteurs de perte de biodiversité : l’artificialisation des terres et le risque de disparition d’habitats indispensables à la préservation de certaines espèces ; la surexploitation des ressources, qui ne permet plus la régénération naturelle ; les pollutions ; l’apparition d’espèces exotiques invasives ; les dérèglements climatiques. Chacun de ces facteurs est traité dans le texte qui vous est proposé, de manière pragmatique, avec une posture qui n’est pas uniquement défensive, si j’ose dire, et qui se veut aussi volontariste.

Cette loi est en effet avant tout une loi de mobilisation : elle vise à fournir à tous les acteurs un cadre clair et des règles simplifiées. C’est aussi une loi d’urgence : si son élaboration a été marquée par un processus indispensable de consultation d’ONG, de travail parlementaire, de réflexions qui en font la richesse, il faut désormais concrétiser ses ambitions et agir avec efficacité et rapidité.

La première traduction opérationnelle essentielle de ce projet de loi sera la création d’un outil d’expertise et de pilotage unique, l’Agence française pour la biodiversité ; l’AFB. Celle-ci fera converger des compétences majeures jusqu’ici incarnées par des organismes complémentaires ; elles s’enrichiront mutuellement pour répondre mieux encore aux besoins d’aujourd’hui.

J’évoquais voilà quelques instants le pragmatisme. Pour faciliter la naissance de l’AFB, Ségolène Royal a décidé d’anticiper le vote de la loi et d’entamer une démarche de préfiguration afin de permettre à chaque partie prenante de mieux identifier les enjeux et de mieux exprimer ses attentes. J’ai participé voilà quelques jours avec la ministre à la réunion des conseils d’administration des organismes qui composeront la future agence. Je me rendrai dans les prochaines semaines à la rencontre des personnels de chacun d’entre eux. Sans préjuger des arbitrages que vous serez amenés à faire par vos votes, nous devons en effet dès à présent assurer à l’AFB l’adhésion de celles et ceux qui en constitueront le principal capital, c’est-à-dire les femmes et les hommes qui y travailleront.

Cette agence sera au centre de nombreux partenariats. Certains organismes ont vocation à la rejoindre. Elle sera également au service des territoires. Ce sera d’ailleurs une des missions centrales de mon action que de faciliter le dialogue, que de favoriser le contact entre les collectivités et l’agence pour que ces synergies voient le jour. Préservation de la biodiversité et décentralisation doivent aller de pair, et c’est une condition de la réussite de notre ambition commune.

Nous n’allons pas seulement doter notre pays de nouveaux outils pour préserver la biodiversité. Nous allons, au travers de ce texte, réformer profondément la gouvernance de la biodiversité en France, en permettant l’évolution des comités régionaux « trames verte et bleue » vers des comités régionaux de la biodiversité, en simplifiant les instances administratives nationales pour les rendre plus lisibles et plus efficaces, notamment au travers d’une instance sociétale, le Comité national de la biodiversité, et d’une instance unique d’expertise, le Comité national de la protection de la nature, dont l’existence sera, grâce à ce texte, consacrée au niveau législatif.

Comme nous y a incités un amendement adopté au Sénat, vous aurez également l’occasion d’inscrire dans la loi le préjudice écologique, qui n’était défini jusqu’à présent que par la jurisprudence. Je ne reviendrai pas ici sur les interrogations nées d’un amendement malheureux, car sujet à interprétations, que le Gouvernement a retiré afin de lever toute ambiguïté. Je veux juste me féliciter du sens des responsabilités dont ont fait preuve les responsables d’ONG environnementales que j’ai pu rencontrer, et saluer le travail constructif réalisé avec la majorité, sous la responsabilité de votre rapporteure. Je ne doute pas que vous parviendrez à préciser et à affiner les conditions de ce principe fondamental qu’est le préjudice écologique.

Vous vous apprêtez, mesdames, messieurs les députés, à autoriser la ratification du protocole de Nagoya à l’issue de l’adoption du projet de loi : cela concrétisera un engagement international pris en 2010 par notre pays. Grâce à vous, la France se donnera ainsi les moyens d’innover sans piller. Si une société exploite une molécule issue de la recherche sur des plantes, des animaux, des bactéries et que son exploitation lui permet de développer un marché commercial, elle devra partager avec ceux qui ont contribué à préserver les ressources génétiques une partie des avantages qu’elle en tirera. C’est un retour juste et plus équitable qui permettra d’éviter la biopiraterie. C’est aussi la condition d’une recherche scientifique vivifiée et d’une compétitivité de nos opérateurs économiques, qui bénéficieront d’un cadre d’action clair, d’une sécurité juridique pour leur développement dans des conditions assurant une valorisation partagée de notre biodiversité. Les communautés d’habitants et les filières locales, notamment, pourront bénéficier du partage des avantages.

Comme je vous le disais au début de ce propos, la séquence qui consiste à éviter les atteintes à l’environnement, à défaut à en réduire la portée, et, dans le pire des cas, à compenser les atteintes qui n’auront pu être évitées et réduites, sera inscrite dans le code de l’environnement. Vous reviendrez au cours de vos débats sur le système de compensation. Chacun mesure à quel point il est essentiel que le texte que vous adopterez le conforte. C’est une condition à la fois de notre capacité à atteindre les objectifs que nous nous fixons en matière de biodiversité et à établir une relation de confiance avec les populations, qui bien souvent doutent de l’efficacité de ces compensations.

Vous vous apprêtez à interdire le brevetage des gènes natifs. Cela lèvera le frein à l’innovation provoqué par la multiplication des dépôts de brevets sur le vivant et la concentration croissante des détenteurs de ces brevets. Je sais que des inquiétudes se font jour au sein de certaines associations qui agissent pour des échanges de semences facilités et souhaitent que l’esprit de certaines mesures adoptées au Sénat à la suite d’un exercice de démocratie participative de grande ampleur soit conservé dans le texte qui sortira de vos travaux. Là encore, je sais pouvoir compter sur votre détermination pour répondre à ces interpellations tout en garantissant un dispositif sécurisé juridiquement et du point de vue sanitaire.

Afin de limiter les effets négatifs des pesticides de la famille des néonicotinoïdes sur les abeilles et autres pollinisateurs, et à la suite des conclusions de l’étude de l’ANSES – l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail –, saisie sur ce sujet par Ségolène Royal, Stéphane Le Foll et Marisol Touraine, le Sénat avait introduit un encadrement de l’utilisation de ces pesticides, en le renvoyant à un arrêté ministériel. En commission, votre assemblée a souhaité aller plus loin. Je veux rappeler que, pour sa part, le Gouvernement a lancé en 2015 un plan national d’actions, « France, terre de pollinisateurs ». Ma détermination ainsi que celle de Ségolène Royal sont absolues pour mener à bien les changements qui permettront de lutter contre la surmortalité des abeilles et pour préserver la santé des personnes exposées aux substances mises en cause.

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