… se faire battre aussi souvent par le Gouvernement et sa majorité. Le sort de ses amendements a été pour le moins inhabituel. Il est également inquiétant qu’en deuxième lecture, le Gouvernement soit obligé de retirer ses amendements, faute d’un arbitrage ferme et définitif.
Ce texte nous laisse finalement un désagréable sentiment d’inachevé, car même s’il traite d’innombrables sujets, il reste la plupart du temps idéologique, sinon purement incantatoire.
Dès 2007, le Grenelle de l’environnement avait permis de placer la biodiversité au coeur de ses travaux, en créant l’Observatoire national de la biodiversité. La France devenait alors un pays précurseur en matière de reconquête de la biodiversité – avance précieuse car, comme aimait le rappeler Antoine de Saint-Exupéry, « nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ».
Cette avance, mes chers collègues, je crains que, dans un certain nombre de domaines, nous ne l’ayons perdue, d’une part parce que le Gouvernement a tardé à prendre ses décisions, d’autre part parce que nous nous sommes éparpillés, en légiférant sur des sujets qui n’avaient pas leur place dans le texte.
De manière générale, en élaborant ce projet de loi, le Gouvernement a manqué de méthode, notamment en opposant, souvent frontalement, tous les acteurs de la biodiversité, au lieu de les mettre autour d’une table pour discuter et réfléchir ensemble à une stratégie.
Comment ne pas être frappé par les oppositions vives, voire très vives, suscitées chez les organisations agricoles et celles qui interviennent dans le domaine de la chasse ? Les unes et les autres se sont senties régulièrement visées par certaines mesures, alors que les pratiques des agriculteurs s’améliorent régulièrement et que celles des chasseurs s’attachent à l’équilibre de notre biodiversité.
Le sujet n’est pas simple. Je n’ignore aucune des controverses – vous les connaissez tous –, mais nous n’avancerons pas sans mettre tous les acteurs de la biodiversité autour d’une même table. Nous avons le sentiment qu’à force d’avoir laissé traîner le texte en longueur, mais aussi d’avoir tenté par tous les moyens de contraindre la mise en place d’une grande agence de la nature, sans y être parvenu, on a réussi la prouesse de casser le dialogue méticuleusement construit lors du Grenelle de l’environnement. Même les milieux patronaux, pourtant aux avant-gardes de la COP21, ont haussé le ton.
Ces acteurs doivent être considérés comme un ensemble à part entière dans la protection de notre environnement. L’éternelle opposition entre le développement économique d’un pays et la préservation notamment de la biodiversité doit se résoudre par la participation de tous au nouveau modèle que nous voulons mettre en place. Il va de soi qu’il faut davantage inclure les acteurs économiques dans l’élaboration de nos politiques environnementales.
Malheureusement, ce n’est pas l’esprit qui a été choisi par le Gouvernement et sa majorité, qui ont souvent préféré tenter de passer en force, au risque de se voir reprocher d’ajouter des contraintes à des agriculteurs déjà asphyxiés par une crise sans précédent.
Vous auriez dû faire plus attention : les réformes qui ne sont pas comprises ne sont pas acceptées et, le plus souvent, elles ne peuvent pas être mises en oeuvre. Tout le monde va y perdre : les agriculteurs, les chasseurs, les entreprises, accusées à tort de s’opposer à la protection de la nature, et les organisations environnementales accusées, elles aussi à tort, de jusqu’au-boutisme.
L’examen du texte par la commission du développement durable a heureusement permis de revenir sur certains points en supprimant, par exemple, la publication des données, évidemment intéressante mais trop complexe, relatives à l’utilisation des produits phytosanitaires ou encore la nouvelle mission de l’Agence française pour la biodiversité sur ces mêmes produits.
Cependant, certains points de tension demeurent, tels que l’interdiction hâtive des néonicotinoïdes. S’il était utile, même très utile, d’ouvrir le débat à leur sujet, comme nous l’avons fait, chacun sait que leur interdiction au 1erjanvier 2017 n’est pas possible. J’ajoute que le dernier rapport de notre agence sanitaire a montré la complexité du sujet.
Le passage vers une agriculture raisonnée est plus que nécessaire, mais il ne peut se faire que progressivement et grâce à la découverte d’alternatives fiables.
Sur le sujet des néonicotinoïdes, j’ai toujours défendu l’idée d’un moratoire au niveau européen, solution retenue dans l’excellente proposition de résolution de notre collègue Germinal Peiro.
La Commission européenne ayant interdit l’utilisation de trois substances actives de la famille des néonicotinoïdes, il me semble que c’est à Bruxelles que doit revenir la décision d’une interdiction plus large, notamment si nous voulons éviter toute distorsion de concurrence. Le rôle de la France doit être non de rester dans l’ambiguïté, ce qu’on lui a souvent reproché, mais de pousser une démarche de ce type.
Cependant, en pleine crise agricole, une interdiction brutale serait un signal inacceptable pour nos agriculteurs. Elle aurait également, ce qui est un comble, des conséquences sanitaires encore plus graves si l’on traite les maladies des plantes par pulvérisation – à moins qu’on ne préfère tout interdire.
Comme preuve de la précipitation de la ministre, je citerai le courrier du ministre de l’agriculture que nous avons reçu ce matin et qui a fait la une d’un journal du soir. Dans une très longue lettre, il tient à rappeler qu’une interdiction des néonicotinoïdes serait totalement précipitée.
Sans nous focaliser sur cette question, nous ne pouvons que déplorer le manque général de préparation du texte. En deuxième lecture, nous avons souvent entendu le Gouvernement avancer que certains points n’étaient pas encore arrêtés ou encore que l’on travaillerait sur ce sujet avant la séance.
François Hollande avait annoncé ce texte lors de la Conférence environnementale de septembre 2012. À quoi servent les conférences environnementales ? Comment expliquer que le Gouvernement n’ait pas eu suffisamment de temps pour se forger un avis sur les thèmes majeurs du projet de loi ?
Nous avons ainsi eu droit à des débats particulièrement ubuesques entre le Gouvernement et sa majorité sur le préjudice écologique. Ce sujet, pour le moins délicat, aurait mérité une véritable réflexion que le Gouvernement ne semble pas avoir jugé bon de mener sur le moment, allant même jusqu’à remettre en cause le principe du pollueur-payeur. Une belle performance, pour un gouvernement qui compte maintenant trois ministres écologistes !
Pour ma part, la rédaction du Sénat, qui est bien sûr perfectible, me paraissait plutôt équilibrée. C’est pour cette raison que nous avons fait le choix, par prudence, de ne déposer aucun amendement sur ce sujet. En l’absence de certaines données, je préfère attendre l’issue des débats pour me positionner sur cette question.
Outre le préjudice écologique, l’Agence française pour la biodiversité a été le théâtre d’arbitrages de dernière minute, notamment pour l’outre-mer. Mme Royal avait posé les premiers jalons d’une stratégie de déploiement de l’AFB sur les territoires ultramarins. Le principe de la délégation territoriale avait été acté. Or, au Sénat, le Gouvernement a préféré parler d’« organismes de collaboration », niant la réalité des différents bassins ultramarins.
Ces différents exemples, loin d’être exhaustifs, montrent bien l’impréparation du Gouvernement sur un texte pourtant très attendu.
Par ailleurs, s’agissant du principe de solidarité écologique, qui devra s’appliquer aux territoires, ne risque-t-on pas de compliquer, encore et toujours, les prises de décision ? Pire, nous n’avons plus de visibilité sur le financement de cette grande agence pour la biodiversité qui va se limiter à une très petite agence pour la biodiversité liée aux milieux aquatiques.
Notre groupe se félicite tout de même de l’adoption de certaines mesures. Il en est ainsi de l’interdiction du chalutage en eaux profondes.