Intervention de Xavier Chatel de Brancion

Réunion du 2 février 2016 à 16h15
Mission d'information sur les moyens de daech

Xavier Chatel de Brancion, sous-directeur égypte-Levant au ministère des affaires étrangères et du développement international :

En effet, tirer sur un camion conduit par un civil peut constituer un crime de guerre. Les Américains ont donc adopté la méthode israélienne du « knock on the roof » : les avions survolent un camion, lâchent un tract et tirent au bout de quarante-cinq minutes.

Le régime syrien ressemble à la phalange depuis un certain temps. Les branches dissidentes ont été progressivement coupées. Bachar el-Assad a fait tuer Rustum Ghazaleh et Rafik Shehadeh, et Assef Chaoukat, Hassan Turkmani, le chef d'état-major des armées, et le ministre de la défense ont trouvé la mort dans un attentat perpétré le 18 juillet 2012. Au début du conflit, certains membres du régime, tentés par la négociation avec l'étranger, ont été supprimés dans ce qui a ressemblé à une “Nuit des longs couteaux”. De même, ceux qui s'opposaient au cordon ombilical avec l'Iran ont également été éliminés.

Le communiqué de Genève de 2012 fixe comme objectif l'établissement d'un organe de transition choisi par consensus et comprenant des membres du régime et de l'opposition. Nous avons travaillé sur les personnes pouvant faire partie de ce processus, mais la publication de leur nom les condamnerait à un assassinat rapide.

Plus que la défense d'intérêts matériels comme le port de Tartous ou les contrats d'armement, la Russie cherche avant tout à affirmer une posture internationale et sa place sur la scène mondiale. En outre, le président Poutine rejette violemment et instinctivement la notion de changement de régime. Les Russes n'accepteront de solution que si celle-ci revêt l'apparence d'un processus légal.

Des forces centrifuges s'expriment en Syrie. Ainsi, les Kurdes veulent marcher vers l'autonomie et avoir leur gouvernement à l'intérieur de la Syrie – le Parti de l'union démocratique (PYD) ne parle pas d'indépendance. Dans le Sud-Ouest du pays, aux frontières avec la Jordanie et Israël, l'avenir des druzes pose question. L'Iran semble souhaiter le maintien d'un État croupion regroupant une majorité des alaouites, des minorités, et les sunnites des villes de la côte. Dans un tel État, le poids des alaouites et des minorités se trouverait renforcé, et les acteurs armés et formés par l'Iran – Forces de Défense Nationale et différentes milices alouites, chiites ou autres – offriraient à ce pays le même rôle qu'au Liban, celui de primus inter pares. L'Iran pourrait alors assurer le contrôle politique du pays et la protection de ses intérêts. Les Russes, comme les pays participants au groupe de Vienne, ont toujours défendu l'intégrité territoriale de la Syrie. Néanmoins, la territorialisation du conflit est très nette dans les faits et évolue avec les lignes de front : le pays se trouve partagé entre un ensemble kurde, une partie contrôlée par le régime, une zone sous la coupe de Daech et un espace au milieu.

La mort d'al-Baghdadi aurait un effet psychologique important car elle représenterait une défaite de Daech, mouvement à l'idéologie stricte et dont le dirigeant se prétend calife. Néanmoins, certains groupes syriens ont survécu à la disparition de leur chef et d'autres non. Ainsi, le groupe Liwa al-Tawhid ne s'est pas remis du décès au combat en 2013 d'Abdul Qader Saleh ; au contraire, Hassan Aboud, dirigeant du groupe Ahrar al-Sham, a été tué avec quarante-sept des principaux membres de l'organisation dans un attentat en 2014, mais ce mouvement, radical, salafiste et non djihadiste, continue d'être l'un des principaux acteurs militaires du pays. Une frappe russo-syrienne a tué le leader de Jaysh al-Islam, Zahran Allouche, en décembre dernier ; un successeur a été nommé et le mouvement semble tenir pour l'instant.

J'ai en effet un peu forcé le trait en décrivant le conflit syrien comme une opposition entre les alaouites et les sunnites. Parmi ces derniers, certains soutiennent le régime, quand des alaouites veulent sa perte. De nombreux alaouites se sont en effet rapidement sentis piégés car, dès les années 1970, Hafez el-Assad avait emprisonné certains de leurs grands leaders spirituels qu'il voyait comme une menace pour sa légitimité. Les Alaouites font face à un choix impossible : soit se désolidariser du régime et être assassiné, soit rester solidaire du gouvernement et faire face à l'opprobre d'une grande majorité de la population syrienne et aux risques de représailles si le régime finissait par s'effondrer.

Monsieur Myard, vous avez dit que le régime n'avait pas bombardé Raqqa par égard pour les populations civiles. Si le régime syrien se préoccupait de la vie des civils, cela constituerait un renversement complet de sa politique !

Même les Russes reconnaissent qu'une opposition modérée existe en Syrie, et ils coopèrent d'ailleurs avec l'Armée syrienne libre. Le Front du Sud reçoit, quant à lui, le soutien des Jordaniens. Les groupes composant cette opposition sont très divers, certains étant radicaux et d'autres non.

La coalition syrienne qui s'est réunie à Riyad, rassemble 116 personnes représentant une quinzaine de groupes armés et différents mouvements de la société syrienne – présents en Syrie ou réfugiés à l'extérieur, laïques ou religieux, ayant un objet social ou politique. Elle a envoyé une quinzaine de négociateurs à Genève, dont cinq membres de la société civile, cinq autres appartenant à des mouvements politiques, cinq combattants de groupes armés du Front Nord et du Front Sud.

Il est vrai que Bachar el-Assad a fait preuve d'une certaine résilience, mais l'Iran, le Hezbollah et la Russie l'ont sauvé en 2012 ; de même, l'intervention massive des Russes depuis la fin de l'année 2015 lui a à nouveau permis d'échapper à la chute. La Russie s'est engagée en Syrie l'année dernière à la suite du déplacement de Qasem Soleimani à Moscou, car le régime se trouvait au bord du gouffre. Certains acteurs ont mené une action extrêmement violente sur le terrain, qui a permis, dans une certaine mesure, de rebattre les cartes.

Nous ne pouvons pas nous substituer aux Syriens, mais les membres de l'opposition, les familles des 300 000 morts et des centaines de milliers de prisonniers, les habitants de villes détruites comme Homs, Hama et une litanie d'autres cités, l'ensemble de la population qui a assisté à la destruction de son pays pour l'ambition d'une petite clique veulent le changement, et on peut les comprendre.

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