Intervention de Didier Chabert

Réunion du 2 février 2016 à 16h15
Mission d'information sur les moyens de daech

Didier Chabert, sous-directeur Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international :

Les organisations humanitaires possèdent souvent un caractère religieux dans la région ; elles recueillent la zakât et constituent souvent la couverture utilisée par des personnes privées pour financer Daech. L'Arabie saoudite s'est dotée le 30 janvier 2014 une loi sur le terrorisme qui a rendu obligatoire pour tout Saoudien de déclarer le moindre don effectué à l'étranger au titre de la zakât ; le texte vise à empêcher que ces transferts d'argent bénéficient aux terroristes. Au-delà de l'Arabie saoudite, les pays du Golfe se sont engagés dans l'adoption de ce type de mesures.

Le trafic d'antiquités s'avère très structuré ; Daech délivre des permis de fouilles payants sur les sites archéologiques que des trafiquants utilisent pour leur commerce d'oeuvres d'art. Outre le financement de Daech, cette pratique induit une perte de mémoire, d'identité et de patrimoine, car une pièce archéologique non documentée dans le cadre de fouilles scientifiques n'apporte plus rien à la connaissance de l'Histoire du monde et affaiblit la mémoire de l'humanité. La communauté internationale a tenté de réagir à ce pillage par la résolution 2199 du Conseil de sécurité de l'Organisation des nations unies (ONU), qui pose l'obligation pour les États de prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre le trafic d'antiquités. Dans le cadre de la mise en oeuvre par notre pays de cette résolution, les Douanes françaises ont déployé un dispositif de renforcement de la surveillance de toutes les importations de biens culturels en provenance de cette région, mais également d'autres pays. L'Organisation des nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) a élaboré, sur proposition française, un projet de sauvegarde d'urgence du patrimoine culturel syrien et irakien, financé par l'Union européenne (UE) à hauteur de 2,5 millions d'euros.

Une conférence internationale de haut niveau s'est tenue en décembre 2014 sur le patrimoine culturel en péril en Irak et en Syrie ; financée par le Koweït, cette réunion montre que les pays de la région ne se désintéressent pas de cet aspect du conflit, qui touche à leur mémoire régionale et à leur histoire. La contrebande d'oeuvres d'art et d'antiquités est un phénomène important sur lequel vous avez raison d'insister, monsieur le rapporteur. La France s'implique fortement dans ce dossier et entraîne la communauté internationale à apporter des réponses à ce trafic.

La visite du président Hassan Rohani en France la semaine dernière montre que les choses sont en train de changer depuis l'accord sur le nucléaire du 14 juillet 2015. Il faut accomplir des gestes pour traduire ce nouvel état d'esprit, cet accord ouvrant la possibilité d'une réintégration de l'Iran dans la communauté internationale en tant que puissance responsable et positive. L'Iran mettra un peu de temps à comprendre qu'il lui faut assumer ce rôle.

À tort ou à raison, les pays du Golfe ne comprennent pas l'implication de l'Iran dans la crise au Yémen qu'ils perçoivent comme une agression incompréhensible dans un pays où la République islamique n'a pas d'intérêts directs. Des responsables émiriens et saoudiens conçoivent que l'Iran ait des intérêts en Syrie, que ceux-ci soient divergents des leurs et que la résolution des désaccords doive prendre du temps, mais, s'agissant de la politique iranienne au Yémen, ils disent qu'« enough is enough ». M. Ali Akbar Velayati, conseiller diplomatique du guide suprême iranien Ali Khamenei, a déclaré que l'Iran contrôlait dorénavant quatre capitales arabes – Damas, Beyrouth, Bagdad et Sanaa : on ne peut pas faire davantage pour alimenter la paranoïa des pays du Golfe ! Que des chiites perses affirment dominer quatre capitales arabes dont deux, Damas et Bagdad, furent le siège du califat, ne contribue évidemment pas à apaiser les tensions dans un contexte complexe et clivé par le conflit syrien et la guerre en Irak. Voilà pourquoi des gestes d'apaisement des deux côtés seront nécessaires.

Nous avons de bonnes relations avec les Saoudiens et le ministre s'est rendu en Arabie saoudite le 19 janvier dernier où il a délivré des messages d'apaisement, qui ont également été transmis aux Iraniens lors de la visite du président Rohani. L'Iran aurait grand intérêt à apparaître comme un acteur constructif sur la scène internationale. Malgré ces invitations, les deux grands acteurs sur les deux rives du Golfe, l'Arabie saoudite et l'Iran, n'ont pas encore enclenché le mouvement de désescalade, mais ils vont devoir se parler avant de peut-être un jour s'apprécier. On se trouve aujourd'hui très loin de ce moment.

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