Ces choix nous mettent en porte-à-faux avec les opinions arabes en retirant à la France sa position originale dans la crise orientale. Avec ses choix et ses guerres, la France est devenue une cible prioritaire pour les fanatiques en mal de crimes odieux. Renier ce constat, c’est se priver de trouver une solution durable au problème et ne rajouter que de la guerre à la guerre.
Tout en étant conscients que la disparition de Daech ne pourra être effective sans solution politique et diplomatique, les députés du Front de gauche ne rejettent pas par principe toute intervention militaire, dans des cadres bien définis et sous mandat de l’ONU. S’agissant en revanche de l’opportunité de l’emploi de forces armées sur le territoire national, je souhaiterais alerter sur les dangers que l’opération Sentinelle fait peser sur les militaires eux-mêmes. Sentinelle, c’est une mission de défense opérationnelle du territoire, DOT, en opposition totale avec la doctrine d’emploi de la projection des forces, qui a justifié la création de l’armée de métier. Ce dispositif est lourd de conséquences sur les formations et sur les compétences techniques et opérationnelles correspondant au coeur de métier de l’armée. Des troupes de montagne, de cavalerie, du génie ou de parachutistes se retrouvent aujourd’hui à déambuler dans les grandes villes.
Selon le rapport présenté par le Gouvernement, « la posture de protection terrestre repose sur un ensemble de savoir-faire et de compétences détenus par l’armée de terre et utilisés pour les opérations extérieures comme pour les opérations intérieures. » Les formations doivent toutefois être adaptées : intervenir en OPEX et sécuriser de grands lieux publics comme les gares, ce n’est pas la même chose. La vie familiale des soldats est également affectée par la suppression régulière des permissions et des absences récurrentes du domicile, qui éprouvent le moral des troupes et de leurs familles. Nos soldats étant gagnés par la lassitude et logés dans des conditions parfois précaires, l’épuisement à venir risque d’être préjudiciable à la capacité opérationnelle de nos hommes.
De plus, si la « forte visibilité des militaires frappe autant l’opinion publique que l’adversaire » par les uniformes et les armes de guerres portés, cette visibilité en fait également des cibles potentielles pour les terroristes, sans que l’efficacité de l’opération dans la lutte antiterroriste soit prouvée.
Quant à la réserve dite d’emploi, que je qualifierai de réserve « Manpower », nous la jugeons inadaptée aux missions de défense opérationnelle du territoire. Les unités de réserve de régiment professionnel ne sont pas mobilisables dans les faits. Leurs effectifs sont d’ailleurs dérisoires. Actuellement, ce sont à peine 260 réservistes qui sont mobilisés sur le terrain. Le bataillon de réserve d’Île-de-France, dont l’effectif est faible, n’a jamais pu être activé, alors qu’il avait été précisément conçu pour répondre à ce type de menace. Les causes sont connues. Le statut du réserviste ne garantit aucune réelle protection en matière de sécurité d’emploi. Il faut, monsieur le ministre, avant toute réforme, assurer la sécurité professionnelle du réserviste et améliorer notoirement sa couverture sociale. Les réservistes doivent bénéficier d’une meilleure reconnaissance de la nation. Les conditions de l’obtention de la retraite IRCANTEC doivent être simplifiées et connues de tous les réservistes opérationnels.
Employer les forces armées pour protéger le territoire national et la population de manière durable, c’est céder à une surenchère sécuritaire inefficace et dangereuse pour nos soldats. Cela ne peut perdurer. Ce qui doit primer, c’est le pacte social et de solidarité, seul à même de panser les plaies de la République et de nous protéger. Alors que l’armée patrouille depuis plus d’un an sur le territoire national à la suite du lancement de l’opération Sentinelle, reconnaissez, reconnaissons que le bilan est mitigé. Cette opération n’a pas pu empêcher les attentats de novembre, car la menace terroriste est aujourd’hui diffuse et sporadique, et peut surgir à tout moment.