Intervention de Pascal Terrasse

Réunion du 18 février 2016 à 11h00
Mission d'information relative au paritarisme

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Terrasse, député de l'Ardèche, auteur du rapport sur l'économie collaborative remis au Premier ministre le 8 février :

Chers collègues, je vous remercie de m'avoir convié à participer à vos travaux sur le paritarisme, notamment sur l'impact que peut avoir sur celui-ci cette nouvelle économie dite « économie collaborative ».

Dans le rapport que j'ai remis au Premier ministre, nous avons essayé de définir ce que n'est pas ou ne peut pas être l'économie collaborative. Selon nous, elle ne peut pas être l'« uberisation » de la société, c'est-à-dire, du point de vue des détracteurs de celle-ci, une économie low cost qui va tirer notre modèle social, les qualifications et les prestations vers le bas. Encore qu'il existe des défenseurs de l'uberisation, qui mettent en avant le fait qu'Uber offre un service plus adapté que les taxis traditionnels, en mettant notamment à la disposition du client un véhicule de meilleure qualité. Ainsi, selon que l'on se place dans un champ ou dans un autre, on peut voir l'uberisation comme une évolution qui tire l'économie vers le haut ou vers le bas.

Pour notre part, nous considérons que l'économie collaborative existait bien avant Uber. En réalité, elle n'a pas amené de prestations ou de biens nouveaux : elle correspond à une massification de services, d'activités, d'usages ou de dispositifs préexistants ; elle consiste à les rendre accessibles au plus grand nombre. Par exemple, lorsque j'étais jeune, je faisais de l'auto-stop ; aujourd'hui, ma fille recourt à BlaBlaCar. De même, auparavant, on pouvait mettre sa maison en location grâce à une petite annonce publiée dans un journal ; désormais, on le fait en utilisant Airbnb. Et ainsi de suite.

Pour certains, l'économie collaborative est avant tout un terme de marketing, de même que l'économie verte – green economy – ou l'économie au service des personnes âgées – silver economy –, concepts sympathiques en soi, mais derrière lesquels il n'y aurait pas grand-chose.

Quoi qu'il en soit, l'économie collaborative est en devenir, pour trois raisons au moins.

Premièrement, son développement est indéniablement lié au contexte actuel en Europe et en France, c'est-à-dire à la crise économique et au manque d'emplois et de pouvoir d'achat. D'après de nombreux acteurs de l'économie collaborative, les consommateurs se tournent vers l'économie du partage et de l'échange pour payer une même prestation moins cher. Certes, ils peuvent aussi vouloir favoriser une économie circulaire plus respectueuse de l'environnement, en réutilisant des biens ou en valorisant des biens sous-utilisés, mais leur motivation essentielle est de gagner en pouvoir d'achat.

Deuxièmement, l'économie collaborative correspond à une économie de « l'être » plutôt que de « l'avoir », ainsi que nous avons pu le constater chez les jeunes générations. Pendant très longtemps, nos sociétés ont vécu avec le principe qu'il fallait être propriétaire d'un bien, notamment de sa maison ou de sa voiture. La particularité de l'économie collaborative est de s'appuyer avant tout sur des usages ou des services : plutôt que d'être propriétaire d'une maison, on cherche à faire de la colocation ou de la « cohabitation », à trouver des systèmes de partage de l'espace ; plutôt que d'être propriétaire d'une voiture, on préfère louer celle de son voisin ou partager celle d'autrui. Ces usages et ces services se développent de plus en plus, en réponse à des besoins. Les acteurs de l'économie traditionnelle l'ont d'ailleurs bien compris : nombre des représentants de société que les deux rapporteurs et moi-même avons rencontrés nous ont dit être eux-mêmes en train de « disrupter » leur modèle économique, c'est-à-dire de modifier leur organisation pour l'adapter aux innovations disruptives, car ils s'attendent à être confrontés à de sérieuses difficultés s'ils ne le font pas.

Troisièmement, l'économie collaborative remet en question le mode de gouvernance et le fonctionnement verticaux de nos organisations, quelles qu'elles soient professionnelles, institutionnelles ou politiques. Elle tend à favoriser la « désintermédiation » au sein de ces organisations, à substituer des dispositifs horizontaux aux dispositifs verticaux existants. C'est déjà le cas à l'école ou à l'université : depuis quinze ou vingt ans, les jeunes travaillent en groupe, sans véritable leader ; ils partagent des idées et font avancer des projets en commun. Ainsi, l'économie collaborative amène un changement de paradigme, et nous ne sommes qu'au début de l'évolution du système organisationnel de nos entreprises et de notre société.

J'en viens aux questions qui intéressent plus spécifiquement votre mission d'information, qui font l'objet de la partie de mon rapport relative à la protection sociale et aux conditions d'emploi des travailleurs des plateformes collaboratives.

L'économie collaborative ne peut pas être en dehors des règles. Ses acteurs doivent notamment contribuer aux charges publiques, dans la mesure où ils profitent eux aussi de politiques globales telles que l'éducation, la recherche et le développement des infrastructures. Cela paraît évident.

Dans mon rapport, je préconise néanmoins des réponses différentes selon les cas. Ainsi, il faut bien distinguer ce qui doit être considéré comme une activité professionnelle et ce qui relève de l'activité non professionnelle d'un particulier. Lorsque l'on met un appartement en location sur Airbnb, on peut être soit un professionnel soit un particulier. D'autre part, il convient de faire la différence entre les activités qui donnent lieu à un transfert monétaire et les autres. Par exemple, les échanges d'appartements que proposent certains sites ne donnent lieu à aucun transfert monétaire et n'ont donc pas vocation à être fiscalisés.

Il arrive que des individus masquent leur activité professionnelle en se greffant à des plateformes, ce qui constitue alors une concurrence déloyale à l'égard d'une activité traditionnelle. Ce n'est pas la même chose de vendre un téléviseur sur Le Bon Coin parce que l'on souhaite en changer ou d'en vendre cinq à dix par an. Dans le second cas, on est un vendeur de télévisions, et l'administration fiscale doit alors intervenir dans le cadre des procédures appropriées d'accompagnement ou de rescrit.

Dans mon rapport, j'insiste sur la nécessité de développer la responsabilité sociale des plateformes lorsque les prestataires en sont économiquement dépendants.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons beaucoup réfléchi à l'opportunité de créer un troisième statut, en plus de celui des indépendants, qui remonte à la période antérieure à l'industrialisation, et du salariat, qui a pris une part prépondérante avec la révolution industrielle, le code du travail se substituant en quelque sorte au code civil napoléonien. Selon certains, le statut des indépendants et le salariat sont appelés l'un et l'autre à disparaître, et il nous faudrait donc imaginer un troisième statut.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion