Mission d'information relative au paritarisme

Réunion du 18 février 2016 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mission d'information SUR LE PARITARISME

Jeudi 18 février 2016

La séance est ouverte à 11 heures cinq.

(Présidence de M. Arnaud Richard, président de la mission d'information)

La mission d'information sur le paritarisme procède à l'audition de M. Alexandre Bol, cofondateur de Koolicar, de M. Jean-Michel Petit, fondateur et président de Vizeat, et de Mme Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de Blablacar.

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Pour commencer cette matinée consacrée à l'économie numérique, nous avons le plaisir d'accueillir, pour une table ronde, les représentants de trois plateformes internet : Mme Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de BlaBlaCar, site organisant des partages de transports individuels, M. Alexandre Bol, cofondateur de Koolicar, site de location de voitures de particuliers, et M. Jean-Michel Petit, cofondateur et président de VizEat, site de partage de repas chez l'habitant. D'autres plateformes, notamment Uber et Chauffeur-Privé, ont également été sollicitées, mais elles n'ont pas souhaité être présentes ce matin.

Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer la thématique de l'économie numérique avec de nombreux observateurs et experts, mais nous souhaitions également partager les expériences et recueillir les analyses d'acteurs de cette nouvelle économie. Nous vous remercions donc de venir échanger avec nous sur le fonctionnement de vos entreprises et sur votre vision de l'économie collaborative, dont vos activités sont très représentatives, afin d'éclairer les travaux de cette mission d'information.

La question du paritarisme ne s'est peut-être pas posée à vous au moment où vous avez créé vos entreprises et, disons-le, vous n'avez pas nécessairement beaucoup réfléchi au sujet. Il n'en demeure pas moins que le champ de l'économie dans lequel vous exercez vos activités doit aussi se confronter à ce qui fonde le modèle social de notre pays.

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Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de BlaBlaCar

BlaBlaCar est une société française créée en 2006 par Frédéric Mazzella. Nous comptons aujourd'hui près de 25 millions de membres, et nos services sont disponibles dans vingt-deux pays, y compris hors de l'Union européenne.

BlaBlaCar est une plateforme qui facilite la pratique du covoiturage. Grâce à nous, les personnes qui se déplacent en voiture peuvent permettre à d'autres de profiter de places libres dans leurs véhicules en échange d'un partage des frais pour le trajet concerné. Il est donc essentiel de différencier notre activité de celles d'autres types d'acteurs auxquels nous sommes souvent comparés, voire associés. L'économie collaborative est une très grande famille au sein de laquelle cohabitent des modèles d'entreprise extrêmement différents. Il faut comprendre ces différences pour saisir le fait que les problématiques et les opportunités ne sont pas les mêmes pour tous.

BlaBlaCar, ce sont des conducteurs qui offrent des places disponibles dans leur véhicule, et pas des passagers qui commanderaient un service et qui choisiraient une destination. Le conducteur prendra la route pour effectuer le trajet qu'il a choisi, qu'il emmène ou non des passagers avec lui. Grâce à BlaBlaCar, il profite seulement de la possibilité d'offrir des places dans sa voiture.

BlaBlaCar, c'est aussi un modèle de partage de frais : les conducteurs qui utilisent la plateforme ne réalisent pas de profits. Ils offrent la possibilité aux personnes qui partagent leur voiture de contribuer aux frais correspondant à un trajet donné. Ce modèle explique que BlaBlaCar soit principalement utilisé pour parcourir de longues distances car le partage des frais sur des petites distances n'est pas si intéressant que cela. Pour un petit montant, les conducteurs ne prendront pas la peine de renseigner la plateforme, de se rendre à un point de rendez-vous, et d'attendre les passagers : cela n'a pas véritablement d'intérêt.

La distance moyenne parcourue avec BlaBlaCar est de 340 kilomètres. Généralement, il s'agit donc de transport inter-urbain, comme entre Paris et Lyon, Paris et Bruxelles, ou Rouen et Rennes. Cela n'a rien à voir avec d'autres modèles comme celui des taxis ou des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), qui font essentiellement du transport intra-urbain, mais qui sont, en tout cas pour ce dernier, souvent associés à l'univers de l'économie collaborative.

Le modèle du partage de frais étant lié à la nature même de notre service, nous avons mis en place un certain nombre d'outils pour nous assurer que son principe était bien respecté. Nos conditions d'utilisation rappellent tout d'abord que BlaBlaCar est réservé à des particuliers qui souhaitent partager les frais d'un voyage effectué pour des raisons privées, et qu'il est interdit de faire du profit dans ce cadre. Nous recommandons ensuite aux conducteurs un prix par kilomètre et par passager, qui diffère selon que le trajet emprunte ou non le réseau autoroutier. En France, globalement, il en coûte 6,5 centimes du kilomètre par passager sur autoroute et 4,8 centimes du kilomètre hors autoroute. Il s'agit d'un prix recommandé que le conducteur peut ajuster à la hausse ou la baisse, dans la limite de 50 %. Enfin, le nombre de places qu'il est possible d'offrir par véhicule est limité. La combinaison des limites de prix et de places nous permet de nous assurer que nous restons dans un modèle de partage de frais – à 6,5 centimes du kilomètre, nous sommes très en deçà du barème fiscal qui commence à 42 centimes du kilomètre. Par ailleurs notre équipe « relations membres » surveille la plateforme et s'assure du respect du modèle de partage. Lorsque des problèmes nous sont signalés, le service consommateurs contacte les conducteurs concernés. S'ils violent les règles de fonctionnement de BlaBlaCar, ils sont immédiatement suspendus.

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Il est clair pour nous que ceux que vous appelez vos « membres » ne sont pas des salariés de BlaBlaCar. Nous nous interrogeons cependant, de façon globale, sur la façon dont le paritarisme et l'économie collaborative peuvent coexister, et sur les effets de cette dernière sur le modèle social français.

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Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de BlaBlaCar

Monsieur le président, comme vous l'indiquiez dans vos propos introductifs, la question du paritarisme ne se pose pas vraiment à nous. Les conducteurs agissent de manière totalement indépendante : ils ne cherchent qu'à partager des frais d'une activité privée, et pas à faire du profit. Ils ne se situent pas du tout dans le cadre d'une activité professionnelle ou commerciale. Les problématiques à caractère fiscal ou social qui peuvent exister dans d'autres activités ne sont pas posées dans l'environnement BlaBlaCar – je crains d'ailleurs qu'elles ne concernent pas davantage mes deux collègues.

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Votre entreprise est présente dans vingt-deux pays. Vous employez en conséquence un certain nombre de salariés, et j'imagine qu'à ce titre, vous êtes concernés par la question du paritarisme.

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Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de BlaBlaCar

En effet, BlaBlaCar emploie aujourd'hui un peu plus de quatre cents salariés. Ce chiffre évolue quasiment toutes les semaines car nous recrutons à un rythme extrêmement soutenu. Nous avons besoin de forces de travail pour accompagner notre développement international qui consomme beaucoup de ressources et d'énergie. Environ trois cents personnes travaillent à Paris ; les autres se répartissent entre les divers pays où nous sommes présents.

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Jean-Michel Petit, fondateur et président de VizEat

En créant VizEat, en 2014, j'étais loin de m'imaginer que je serais entendu par une mission d'information de l'Assemblée nationale sur le paritarisme, mais c'est évidemment un honneur de m'exprimer devant des parlementaires.

VizEat est un site de partage de repas chez l'habitant. Sur notre plateforme internet, des particuliers proposent des repas, des pique-niques, des tours de marchés, tout ce qui est relatif à la gastronomie, pour un montant qui tourne, en général, autour de 20 euros. Les visiteurs du site font ensuite savoir qu'ils sont intéressés et, après une discussion avec l'hôte, si ce dernier accepte de les recevoir, le repas a lieu. Nous avons commencé, en juillet 2014, avec une cinquantaine d'hôtes dans trois pays – il s'agissait essentiellement d'amis et de membres de nos familles ; nous comptons aujourd'hui plus de 12 000 hôtes dans soixante pays.

Dès l'origine, nous avons voulu éviter tout élitisme. Certains hôtes proposent des repas à 5 euros, d'autres à 40 euros : grâce à notre site, on peut aussi bien faire un pique-nique entre jeunes pour quelques euros que tenter des expériences plus gastronomiques.

Dès notre création, nous avons étroitement collaboré avec les pouvoirs publics, notamment avec les organismes de promotion du tourisme en France – nous sommes membres d'Atout France. Que ce soit à Paris, à Lyon, à Bordeaux, ou dans les villes étrangères comme Rome ou Barcelone, nous travaillons avec les offices de tourisme.

Après quinze mois d'expérience, nous constatons que nos usagers cherchent davantage un lien social qu'une expérience gastronomique. VizEat n'est pas utilisé comme une alternative au restaurant : le touriste qui passe cinq jours dans une ville ne dîne pas cinq soirs chez l'un de nos hôtes ; il souhaite profiter d'un dîner qui lui permettra de rencontrer des habitants de la localité. La motivation n'est financière ni du côté de l'immense majorité des hôtes ni du côté des visiteurs.

En moyenne, en 2015, les hôtes ont reçu, à trois ou quatre reprises dans l'année, deux personnes et demie qui ont chacune payé 25 euros. Avant de lancer VizEat, nous avions demandé à Toluna-Louis Harris de travailler sur notre modèle. Il ressortait de cette étude que 72 % des Français étaient intéressés par l'idée de prendre un repas chez l'habitant lors de leurs voyages ; 53 % étaient intéressés par l'idée de recevoir occasionnellement des gens chez eux. Il ne s'agit que de données déclaratives, mais la réalité est encore très loin de ces chiffres. Dans le rapport que Pascal Terrasse, député de l'Ardèche, vient de remettre au Premier ministre sur l'économie collaborative, on peut lire que « la part des repas pris par des résidents français dans le cadre du eat-surfing, par rapport à l'ensemble des repas pris en restauration hors foyer (RHF) commerciale » s'élève à 0,014 %. Ce n'est donc qu'un début.

Sous le vocable d'économie collaborative, on range un très grand nombre d'activités qui n'ont rien à voir les unes avec les autres : certaines correspondent à de réelles activités professionnelles, d'autres relèvent de la location de biens et de services ; certaines sont des activités de partage, et d'autres s'apparentent à de la socialisation. Cela crée une énorme confusion.

VizEat a une vocation commerciale. Nous pensons que notre secteur va se développer. Ma grande expérience dans la « tech », à la fois comme entrepreneur, comme cadre dans de grandes entreprises de technologie, et comme investisseur, me permet de constater que, parfois, pour encourager une activité, il faut aussi savoir ne rien faire, surtout lorsqu'un secteur de taille limitée est en cours d'émergence. Il faut le laisser se développer avant de voir ce qu'il advient et de légiférer. L'exemple de l'internet et du e-commerce est parlant de ce point de vue : parce que des législations se sont rapidement mises en place dans toute l'Europe, aucun acteur majeur n'a pu émerger dans ces secteurs, et les GAFA – les géants que sont Google, Apple, Facebook et Amazon – ne sont pas européens.

La diversité des législations européennes constitue aussi un frein : parce que nous entendons devenir l'acteur majeur de notre secteur en Europe, nous devons nous conformer à vingt-huit législations différentes, alors qu'une jeune entreprise qui se lance aux États-Unis n'est confrontée qu'à une seule législation.

Je vous invite évidemment à réserver des repas chez l'habitant ; vous constaterez que les hôtes de VizEat sont des gens comme vous et moi, qui reçoivent chez eux.

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Alexandre Bol, cofondateur de Koolicar

Koolicar fait de la location de voitures entre particuliers sans échange de clefs. Nous sommes une sorte d'Autolib' entre particuliers, qui proposerait tout type de véhicules, dans n'importe quelle zone géographique, sans mobiliser de places de parking spécifiques.

Nous avons développé un petit boîtier électronique, la Koolbox, que nous installons gratuitement sur les véhicules des propriétaires, grâce auquel nous offrons de la mobilité à des personnes qui ne possèdent pas de voiture ou qui n'ont pas la possibilité de se déplacer. Nous proposons de louer les véhicules pour une durée minimale d'une heure, sans échange de clefs, tout en étant assuré par la MAIF. La Koolbox permet non seulement d'ouvrir la porte de la voiture mais aussi de géolocaliser le véhicule, de comptabiliser le nombre de kilomètres parcourus et de connaître la durée de la location. L'indemnisation des propriétaires se fait sur cette base.

Stéphane Savouré, le fondateur de Koolicar, travaille sur le projet depuis 2005. Je l'ai rejoint en 2009, nous avons créé la société en 2011, et après de nombreux tests - notamment dans des municipalités du Sud-Est et du Sud-Ouest confrontées à des problèmes de transport public –, nous sommes sortis de l'ombre en 2014.

Nous avons développé notre propre technologie afin de pouvoir nous positionner sur des critères de qualité. Notre service clients est aujourd'hui optimal : il qualifie les clients. N'entre pas chez nous qui veut ! Nous vérifions que la personne qui inscrit un véhicule est bien son propriétaire, que le contrôle technique du véhicule a été effectué, que les locataires sont bien titulaires d'un permis de conduire, et qu'ils disposent d'au moins neuf points sur douze. Cette stratégie, soutenue par la MAIF, notre principal investisseur, a été récompensée : le nombre de nos membres est passé de 3 500 à plus de 50 000 entre décembre 2014 et décembre 2015. Notre activité continuera à se développer : le cabinet Frost & Sullivan estime que, d'ici à 2020, le marché au niveau mondial concernerait 550 000 véhicules et 31 millions d'utilisateurs.

Des acteurs comme Google se positionnent actuellement dans le domaine de la voiture autonome. Les voitures de demain seront connectées, intelligentes et partageables dès leur sortie d'usine. Nous avons anticipé ces changements : dès aujourd'hui, nous mettons de l'intelligence dans les véhicules. Pour notre part, nous sommes prêts à une évolution qui nous semble inéluctable.

S'agissant des transactions financières qui passent par notre site, comme BlaBlaCar, nous parlons d'indemnités. Nous ne sommes pas une market place : les propriétaires ne sont pas libres de pratiquer les tarifs qu'ils souhaitent. Nous les déterminons sur la base de la puissance fiscale des véhicules, parce que nous ne souhaitons pas que l'on entre dans notre communauté avec une logique commerciale. Nous cherchons à offrir de la mobilité en permettant à des personnes qui ne possèdent pas de véhicule d'en utiliser un. Pour être efficaces nous devons rester simples, ce qui implique que les prix soient stables. De très nombreux clients utilisent notre site pour un usage ponctuel – par exemple pour accompagner un enfant à une activité du mercredi –, c'est-à-dire pour une petite course. Il serait illogique qu'ils paient 5 euros au mois de décembre et 15 euros au mois de juin.

Nous contrôlons les prix : ils sont indexés sur le barème fiscal. Le propriétaire est indemnisé en fonction du nombre de kilomètres parcourus et de la durée de location de sa voiture sur la base d'un tarif maîtrisé fondé sur la notion de « coût d'usage ». Si, de façon générale, un coût d'usage peut être difficile à évaluer, nous avons la chance, s'agissant de l'automobile, de disposer d'une référence établie par l'administration fiscale : le barème fiscal kilométrique. Dès lors qu'un propriétaire perçoit un montant inférieur à ce barème, nous sommes dans une logique de partage de coûts, et non dans une logique commerciale. Le boîtier qui enregistre tous les éléments de la location – comme la distance et la durée - fournit un prix objectif. Il n'y a pas de négociation possible, il n'y a d'ailleurs ni rencontre ni échange direct d'argent : tout se fait de façon électronique, tout est traçable, et tout est justifiable. Nous sommes dans une démarche de mutualisation de l'automobile.

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Permettez-moi de commencer par vous féliciter pour les services que vous proposez et que vous développez, mais aussi pour votre réussite.

L'économie collaborative repose sur des modèles très divers, vous l'avez dit. Vos sociétés sont fondées sur la notion de « partage des frais », si vous m'autorisez cette description synthétique. Il n'en demeure pas moins que certaines frontières sont parfois « intellectuelles » : on peut imaginer qu'un artisan du bâtiment « partage » le coût des pinceaux, du matériel, de son véhicule… Nous constatons que vous vous attachez, avec beaucoup de soin et de rigueur, y compris dans la définition des tarifs, à respecter votre modèle. Avez-vous eu des échanges avec l'administration, notamment fiscale, à ce sujet ? A-t-elle validé le fait que vous étiez bien dans le champ du partage de frais ?

Vos plateformes sont-elles utilisées pour la fourniture de services professionnels ? Pouvez-vous quantifier ces dérives ?

Malgré la logique du partage de frais, les services rendus par vos plateformes peuvent se substituer à d'autres services rendus par ailleurs – au lieu d'aller de Paris à Lyon avec BlaBlaCar, certains auraient pu prendre le bus ou le train. Que représente BlaBlaCar dans le marché des transports en France ? Quelle est la place des plateformes de même nature dans le transport de voyageurs ? Même si elles proposent un mode de transport juridiquement et fiscalement légitime, elles se substituent à un autre service qui pourrait donner lieu au versement de la TVA et de cotisations sociales et contribuer ainsi au financement du modèle social français. Notre interrogation fondamentale est bien celle-là, car si des services fondés sur les principes qui sont les vôtres se développent et prennent une place dominante dans l'économie, nous rencontrerons des difficultés pour financer notre modèle social.

Avez-vous été, les uns ou les autres, approchés par l'administration du travail qui aurait cherché à vérifier s'il n'existait pas de situations de salariat dans vos activités ? Ce pourrait être le cas, par exemple, d'un conducteur qui ferait du « partage de frais » à temps plein, et qui en tirerait des revenus élevés.

Avez-vous réfléchi à la façon dont ceux qui offrent des services ou qui en bénéficient grâce à vos sites pourraient participer à la vie publique en tant que corps intermédiaires ? Les femmes et les hommes qui fournissent ces services ne sont représentés ni par les syndicats d'employeurs ni par les syndicats de salariés. Ces acteurs, qui prennent une importance croissante dans l'économie, ne siègent pas dans les instances du paritarisme alors que la protection sociale est gérée par les partenaires sociaux.

La question de la représentation nous semble importante. Comment vous faire entendre des pouvoirs publics ou des parlementaires ? Comment défendez-vous votre modèle ou vos besoins ? Il faut que des acteurs nouveaux comme vous aient leur mot à dire. Vous n'êtes pas le premier, monsieur Petit, à nous demander de ne pas étouffer un secteur naissant avant de voir ce qu'il peut apporter à l'économie française, comme services nouveaux aux habitants, comme revenus supplémentaires aux uns et aux autres. Peut-être ces activités retrouveront-elles, à terme, leur lit dans l'entreprise classique ou dans le salariat.

Que pensez-vous, les uns et les autres, des propositions du rapport que M. Pascal Terrasse vient de remettre au Premier ministre sur l'économie collaborative ?

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Sur la durée, comment équilibrez-vous votre modèle économique ?

Vos trois services me paraissent fondés sur la confiance. Je perçois cependant une différence entre Koolicar, qui pratique une forme de certification des services qu'il offre, et BlaBlaCar, qui serait une sorte d'auto-stop très organisé. Madame, quelle certification proposez-vous à celui qui utilise votre plateforme ?

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Pour ma part, je m'interroge sur la sécurité dont bénéficie le client. Les risques sont-ils pris en compte ? Lorsque l'on utilise BlaBlaCar, on ne sait pas avec qui on monte en voiture – un peu comme dans le cas de l'auto-stop –, et lorsque l'on va dîner chez quelqu'un, on se retrouve dans un espace clos où l'on ne sait pas ce qui peut nous arriver. Avez-vous déjà mené une réflexion à ce sujet ? Avez-vous rencontré des problèmes ? Comment vous prémunir en la matière ?

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Quel est le statut fiscal de vos sociétés ? C'est important car dès lors que vos entreprises emploient des salariés, parfois nombreux comme chez Blablacar, elles doivent se soumettre aux règles relatives à la représentation des salariés.

Lorsque Shopopop, plateforme de « livraison collaborative de courses et de colis », a ouvert dans ma circonscription, j'ai immédiatement reçu un appel téléphonique de l'une de mes amies, chauffeur de taxi, qui m'a dit : « Isabelle, c'est de la concurrence déloyale ! ». Je partage évidemment l'avis de notre rapporteur : lorsqu'une entreprise se crée, il faut éviter de lui enfoncer la tête sous l'eau et voir ce qu'elle peut apporter à la société en termes d'emploi dans un pays qui compte près de 6 millions de chômeurs – je l'ai dit, vos entreprises créent des emplois. Il n'en reste pas moins que la question de la concurrence déloyale par rapport aux activités commerciales existantes nous est systématiquement posée. Cela dit, sur ce sujet, votre discours relatif au « partage de frais » concernant des activités qui se feraient quoi qu'il arrive me semble assez clair, au moins pour BlaBlaCar et VizEat.

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À quelle branche professionnelle êtes-vous rattachés ?

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Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de BlaBlaCar

La confiance et la sécurité sont des aspects essentiels des services que nous offrons tous les trois. La confiance est à la base du succès d'un modèle qui fonctionne sur une rencontre en ligne.

Pour notre part, nous avons mis en place un certain nombre d'outils destinés à créer cette confiance : nous collectons des informations sur les utilisateurs – nom, prénom, numéro de téléphone, photographie, éléments de biographie, préférences diverses… –, et nous en vérifions certaines, comme l'adresse e-mail ou les coordonnées bancaires. Nous avons ensuite un système de notation qui permet au conducteur comme au passager de choisir en toute connaissance de cause la personne avec laquelle il voyagera. Croyez-moi, les utilisateurs n'hésitent pas à s'exprimer très honnêtement ! Si vous êtes un mauvais conducteur, il y a très peu de chances pour que vous puissiez utiliser longtemps la plateforme. Nous avons également créé Ladies only, service qui permet aux femmes de ne voyager qu'en compagnie d'autres femmes. Nous conservons le paiement du passager jusqu'à ce que le trajet ait été effectué.

Notre modèle économique repose sur le prélèvement de commissions sur le montant payé par les passagers. Nous percevons un pourcentage de la contribution aux frais versée au conducteur, de l'ordre de 12 %. Lorsqu'un passager effectue un trajet à 20 euros, BlaBlaCar reçoit 2,40 euros.

Les études que nous menons auprès de notre communauté montrent que, pour des raisons financières, une grande partie des passagers n'aurait pas voyagé sans BlaBlaCar. Nous offrons donc des solutions de mobilité à des gens qui n'auraient pas les moyens d'utiliser d'autres modes de transport. Par ailleurs, grâce à nous, il est possible d'effectuer des trajets pour lesquels il n'existe pas de bonne desserte – il n'y a pas, par exemple, de liaison ferroviaire directe entre Rennes et Rouen. De plus, si BlaBlaCar peut constituer une solution alternative à des transports existants, l'expérience proposée est totalement différente de celle qu'offrent l'avion, le bus ou le train. Je me rends régulièrement à Bruxelles pour des raisons professionnelles : prendre le Thalys qui m'amène à destination en une heure vingt et me permet de travailler, cela n'a rien à voir avec ce que serait un trajet en voiture d'au moins trois heures et demie. Nous ne sommes pas vraiment toujours une solution alternative. Les différents services proposés ne sont pas utilisés de la même manière : BlaBlaCar a, par exemple, une dimension sociale qui est sous-estimée. L'utilisateur de BlaBlaCar choisit ce moyen de transport parce qu'il est moins cher, mais aussi parce qu'il permet de rencontrer d'autres personnes. Nous sommes plutôt fiers de créer du lien social.

De plus, les effets positifs du covoiturage existent bel et bien. Le fait qu'il y ait davantage de personnes dans une voiture réduit le nombre de véhicules en circulation – en moyenne, on compte 2,8 voyageurs BlaBlaCar dans une voiture alors que ce ratio s'élève à 1,7 globalement en Europe. En termes d'environnement, notre modèle constitue donc bien un apport réel. Ses effets positifs se font aussi ressentir en matière de sécurité routière, ce dont nous sommes très fiers. Les conducteurs nous disent eux-mêmes qu'ils sont plus attentifs et plus prudents lorsqu'ils transportent des personnes, d'autant qu'ils ne les connaissent pas. Le risque d'endormissement est également moindre lorsque vous n'êtes pas seul dans un véhicule.

L'administration du travail ne nous a jamais sollicités. Cela me semble logique étant donné la nature de notre modèle : des gens comme vous et moi partent en week-end et proposent une place dans leur voiture, il serait difficile d'y voir une relation de travail. Nous sommes en revanche en relation avec l'administration fiscale avec laquelle nous avons eu des échanges à l'occasion de l'élaboration du projet de loi de finances. Je crois comprendre que le Gouvernement souhaite qu'un groupe de travail se réunisse sur la définition du partage de frais ; nous serons amenés à expliquer ce qu'il en est dans l'environnement automobile.

Dans un mode de fonctionnement normal de notre service, les dérives ne sont pas possibles : il suffit de faire les calculs. Sachant qu'il en coûte au passager 6,5 centimes du kilomètre, soit 6,50 euros les cent kilomètres, vous imaginez combien de kilomètres il faudrait parcourir pour parvenir à faire du profit. Il faudrait rouler en permanence, ce qui ne manquerait pas de se voir. Nous avons mis en place les outils permettant de repérer ce type de comportement. Des cas se produisent, mais ils ne sont pas très fréquents et nous y mettons fin immédiatement. Il arrive également que des conducteurs tentent de contourner le système : un même trajet est posté plusieurs fois par des personnes différentes agissant de concert, et un mini-van attend les passagers au point de rendez-vous. Nous avons alors affaire à des fraudeurs qui nous sont immédiatement signalés par nos membres, ce qui permet de mettre instantanément fin à ce genre de pratique.

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Quelle proportion ces fraudes prennent-elles dans votre activité ?

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Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de BlaBlaCar

Nous ne disposons pas de chiffres précis, mais ces situations se produisent tous les jours. Sachant que des millions de trajets sont proposés quotidiennement sur BlaBlaCar, il est statistiquement inévitable que l'on en relève un certain nombre. Nos outils, en particulier le système de notation, nous permettent de réagir très rapidement.

Monsieur le président, je vous communiquerai l'information relative à la branche à laquelle notre entreprise se rattache après m'être renseignée.

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Jean-Michel Petit, fondateur et président de VizEat

Notre modèle repose sur la confiance et l'échange. Si vous êtes anxieux, il ne faut pas utiliser VizEat, ni par exemple faire du couchsurfing qui vous amène à dormir chez des personnes que vous ne connaissez pas.

Avant toute rencontre par l'intermédiaire de notre site, il y a un échange. Une personne propose un repas ; une autre lui fait part de son intérêt et se présente afin que l'hôte accepte de la recevoir. Il n'y a pas de réservation automatique sur notre plateforme. Vous n'avez pas affaire à un restaurant. Nous constatons que les gens se rassemblent sur des critères divers : des familles italiennes viennent dîner chez des familles françaises, des jeunes couples se rendent plutôt chez des jeunes couples… Je rappelle que l'hôte doit manger à la table de ses invités.

Nous imaginions que nous intéresserions essentiellement des touristes, mais de plus en plus de personnes souhaitent « voyager dans leur ville » pour y découvrir d'autres cultures. Les utilisateurs de notre plateforme sont à la recherche de socialisation. Grâce aux commentaires, qui sont extrêmement importants, ils rejettent ce qui ne serait pas une expérience authentique et qui s'apparenterait à une démarche commerciale.

Les prestations proposées par la plateforme sont couvertes par un contrat d'assurance en responsabilité civile visant l'ensemble des risques dans tous les pays où nous sommes présents. Aucune compagnie d'assurances française n'ayant accepté de nous couvrir à nos débuts, nous avons signé avec le Lloyd's of London qui n'a pris que deux jours pour nous répondre. Depuis juillet 2014, cette assurance n'a jamais été activée. Aucune expérience traumatisante n'a été enregistrée à ce jour, mais la loi des grands nombres fait qu'à partir d'un certain volume d'activité, des incidents pourront se produire.

Notre modèle économique est celui des plateformes collaboratives : nous prélevons 15 % du prix annoncé. Lorsque cinq personnes réservent un repas qui coûte 20 euros chez un particulier, elles règlent au total 115 euros. Pour que nous parvenions à l'équilibre économique, il faut donc que nous réalisons un volume suffisant de petites transactions.

Je me renseignerai aussi pour répondre à votre question relative à la branche professionnelle à laquelle notre entreprise est attachée.

Nous n'avons pas enregistré de dérives en France. À l'étranger, nous avons constaté, ce qui est assez ironique, que des restaurants avaient posté des repas sur notre site. Le « retour » immédiat de ceux qui étaient surpris de se retrouver dans ce genre d'établissement nous a permis de les exclure de la plateforme.

Nous avons été en contact avec le cabinet de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, pour mettre en place notre modèle. Je le répète : il faut éviter d'obliger le Français moyen à déclarer 70 euros de revenus et une dépense de 4 euros de carottes et de 12 euros de viande hachée. Il faudrait déterminer un seuil de revenu au-dessus duquel une activité ne serait plus exercée en amateur.

Le rapport de Pascal Terrasse est remarquable. Je ne crois pas qu'un travail similaire existe dans l'Union européenne. Pour aller plus loin, nous pourrions nous inspirer des Britanniques qui ont séparé les activités : une ligne particulière de la déclaration de revenus est réservée à la location d'appartements. Par ailleurs, le rapport Terrasse suggère que toutes les plateformes transfèrent leurs données à l'administration fiscale. Il faut prendre garde à ne pas créer un système qui pénaliserait la plupart des deux cent soixante-dix plateformes françaises, qui sont des petites structures – c'est le cas de VizEat qui compte douze salariés en France –, en les obligeant à investir dans des systèmes de transmission de données fiscales plutôt que dans de la technologie directement liée au service de leur clientèle.

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Les deux cent soixante-dix plateformes ont-elles tenté de s'organiser ou de se regrouper pour faire valoir leur vision ?

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Alexandre Bol, cofondateur de Koolicar

Depuis plus de deux ans, tous les acteurs de la location de voiture entre particuliers discutent entre eux. Ils ont créé un collectif dont je suis l'un des deux représentants. Nous avons rencontré Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique, et diverses administrations comme la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

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Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de BlaBlaCar

Le phénomène n'est pas franco-français : des associations se mettent aussi en place à Bruxelles.

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Alexandre Bol, cofondateur de Koolicar

On a tendance à mettre toute la consommation collaborative et numérique dans le même sac. Il existe des sous-ensembles, et, au sein de celui de la mobilité, il faut distinguer le covoiturage et la location entre particuliers. Il faut aussi prendre garde aux amalgames qui pourraient être faits avec certains acteurs qui font parler d'eux en ce moment.

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Les conducteurs de BlaBlaCar ont-ils jamais réfléchi à s'organiser, par exemple pour s'assurer de la transparence des notations ?

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Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de BlaBlaCar

Je n'ai jamais entendu parler d'initiatives de ce type. La communauté nous fait remonter les demandes et les problèmes, et cela se passe bien. Tout ce que nous faisons, y compris en matière d'évolution du service, répond à la demande de la communauté.

Nous organisons régulièrement des événements dans différentes villes de France qui permettent aux passagers et aux conducteurs de se rencontrer – ces BlaBla Tours ont lieu pendant l'été. La nécessité d'un regroupement pour défendre des intérêts ou un point de vue ne s'est jamais fait sentir parce que le fonctionnement de la plateforme permet aux utilisateurs de signaler les problèmes éventuels.

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Dans le cas de TripAdvisor, un seul avis négatif mal fondé peut parfois avoir des conséquences non négligeables.

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Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de BlaBlaCar

Tous les avis postés sur notre site sont authentiques : ne peuvent laisser un avis que les personnes qui ont participé à un voyage. Nous modérons les commentaires afin d'éviter les contenus à problème, et les choses se régulent plutôt bien d'elles-mêmes. Toute tentation de « représailles » est aussi évitée grâce au fait que les notateurs ne connaissent pas la note qui leur a été attribuée au moment où ils rédigent leurs commentaires.

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Alexandre Bol, cofondateur de Koolicar

S'agissant de Koolicar, je précise que des professionnels n'ont aucun intérêt à s'inscrire sur notre plateforme en raison du niveau des tarifs fixés sur la base du barème fiscal kilométrique. Nous considérons que nous défendons le pouvoir d'achat et que la plateforme ne met aucun propriétaire en situation de dépendance économique.

Le terme de « certification » a été utilisé ; nous préférons dire que nous « qualifions » notre communauté et que nous agissons en tant que tiers de confiance.

Nous sommes attentifs au nombre de véhicules qu'un même propriétaire propose sur la plateforme et nous vérifions que nos utilisateurs sont bien propriétaires de voitures qu'ils proposent à la location.

En tant que tiers de confiance, nous avons fait le choix de ne pas divulguer les avis qui nous sont transmis. Lors de l'étape de « co-création » du modèle avec nos premiers clients, alors que nous voulions rendre nos avis visibles, une personne de couleur nous a dit qu'elle préférait que sa photo ne soit pas visible, ne sachant pas si on lui louerait un véhicule. C'est catastrophique mais c'est la réalité ! Nous en avons tenu compte. En tant que tiers de confiance, nous jouons donc le rôle de filtre : nous recevons les avis et, lorsqu'une personne est mal notée à plusieurs reprises, nous nous autorisons à l'exclure de la communauté.

Nous sommes très satisfaits du rapport de Pascal Terrasse que nous avons lu avec attention. Il s'est rapproché de OuiShare, collectif dont vous avez entendu des représentants, et il a maintenant une excellente vision de ce qu'est l'économie collaborative. Deux de ses propositions ont retenu mon attention.

La première concerne la notation des plateformes elles-mêmes. Pour ce qui nous concerne, nous travaillons avec Trustpilot qui vérifie les avis portant sur Koolicar et sur les services que nous rendons.

La seconde demande que soit clarifiée la doctrine de l'administration fiscale s'agissant de la distinction entre revenu et partage de frais. Je suppose que toutes les plateformes seront invitées à discuter avec cette administration pour défendre leur point de vue.

Notre modèle économique est fondé sur la commission de 30 % que nous prélevons sur chacune des locations. Cette commission finance une assurance, contractée auprès de la MAIF, qui se substitue à 100 % à celle du propriétaire. La loi autorise cette substitution que la réglementation exclut outre-Atlantique : en la matière, l'Europe offre indéniablement un avantage.

Notre modèle nous permet d'être présents dans des zones où les acteurs traditionnels ne se trouvent pas. Nous n'entrons pas en compétition avec les métros ou Autolib' dans les territoires où ces moyens sont disponibles. Nous sommes en revanche capables d'offrir des services dans des zones périurbaines où aucune solution de mobilité n'est proposée. On parle beaucoup de nous, mais c'est seulement parce que les autres ne peuvent pas se positionner aux endroits où nous sommes présents.

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Puisqu'il y a substitution d'assurance, il y a bien location. Nous ne sommes pas dans le partage, sinon cela ne serait pas possible.

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Alexandre Bol, cofondateur de Koolicar

Nous sommes dans le partage, mais il est clair que pas un propriétaire n'accepterait de mettre en péril son bonus.

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Fabienne Weibel, directrice des affaires institutionnelles de BlaBlaCar

Dans le cas du covoiturage, en matière d'assurance, les choses sont assez simples : vous êtes couvert comme si vous transportiez un membre de votre famille. Nous proposons, en partenariat avec Axa, une assurance additionnelle qui sert plus à rassurer et à donner un point d'entrée unique en cas de problème.

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Nous vous remercions vivement tous les trois. Vous avez pu être surpris que notre mission d'information vous interroge sur le paritarisme. C'est seulement le signe que nous souhaitons confronter vos activités – et je répète que nous sommes fiers d'avoir des leaders mondiaux français dans les secteurs qui sont les vôtres – et le modèle social français, qui est largement fondé sur le paritarisme.

Puis la mission entend M. Pascal Terrasse, député de l'Ardèche, auteur du rapport sur l'économie collaborative remis au Premier ministre le 8 février 2016.

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Nous recevons à présent notre collègue Pascal Terrasse, auteur du rapport sur l'économie collaborative remis au Premier ministre le 8 février dernier. Ce rapport très attendu a été beaucoup commenté – et apprécié – par les acteurs concernés. M. Terrasse est accompagné des deux rapporteurs de ce travail : M. Philippe Barbezieux, inspecteur général des affaires sociales, et Mme Camille Herody, inspectrice des finances.

Nous vous remercions, madame, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation pour nous faire part de vos réflexions sur l'économie collaborative et sur les changements qu'elle implique pour les travailleurs, le paritarisme et, plus largement, pour le modèle social français. Vous êtes un bon connaisseur de ce modèle, monsieur Terrasse, notamment des systèmes de retraite.

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Chers collègues, je vous remercie de m'avoir convié à participer à vos travaux sur le paritarisme, notamment sur l'impact que peut avoir sur celui-ci cette nouvelle économie dite « économie collaborative ».

Dans le rapport que j'ai remis au Premier ministre, nous avons essayé de définir ce que n'est pas ou ne peut pas être l'économie collaborative. Selon nous, elle ne peut pas être l'« uberisation » de la société, c'est-à-dire, du point de vue des détracteurs de celle-ci, une économie low cost qui va tirer notre modèle social, les qualifications et les prestations vers le bas. Encore qu'il existe des défenseurs de l'uberisation, qui mettent en avant le fait qu'Uber offre un service plus adapté que les taxis traditionnels, en mettant notamment à la disposition du client un véhicule de meilleure qualité. Ainsi, selon que l'on se place dans un champ ou dans un autre, on peut voir l'uberisation comme une évolution qui tire l'économie vers le haut ou vers le bas.

Pour notre part, nous considérons que l'économie collaborative existait bien avant Uber. En réalité, elle n'a pas amené de prestations ou de biens nouveaux : elle correspond à une massification de services, d'activités, d'usages ou de dispositifs préexistants ; elle consiste à les rendre accessibles au plus grand nombre. Par exemple, lorsque j'étais jeune, je faisais de l'auto-stop ; aujourd'hui, ma fille recourt à BlaBlaCar. De même, auparavant, on pouvait mettre sa maison en location grâce à une petite annonce publiée dans un journal ; désormais, on le fait en utilisant Airbnb. Et ainsi de suite.

Pour certains, l'économie collaborative est avant tout un terme de marketing, de même que l'économie verte – green economy – ou l'économie au service des personnes âgées – silver economy –, concepts sympathiques en soi, mais derrière lesquels il n'y aurait pas grand-chose.

Quoi qu'il en soit, l'économie collaborative est en devenir, pour trois raisons au moins.

Premièrement, son développement est indéniablement lié au contexte actuel en Europe et en France, c'est-à-dire à la crise économique et au manque d'emplois et de pouvoir d'achat. D'après de nombreux acteurs de l'économie collaborative, les consommateurs se tournent vers l'économie du partage et de l'échange pour payer une même prestation moins cher. Certes, ils peuvent aussi vouloir favoriser une économie circulaire plus respectueuse de l'environnement, en réutilisant des biens ou en valorisant des biens sous-utilisés, mais leur motivation essentielle est de gagner en pouvoir d'achat.

Deuxièmement, l'économie collaborative correspond à une économie de « l'être » plutôt que de « l'avoir », ainsi que nous avons pu le constater chez les jeunes générations. Pendant très longtemps, nos sociétés ont vécu avec le principe qu'il fallait être propriétaire d'un bien, notamment de sa maison ou de sa voiture. La particularité de l'économie collaborative est de s'appuyer avant tout sur des usages ou des services : plutôt que d'être propriétaire d'une maison, on cherche à faire de la colocation ou de la « cohabitation », à trouver des systèmes de partage de l'espace ; plutôt que d'être propriétaire d'une voiture, on préfère louer celle de son voisin ou partager celle d'autrui. Ces usages et ces services se développent de plus en plus, en réponse à des besoins. Les acteurs de l'économie traditionnelle l'ont d'ailleurs bien compris : nombre des représentants de société que les deux rapporteurs et moi-même avons rencontrés nous ont dit être eux-mêmes en train de « disrupter » leur modèle économique, c'est-à-dire de modifier leur organisation pour l'adapter aux innovations disruptives, car ils s'attendent à être confrontés à de sérieuses difficultés s'ils ne le font pas.

Troisièmement, l'économie collaborative remet en question le mode de gouvernance et le fonctionnement verticaux de nos organisations, quelles qu'elles soient professionnelles, institutionnelles ou politiques. Elle tend à favoriser la « désintermédiation » au sein de ces organisations, à substituer des dispositifs horizontaux aux dispositifs verticaux existants. C'est déjà le cas à l'école ou à l'université : depuis quinze ou vingt ans, les jeunes travaillent en groupe, sans véritable leader ; ils partagent des idées et font avancer des projets en commun. Ainsi, l'économie collaborative amène un changement de paradigme, et nous ne sommes qu'au début de l'évolution du système organisationnel de nos entreprises et de notre société.

J'en viens aux questions qui intéressent plus spécifiquement votre mission d'information, qui font l'objet de la partie de mon rapport relative à la protection sociale et aux conditions d'emploi des travailleurs des plateformes collaboratives.

L'économie collaborative ne peut pas être en dehors des règles. Ses acteurs doivent notamment contribuer aux charges publiques, dans la mesure où ils profitent eux aussi de politiques globales telles que l'éducation, la recherche et le développement des infrastructures. Cela paraît évident.

Dans mon rapport, je préconise néanmoins des réponses différentes selon les cas. Ainsi, il faut bien distinguer ce qui doit être considéré comme une activité professionnelle et ce qui relève de l'activité non professionnelle d'un particulier. Lorsque l'on met un appartement en location sur Airbnb, on peut être soit un professionnel soit un particulier. D'autre part, il convient de faire la différence entre les activités qui donnent lieu à un transfert monétaire et les autres. Par exemple, les échanges d'appartements que proposent certains sites ne donnent lieu à aucun transfert monétaire et n'ont donc pas vocation à être fiscalisés.

Il arrive que des individus masquent leur activité professionnelle en se greffant à des plateformes, ce qui constitue alors une concurrence déloyale à l'égard d'une activité traditionnelle. Ce n'est pas la même chose de vendre un téléviseur sur Le Bon Coin parce que l'on souhaite en changer ou d'en vendre cinq à dix par an. Dans le second cas, on est un vendeur de télévisions, et l'administration fiscale doit alors intervenir dans le cadre des procédures appropriées d'accompagnement ou de rescrit.

Dans mon rapport, j'insiste sur la nécessité de développer la responsabilité sociale des plateformes lorsque les prestataires en sont économiquement dépendants.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons beaucoup réfléchi à l'opportunité de créer un troisième statut, en plus de celui des indépendants, qui remonte à la période antérieure à l'industrialisation, et du salariat, qui a pris une part prépondérante avec la révolution industrielle, le code du travail se substituant en quelque sorte au code civil napoléonien. Selon certains, le statut des indépendants et le salariat sont appelés l'un et l'autre à disparaître, et il nous faudrait donc imaginer un troisième statut.

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On peut l'appeler comme on veut : « auto-salariat » ou autrement. En tout cas, ce ne serait ni le salariat, ni le statut des indépendants, mais un statut intermédiaire entre les deux.

La solution de facilité aurait été de laisser le juge déterminer s'il existe ou non un lien de subordination et arbitrer ainsi entre les deux statuts. Lorsque nous avons commencé nos travaux, j'étais plutôt d'avis qu'il fallait créer un troisième statut. Mais, si l'idée paraît assez moderne, elle est source de risques que je n'avais pas mesurés au début : un tel système hybride permettrait à des employeurs d'exclure un certain nombre de salariés du bénéfice de conventions collectives relativement protectrices. Les partenaires sociaux partagent cette crainte, y compris les organisations patronales. Ces dernières ne souhaitent pas ouvrir ce débat, même si quelques branches professionnelles, en particulier le bâtiment et les travaux publics (BTP), y voyaient un intérêt.

Lorsque l'on évoque la possible disparition du salariat au profit du statut des indépendants, on renvoie très souvent au modèle américain, et l'on fait valoir que le syndicat le plus important aux États-Unis aujourd'hui est un syndicat non pas de salariés, mais d'indépendants. En réalité, les dispositifs français et anglo-saxons ne sont pas comparables : en France, on bénéficie d'une couverture sociale que l'on soit salarié, indépendant ou sans activité. Un troisième statut n'a donc guère d'intérêt dans notre pays sauf si l'on cherche à remettre en cause notre modèle de protection sociale universelle.

Nous en sommes donc venus à l'idée qu'il fallait que les plateformes s'engagent, au titre de leur responsabilité sociale, dans un certain nombre de domaines.

Premièrement, en matière de formation. Les principaux reproches adressés aux travailleurs de l'économie collaborative qui sont économiquement dépendants de plateformes concernent la qualité des prestations. Nous proposons donc que les plateformes participent financièrement, via une cotisation, aux dispositifs de formation qui permettent aux prestataires d'améliorer leurs compétences.

Deuxièmement, il convient de définir clairement les conditions dans lesquelles les plateformes peuvent se séparer de leurs prestataires. Les mécanismes de rupture actuels sont assez unilatéraux et généralement mal expliqués lors de l'inscription sur la plateforme. Les plateformes ne doivent pas pouvoir mettre fin à leurs relations avec un prestataire selon leur bon vouloir, par exemple parce qu'un chauffeur aurait fait grève. Il faut des règles plus lisibles et compréhensibles par tous. L'échange précédant la rupture doit se dérouler de manière correcte.

Troisièmement, les travailleurs indépendants économiquement dépendants ont des difficultés à accéder au crédit et au logement. Dans notre pays, lorsque l'on n'est pas un salarié en contrat à durée indéterminée, il n'est pas facile de s'adresser à un banquier ou à un bailleur. Des dispositifs sécurisant l'accès au crédit et au logement ont été mis en place dans le cadre de la convention sur l'intérim. Nous proposons que les prestataires des plateformes bénéficient de dispositifs analogues.

Quatrièmement, il convient de prendre en compte les périodes d'activité sur les plateformes dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience (VAE). C'est d'autant plus important que de nombreux jeunes commencent leur activité professionnelle précisément sur les plateformes. À cet égard, je regrette vivement le véritable effondrement des dispositifs de VAE auquel nous assistons depuis quatre ou cinq ans en France.

Cinquièmement, le compte personnel activité (CPA) – que j'aurais plutôt appelé « sécurité sociale professionnelle » – représente, selon moi, une véritable révolution. N'en déplaise à certains de mes collègues, je fais partie de ceux qui pensent que la flexibilité du travail est très utile. Nous allons vers une « économie du chasseur », où l'on alternera activité à temps partiel et activité à temps plein, où l'on sera indépendant deux jours et salarié trois jours. Nos modes de pensée et d'organisation sont en plein bouleversement. S'il n'y a pas, face à cette instabilité ou à ce nomadisme professionnel, une prise en charge cohérente au titre de la protection sociale et un accompagnement en matière de formation, nous nous exposons à de nombreuses déconvenues. Le CPA est une bonne chose pour les salariés, mais il est très important de l'étendre aussi aux indépendants afin de garantir la portabilité de leurs droits. Nombre d'acteurs que nous avons rencontrés souhaitent que l'on aille beaucoup plus loin en matière de droits des indépendants. C'est ce que je préconise dans mon rapport. Il faut poursuivre la convergence entamée il y a maintenant une vingtaine d'années entre les droits ouverts aux salariés et les droits ouverts aux indépendants, tout en maintenant la distinction entre les deux statuts.

Enfin, certains acteurs demandent avec insistance la création d'un régime des « intermittents de l'économie collaborative ». Cela a appelé de notre part la remarque suivante : le régime des intermittents du spectacle coûte déjà cher à l'Unédic, et la Confédération française démocratique du travail (CFDT) est très réservée quant à la mise en place d'un troisième régime des indépendants, spécifique aux « jobbers » de l'économie collaborative. Le dispositif serait complexe et aurait un impact en termes de coûts. Il n'est d'ailleurs pas sûr que les intéressés auraient les moyens de cotiser à un tel régime, leurs revenus restant très modestes. Rappelons que, dans notre pays, seuls 10 % des autoentrepreneurs tirent de leur activité un revenu supérieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC).

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Je vous félicite, cher collègue, pour la qualité de votre rapport.

Au-delà de la question de la régulation de l'économie collaborative, nous nous sommes beaucoup interrogés sur le point de savoir si cette nouvelle économie allait avoir des conséquences importantes sur les régimes de protection sociale existants, notamment sur les régimes paritaires. Lors de votre mission, avez-vous pu mesurer l'impact possible des substitutions d'activité en termes de pertes de recettes pour les régimes sociaux ? Avez-vous eu connaissance de travaux évaluant la part de l'activité exercée dans le cadre de l'économie collaborative – sans faire la distinction entre les statuts classiques, salariat ou entrepreneuriat – et analysant les perspectives en la matière ? Je suis frappé par la rapidité de pénétration dans certains secteurs, qui sont certes des niches : à Paris, Airbnb représente déjà l'équivalent de 400 hôtels, la capitale en comptant 1 400 ; les chauffeurs travaillant pour les systèmes de taxi du type d'Uber ont dépassé en nombre ceux qui disposent d'une licence. Au cours de nos premières auditions, il nous a semblé que l'administration et les branches professionnelles étaient relativement démunies pour mesurer l'existant : elles ont compris les mécanismes et analysé des exemples particuliers, mais n'ont jamais quantifié le phénomène dans son ensemble.

J'ai parcouru le même chemin intellectuel que vous, monsieur Terrasse : d'abord, j'ai pensé qu'il fallait créer un tiers secteur ; puis, finalement, j'ai compris que cela risquait d'être une fausse bonne idée, qui allait tirer vers le bas le modèle social tout en étouffant les activités naissantes. Vous préconisez de requalifier le salariat déguisé en salariat lorsque le lien de subordination est clairement établi, et de faire évoluer l'auto-entrepreneuriat déguisé vers l'entreprise classique. Cette option me semble raisonnable, en tout cas dans un premier temps. La première tâche revient à l'administration du travail ; la seconde, aux services du ministère de l'économie. Cependant, une question sous-jacente se pose : notre administration est-elle armée pour introduire un peu de règles dans ce secteur ? En outre, l'administration française et l'administration européenne sont-elles en mesure de lutter contre les monopoles ? D'après le Conseil d'analyse économique, la première action à entreprendre, c'est d'éviter que des plateformes ne se retrouvent en situation de monopole.

Au-delà de la pérennité des systèmes sociaux, notamment de ceux qui ont un caractère paritaire, la question qui est au coeur de nos travaux est celle de la représentation des différents acteurs. S'agissant de l'économie collaborative, ni les employeurs, ni les prestataires de services, ni les bénéficiaires de services ne sont actuellement représentés. Nous n'avons pas l'impression que les employeurs se soient structurés ni qu'ils soient très présents au sein des organisations patronales existantes. Pour ce qui est des bénéficiaires de services, vous abordez dans votre rapport la question cruciale des systèmes de notation et appelez à une transparence accrue en la matière. Quant aux prestataires de services, par exemple les chauffeurs d'Uber, ceux de BlaBlaCar ou les cuisiniers de VizEat, avez-vous réfléchi à la manière dont ils pourraient s'organiser ? La loi interdit aux chauffeurs d'Uber de se syndiquer, et les auto-entrepreneurs ne peuvent s'affilier ni au Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ni à la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME).

Le secteur de l'économie collaborative n'ayant pas de représentation spécifique, nous avons demandé aux différentes branches professionnelles si elles pouvaient engager une négociation visant à définir ce qui relève du partage de frais ou du supplément de revenu acceptable dans la mesure où il ne dépasse pas un certain seuil. Pour le BTP, nous avons pris l'exemple d'un travailleur qui repeindrait le salon en tant qu'artisan ou salarié du bâtiment, mais qui repeindrait la cuisine en tant qu'auto-entrepreneur. Or les branches ne sont pas armées pour établir leur propre régulation.

Les représentants de OuiShare ont parlé de « gouvernance distribuée », et vous-même de « dispositifs horizontaux ». Cependant, de mon point de vue, il est nécessaire de créer des corps intermédiaires, qui sont essentiels au bon fonctionnement de notre démocratie. Quelles sont vos réflexions sur ce point ?

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Vous avez bien fait la différence entre ce qui relève du partage de frais et ce qui relève de l'activité commerciale. Il s'agit d'un point fondamental. À cet égard, vous avez évoqué la notion de seuil, qui suscite toujours chez moi beaucoup de craintes, car toute la question est de savoir à quel niveau fixer chaque seuil. Je suppose que nous n'allons pas légiférer sur l'activité des personnes qui proposent leur voiture ou leur logement et font du partage de frais, car elles rendent avant tout un service. En revanche, si j'ai bien compris votre logique, la question se pose de mettre en place une réglementation s'appliquant aux sociétés qui proposent des services, sachant qu'elles ont des statuts divers et que le nombre de leurs salariés est très variable, ainsi que nous avons pu le constater lors de l'audition précédente – BlaBlaCar compte 400 salariés, contre 12 pour VizEat. Est-ce bien ce que vous envisagez ?

J'en viens à la question des créations d'emplois. Une personne qui propose sa voiture à son voisin pour faire 400 kilomètres ne crée pas d'emploi : elle est indemnisée, et le revenu qu'elle perçoit lui permet simplement de mettre de l'essence dans sa voiture. En revanche, BlaBlaCar a créé 400 emplois. D'autre part, ainsi que vous l'avez relevé, les membres de la jeune génération se disent qu'ils n'ont pas besoin d'être propriétaires d'une voiture si les autres acceptent de partager la leur. L'industrie automobile se demande si cela ne va pas avoir un impact sur les ventes de véhicules. Cette question a-t-elle été étudiée ? D'une manière générale, quel sera l'impact de l'économie collaborative en termes de créations nettes d'emplois ?

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Proudhon affirmait : « La propriété, c'est le vol ! » En tant que président de l'agence départementale d'information sur le logement (ADIL) de la Charente, je m'étais rendu compte que le fait d'être propriétaire pouvait être source de difficultés, notamment en cas d'accident de la vie. La remise en cause de la propriété, le développement du partage et du troc sont donc des idées intéressantes. Il s'agit notamment d'améliorer le pouvoir d'achat et d'accroître la mobilité, mais aussi de créer du lien social, en favorisant la discussion entre les gens. Dans le même temps, il faut lutter efficacement contre les fraudes. TripAdvisor et AlloCiné auraient payé des utilisateurs pour qu'ils notent positivement des restaurants ou des films tout juste sortis. Quelles sont les actions menées par les services chargés de la répression des fraudes ? Quels résultats obtiennent-ils ?

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En guise d'entrée en matière, vous avez affirmé : « L'économie collaborative, ce n'est pas l'uberisation. » D'un côté, il y a Uber, qui est à l'origine d'une importante création de valeur ou, à tout le moins, d'une bulle. De l'autre, il y a l'économie du partage, dont nous avons vu trois exemples au cours de l'audition précédente. Cette économie ne crée guère de valeur, si ce n'est pour les plateformes elles-mêmes. Pour les individus qui offrent un service, elle permet avant tout un partage de frais ou une économie minime. Je vais dans le sens de Mme Le Callennec : je suis assez séduit par l'idée de laisser les intéressés tranquilles.

Pourquoi avez-vous abordé la question du télétravail dans votre rapport ? Il s'agit certes de l'utilisation d'outils numériques, mais au sein de sociétés déjà constituées.

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Votre rapport est d'autant plus intéressant que différents projets de loi traitent déjà des sujets qu'il aborde. Je souhaite vous soumettre quelques réflexions afin de vérifier que j'en fais une lecture correcte.

D'abord, vous n'embrassez par l'ensemble de l'économie collaborative telle que vous la définissez au début du rapport. Ainsi, vous ne traitez pas – vous n'aviez pas nécessairement à le faire – de la « mouvance du libre », avec les logiciels libres – open source –, ni de l'économie du don, avec les encyclopédies contributives telles que Wikipédia. Les plateformes auxquelles vous vous intéressez ne relèvent pas de l'économie du don : leur perspective n'est pas associative, mais commerciale ; elles font du business. En revanche, elles relèvent probablement de l'économie de la fonctionnalité, dans la mesure où elles permettent le partage de l'usage d'un bien. En effet, elles mettent en relation des particuliers : d'un côté des consommateurs, de l'autre des personnes qui acceptent de mettre à disposition un bien dans le cadre soit d'une location, soit d'un partage de frais. Il peut aussi s'agir de petites prestations de services, par exemple de services de restauration dans le cas de VizEat, même si l'on met aussi l'accent sur le lien social et la rencontre. En l'espèce, il y a en effet un problème de seuil.

Ensuite, certaines situations que vous décrivez dans votre rapport, notamment celles où il y a simplement une mise en relation entre offreurs et demandeurs, relèvent déjà d'un cadre juridique bien balisé. Ainsi que vous l'indiquez à propos de la location d'appartements via Airbnb, le code du tourisme définit clairement la location de meublé de tourisme. Il existe donc déjà un dispositif juridique en la matière, qui peut être ajusté le cas échéant. Ceci de nature à rassurer ceux qui disent que rien n'est encadré et qu'aucune disposition ne permet de prévenir la concurrence déloyale.

Enfin, je ne suis pas favorable à un troisième statut, car je crains qu'il ne s'agisse d'un contrat de travail dégradé. Lorsque la dépendance est telle qu'il existe un lien de subordination, il n'y a aucune raison d'écarter le contrat de travail. Vous le dites indirectement en renonçant à demander la création de ce troisième statut.

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Certaines des pistes que vous proposez dans votre rapport nécessitent de construire du droit. Sous quelle forme et à quel moment imaginez-vous que cela puisse se faire ?

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La question que vous posez, monsieur le président, est celle que l'on m'adresse chaque jour depuis la publication du rapport : quand et comment les propositions qu'il contient seront-elles mises en oeuvre ?

Lorsque le Premier ministre m'a remis ma lettre de mission au mois d'octobre dernier, il m'a indiqué que nos travaux devraient nourrir le projet de loi présenté par Mme Myriam El Khomri en février ou mars, ainsi que le projet de loi relatif aux nouvelles opportunités économiques dit « Noé » ou « Macron 2 ». En outre, le cas échéant, ils devaient amener le Gouvernement à prendre des mesures réglementaires.

D'après les informations dont je dispose, le projet de loi « Macron 2 » n'étant plus d'actualité, une partie de mes propositions concernant l'économie collaborative pourraient être reprises dans le projet de loi pour une République numérique défendu par Mme Axelle Lemaire, soit au Sénat, soit à l'Assemblée nationale en deuxième lecture.

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Il faut tenir compte de la règle de l'entonnoir.

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En effet.

Mes propositions en matière de droit du travail devraient être incluses dans le projet de loi « El Khomri » et celles de nature fiscale devraient figurer dans le collectif budgétaire qui sera présenté par le ministre des finances et des comptes publics au mois de juin.

Tels sont les véhicules législatifs envisagés actuellement par le Gouvernement. Pour ma part, j'aurais préféré un texte plus global et plus cohérent. Mon rêve eût été que des parlementaires déposent une proposition de loi sur le sujet, mais cela semble compliqué compte tenu notamment du calendrier.

Quel impact l'économie collaborative aura-t-elle en termes de créations ou de destructions d'emplois ? De nombreux prospectivistes ont travaillé sur cette question, une table ronde lui ayant notamment été consacrée lors du forum de Davos. On estime que 8 à 9 millions d'emplois pourraient être supprimés en Europe. Pour ma part, je suis convaincu que ces chiffres sont en deçà de la réalité.

Vous avez relevé avec raison, Monsieur le rapporteur, que les évolutions étaient très rapides avec l'économie collaborative : le temps économique s'écoule beaucoup plus vite que le temps politique, c'est certain. On peut se réveiller du jour au lendemain avec une plateforme qui aura réussi à « disrupter » un pan entier de l'économie. Ainsi, Uber, qui est aujourd'hui au centre de l'attention, n'existait pas en France il y a seulement trois ans. Demain, ce sont peut-être les secteurs de l'assurance et de la finance qui seront « disruptés », et de manière assez rapide. Auparavant inexistant, le financement participatif – crowdfunding – commence à se développer dans notre pays. D'ailleurs, en tant qu'élu local, lorsque quelqu'un vient me voir pour monter un projet, je lui recommande non pas de s'adresser à son banquier ou à Bpifrance, car il a alors toutes les chances de ne pas obtenir d'argent, mais de recourir au financement participatif, qui permet non seulement de lever des fonds, mais aussi d'asseoir son e-réputation auprès de la clientèle potentielle.

Selon les experts qui analysent les grandes tendances relatives au numérique, l'économie collaborative va créer des emplois très qualifiés, de haut niveau. Nous manquons d'ailleurs d'informaticiens et de développeurs de logiciels dans notre pays. De nombreux responsables de plateformes m'ont dit qu'ils ne trouvaient pas les cent ou deux cents salariés qu'ils cherchaient. Certains ont ajouté que, dans ces conditions, ils seraient amenés à se délocaliser en Pologne ou en Inde. La formation est donc un point très important.

Par contre, de nombreux emplois moins qualifiés – chauffeurs, coursiers, travailleurs à domicile – qui sont aujourd'hui intégrés dans des organisations non pas horizontales, mais verticales, risquent de disparaître. J'ai en mémoire l'exemple d'un service d'infirmières à domicile aux Pays-Bas. À l'origine, les infirmières étaient indépendantes et travaillaient chacune dans un quartier donné. Puis, on a voulu améliorer l'organisation : on a salarié les infirmières, en leur prescrivant des procédures à suivre, et on a créé des services périphériques – formation, qualité, etc. Tout le monde a été à peu près satisfait du nouveau système, sauf deux acteurs : le salarié, qui ne s'y retrouvait plus parce qu'on lui expliquait qu'il fallait douze minutes pour enlever un bas de contention, et le bénéficiaire, qui s'est plaint d'une déshumanisation du service. Finalement, on a mis en place une plateforme de l'aide à domicile, et les quelque 400 infirmières fonctionnaires sont passées à nouveau sous un statut d'indépendant. Elles sont mieux rémunérées et ont pu mieux organiser leur temps de travail. Quant aux bénéficiaires, ils sont plutôt satisfaits du service rendu. En définitive, le service s'est totalement détaché de la structure existante, et plusieurs métiers support ont disparu. Il y a eu de nombreux licenciements. Cela soulève d'ailleurs un autre problème : ces métiers intermédiaires sont très souvent exercés par des femmes.

Certes, il y aura des destructions d'emplois, mais la pire des choses serait de ne rien faire, de dire « Couvrez cette économie que je ne saurais voir » ou, tel le maréchal-ferrant au moment de l'arrivée des premiers véhicules à moteur, de faire grève en dénonçant une concurrence scandaleuse. Cela ne peut pas marcher et déboucherait sur une situation perdant-perdant : nous détruirions encore plus d'emplois. De toute manière, cette économie s'imposera à nous.

Dès lors, la France a plutôt intérêt à être à l'avant-garde de l'économie collaborative. Elle peut s'organiser et être forte dans ce domaine. Il y a aujourd'hui quelques belles « licornes » qui fonctionnent bien dans notre pays : BlaBlaCar, qui s'exporte, ou Le Bon Coin, qui n'est pas une société française, mais qui a son siège social et paie des impôts en France. Nous pouvons nous appuyer sur de véritables start-up, sur le développement de la French Tech et sur des collectivités telles que la ville de Paris, qui est très engagée dans le domaine de l'économie numérique. Il faut avancer ; c'est un sujet majeur.

Cela nous amène à la question des « communs » évoquée par Denys Robiliard. Selon moi, à terme, les premières entreprises à être « disruptées » seront les plateformes existantes elles-mêmes : elles pourraient disparaître assez rapidement avec le développement du blockchain, que nous n'avons malheureusement pas eu le temps d'étudier dans le cadre de nos travaux et que je vous invite à examiner de près. À ce stade, cette technologie est très peu présente dans notre pays. Elle devrait permettre, demain, la création de plateformes communes qui n'appartiendront plus à personne – un peu à l'image de Wikipédia, encyclopédie à laquelle chacun apporte de la valeur et dont chacun peut tirer de la valeur – et ne seront plus valorisées financièrement comme peuvent l'être actuellement Uber ou Airbnb. Aujourd'hui, des bulles peuvent d'ailleurs se créer : la valorisation d'Airbnb, qui ne dispose d'aucune chambre d'hôtel en propre, est supérieure à celle des groupes Accor et Hyatt réunis.

Pour ma part, je crois à cette nouvelle forme d'économie, qui va changer la nature des choses, car elle ne sera pas capitalistique au sens où nous l'entendons aujourd'hui. Certains intellectuels et économistes qui travaillent sur ces questions, notamment Jeremy Rifkin, estiment que nous en arriverons au « coût marginal zéro ». En d'autres termes, la quantité de travail restera la même, mais le nombre d'emplois diminuera, ce qui soulèvera le problème suivant : comment rémunérer la création de richesses en dehors de l'emploi traditionnel ? Certains proposent l'instauration d'un revenu universel. Je ne me prononce pas sur cette question, mais elle se posera à l'horizon 2025 ou 2030.

En matière de fiscalité, il faut bien distinguer la fiscalité des plateformes et celle des utilisateurs de l'économie collaborative.

J'ai très peu abordé le premier aspect dans mon rapport. Vous avez vu les décisions récentes concernant certaines grandes sociétés de la net economy, en particulier l'accord entre le fisc britannique et Google, et celui entre le fisc italien et Apple. Pour sa part, la France a des relations d'une autre nature avec les entreprises qui pratiquent l'optimisation fiscale. J'invite le Gouvernement à poursuivre son action en la matière, en s'appuyant sur les travaux menés par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le G20 pour lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices – base erosion and profit shifting (BEPS) –, qui ont été approuvés au sommet d'Antalya. Il s'agit de mieux structurer la fiscalité s'appliquant aux sociétés qui exercent une activité dans plusieurs pays. Ce pari n'est pas gagné. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut trouver une solution au problème : il n'est pas normal que de grandes sociétés du numérique ne paient actuellement aucun impôt ou presque dans notre pays, d'autant qu'elles y emploient souvent des travailleurs détachés.

S'agissant de la fiscalité des utilisateurs, il faut être vigilant sur le partage de frais, en faisant bien la différence entre l'activité des particuliers et celle des professionnels. Tous les acteurs de l'économie collaborative vous expliqueront qu'ils font du partage de frais, mais ce n'est pas nécessairement vrai. Lorsqu'un particulier met sa voiture personnelle en location quelques jours par an et qu'il pratique un prix qui ne dépasse pas le barème fiscal, il s'agit bien d'économie du partage. Cependant, il arrive très souvent qu'une même personne mette en location trois ou quatre véhicules. Dans ce cas, il s'agit de véritables loueurs de voitures qui s'abritent derrière l'économie collaborative en prétendant pratiquer le partage de frais. Cette concurrence déloyale à l'égard des loueurs de voitures traditionnels n'est pas acceptable, sans même parler des problèmes de responsabilité et d'assurance. Il appartient alors à l'administration de faire du rescrit fiscal. Un grand nombre de métiers sont concernés par ce phénomène.

À cet égard, je propose au Gouvernement de créer un observatoire de l'économie collaborative, qui associerait la puissance publique, les professionnels et, éventuellement, les organisations syndicales, ce qui ne serait évidemment pas neutre – pour ma part, je regrette qu'elles ne soient pas représentées au sein du Conseil national du numérique (CNNum). L'économie collaborative se développant très vite, il me semble utile de disposer d'un tel organisme, qui accompagnera la puissance publique dans l'élaboration de la réglementation.

La notation est une question importante. Il faut standardiser la notation. Nous proposons de créer un « espace de notation » des plateformes. Il s'agirait d'un « commun », sous la forme d'une agence, qui appartiendrait à tout le monde et où chacun pourrait s'exprimer. Ainsi que vous l'avez relevé, monsieur Comet, beaucoup de notations sont faussées : on estime que 50 % d'entre elles sont frauduleuses, certaines sociétés achetant leur e-réputation. Or on sait que 70 à 80 % des consommateurs se fient à la notation pour acheter. Quelques sites – qui ne sont d'ailleurs pas nécessairement bien vus en France – font très attention en la matière, car ils savent que leur pérennité en dépend. D'autres ne sont pas très sérieux : certains hôtels ou restaurants notés sur TripAdvisor n'existent tout simplement pas.

Monsieur Robiliard, le thème du télétravail ne figurait pas dans ma lettre de mission. J'ai néanmoins souhaité l'évoquer, sans formuler toutefois de propositions concrètes, car je souhaite que le Gouvernement aborde à nouveau ce sujet dans le cadre du dialogue social et lors de la discussion du projet de loi « El Khomri ».

Selon moi, il faut encourager le télétravail. Un accord national interprofessionnel a été conclu en juillet 2005, mais personne ne promeut vraiment le télétravail aujourd'hui. Les syndicats traditionnels, que j'ai rencontrés récemment, n'y tiennent pas, certains estimant qu'il s'agit d'une forme de désocialisation. Les patrons n'y tiennent pas davantage : ils aiment avoir leurs collaborateurs à disposition sur place, quand ils ne préfèrent pas tout simplement installer des pointeuses !

Cependant, j'entends de plus en plus de salariés se plaindre de la longueur, du coût et du caractère usant des trajets en voiture ou en transports en commun. En outre, quelques patrons estiment que le foncier coûte trop cher, notamment à Paris, et que son utilisation n'est pas nécessairement optimisée. Il faut donc trouver un système qui favorise le télétravail, en prenant en compte toutes les questions qu'il soulève : entre autres, la responsabilité, les risques d'accident du travail et le droit à la déconnexion – c'est-à-dire le droit de ne pas être dérangé par son chef de service le soir ou le week-end.

Le télétravail a du sens non seulement en ville, mais aussi en milieu rural, où de nombreuses entreprises pourraient implanter des activités de back office administratif. Il s'agit donc d'un outil d'aménagement du territoire. Nous ne l'employons guère, alors même que nous disposons de réseaux de fibres optiques qui permettent de travailler à domicile (réseaux FTTH – Fiber to the Home). Aujourd'hui, il est tout à fait possible d'être architecte dans un grand cabinet parisien et d'habiter en Ardèche.

Je termine par la question centrale de la représentation. Les organisations syndicales que nous avons rencontrées nous ont dit très sincèrement que l'économie collaborative était un sujet nouveau pour elles, sur lequel elles commençaient seulement à travailler. Lors de la conférence sociale qui s'est tenue au Conseil économique, social et environnemental en octobre dernier, un atelier a été consacré aux enjeux du numérique. Lorsque le ministre de l'économie, M. Emmanuel Macron, a interrogé les organisations syndicales et patronales sur leur vision de l'économie collaborative, personne n'a rien dit, car le sujet était très glissant pour tout le monde. Si tous se disent favorables à l'économie collaborative, car elle s'imposera à nous, la liste des « mais » peut être très longue, et les conservatismes divers peuvent aboutir à de véritables blocages. L'une des ambitions de ce rapport était précisément de les lever – j'ignore s'il y est parvenu.

L'Union nationale des syndicats autonome (UNSA) est la seule organisation syndicale qui a vraiment avancé dans sa réflexion sur la représentation des indépendants.

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En effet. D'ailleurs, l'UNSA se voit parfois devenir comme une grande organisation à l'américaine. J'ai indiqué à ses responsables que cela risquait d'être compliqué, car, à la différence de leurs homologues américains, les syndicats français ne proposent pas de prestations sociales à leurs adhérents.

En outre, il existe aujourd'hui une fédération des auto-entrepreneurs, que nous avons rencontrée. Comme vous pouvez l'imaginer, leurs revendications s'opposent à celles des acteurs de l'économie traditionnelle, notamment en matière de seuils. En revanche, ils sont favorables à une meilleure protection sociale et sont d'accord avec notre proposition de poursuivre la convergence entre les droits sociaux des indépendants et ceux des salariés.

En tout cas, la question de la représentation des indépendants est posée. Elle est complexe, car il y a, d'une part, des personnes qui tirent tous leurs revenus de l'activité qu'ils exercent en tant qu'indépendants et ont donc besoin d'une véritable représentation – ce sont les « indépendants économiquement dépendants » – et, d'autre part, des personnes pour qui cette activité est seulement source d'un complément de revenu. Ainsi, dans certains métiers de la fonction publique, le statut d'auto-entrepreneur est fréquemment utilisé pour développer une activité périphérique.

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Je vous avais demandé si l'administration était armée pour requalifier en salariat les situations qui méritaient de l'être. Votre proposition de créer un observatoire de l'économie collaborative est une manière d'y répondre par la négative. Si le ministère de l'économie est assez présent sur ce dossier à travers le CNNum, l'administration du travail semble, pour sa part, peu active. Je me tourne vers vous, monsieur Barbezieux : l'administration du travail s'organise-elle pour traiter cette question ? Y a-t-il des dossiers de requalification en salariat en cours d'instruction ? Quelles sont les perspectives en la matière ?

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Philippe Barbezieux, inspecteur général des affaires sociales

Nous avons rencontré à ce sujet la cellule internet de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Île-de-France. Elle instruit actuellement un certain nombre de dossiers visant précisément à requalifier en activités salariées des activités exercées sous le statut d'auto-entrepreneur.

L'économie collaborative facilite les contrôles du fait de la traçabilité des transactions qui passent par les plateformes. Dès lors que le législateur a prévu la communication obligatoire de certaines informations à l'administration fiscale, ainsi qu'il l'a fait dans la dernière loi de finances, l'administration peut – sous réserve des moyens qu'elle est en mesure de consacrer à cette tâche – contrôler plus facilement l'activité sur les plateformes collaboratives que dans les secteurs plus classiques de l'économie. Car il n'est pas aisé de détecter une activité non déclarée ou du travail au noir lorsque les intéressés ont offert leurs services via une petite annonce où figure un simple numéro de téléphone, laissée dans une boulangerie ou sur un poteau télégraphique.

Il y a donc un potentiel de contrôle. Il appartient aux services de s'adapter, ainsi que le fait l'URSSAF d'Île-de-France. Certes, la cellule dédiée ne compte que trois agents, mais ceux-ci ont acquis un certain savoir-faire, qui leur permet de repérer sur les sites des activités susceptibles de relever du salariat plutôt que du statut d'indépendant.

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Philippe Barbezieux, inspecteur général des affaires sociales

Je ne peux pas vous faire part du contenu des dossiers, car ils sont en cours d'instruction, en liaison avec le ministère du travail et des affaires sociales. En tout cas, des courriers ont été adressés à certaines plateformes pour leur demander de fournir des éléments d'information.

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Les affaires de requalification ne sont pas simples. Car quelle est la différence entre Uber et les Taxis G7 ? Ne nous méprenons pas : les chauffeurs des Taxis G7 sont eux aussi des indépendants qui doivent passer par une plateforme pour être mis en relation avec leurs clients. En revanche, leur prestation est soumise à une tarification obligatoire. Si des chauffeurs d'Uber sont requalifiés en salariés parce que l'on établit l'existence d'un lien de subordination, je ne vois pas pourquoi les chauffeurs des Taxis G7 ou des Taxis bleus ne le seraient pas également.

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La demande de requalification est à l'initiative du travailleur concerné. D'autre part, il existe, dans le cas que vous venez d'évoquer, un certain nombre d'obstacles à la requalification, notamment le fait que le travailleur détient un capital, à savoir le véhicule. Il sera intéressant de voir le résultat de l'action de groupe engagée sur cette question aux États-Unis.

Il y a aujourd'hui un cadre relativement protecteur : celui du droit du travail. Lorsqu'il existe un lien de subordination au sens du code du travail, je ne vois pas pourquoi on écarterait l'application dudit code. Ensuite se pose la question de renforcer les droits des indépendants. Il est tout à fait envisageable de le faire, dès lors que l'on ne cherche pas à restreindre le champ du contrat de travail. De ce point de vue, le CPA est un outil adapté, puisque les droits sont attachés non pas au statut de la personne, mais à la personne elle-même.

Un certain nombre de plateformes – pas nécessairement celles que nous avons rencontrées aujourd'hui – nous demandent de les placer hors du champ d'application du droit commun. Au nom de quoi devrions-nous le faire ? En agissant de la sorte, nous organiserions la concurrence déloyale.

Quant aux URSSAF, elles peuvent, entre autres, vérifier ce qui a été déclaré ou non, contrôler que le chiffre d'affaires est inférieur à 32 900 euros – dans le cas contraire, on sort du régime de l'auto-entrepreneur. Avec le droit positif, il est possible de faire beaucoup de choses. Il faudrait peut-être commencer par utiliser les moyens dont nous disposons.

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Tel est précisément le sens de mon rapport : le droit, rien que le droit. L'économie collaborative ne doit pas être une zone de non-droit. Ainsi que j'ai essayé de l'expliquer lors des rencontres organisées ces derniers jours à la suite de la publication de mon rapport, n'essayons pas de créer des règles nouvelles ou un impôt nouveau : faisons plutôt en sorte de bien appliquer le droit du travail et la législation fiscale en vigueur.

La séance est levée à treize heures dix.