On peut l'appeler comme on veut : « auto-salariat » ou autrement. En tout cas, ce ne serait ni le salariat, ni le statut des indépendants, mais un statut intermédiaire entre les deux.
La solution de facilité aurait été de laisser le juge déterminer s'il existe ou non un lien de subordination et arbitrer ainsi entre les deux statuts. Lorsque nous avons commencé nos travaux, j'étais plutôt d'avis qu'il fallait créer un troisième statut. Mais, si l'idée paraît assez moderne, elle est source de risques que je n'avais pas mesurés au début : un tel système hybride permettrait à des employeurs d'exclure un certain nombre de salariés du bénéfice de conventions collectives relativement protectrices. Les partenaires sociaux partagent cette crainte, y compris les organisations patronales. Ces dernières ne souhaitent pas ouvrir ce débat, même si quelques branches professionnelles, en particulier le bâtiment et les travaux publics (BTP), y voyaient un intérêt.
Lorsque l'on évoque la possible disparition du salariat au profit du statut des indépendants, on renvoie très souvent au modèle américain, et l'on fait valoir que le syndicat le plus important aux États-Unis aujourd'hui est un syndicat non pas de salariés, mais d'indépendants. En réalité, les dispositifs français et anglo-saxons ne sont pas comparables : en France, on bénéficie d'une couverture sociale que l'on soit salarié, indépendant ou sans activité. Un troisième statut n'a donc guère d'intérêt dans notre pays sauf si l'on cherche à remettre en cause notre modèle de protection sociale universelle.
Nous en sommes donc venus à l'idée qu'il fallait que les plateformes s'engagent, au titre de leur responsabilité sociale, dans un certain nombre de domaines.
Premièrement, en matière de formation. Les principaux reproches adressés aux travailleurs de l'économie collaborative qui sont économiquement dépendants de plateformes concernent la qualité des prestations. Nous proposons donc que les plateformes participent financièrement, via une cotisation, aux dispositifs de formation qui permettent aux prestataires d'améliorer leurs compétences.
Deuxièmement, il convient de définir clairement les conditions dans lesquelles les plateformes peuvent se séparer de leurs prestataires. Les mécanismes de rupture actuels sont assez unilatéraux et généralement mal expliqués lors de l'inscription sur la plateforme. Les plateformes ne doivent pas pouvoir mettre fin à leurs relations avec un prestataire selon leur bon vouloir, par exemple parce qu'un chauffeur aurait fait grève. Il faut des règles plus lisibles et compréhensibles par tous. L'échange précédant la rupture doit se dérouler de manière correcte.
Troisièmement, les travailleurs indépendants économiquement dépendants ont des difficultés à accéder au crédit et au logement. Dans notre pays, lorsque l'on n'est pas un salarié en contrat à durée indéterminée, il n'est pas facile de s'adresser à un banquier ou à un bailleur. Des dispositifs sécurisant l'accès au crédit et au logement ont été mis en place dans le cadre de la convention sur l'intérim. Nous proposons que les prestataires des plateformes bénéficient de dispositifs analogues.
Quatrièmement, il convient de prendre en compte les périodes d'activité sur les plateformes dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience (VAE). C'est d'autant plus important que de nombreux jeunes commencent leur activité professionnelle précisément sur les plateformes. À cet égard, je regrette vivement le véritable effondrement des dispositifs de VAE auquel nous assistons depuis quatre ou cinq ans en France.
Cinquièmement, le compte personnel activité (CPA) – que j'aurais plutôt appelé « sécurité sociale professionnelle » – représente, selon moi, une véritable révolution. N'en déplaise à certains de mes collègues, je fais partie de ceux qui pensent que la flexibilité du travail est très utile. Nous allons vers une « économie du chasseur », où l'on alternera activité à temps partiel et activité à temps plein, où l'on sera indépendant deux jours et salarié trois jours. Nos modes de pensée et d'organisation sont en plein bouleversement. S'il n'y a pas, face à cette instabilité ou à ce nomadisme professionnel, une prise en charge cohérente au titre de la protection sociale et un accompagnement en matière de formation, nous nous exposons à de nombreuses déconvenues. Le CPA est une bonne chose pour les salariés, mais il est très important de l'étendre aussi aux indépendants afin de garantir la portabilité de leurs droits. Nombre d'acteurs que nous avons rencontrés souhaitent que l'on aille beaucoup plus loin en matière de droits des indépendants. C'est ce que je préconise dans mon rapport. Il faut poursuivre la convergence entamée il y a maintenant une vingtaine d'années entre les droits ouverts aux salariés et les droits ouverts aux indépendants, tout en maintenant la distinction entre les deux statuts.
Enfin, certains acteurs demandent avec insistance la création d'un régime des « intermittents de l'économie collaborative ». Cela a appelé de notre part la remarque suivante : le régime des intermittents du spectacle coûte déjà cher à l'Unédic, et la Confédération française démocratique du travail (CFDT) est très réservée quant à la mise en place d'un troisième régime des indépendants, spécifique aux « jobbers » de l'économie collaborative. Le dispositif serait complexe et aurait un impact en termes de coûts. Il n'est d'ailleurs pas sûr que les intéressés auraient les moyens de cotiser à un tel régime, leurs revenus restant très modestes. Rappelons que, dans notre pays, seuls 10 % des autoentrepreneurs tirent de leur activité un revenu supérieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC).