Je vous félicite, cher collègue, pour la qualité de votre rapport.
Au-delà de la question de la régulation de l'économie collaborative, nous nous sommes beaucoup interrogés sur le point de savoir si cette nouvelle économie allait avoir des conséquences importantes sur les régimes de protection sociale existants, notamment sur les régimes paritaires. Lors de votre mission, avez-vous pu mesurer l'impact possible des substitutions d'activité en termes de pertes de recettes pour les régimes sociaux ? Avez-vous eu connaissance de travaux évaluant la part de l'activité exercée dans le cadre de l'économie collaborative – sans faire la distinction entre les statuts classiques, salariat ou entrepreneuriat – et analysant les perspectives en la matière ? Je suis frappé par la rapidité de pénétration dans certains secteurs, qui sont certes des niches : à Paris, Airbnb représente déjà l'équivalent de 400 hôtels, la capitale en comptant 1 400 ; les chauffeurs travaillant pour les systèmes de taxi du type d'Uber ont dépassé en nombre ceux qui disposent d'une licence. Au cours de nos premières auditions, il nous a semblé que l'administration et les branches professionnelles étaient relativement démunies pour mesurer l'existant : elles ont compris les mécanismes et analysé des exemples particuliers, mais n'ont jamais quantifié le phénomène dans son ensemble.
J'ai parcouru le même chemin intellectuel que vous, monsieur Terrasse : d'abord, j'ai pensé qu'il fallait créer un tiers secteur ; puis, finalement, j'ai compris que cela risquait d'être une fausse bonne idée, qui allait tirer vers le bas le modèle social tout en étouffant les activités naissantes. Vous préconisez de requalifier le salariat déguisé en salariat lorsque le lien de subordination est clairement établi, et de faire évoluer l'auto-entrepreneuriat déguisé vers l'entreprise classique. Cette option me semble raisonnable, en tout cas dans un premier temps. La première tâche revient à l'administration du travail ; la seconde, aux services du ministère de l'économie. Cependant, une question sous-jacente se pose : notre administration est-elle armée pour introduire un peu de règles dans ce secteur ? En outre, l'administration française et l'administration européenne sont-elles en mesure de lutter contre les monopoles ? D'après le Conseil d'analyse économique, la première action à entreprendre, c'est d'éviter que des plateformes ne se retrouvent en situation de monopole.
Au-delà de la pérennité des systèmes sociaux, notamment de ceux qui ont un caractère paritaire, la question qui est au coeur de nos travaux est celle de la représentation des différents acteurs. S'agissant de l'économie collaborative, ni les employeurs, ni les prestataires de services, ni les bénéficiaires de services ne sont actuellement représentés. Nous n'avons pas l'impression que les employeurs se soient structurés ni qu'ils soient très présents au sein des organisations patronales existantes. Pour ce qui est des bénéficiaires de services, vous abordez dans votre rapport la question cruciale des systèmes de notation et appelez à une transparence accrue en la matière. Quant aux prestataires de services, par exemple les chauffeurs d'Uber, ceux de BlaBlaCar ou les cuisiniers de VizEat, avez-vous réfléchi à la manière dont ils pourraient s'organiser ? La loi interdit aux chauffeurs d'Uber de se syndiquer, et les auto-entrepreneurs ne peuvent s'affilier ni au Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ni à la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME).
Le secteur de l'économie collaborative n'ayant pas de représentation spécifique, nous avons demandé aux différentes branches professionnelles si elles pouvaient engager une négociation visant à définir ce qui relève du partage de frais ou du supplément de revenu acceptable dans la mesure où il ne dépasse pas un certain seuil. Pour le BTP, nous avons pris l'exemple d'un travailleur qui repeindrait le salon en tant qu'artisan ou salarié du bâtiment, mais qui repeindrait la cuisine en tant qu'auto-entrepreneur. Or les branches ne sont pas armées pour établir leur propre régulation.
Les représentants de OuiShare ont parlé de « gouvernance distribuée », et vous-même de « dispositifs horizontaux ». Cependant, de mon point de vue, il est nécessaire de créer des corps intermédiaires, qui sont essentiels au bon fonctionnement de notre démocratie. Quelles sont vos réflexions sur ce point ?