Intervention de Michel Miné

Réunion du 8 mars 2016 à 16h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Michel Miné :

Il est toujours agréable de pouvoir alimenter la réflexion des élus ; au regard des perspectives ouvertes par le projet de loi à venir, la date est fort bien choisie pour cette rencontre. Les questions que vous m'avez adressées sont de deux ordres : les premières portent sur l'effectivité des mesures législatives relatives à l'égalité professionnelle, les secondes sur les éléments du projet de loi réformant le code du travail qui concernent les droits des femmes – quand bien même le texte définitif ne sera connu que le 24 mars.

La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi prévoyait une durée de travail hebdomadaire minimale de 24 heures pour les temps partiels. La mesure comportait un certain nombre de dérogations individuelles ou résultant d'accords signés dans le cadre de conventions collectives. Un premier bilan des accords passés dans les branches professionnelles en matière de travail à temps partiel a été dressé : on ne peut qu'être alarmé par leur contenu. Dans la plupart des cas, en effet des dispositions dérogatoires sont adoptées, qui de fait conduiront à priver les femmes du bénéfice de cette durée minimale de 24 heures.

Nombre d'accords fixent une durée minimale de 16 heures, et certains d'entre eux vont bien au-delà des dérogations permises par la loi, si bien que, pour certains métiers, la durée minimale se trouve réduite à 2 heures hebdomadaires. Une étude plus approfondie serait nécessaire pour examiner chacune des conventions collectives et les professions concernées ainsi que la pertinence des dérogations ; en tout état de cause, de nombreuses situations ne sont pas satisfaisantes sur le plan du droit. Il est donc d'autant plus surprenant que certains de ces accords aient fait l'objet d'un arrêté d'extension pris par le ministre du travail sans qu'aucune réserve soit émise. Le ministre du travail a en effet la possibilité de prendre un arrêté dont l'effet est de rendre obligatoire un accord de branche pour toutes les entreprises du secteur professionnel concerné, même non adhérentes de l'organisation patronale signataire. Depuis 1982, les accords dérogatoires en matière de temps de travail se sont développés, et la procédure de l'arrêté d'extension permet au ministre de vérifier la légalité du contenu des accords collectifs : c'est là sa deuxième fonction.

En définitive, on constate que, pour la majorité des salariés à temps partiel, la durée minimale de 24 heures ne sera pas appliquée dans les secteurs d'activité concernés. La loi n'a donc pas atteint son objectif.

En outre, la loi a prévu d'autoriser des compléments d'heures par avenant. Ainsi, des accords de branche offrent à l'employeur la possibilité de proposer au salarié de signer un avenant le conduisant à effectuer des heures complémentaires dérogeant au droit commun qui régit les heures complémentaires. Il faut garder présent à l'esprit le fait que, depuis la loi du 14 juin 2013, les heures complémentaires sont majorées : de 10 % jusqu'à un certain niveau, de 25 % ensuite. Or, dans certains accords de branche, il est possible que ces heures complémentaires ne soient pas majorées. Cette pratique est contraire au droit européen car, la majorité des employés à temps partiel étant des femmes, elle n'est pas neutre en termes de genre : elle défavorise les femmes et pourrait être attaquée devant le juge du contrat pour discrimination indirecte. À ce titre, les accords collectifs concernés pourraient être attaqués devant le tribunal de grande instance.

Je ne prétends pas que les parties signataires de ces accords soient animés d'intentions malignes mais, du fait même de cette discrimination indirecte – que le droit européen est susceptible de qualifier comme telle – certains salariés ne sont pas remplis de leurs droits et, d'autre part, des entreprises se trouvent en situation d'insécurité juridique.

L'analyse juridique est la même pour le forfait jours, mais ce ne sont pas les mêmes populations qui sont concernées. Si les salariés à temps partiel connaissent mal leurs droits, ceux qui sont au forfait jours sont souvent des cadres disposant de ressources culturelles, voire économiques, les rendant à même de saisir le juge, ce dont témoigne le volume du contentieux relatif au forfait jours.

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