Cet avant-projet de loi porte une contradiction : il affiche en préambule l'objectif d'égalité professionnelle, mais le sujet n'y est jamais abordé de façon transversale, alors même que bien des dispositions législatives ont été adoptées dans ce domaine. Il me semblait que, conformément à des approches européennes relativement bien intégrées par le droit français, l'idée de transversalité, de gender mainstreaming, était devenue centrale.
Ma première interrogation porte sur la place des accords de branche vis-à-vis de la loi. Il est courant d'entendre évoquer une inversion de la hiérarchie des normes ; au-delà des conséquences d'ordre général, ce ne sera pas sans conséquence sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il est notoire que les emplois les plus souvent occupés par des femmes constituent le maillon faible de la négociation collective et de la protection syndicale. Cette situation se vérifie le plus souvent au sein des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que de certains secteurs d'activité comme l'aide à domicile ou, dans une moindre mesure, le commerce, la restauration, etc. Les chiffres ne sont malheureusement pas disponibles, mais nous savons que la couverture conventionnelle concerne surtout les grandes entreprises.
Les femmes étant plus présentes dans les TPE et PME, elles sont, de façon indirecte, plus fragilisées ; en l'absence de suivi et de contrepartie, cette situation est dommageable.
Par ailleurs, l'avant-projet de loi risque de dégrader encore plus les conditions relatives au temps de travail en favorisant des durées maximales élevées, entérinées par des accords d'entreprise et de branche. Il est prévu, je le rappelle, qu'elles puissent être atteintes durant seize semaines au lieu de douze, et que le temps de travail puisse être calculé sur trois ans au lieu d'un an. Les femmes travaillant à temps partiel ne pourront pas allonger celui-ci, ce qui ne leur permettra pas de connaître une réelle autonomie financière. Par ailleurs, les allongements du temps de travail – le forfait jours étant le cas extrême – dégradent la situation des femmes, particulièrement de celles qui sont cadres, car ce sont toujours les femmes qui subissent les contraintes familiales : elles consacrent une heure et demie de plus que les hommes, en moyenne, aux tâches quotidiennes. Leur temps contraint, c'est-à-dire le temps de travail plus le temps domestique, est plus important, dans notre pays, que celui des hommes. La situation est différente dans les pays nordiques.
Les annonces faites à propos de ce projet de loi promettaient plus de sécurité pour les femmes dans un contexte de « flexisécurité », avec le compte personnel d'activité (CPA) et le droit à la déconnexion, mais le texte ne va pas assez loin. Il est sibyllin au sujet du CPA ; le transfert et la conservation des droits à la formation est une bonne mesure, mais elle devrait être étendue aux autres droits, qui mériteraient d'être accrus, tel le compte épargne-temps. Le volet sécurité de l'avant-projet de loi, dans la version dont j'ai eu connaissance, n'est pas suffisant.
Par ailleurs, rien, dans le texte, ne garantit le respect par l'employeur du droit à la déconnexion ; il semble même qu'une contrainte supplémentaire serait susceptible de peser sur le salarié.
Les dispositions de l'avant-projet de loi, en l'état, ne pourront que conduire à une aggravation de la discrimination indirecte qui frappera tant les femmes cadres que celles occupant des emplois à temps partiel ou précaires.
Depuis longtemps, je m'intéresse tout particulièrement au bilan des accords collectifs ; avec Jacqueline Laufer, nous avions analysé les quarante premiers accords passés au titre de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. On peut constater un très net progrès car, depuis, plus de 10 000 de ces accords ont été signés. La loi du 13 juillet 1983 portant modification du code du travail et du code pénal en ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, dite « loi Roudy », avait abouti à une quarantaine de plans d'égalité. D'après la DGT, le taux de couverture par des accords sur l'égalité est d'environ 38 %, avec des variations considérables en fonction de la taille des entreprises puisque 83 % des entreprises de plus de 1 000 salariés sont couvertes, pour 33 % des entreprises de moins de 300 salariés.
Le nombre des mises en demeure s'élève aujourd'hui à plus de 2 045 et celui des sanctions à 81, ce qui tend à prouver l'efficacité de ce régime applicable en l'absence d'accord. La situation est moins satisfaisante dans le domaine de l'égalité des rémunérations, mais les chiffres eux-mêmes doivent être examinés avec la plus grande circonspection, puisque, selon le mode de calcul retenu – choix des indicateurs, prise en compte ou non des primes, par exemple – l'écart observé peut varier entre 4 % seulement et le niveau communément reconnu, c'est-à-dire 25 %. Il est donc difficile de progresser en toute connaissance de cause, même si l'on constate une érosion des écarts de salaire.
Ainsi que l'a indiqué Michel Miné, le contenu de bien des accords est pauvre et ne fait que rappeler les principes posés par la loi. La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) a commandé à une équipe de l'École normale supérieure (ENS), pilotée par Sophie Pochic, du Centre Maurice-Halbwachs, une étude qui portera sur le contenu des accords collectifs d'entreprise et des plans d'action unilatéraux sur l'égalité professionnelle ainsi que sur leur mise en oeuvre. Ce travail sera fondé sur une analyse statistique globale des accords sur l'égalité professionnelle, puis d'un suivi qualitatif d'un certain nombre de ceux-ci à partir d'un échantillon raisonné.
Dans mon analyse des quarante premiers accords collectifs sur l'égalité professionnelle, j'avais distingué quatre degrés croissants d'engagement : le simple rappel des principes ; la mise en place d'outils statistiques pertinents permettant de poser un diagnostic partagé ; l'évolution de la proportionnalité au moment du recrutement, en étant attentif au nombre de femmes candidates ainsi qu'à leurs qualifications ; l'engagement d'actions positives visant à corriger les inégalités sur la base de mesures chiffrées, avec une évaluation à terme.