Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 16 mars 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy, rapporteur :

Je remercie M. Aboubacar de son soutien. Il connaît bien le sujet et son intervention était extrêmement claire. Nous sommes tous sur le même bateau – Mme Le Dain l'a montré.

Je remercie aussi Philippe Gosselin, que je voudrais rassurer. Il ne s'agit pas du tout de concurrencer la diplomatie dite « nationale » ni d'aligner le statut des agents territoriaux sur celui des diplomates nationaux. Nos collectivités veulent absolument avoir ce rayonnement régional dans leur « géographie cordiale » : ce n'est pas pour aller ensuite pleurer sur l'épaule de l'État et lui demander d'assumer la charge de leurs agents, qui resteront les agents des collectivités. Cependant, prenons le cas de celui qui est installé en Haïti avec sa famille, ses enfants. Les droits sociaux et les couvertures dont il bénéficie, la fiscalité qui lui est applicable n'ont rien à voir avec ceux d'un diplomate d'État, sans parler de son salaire, qui est dix fois inférieur ! Je ne prétends pas qu'il faille lui donner le même salaire, mais son régime indemnitaire ne doit-il pas être amélioré ? C'est pourquoi nous proposons qu'un décret soit pris. Quant à la protection liée à la Convention de Vienne, il n'est pas normal que ces agents ne disposent pas de passeports diplomatiques, qui leur permettraient de bénéficier des mêmes facilités qu'un diplomate à l'aéroport. Il ne s'agit que de cela.

En ce qui concerne la déclaration d'urgence, je reprends la très belle idée de Mme Le Dain : enfin, la France va reconnaître dans les outre-mer une richesse et pas un handicap ! Comment regarde-t-on jusqu'à présent les outre-mer ? Avec de la condescendance, souvent, quand ce n'est pas avec une amitié « tape dans le dos ». Je pense que nous sommes en train de dépasser cela. Nos frères et soeurs qui vivent dans l'Hexagone travaillent collectivement, comme Césaire nous le dit, à l'émergence et à la création d'une nouvelle humanité – mais la petite tape dans le dos condescendante existe toujours. Dans l'outre-mer, on voit – y compris de Bruxelles, dont le conservatisme est incroyable – le handicap à compenser plutôt que les richesses. D'ailleurs, les mutations écologiques montrent bien que l'exemplarité écologique pourrait se dessiner d'abord là, avec une nouvelle ingénierie d'appropriation de la nature, qui correspond à une réalité ancestrale et peut ouvrir de nouvelles voies.

L'attente est donc très forte. Il faut travailler pour l'égalité, y compris l'égalité réelle, mais aussi pour le développement local. Un même schéma de développement peut-il valoir pour le Languedoc-Roussillon et la Martinique ? Nous n'avons pas demandé un euro de plus, nous n'avons pas réclamé d'argent – ce n'est pas dans ma nature –, nous proposons simplement une stratégie de développement. Elle ne contribue en rien au déficit de l'État, car elle se situe en dehors du budget. Nous apportons une richesse – la contribution géostratégique et écologique de l'outre-mer – qui n'est pas encore quantifiable, mais qui sera un jour quantifiée, car il faudra bien calculer sa valeur : on peut se réjouir de vivre dans un pays sur lequel le soleil ne se couche jamais, mais cela a un prix – je n'en dirai pas plus pour l'instant. J'insiste donc : il fallait absolument déclarer l'urgence pour aller le plus vite possible.

Mme Maina Sage a évoqué l'article 74 et la question des agents territoriaux dans les ambassades. Il est vrai que les possibilités de négociation des collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution sont beaucoup plus grandes. Cependant, contrairement à ce que pensent certains, l'article 74 ne permet pas tout et il ne leur est pas possible de signer directement des accords internationaux. Cela étant, et même si j'y suis favorable à titre personnel, je ne pense pas que l'on puisse répondre à votre demande dans le cadre de l'examen du présent texte : il conviendrait sans doute que vous vous adressiez au Gouvernement.

Madame Le Dain, votre analyse est très juste ! J'ai longtemps espéré que l'Europe fasse preuve d'ouverture dans sa politique de grand voisinage, mais je n'ai pas vu arriver grand-chose. Qu'on songe à l'expression « région ultrapériphérique ». Qui est à la périphérie ? La Martinique est-elle plus à la périphérie de l'Europe que l'Europe n'est à la périphérie de la Martinique ? Nous sommes sur un globe, tout est rond : qui est à la périphérie de quoi ? Je suis autant au centre que Bruxelles ou que l'Allemagne ! Chaque individu, chaque être humain est en fait dans sa propre centralité, et c'est une richesse dont on ne peut priver personne.

Il est certain que ce texte permettra de modifier les rapports avec l'Europe, dont les fonds structurels sont très importants et qui soutient considérablement les départements d'outre-mer. Le programme Interreg – très bien géré, en ce qui nous concerne, par la Guadeloupe – est plus ou moins considéré comme un guichet. Simplement, les autres pays tiers sont dans un rapport de financement, alors que nous rencontrons plutôt un besoin d'ingénierie de développement. Prenons l'exemple de l'énergie. Dans l'Hexagone, le problème est simple à traiter : l'Espagne ou l'Italie peuvent fournir l'énergie qui manque. Sur une île, ce n'est pas possible. Il faut donc une ingénierie spécifique, une nouvelle culture de développement, de recherche et d'innovation, et les normes européennes ne sont pas mécaniquement transposables. Il nous faut une coopération scientifique et technique, pas seulement une coopération dans le domaine de la danse ou du spectacle.

Pour créer une nouvelle base de croissance économique et sortir d'un chômage systémique, au taux compris entre 19 % et 25 %, nous devons considérer notre environnement géographique. Le Brésil, dont la superficie est plusieurs dizaines de fois celle de la France, est à deux heures de vol, avec des matières premières à profusion, et la Guyane, à côté, a besoin de respirer. Cela n'implique pas l'indépendance. Un jeune Martiniquais, dans le cadre d'un échange Erasmus, doit partir pour l'Espagne. Pourquoi ne pourrait-il pas aller au Mexique ? N'y parle-t-on pas aussi espagnol ? Des lycéens de seize ans qui se rencontrent à cette occasion peuvent se marier des années plus tard et créer des processus de contact extrêmement intelligents. Ce sont vraiment les fondamentaux d'un vivre-ensemble qui n'existent pas, aujourd'hui, dans la Caraïbe.

Nous sommes connectés à l'Europe de manière mécanique. Certes, nous avons fait le choix d'être dans l'Europe, dans la France, d'être un département français, et je respecte cette décision, mais il ne faut pas ignorer que nous sommes avant tout des Martiniquais et des Caribéens.

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